12 janvier 2006 par Damien Millet
Jusqu’en 1998, le Parlement français n’a exercé aucun contrôle sur les votes et les initiatives du représentant de la France au sein des institutions financières internationales. En effet, selon le député socialiste Yves Tavernier (vice-président de la commission des Finances de l’Assemblée Nationale entre 1997 et 2002) : « Force est de constater que le Parlement français n’a guère exercé, jusqu’à ce jour, sa capacité d’analyse critique à leur égard. Il était admis, de fait, que l’univers financier international relevait exclusivement de la compétence et de la sagacité du ministère des finances et de sa direction du Trésor. »
1. Le rapport du gouvernement français au Parlement (1998-2000)
Le virage de 1998 : rendre compte
En janvier 1998, le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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décide une importante augmentation des quotes-parts de ses Etats-membres. Le gouvernement français, dirigé par le socialiste Lionel Jospin, attend la fin de cette année-là, et notamment une loi de finances rectificative, pour demander en catimini l’approbation du versement correspondant par le Parlement français : 27 milliards de francs français (plus de 4 milliards d’euros), soit 45 % de la quote-part précédente.
La démarche ne passe pas inaperçue du Rapporteur général de la commission des Finances de l’Assemblée Nationale, le socialiste Didier Migaud. Il demande que des comptes soient rendus sur l’argent engagé par la France auprès des institutions financières internationales. Car le besoin de refinancement du FMI en 1998 répond à des causes bien précises qui font débat : la politique conduite en Asie du Sud-Est, en Russie et en Amérique latine. Comme l’écrira plus tard Yves Tavernier : « Les députés ont alors esquissé un débat sur le bien-fondé des objectifs, des moyens et des méthodes du FMI et de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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. Les erreurs d’analyse, les présupposés idéologiques sur les bons choix économiques conjugués au soutien contesté à certains régimes politiques, méritaient pour le moins réflexion et discussion. » (rapport 2000)
Sur proposition de Didier Migaud, l’Assemblée nationale exige du Gouvernement un rapport annuel au Parlement sur les activités du Fonds monétaire international qui fut, sur proposition d’Yves Tavernier, étendu au groupe de la Banque mondiale. L’article 44 de la loi de finances rectificative du 31 décembre 1998 est alors adopté :
« III.- Le Gouvernement remettra chaque année au Parlement, au plus tard le 30 juin, un rapport présentant :
a) L’activité du Fonds monétaire international au cours de son dernier exercice budgétaire, notamment les actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
entreprises par le Fonds monétaire international pour assurer un suivi de la situation économique des États membres qui font appel à son concours ;
b) L’activité de la Banque mondiale au cours de son dernier exercice budgétaire, notamment les actions entreprises par la Banque mondiale pour assurer un suivi de la situation économique des États membres qui font appel à son concours et un suivi des projets qui ont bénéficié de ses financements ;
c) Les décisions adoptées par les instances dirigeantes du Fonds monétaire international : conseil d’administration, conseil intérimaire, conseil des gouverneurs, et les instances dirigeantes de la Banque mondiale ;
d) Les positions défendues par la France au sein de ces instances dirigeantes ;
e) L’ensemble des opérations financières réalisées entre la France et le Fonds monétaire international, d’une part, entre la France et la Banque mondiale, d’autre part. »
En effet, comme le souligne Yves Tavernier : « L’Assemblée Nationale ne pouvait demeurer plus longtemps étrangère à une politique qui mobilise des moyens financiers considérables, qui se trouve au cœur des discussions sur la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
et dont dépend la vie d’une grande partie de l’humanité. Elle se devait d’être à l’écoute des contestations de plus en plus vives qui, de Seattle à Prague, en passant par Washington et Nice, s’élèvent contre un nouvel ordre mondial conçu, régi et contrôlé par les États les plus riches, au bénéfice des groupes financiers et industriels qui dominent les marchés internationaux. » (rapport 2000)
Le gouvernement est donc contraint de rendre compte des actes de son représentant au FMI et à la Banque mondiale.
Le rapport gouvernemental de 1999
Pris de court, le gouvernement français remet en 1999 un premier rapport qualifié par les députés de « sans grande consistance ». Yves Tavernier précise : « Sans constituer un véritable rapport sur l’activité des institutions financières internationales, le premier rapport déposé par le Gouvernement en juillet 1999 jetait les bases d’une information des parlementaires, en décrivant, dans les grandes lignes, les missions de deux organismes nés à Bretton-Woods et esquissait quelques perspectives d’évolution. Les parties consacrées aux positions françaises en tant que telles ne représentaient que quatre pages pour le FMI et cinq pages pour la Banque sur un total de quarante-sept pages. Le rapport avançait des positions qui étaient peu critiques par rapport à celles prises par le Fonds ou la Banque. » (rapport 2001)
Le rapport gouvernemental de 2000
Publié en juillet 2000, le deuxième rapport du gouvernement est jugé plus satisfaisant, présentant « de manière approfondie l’évolution des activités des deux organisations. Mais, une fois encore, la position française se distinguait mal des positions prises par les organisations elles-mêmes. De nombreuses affirmations de principe n’étaient étayées par aucun exemple ou donnée statistique. De manière tacite, les politiques mises en œuvre n’étaient aucunement remises en cause ou du moins évaluées. L’idée d’une éventuelle taxe ‘‘Tobin’’ sur les mouvements de capitaux à court terme était rejetée sans véritable argumentation. Aucune critique n’était apportée sur l’éventuel écart qui pourrait exister entre le nouveau discours de la Banque sur la pauvreté et la réalité des changements dans ses pratiques. La participation des milieux associatifs, et en particulier des organisations non gouvernementales, n’était évoquée qu’avec parcimonie, alors même qu’une grande partie de la nouvelle rhétorique de Bretton-Woods se développait à partir de ce point. »
C’est à ce moment que la Commission des Finances s’investit plus largement sur cette problématique : elle ne va pas se contenter de demander des informations, elle va faire valoir sa propre analyse critique.
2. Les deux rapports d’Yves Tavernier (2000-2001)
Le rapport Tavernier 2000
Le 13 décembre 2000, la Commission des Finances dépose un rapport de 320 pages sur les activités et le contrôle du FMI et de la Banque mondiale, rédigé par Yves Tavernier et intitulé « FMI, Banque mondiale : vers une nuit du 4 août [1] ? ». Leur rôle est clairement identifié comme central depuis des décennies : « Les enjeux du débat sont considérables dans la mesure où les institutions de Bretton-Woods sont le révélateur et le maître d’ouvrage d’une vision du monde qui tente de s’imposer comme modèle universel. Nées de la Seconde guerre mondiale, instruments de la reconstruction de l’Europe, elles ont inscrit pleinement leur action dans le combat géopolitique de la guerre froide. Leur rôle était de fidéliser la clientèle du Tiers Monde en faveur du monde occidental. L’aide au développement répondait à un objectif éminemment politique. À partir du début des années 1990, le Fonds monétaire et la Banque mondiale définissent un nouveau modèle caractérisé par l’ajustement des économies au marché mondial. Ils développent, sans contrainte, leur politique néolibérale reposant sur la régulation de l’économie par les marchés, réduisant le rôle des États et accordant la priorité à la libéralisation des échanges, aux privatisations et à la réduction des systèmes publics de protection sociale. »
Le rapport confronte alors le gouvernement français, dit de gauche plurielle, aux contradictions entre les déclarations nationales et le soutien à de telles politiques : « Le rapport du Gouvernement français au Parlement s’inscrit pleinement dans la logique des conceptions et de l’action de la Banque mondiale et du FMI. Certes, il soulève des questions, note des interrogations, énonce quelques doutes. Mais ses critiques demeurent pudiques. Votre Rapporteur n’a pas relevé de contradictions essentielles entre son contenu et les développements qu’offrent, sur leur site Internet, les deux institutions. »
Citant l’Argentine, dont la grave crise se profile (elle se déclenchera un an plus tard), il appuie sur un point sensible : « [En Argentine,] les populations les plus pauvres feront une fois encore les frais d’une politique destinée à sauver la mise des banques et des investisseurs privés. [...] Il serait pour le moins nécessaire de savoir si la France soutient à Washington une politique que le Gouvernement français et la majorité parlementaire combattraient vigoureusement à Paris. »
Selon la Commission, les deux rapports gouvernementaux méritaient une réponse argumentée. La première partie tente de comprendre ces deux institutions en dressant un tableau détaillé de leurs modes de financement et d’intervention, permettant d’aborder la lecture du rapport du gouvernement qui ne prenait pas la peine, selon Yves Tavernier, de faire ce travail. Ensuite, il entreprend de les critiquer avant de proposer des idées de réforme. Le bilan est dur : « Entre ‘‘donner du poisson’’ apanage de la charité et ‘‘apprendre à pêcher’’ pierre angulaire du développement, semble s’être glissée la pratique du ‘‘leasing de cannes à pêche, coûteuses et fragiles’’, traduction du nouveau credo de la Banque mondiale et du Fonds monétaire. » Dans ce cadre, « la France doit affirmer avec force que le droit international ne peut pas être subordonné au droit des affaires et que le fondement du droit international ne peut être que la Déclaration universelle des droits de l’homme. »
Les béances de la politique internationale française sont mises à jour : « Le Parlement doit se préoccuper, enfin, de ce dossier parce qu’à tout moment les institutions financières peuvent être pompiers ou incendiaires pour la paix du monde. Or la France y détient l’un des vingt-quatre sièges de chaque conseil d’administration. Est-il normal que son représentant ne rende compte qu’au ministère des finances et que le Parlement ne contrôle ni ne juge son action ? [...] Il est significatif que le rapport du Gouvernement ait été élaboré par le seul ministère des finances sans la moindre concertation avec son homologue des affaires étrangères et de la coopération. »
L’une des 21 propositions du rapport s’appuie sur cette analyse, puisque qu’Yves Tavernier propose que l’administrateur français à la Banque mondiale ne soit plus le même qu’au FMI [2], mais qu’il soit nommé par le ministère des affaires étrangères. D’ailleurs l’article V des statuts de la Banque mondiale précise que « les membres du conseil d’administration doivent impérativement exercer leur mandat à temps plein au siège de la Banque » et la mesure proposée « permettrait ainsi de mettre la pratique française en conformité avec les textes. »
La conclusion tombe : « Ce n’est peut-être pas encore la nuit du 4 août. Mais, ces propositions ont été conçues comme l’amorce d’une réforme en profondeur. Elles tentent de replacer l’homme au cœur des institutions financières internationales. » Mais elles auront peu d’écho du côté officiel...
Le rapport Tavernier 2001
Le 3e rapport gouvernemental, rendu public en juillet 2001, permet de mieux déceler les quelques différences d’analyse entre la position française et la position finale du FMI ou de la Banque mondiale. Mais trop d’insuffisances demeurent. La Commission des Finances de l’Assemblée nationale publie donc, le 19 décembre 2001, un second rapport, plus court, toujours rédigé par Yves Tavernier, sous le titre « FMI, Banque mondiale : pour faire plaisir à Wall Street ? ».
Là encore, la critique est franche : « Le rapport du Gouvernement de juillet 2001 donne beaucoup d’éléments d’information. Il explicite, pour la première fois, les positions défendues par l’administrateur français. Il constitue, de ce point de vue, un bon outil de travail. Nous souhaitons qu’à l’avenir, il soit moins discret et moins prudent sur les questions fondamentales qui portent sur la légitimité des deux institutions, sur leurs champs de compétence, sur leur vision du monde et sur les présupposés idéologiques qui innervent leurs politiques financières, économiques et sociales. »
Quelques coups de griffe égratignent les rédacteurs du rapport gouvernemental : « Répond-il pour autant aux interrogations politiques du Parlement sur les grands enjeux de la politique économique et financière internationale ? La réponse est pour le moins nuancée. Curieusement le rapport du Gouvernement ignore les règles élémentaires de l’exposé, enseignées de tout temps dans les universités françaises. Il ne comporte ni introduction pour définir le sujet et annoncer les développements, ni conclusion pour exprimer la synthèse des analyses et des propositions. Il se présente comme une simple juxtaposition de notes thématiques se rapportant de manière successive aux activités des deux institutions. Il apparaît davantage comme un rapport technique de la direction du Trésor du ministère des finances que comme le rapport politique du Gouvernement au Parlement. »
Les propositions du rapport 2000 sont reprises en détail, surtout pour déplorer l’absence de leur prise en compte par le gouvernement. Une seule d’entre elles, celle de nommer un administrateur auprès de la Banque mondiale placé sous tutelle principale du ministère des affaires étrangères, a retenu l’attention du Gouvernement. « Ce thème et lui seul a fait l’objet d’une lettre du ministre de l’économie et des finances [Laurent Fabius] justifiant le monopole de son administration. » Ce fut donc pour dire non.
En revanche, Yves Tavernier se réjouit que « pour la première fois, l’administrateur français auprès des institutions de Bretton-Woods a été auditionné dans le cadre d’une réunion conjointe de votre commission des Finances et du Haut Conseil de la coopération internationale, le 8 novembre 2001. » C’est surtout dire l’absence de dialogue parlementaire avant cette date.
Le bilan tiré est plutôt morose, car « tant les parlementaires que l’opinion publique ne disposent pas des moyens de s’informer. Le dialogue avec les parlements n’est pas dans la nature des institutions financières et économiques internationales. » L’analyse critique est là, mais on est encore loin d’un véritable contrôle parlementaire.
3. Le bilan 2001 des autres grands pays
A la fin du rapport 2001, Yves Tavernier compare le suivi français à celui en vigueur dans d’autres pays. Globalement : « Aucun Parlement n’exerce directement un contrôle sur les institutions financières et économiques internationales. Néanmoins, par le biais du contrôle de l’activité des ministères chargés de suivre ces questions et des représentants des États auprès du Fonds monétaire et de la Banque mondiale, le pouvoir législatif peut parvenir à suivre de manière précise la marche de ces organisations et exprimer un jugement sur celle-ci. Les parlements européens [...] le font peu ; seul le Congrès américain examine de manière plus étroite l’action du Gouvernement dans cette matière. » Etat des lieux en 2001.
Allemagne, Espagne, Italie
Dans ces trois pays, le suivi des positions du représentant national et des activités du FMI et de la Banque mondiale est « peu développé ». Il se résume souvent à « des questions épisodiques au Gouvernement et, éventuellement, par l’audition des responsables politiques, plus rarement des responsables administratifs ».
En Allemagne, « l’action du Bundestag se limite à contrôler le Gouvernement allemand. Des délégations des commissions des Finances, des Affaires étrangères et du Développement accompagnent le ministre responsable lors des conférences annuelles du Fonds monétaire et de la Banque mondiale, sur le modèle de ce qui existe, en France, pour l’assemblée générale des Nations Unies ou pour les réunions de l’Organisation mondiale du commerce
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
. Par ailleurs, le Bundestag, dans le cadre des auditions publiques menées par ses commissions, a pu entendre le président de la Banque mondiale et le directeur général du Fonds monétaire. Mais, il n’exerce aucune espèce de contrôle sur l’éventuelle augmentation du montant des quotes-parts de l’Allemagne. »
En Italie, le contrôle parlementaire du représentant italien est « quasi inexistant. Les commissions des Finances de la Chambre des Députés ou du Sénat n’ont procédé, sur ces questions, à aucune audition du ministre de l’économie et des finances ou d’un représentant de l’Italie auprès des institutions de Bretton-Woods. En revanche, selon le mode adopté par l’Assemblée nationale française dans la loi de finances rectificative de 1998, le ministre de l’économie, depuis 1977, est tenu, dans le cadre de l’examen de l’état de prévision des dépenses de son ministère, de transmettre annuellement au Parlement un rapport sur les relations entre l’Italie et le seul Fonds monétaire international. »
En Espagne, « le seul contrôle qui intervient est réalisé en commission budgétaire à l’occasion de l’examen des différents postes du budget général de l’État. »
Grande-Bretagne
Au même moment que l’Assemblé nationale française, la Chambre des Communes britannique a engagé « un travail plus poussé de contrôle, d’information et de réflexion sur le Fonds monétaire international. » Ainsi : « en janvier 1999, la commission spécialisée des Finances a publié un rapport sur la gestion de la crise asiatique par le Fonds. Il était demandé au Gouvernement de produire un rapport annuel sur l’activité de ce dernier, ce qu’il fit, une première fois, en décembre 1999, et, une deuxième fois, en janvier 2001. La Commission, pour sa part, a publié un deuxième rapport sur le FMI en février 2000 et auditionné, à deux reprises, le représentant du Royaume-Uni auprès du FMI. Un troisième rapport, rendu public en mars 2001, a mis l’accent sur la nécessité de renforcer le contrôle parlementaire dans ce domaine. La Commission a jugé nécessaire d’examiner systématiquement les rapports qui seront fournis par le Bureau d’évaluation du FMI, d’inciter le Gouvernement britannique à faire pression sur le Fonds pour autoriser ses responsables à venir s’exprimer devant les Communes, d’auditionner régulièrement l’administrateur britannique. Enfin, elle a demandé au Gouvernement de rendre publics les votes du Royaume-Uni au sein du conseil d’administration de l’institution. »
Le rapport Tavernier souligne que « contrairement au Gouvernement français, le Gouvernement britannique s’attache à répondre, point par point, au rapport effectué par la commission du Trésor. Cette réponse est publiée par le Parlement. Ainsi, lors de la session 1999-2000, la Commission a rendu son premier rapport le 18 février 2000. La réponse du Gouvernement a été publiée le 27 juin de la même année, permettant ainsi de formaliser le dialogue entre la Chambre et le pouvoir exécutif. Sans qu’il soit besoin d’une disposition législative particulière, la publication annuelle d’un rapport sur les relations entre Royaume-Uni et le FMI résulte d’une réponse du Gouvernement à une simple recommandation de la commission du Trésor. »<
Le bilan est plus terne concernant la Banque mondiale : « Le suivi des activités de la Banque mondiale est assuré par la commission spécialisée du Développement international, qui s’est contentée d’effectuer une mission à New York et Washington afin de rencontrer les représentants des institutions spécialisées des Nations Unies, de la Banque et du Fonds. Aucun rapport n’a été publié sur cette question, la Commission concentrant ses travaux sur la politique européenne de développement. »
Etats-Unis
La situation est très différente aux Etats-Unis où le Congrès, très soucieux des deniers consacrés au FMI et à la Banque mondiale, porte une grande attention à la politique gouvernementale et a un réel pouvoir de contrôle. C’est par exemple lui qui est à l’origine de la réduction de la quote-part des Etats-Unis au FMI, tout en restant au-dessus du seuil de 15 % bien sûr, preuve des moyens considérables dont il dispose pour influencer les choix, contrairement aux Parlements européens. Là aussi, c’est à partir de 1998 que le contrôle s’accroît.
En détail : « Le contrôle exercé conduit à l’audition régulière des représentants des États-Unis auprès des institutions financières internationales ; les membres de la sous-commission de la politique monétaire et du commerce internationaux ont dû insister fermement auprès du Trésor américain et menacer de ne pas voter les crédits considérés pour obtenir d’auditionner la représentante des États-Unis au conseil d’administration du Fonds monétaire. Au-delà des auditions, les membres du Congrès posent de très nombreuses questions sur l’évolution des institutions financières internationales, en particulier lorsque doit intervenir le vote de crédits. S’y ajoute la possibilité d’adopter des lois liant l’administrateur américain au FMI dans ses choix, pratique qui s’est développée dans les années 1990 (au 31 octobre 2001 : 60 lois en vigueur, dont le tiers est contraignant).
L’administrateur américain auprès du Fonds monétaire, comme celui auprès de la Banque mondiale, sont nommés par le Président des États-Unis mais confirmés par le Sénat. Le Trésor produit régulièrement des rapports au Congrès, sans qu’il soit guidé cependant par une obligation
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
formelle. Il existe, par ailleurs, un membre du Trésor américain chargé spécialement des relations avec les parlementaires. De plus, le Fonds monétaire a spécialement affecté une personne au suivi des relations avec le Congrès.
Enfin, le Congrès peut recourir aux services du General Accounting Office (GAO), qui peut lui-même, par le biais du Trésor américain, obtenir les documents ou les entretiens dont il a besoin pour répondre aux demandes des commissions parlementaires. L’équipe chargée des affaires et du commerce internationaux (International Affairs and Trade) compte près de 140 personnes, qui s’occupent des questions de menaces sur la sécurité nationale et internationale, des accords de commerce, des opérations de maintien de la paix, mais aussi de l’aide aux pays étrangers et, surtout, des institutions financières internationales. Leur mandat comprend, de manière explicite, un rôle de propositions en matière de transparence et de responsabilité démocratique des institutions financières internationales, mais aussi de remises de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et d’amélioration de l’aide publique au développement. À ce jour, l’Office a réalisé une douzaine de rapports sur les institutions financières internationales. »
L’un d’entre eux [3] porte sur l’initiative PPTE
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(Pays pauvres très endettés), pour laquelle les prévisions du FMI et de la Banque mondiale se sont révélées erronées et bien trop optimistes. Le coût total devrait donc être plus important que celui qui avait été calculé à l’origine. Le GAO est inquiet pour les sommes que les États-Unis devront investir pour combler le trou : « les créanciers multilatéraux ont des difficultés pour financer leur part de l’initiative, même avec un apport des pays donateurs. Avec l’initiative actuelle, de nombreux pays ne parviendront pas à atteindre les objectifs de réduction de la dette, principalement parce que leurs revenus d’exportations seront probablement bien moindres que ceux prévus par la Banque mondiale et le FMI. » Les estimations du GAO indiquent qu’il manque 7,8 milliards de dollars à la Banque mondiale, à la Banque africaine de développement et à la Banque interaméricaine de développement pour financer leur part, ce qui représente 54 % de leur engagement. Encore ce montant est-il sous-estimé car les données économiques de certains PPTE se sont détériorées après les estimations les concernant. Au total, le GAO chiffre à 375 milliards de dollars les fonds nécessaires pour que les 27 PPTE parvenus au point de décision atteignent les objectifs de croissance et de réduction de la dette d’ici 2020 (dont 153 milliards de dollars d’aide, 215 pour faire face à des revenus d’exportations moins élevés que prévus et 8 d’allégements de dette additionnels). Le GAO est donc au cœur de l’analyse et joue de ce fait un rôle qu’aucun organisme européen ne joue actuellement.
4. Depuis 2002
Depuis le changement de majorité en France en 2002, le gouvernement continue de publier son rapport chaque année, souvent avec quelques mois de retard. Par exemple, le rapport 2005, qui aurait dû sortir avant le 30 juin, n’était pas encore achevé au 1er octobre.
L’Assemblée nationale française ne réagit plus à ce rapport gouvernemental qui n’est au fond qu’un long monologue dans un désert parlementaire. Pour un citoyen ordinaire, il faut une réelle motivation pour en trouver une copie. Pour preuve, les députés socialistes de la Commission des Affaires étrangères, que nous avons rencontrés en juin 2005 et avec qui nous avons abordé différents sujets dont celui du rapport 2004 paru en septembre 2004, ont avoué ne pas l’avoir en main et nous ont demandé de le leur transmettre...
Les démarches parlementaires sur le thème des institutions financières internationales sont donc bien rares. A notre connaissance, une des rares initiatives de la présente législature est une proposition de résolution, déposée le 22 juin 2005 par Georges Hage et le groupe des députés communistes et républicains. Après un argumentaire dans la droite ligne des analyses dressées par un réseau comme le CADTM, elle demande la création d’une « commission d’enquête de trente membres chargée de dresser un état précis de la dette des pays en développement (PED) à l’égard de la France, d’évaluer les conséquences de cet endettement sur leur développement, de mettre en évidence les effets des dispositifs existants et prétendant à une réduction de cette dette. Cette commission d’enquête devra, sur la base de cette analyse, élaborer des propositions permettant de déboucher sur l’annulation de la dette des PED dans le cadre des rapports bilatéraux de la France avec ces pays mais également dans le cadre multilatéral au niveau international. » Cette proposition a été rejetée par la majorité parlementaire de droite, comme cela se fait systématiquement.
Aujourd’hui, il apparaît donc que l’analyse critique qui avait été mise en place par l’Assemblée nationale française n’a plus cours. Plus que jamais, un véritable contrôle parlementaire s’impose. Une mobilisation collective dans ce sens est indispensable.
[1] Allusion au 4 août 1789, pendant la Révolution française, jour de l’abolition des droits féodaux et des privilèges de toutes sortes.
[2] Pierre Duquesne actuellement
[3] GAO, Challenges in Financing Poor Countries’ Economic Growth and Debt Relief Targets, 20 avril 2004, www.gao.gov
professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).
27 février 2004, par Damien Millet , François Mauger
La dette expliquée aux amateurs de reggae ...
La Jamaïque dans l’étau du FMI7 janvier 2004, par Damien Millet , François Mauger
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24 novembre 2003, par Damien Millet
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1er novembre 2002, par Damien Millet
1er novembre 2002, par Damien Millet
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