Le nouveau capitalisme chinois

9 octobre 2008 par Esther Vivas , Josep Maria Antentas




Les récents Jeux Olympiques furent une grande vitrine pour le nouveau capitalisme chinois en plein essor. La Chine actuelle est le résultat d’un long processus de restauration capitaliste débuté il y a trois décennies. Les réformes commencèrent en 1978, s’amplifièrent et accentuèrent leur portée, affaiblissant progressivement les mécanismes de l’économie planifiée et reçurent un élan décisif à partir de 1992.

Les années 1990 furent marquées par un processus sans frein de privatisation et de libéralisation des services publics. Aujourd’hui, les deux tiers des salariés chinois travaillent pour des capitaux étrangers. Juste au commencement du XXIe siècle, l’entrée de la Chine au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
en 2001 fut le point d’apogée de son processus de réintégration dans le capitalisme mondial.

Peu sont, heureusement, ceux à gauche qui ont des illusions sur le modèle chinois. Mais nous devons rester clairs : trente ans de reformes ont configuré un capitalisme sauvage sans palliatif. Et ceci est l’horizon vers le quel va le pays, malgré une rhétorique sur une « société harmonieuse » du président Hu Jintao. L’évidence croissante des désastres sociaux et écologiques causés par l’actuel modèle d’accumulation a provoqué des rectifications dans le discours officiel et des ajustements dans les politiques pour contenir les déséquilibres, mais non pas une modification de l’orientation politique générale.

La restauration capitaliste fut pilotée par le Partie Communiste Chinois (PCC) dont l’idéologie et la nature se sont transformées. Le nationalisme s’est converti en l’élément principal du discours et de l’identité du PCC, et il est utilisé comme un facteur de cohésion et de légitimité du projet politique. D’où l’importance stratégique des Jeux.

La Chine est traversée par de grands déséquilibres sociaux et régionaux. Les reformes ont provoqués la concentration des revenus, une polarisation sociale et une augmentation des inégalités. Le coefficient de Gini (qui mesure l’inégalité) est passé de 0,30 en 1980 à 0,48 et selon la Banque Mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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il existerait quelques 300 millions de pauvres dans le pays. La majeure partie de l’activité économique se concentre sur les régions côtières (elles reçurent près de 85% de l’investissement étranger l’an passé) qui contrastent avec les régions appauvries de l’intérieur du pays. Le modèle actuel de développement a aussi un haut coût environnemental, en particulier en ce qui concerne la pollution de l’air des grandes villes et de l’eau.

La base sociale sur laquelle s’appuie le régime chinois est la nouvelle bourgeoisie émergente, liée à l’appareil d’Etat et du Partie, et une classe moyenne urbaine significative, qui inclut aussi les secteurs les plus qualifiés des salariés, et beaucoup de fonctionnaires et membres de l’appareil d’État.

La classe travailleuse a expérimenté de profondes transformations. Les travailleurs du secteur public, qui soit 20% de la population active, furent durement touchés par la vague de privatisations qui a supprimée 40% des emplois publics.
Cette fraction de la classe travailleuse a connu l’érosion des garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). sociales de la période maoïste. Symboliquement elle fut dégradée de son statut social, passant d’une considération officielle du régime comme la « classe dirigeante » à une mise « hors combat » par les reformes.

En parallèle, une nouvelle fraction de la classe travailleuse a émergé, formée par les individus de l’émigration rurale et elle est concentrée dans les industries orientées à l’exportation sur la côte Est et au niveau du delta de la rivière des Perles, et aussi dans des secteurs tels que la construction et les services qui sont mal rémunérés dans les grandes villes. L’émigration interne rurale-urbaine est alimentée par une crise du monde rural et l’effondrement du pouvoir d’achat des paysans, représentant un tiers de celui de la population urbaine. Chiffrée à 150 millions de personnes, cette nouvelle classe de travailleurs occupe les échelons les plus bas du marché du travail.

Leurs conditions de travail et de vie constituent la face la plus amère du nouveau capitalisme chinois. Des salaires bas, des journées de travail interminables, des conditions de travail insalubres et la violation des droits du travail de la part de beaucoup d’entreprises et de leurs sous-traitant forment sa réalité quotidienne. La fédération syndicale officielle, l’unique légale, manque d’autonomie vis-à-vis de l’État, elle est subordonnée aux intérêts des entreprises et elle n’est pas un instrument réel de défense des travailleuses et des travailleurs.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les luttes sociales aient augmentées depuis la fin des années 1990. Cependant, elles demeurent fragmentées et isolées et en raison de la dure répression elles ne peuvent créer quasi aucune base organisationnelle. Il n’existe pas de convergence entre les mobilisations des travailleurs du secteur public et celles de la classe ouvrière immigrante. Ni entre les nombreuses protestations provenant du monde rural et celles des zones urbaines.

Soutenir ces luttes émergentes en Chine contre l’actuel modèle d’accumulation, du à l’importance du pays et de sa position dans l’architecture du capitalisme global, c’est une tâche stratégique centrale pour les mouvements opposés à la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale. Sans que cela implique, évidemment, de faire le jeu des gouvernements occidentaux quand hypocritement ils dénoncent les abus de droits humains en Chine ou la répression du peuple tibétain. Du résultat des luttes populaires présentes et futures en Chine dépendra en bonne partie de la forme que prendra le monde à venir.


* Josep Maria Antentas enseigne sociologie à la Universitat Autònoma de Barcelona (UAB) et est membre de la rédaction de la revue Viento Sur. Esther Vivas est auteur de « En campagne contre la dette” (Syllepse, 2008), co-coordinatrice des livres en espagnole »Supermarchés, non merci« et »Où va le commerce équitable ?" et membre de la rédaction de la revue Viento Sur (www.vientosur.info).

**Article paru au quotidien de l’État espagnol Público 7/9/2008. Traduit par Emmanuel Segonne.

Esther Vivas

est née en 1975 à Sabadell (Etat espagnol). Elle est auteure de plusieurs livres et de publications sur les mouvements sociaux, la consommation responsable et le développement durable. Elle a publié en français En campagne contre la dette (Syllepse, 2008) et est coauteure des livres en espagnol Planeta indignado. Ocupando el futuro (2012), Resistencias globales. De Seattle a la crisis de Wall Street (2009) est coordinatrice des livres Supermarchés, non merci et Où va le commerce équitable ?, entre autres.
Elle a activement participé au mouvement anti-globalisation et anti-guerre à Barcelone, de même qu’elle a contribué à plusieurs éditions du Forum Social Mondial, du Forum Social Européen et du Forum Social Catalan. Elle travaille actuellement sur des questions comme la souveraineté alimentaire et le commerce équitable.
Elle est membre de la rédaction de la revue Viento Sur et elle collabore fréquemment avec des médias conventionnels tels que Público et avec des médias alternatifs comme El Viejo Topo, The Ecologist, Ecología Política, Diagonal, La Directa, entre autres.
Elle est également membre du Centre d’Études sur les Mouvements Sociaux (CEMS) à l’Université Pompeu Fabra.
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