Série : 1944-2020, 76 ans d’intervention de la Banque mondiale et du FMI (partie 16)
3 juillet 2020 par Eric Toussaint
(CC - needpix)
En 2020, la Banque mondiale (BM) et le FMI atteignent l’âge de 76 ans. Ces deux institutions financières internationales (IFI), créées en 1944, sont dominées par les États-Unis et quelques grandes puissances alliées qui agissent pour généraliser des politiques contraires aux intérêts des peuples.
La BM et le FMI ont systématiquement prêté à des États afin d’influencer leur politique. L’endettement extérieur a été et est encore utilisé comme un instrument de subordination des débiteurs. Depuis leur création, le FMI et la BM ont violé les pactes internationaux sur les droits humains et n’hésitent pas à soutenir des dictatures.
Une nouvelle forme de décolonisation s’impose pour sortir de l’impasse dans laquelle les IFI et leurs principaux actionnaires ont enfermé le monde en général. De nouvelles institutions internationales doivent être construites. Nous publions une série d’articles d’Éric Toussaint qui retrace l’évolution de la BM et du FMI depuis leur création en 1944. Ces articles sont tirés du livre Banque mondiale : le coup d’État permanent, publié en 2006, aujourd’hui épuisé et disponible gratuitement en pdf.
Dans les années 1970, les PED s’endettent de plus en plus car les conditions d’emprunt leur sont apparemment favorables. La Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, les banques privées et les gouvernements des pays les plus industrialisés les y encouragent. A partir de fin 1979, la hausse des taux d’intérêts, imposée par le Trésor des États-Unis dans le cadre du virage néolibéral, et la chute du cours des matières premières vont changer radicalement la donne. Les flux s’inversent alors et, durant les années 1980, les créanciers font de juteux profits sur la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. Depuis la crise financière en Asie du Sud-Est et en Corée qui a éclaté en 1997, les transferts nets sur la dette en faveur des créanciers (y compris la Banque mondiale) s’accroissent de manière importante, tandis que dans le même temps, la dette continue sa course folle vers des sommets jamais atteints auparavant.
Commençons par étudier l’architecture de la dette extérieure des PED du point de vue des créanciers (nous avons arrondi les chiffres fournis par la Banque mondiale concernant l’endettement des PED en 2004) :
et du point de vue des débiteurs :
Le tableau porte sur la période 1970 – 2004. C’est une longue période qui inclut la crise de 1982 ainsi que celles qui la suivent.
TOTAL PAYS EN DÉVELOPPEMENT | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|
(en milliards US$) | ||||||
Dette extérieure totale | Dette extérieure publique | Dette à l’égard de la Banque mondiale | ||||
Stock total de la dette | Transfert net
Transfert net
On appellera transfert net sur la dette la différence entre les nouveaux prêts contractés par un pays ou une région et son service de la dette (remboursements annuels au titre de la dette - intérêts plus principal). Le transfert financier net est positif quand le pays ou le continent concerné reçoit plus (en prêts) que ce qu’il rembourse. Il est négatif si les sommes remboursées sont supérieures aux sommes prêtées au pays ou au continent concerné. sur la dette |
Stock total de la dette | Transfert net sur la dette | Stock total de la dette | Transfert net sur la dette | |
Années | ||||||
1970 | 70 | 4 | 45 | 4 | 6 | 0,3 |
1971 | 81 | 7 | 53 | 5 | 7 | 0,5 |
1972 | 95 | 10 | 61 | 6 | 9 | 0,7 |
1973 | 113 | 10 | 74 | 8 | 10 | 0,9 |
1974 | 141 | 20 | 92 | 12 | 11 | 1,3 |
1975 | 171 | 27 | 113 | 20 | 13 | 1,9 |
1976 | 209 | 29 | 139 | 20 | 17 | 2,0 |
1977 | 283 | 51 | 177 | 24 | 20 | 2,0 |
1978 | 358 | 39 | 231 | 28 | 23 | 1,8 |
1979 | 427 | 44 | 278 | 31 | 27 | 2,6 |
1980 | 541 | 51 | 339 | 29 | 32 | 3,0 |
1981 | 629 | 41 | 383 | 26 | 38 | 4,1 |
1982 | 716 | 21 | 442 | 30 | 45 | 4,6 |
1983 | 782 | -14 | 517 | 17 | 53 | 4,9 |
1984 | 826 | -21 | 571 | 9 | 54 | 5,0 |
1985 | 929 | -27 | 672 | -5 | 71 | 4,4 |
1986 | 1.020 | -25 | 782 | -5 | 91 | 3,7 |
1987 | 1.166 | -13 | 920 | -2 | 116 | 2,7 |
1988 | 1.172 | -24 | 932 | -10 | 116 | 0,6 |
1989 | 1.238 | -22 | 982 | -16 | 120 | 0,4 |
1990 | 1.337 | -8 | 1.039 | -14 | 137 | 2,4 |
1991 | 1.414 | -3 | 1.080 | -14 | 147 | -0,8 |
1992 | 1.480 | 31 | 1.099 | -6 | 149 | -2,8 |
1993 | 1.632 | 45 | 1.193 | 9 | 158 | -0,8 |
1994 | 1.792 | 0 | 1.290 | -16 | 174 | -2,6 |
1995 | 1.972 | 61 | 1.346 | -16 | 184 | -2,1 |
1996 | 2.045 | 27 | 1.332 | -24 | 180 | -0,9 |
1997 | 2.110 | 4 | 1.309 | -24 | 179 | 1,9 |
1998 | 2.323 | -54 | 1.395 | -7 | 192 | 1,6 |
1999 | 2.347 | -98 | 1.405 | -30 | 198 | 0,9 |
2000 | 2.283 | -127 | 1.363 | -52 | 199 | -0,4 |
2001 | 2.261 | -114 | 1.326 | -65 | 202 | -0,5 |
2002 | 2.336 | -87 | 1.375 | -67 | 212 | -7,3 |
2003 | 2.554 | -41 | 1.450 | -81 | 223 | -7,0 |
2004 | 2.597 | -19 | 1.459 | -26 | 222 | -6,1 |
Source : World Bank, Global Development Finance, 2005
La colonne 2 présente l’évolution du stock de la dette Stock de la dette Montant total des dettes. extérieure totale de l’ensemble des PED pour lesquels la Banque mondiale fournit des données [1] (dettes à court et à long terme, dette due et garantie par les pouvoirs publics des PED ainsi que la dette due par les entreprises privées des PED). Intitulée « dette extérieure publique », la colonne 4 présente l’évolution du stock total de la dette extérieure seulement due et/ou garantie par les pouvoirs publics des PED. La colonne 6 intitulée « dette à l’égard de la Banque mondiale » présente l’évolution du stock de la dette extérieure des PED seulement due à la Banque mondiale (BIRD et IDA).
Les colonnes 3, 5 et 7 présentent le transfert net sur la dette sur les trois types de stocks que l’on vient d’évoquer.
Qu’est-ce que le transfert net sur la dette ? C’est la différence entre ce qu’un pays reçoit sous forme de prêts et ce qu’il rembourse (capital et intérêt). Si le montant est négatif, cela signifie que le pays a remboursé plus que ce qu’il a reçu.
Interprétation du tableau
De 1970 à 1982, les PED augmentent fortement leurs emprunts. La dette extérieure totale (publique et privée) exprimée en dollars courants est multipliée par 10 (elle passe de 70 à 716 milliards de dollars). La dette extérieure publique est également multipliée par 10 (elle passe de 45 à 442 milliards de dollars). La dette extérieure publique à l’égard de la Banque mondiale est multipliée par 7,5. Durant cette période, les transferts nets sur la dette sont chaque année positifs : cela signifie que les PED empruntent plus qu’ils ne remboursent. Ils sont encouragés à s’endetter car les taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
réels sont fort bas. De plus, les revenus d’exportation avec lesquels ils remboursent leur dette sont en augmentation car les prix des matières premières sont élevés. En conséquence, les PED n’éprouvent généralement pas trop de problèmes de remboursement [2].
Le tableau n’enregistre pas immédiatement la détérioration qui a commencé fin 1979 avec l’augmentation brutale des taux d’intérêt imposée unilatéralement au monde par le gouvernement des États-Unis. Les taux d’intérêt réels explosent début des années 1980 : 8,6% en 1981, 8,7% en 1982 contre -1,3% (taux négatif) en 1975, 1,1% en 1976, 0,3% en 1977 [3]. A cette augmentation des taux qui entraîne une augmentation des montants à rembourser, s’ajoute au même moment une chute des prix des matières premières (sauf le pétrole dans un premier temps). Quand cette chute entraînera celle du prix du pétrole, les principaux pays endettés producteurs de pétrole tel le Mexique entreront en crise de paiement. C’est ce qui se passera à partir de 1982 [4].
Retournons vers le tableau pour nous apercevoir que les PED entrent alors dans une période de crise de paiement de la dette qui se manifeste par un transfert net négatif sur la dette totale publique et privée entre 1983 et 1991 (neuf années consécutives de transfert net négatif).
Remarquons que, bien que les PED remboursent plus qu’ils n’empruntent, leur dette extérieure totale ne diminue pas. Entre 1983 et 1991, elle s’accroît de 632 milliards de dollars, soit 81% d’augmentation. Explication : les PED, en difficulté à cause des revenus en baisse et des taux d’intérêt élevés, empruntent principalement pour pouvoir rembourser. A ce moment-là, les conditions d’emprunt sont fort onéreuses (taux élevés et primes de risque élevées [5]).
Il faut relever également que le transfert net sur la dette extérieure publique vire au négatif avec un décalage de deux ans. Comment expliquer qu’en 1983 et en 1984, le transfert sur la dette extérieure publique soit encore positif ? C’est clair : les pouvoirs publics empruntent beaucoup (notamment auprès du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et de la Banque mondiale) afin de commencer à assumer des dettes initialement contractées par le secteur privé que le gouvernement accepte de prendre à sa charge. Ces emprunts massifs que les pouvoirs publics commencent à rembourser quelques années plus tard se traduisent à partir de 1985 par un transfert net négatif. C’est notamment le cas de l’Argentine où 12 milliards de dettes privées sont mises à charge de l’État par la junte militaire (sous l’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de son serviteur Domingo Cavallo [6]).
Entre 1982 et 1984, la dette extérieure publique augmente de 129 milliards de dollars (passant de 442 à 571 milliards, voir colonne 4) tandis que la dette extérieure privée baisse de 19 milliards de dollars (passant de 274 à 255 milliards) [7].
Si on prend la période de 1982 à 1988, la dette publique augmente de plus de 100% (passant de 442 à 932 milliards de dollars – voir colonne 4) tandis que la dette extérieure privée diminue (passant de 274 à 240 milliards). Les capitalistes des PED se désendettent en faisant payer la facture au Trésor public de leur pays, c’est-à-dire aux salariés, aux petits producteurs et aux pauvres qui contribuent proportionnellement beaucoup plus à l’impôt que les capitalistes. De plus, on verra dans un chapitre ultérieur qu’une très grande proportion des emprunts réalisés durant cette période par les capitalistes des PED repart immédiatement vers les pays créanciers par l’évasion des capitaux. Les capitalistes des PED renvoient au Nord une partie importante des capitaux qu’ils empruntent.
Si nous prêtons attention à la colonne 5, sur la période 1985-2004, nous constatons qu’à partir de 1985, le transfert net sur la dette extérieure publique est systématiquement négatif sauf en 1993. En vingt ans, le transfert négatif au détriment des finances publiques est très lourd : 471 milliards de dollars (soit l’équivalent de cinq plans Marshall offerts par les gouvernements des PED à leurs créanciers). Si on regarde la période 2000-2004 dans le bas de cette colonne 5, on remarque que le transfert négatif annuel s’accroît. Entre 2000 et 2004, le transfert net négatif sur la dette extérieure publique représente 291 milliards de dollars. Rien qu’en cinq ans, les PED ont offert l’équivalent de trois plans Marshall à leurs créanciers.
Selon le raisonnement dominant dans la pensée économique, au bout de vingt années de transferts négatifs, les pouvoirs publics devraient s’être désendettés. En effet, s’ils remboursent chaque année plus que ce qu’ils empruntent, le stock de leur dette devrait diminuer, voire être ramené à zéro. Or, la lecture du tableau dévoile le contraire : la dette extérieure publique des PED a plus que doublé entre 1985 et 2005, passant de 672 à 1459 milliards de dollars [8].
Nous arrivons à l’essentiel des enseignements de ce tableau :
Au cours des années 1960 et 1970, les pays en développement ont été encouragés à s’endetter de plus en plus, jusqu’au moment où le piège s’est refermé sur eux. Comme nous l’avons mentionné plus haut, le tournant est pris en 1979 avec l’augmentation brutale des taux d’intérêt et le début de la chute des prix des matières premières (affectant d’abord les produits non pétroliers puis le pétrole lui-même à partir de 1981).
Le soi-disant cercle vertueux du recours à l’endettement extérieur pour générer du développement et du bien-être et débouchant sur une croissance auto-soutenue [9] ne fonctionne pas : il s’est transformé en cercle vicieux d’endettement permanent avec des transferts massifs au profit des créanciers.
Graphique 1. Comparaison entre les montants prêtés annuellement et les montants remboursés annuellement (dette extérieure totale)
Commentaire : entre 1983 et 1991, les PED remboursent plus que ce qu’ils empruntent. Idem de 1998 à 2004.
Si nous retournons au tableau du début du chapitre en focalisant la colonne 3 de 1983 à 2004, nous constatons que les transferts nets sont négatifs jusqu’en 1991 inclus, puis redeviennent positifs entre 1992 et 1997. A partir de 1998, ils sont fortement négatifs avec un creux profond en 2000 (transfert net négatif de 127 milliards de dollars cette année-là). Comment interpréter cette évolution ?
Au cours des années 1980, les flux sont négatifs jusqu’en 1989, à la fois pour les entreprises privées des PED et pour les pouvoirs publics de ces mêmes pays. Comme nous l’avons indiqué plus haut : 1) le secteur privé se désendette en transférant une partie de sa dette au secteur public et en remboursant une partie du reste ; 2) le secteur public continue de s’endetter pour reprendre une partie des dettes privées et payer une grande partie de la facture totale. A partir de 1990, le secteur privé, qui s’est partiellement désendetté, recourt à nouveau à des emprunts qui deviennent massifs de 1992 à 1997 (la dette extérieure du secteur privé passe de 381 à 801 milliards de dollars, soit une augmentation de 110 %). Les prêts au secteur privé des PED sont temporairement supérieurs aux remboursements qu’il effectue. Le creux de 1994 correspond à la crise mexicaine qui voit une sortie massive de capitaux.
La situation se retourne à partir de 1998 et correspond à la crise du Sud-Est asiatique (Thaïlande, Malaisie, Philippines, Indonésie) et de la Corée du Sud, suivie de la crise en Russie, au Brésil en 1999, en Argentine et en Turquie à partir de 2001. Les remboursements de la part du secteur privé et du secteur public sont de nouveau massifs. Le transfert net négatif atteint un creux historique en 2000-2001.
En 2003 et 2004, le transfert est toujours négatif mais se réduit car le secteur privé et les pouvoirs publics des PED empruntent massivement en « profitant » de conditions temporairement favorables :
Au lieu de profiter de cette bonne conjoncture pour se désendetter radicalement, la plupart des PED à moyen revenu, encouragés par les différents créanciers, recourent à de nouveaux emprunts. Ceux qui, comme la Thaïlande, le Brésil et l’Argentine, remboursent de manière anticipée le FMI [10] ou ceux qui, comme la Russie ou le Brésil, remboursent le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, remplacent ces dettes à l’égard des créanciers publics par de nouvelles dettes à l’égard de créanciers privés (qui offrent temporairement des conditions avantageuses). Ces pays augmentent également fortement leur dette publique interne.
Les deux dernières colonnes du tableau concernent la dette des PED à l’égard de la Banque mondiale. Elles nous permettent de constater que cette dette augmente constamment à l’image de celle à l’égard de l’ensemble des créanciers. Ce qui diverge, c’est la dernière colonne, celle du transfert net sur la dette. En effet, jusqu’en 1990, le transfert net reste positif par rapport à la Banque mondiale alors qu’il devient négatif à partir de 1983 sur la dette totale (colonne 3) et à partir de 1985 sur la dette extérieure publique (colonne 5). C’est notamment dû au fait qu’au cours des années 1980, la Banque mondiale prête aux PED pour qu’ils soient en mesure de rembourser les banquiers privés du Nord menacés de faillite en cas de non-remboursement. C’est bien sûr le FMI qui joue le rôle principal à ce niveau mais la Banque l’accompagne.
A partir de 1990, les transferts à l’égard de la Banque mondiale deviennent négatifs jusqu’en 1996. Positifs de 1997 à 1999, ils redeviennent négatifs et atteignent un creux historique en 2002, 2003 et 2004. Rien que pour la période 2000 – 2004, le transfert négatif cumulé représente -21,3 milliards de dollars, somme tout à fait considérable au vu du montant des sommes prêtées par la Banque chaque année (moins de 20 milliards de dollars).
Plus grave, ce transfert négatif imposant, loin de correspondre à un désendettement, débouche lui aussi sur une augmentation de la dette à l’égard de la Banque mondiale.
C’est dire là tout le cynisme de ce puissant mécanisme, débouchant sur une dette au montant artificiellement gonflé, sans commune mesure avec les sommes réellement injectées dans l’économie de ces pays.
Graphique 2. Comparaison entre l’évolution du stock total de la dette extérieure et le transfert net sur la dette
Ce graphique permet de visualiser ce que contiennent les colonnes 2 et 3 du tableau en début du chapitre.
On constate que le transfert net est positif de 1970 à 1982, année où éclate la crise de la dette. Il devient négatif en 1983 jusque 1991 inclus. De 1992 à 1997, il est à nouveau positif sauf en 1994, année de la crise mexicaine. De 1998 (crise du Sud-Est asiatique et de la Corée), il est négatif jusqu’en 2004. Pendant toute la période 1970-2004, le stock de la dette poursuit son ascension passant de 70 milliards de dollars en 1970 à 2597 milliards en 2004.
A partir d’ici, nous présentons des graphiques relatifs à la dette extérieure publique des grandes régions de la planète.
Graphique 3. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Amérique latine et de la Caraïbe.
Commentaire : les transferts nets sur la dette publique deviennent négatifs dès l’année 1983 et le restent jusque 2004.
Population de l’Amérique latine et de la Caraïbe en 2004 : 540 millions
Liste des pays [11] : (Antigua-et-Barbuda), Argentine, Barbade, Belize, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, (Cuba), Dominicaine Rép., Dominique, Équateur, Grenade, Guatemala, Guyana, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, Sainte-Lucie, Saint-Kitts-et-Nevis, St-Vincent et Grenadines, Salvador, (Suriname), Trinité et Tobago, Uruguay, Venezuela.
L’ensemble constitué par l’Amérique latine et la Caraïbe constitue la région emblématique de la crise de la dette et de sa gestion en faveur des créanciers.
Un aperçu rapide (voir graphiques 4 à 8) des cinq autres grandes régions en développement du point de vue de l’évolution de la dette publique et des transferts nets sur celle-ci, permet de voir que la crise de la dette de 1982 qui a éclaté en Amérique latine, a progressivement affecté toutes les autres régions. Au-delà de différences évidentes, ce qui est frappant, c’est que les transferts nets deviennent partout négatifs à la fin des années 1990. Cela indique qu’à aucun endroit de la planète, la crise n’a été résolue. Cela montre également que l’endettement constitue encore plus un obstacle à surmonter au début du 21e siècle que dans les années 1980.
Graphique 4. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Asie du Sud
Commentaire : les transferts deviennent négatifs à partir de 1994 et le stock de la dette poursuit son augmentation.
Population de l’Asie du Sud en 2004 : 1 450 millions
Liste des pays [12] : (Afghanistan), Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan, Sri Lanka
Graphique 5. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Afrique subsaharienne
Commentaire : les transferts deviennent négatifs à partir de 1998 et le stock de la dette qui a suivi une ligne ascendante se réduit un peu en 2004.
Population de l’Afrique subsaharienne en 2004 : 720 millions
Liste des pays [13] : Afrique du Sud, Angola, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Érythrée, Éthiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Kenya, Lesotho, Liberia, Madagascar, Malawi, Mali, Maurice, Mauritanie, Mozambique, (Namibie), Niger, Nigeria, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, São Tomé et Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, Tanzanie, Tchad, Togo, Zambie, Zimbabwe.
Graphique 6. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient
Commentaire : les transferts deviennent négatifs à partir de 1990. Malgré ces remboursements massifs, la dette ne diminue pas de manière conséquente.
Population de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient en 2004 : 290 millions
Liste des pays [14] : Algérie, (Arabie Saoudite), Djibouti, Égypte, (Irak), Iran, Jordanie, Liban, (Libye), Maroc, Oman, Syrie, Tunisie, Yémen
Graphique 7. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Asie de l’Est et du Pacifique
Commentaire : les transferts ont été négatifs entre 1988 et 1991 puis le sont redevenus de manière massive à partir de 1999, année où la dette publique a fortement augmenté en conséquence de la prise en charge de dettes privées par les pouvoirs publics et de lourds emprunts de « sauvetage » auprès du FMI. Malgré ces transferts négatifs très importants, la dette ne se réduit pas.
Population des PED de l’Asie de l’Est et du Pacifique en 2004 : 1870 millions
Liste des pays [15] : Cambodge, Chine, (Corée du Nord et Corée du Sud [16]), Fidji, Indonésie, (Kiribati), Laos, Malaisie, Mongolie, Myanmar, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Philippines, Salomon (Iles), Samoa, Thaïlande, (Timor Oriental), Tonga, Vanuatu, Vietnam
Graphique 8. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Europe de l’Est et Asie centrale
Commentaire : les transferts deviennent négatifs à partir de 1985 et le restent jusque 2004 (à l’exception des années 1992-1993 et 1998). Les transferts négatifs sont très importants entre 2000 et 2003 et pourtant la dette extérieure publique augmente.
Population de l’Europe de l’Est et Asie centrale en 2004 : 470 millions
Liste des pays : Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Estonie, Géorgie, Hongrie, Kazakhstan, Kirghize Rép., Lettonie, Lituanie, Macédoine, Moldavie, Ouzbékistan, Pologne, Roumanie, Russie, Serbie-Monténégro, Slovaquie, Slovénie, Tadjikistan, Tchèque (Rép.), Turkménistan, Turquie, Ukraine
[1] Parmi les pays pour lesquels la Banque mondiale ne fournit pas de données : Cuba, Irak, Libye, Corée du Nord, Corée du Sud.
[2] Néanmoins, le nombre de pays endettés qui accusent des arriérés de paiement à l’égard de la Banque mondiale ou/et qui recherchent une renégociation de leur dette multilatérale est passé de trois à dix-huit entre 1974 et 1978 !
[3] Voir Eric Toussaint. 2004. La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie. CADTM/Syllepse/Cetim, Liège-Paris-Genève, p. 197-198. Le chapitre 8, p. 187-200 présente une analyse de la crise de la dette qui explose en 1982. Voir aussi Damien Millet et Eric Toussaint. 2002. 50 Questions/50Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, CADTM/Syllepse, Liège-Paris, Question 8, p. 59-62.
[4] Les pays d’Amérique latine qui ont emprunté principalement à des banques privées à taux variables sont particulièrement affectés par la hausse des taux d’intérêt qui se combine à l’effet négatif de la chute de leurs revenus d’exportation.
[5] Sur les primes de risque, voir Eric Toussaint. 2004. La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie. CADTM/Syllepse/Cetim, Liège-Paris-Genève, p. 214-216.
[6] Idem, p. 424 et 426.
[7] Pour obtenir le montant de la dette extérieure due par le secteur privé des PED, on soustrait la dette publique (colonne 4) du montant total de la dette (colonne 2).
[8] Pendant ce temps, les Trésors publics ont reçu 2402 milliards de dollars sous forme de prêts et ont remboursé 2873 milliards, soit un transfert net négatif de 471 milliards au détriment des pouvoirs publics. Source : World Bank, Global Development Finance, 2005
[9] Voir chapitre 10.
[10] La Thaïlande l’a fait en 2003, le Brésil et l’Argentine l’ont fait en janvier 2006.
[11] Les pays entre parenthèses ne sont pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.
[12] Le pays entre parenthèses, l’Afghanistan, n’est pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.
[13] Le pays entre parenthèses, la Namibie, n’est pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.
[14] Les pays entre parenthèses ne sont pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.
[15] Les pays entre parenthèses ne sont pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.
[16] Depuis 2003, la Corée du Sud n’est plus considérée par la Banque mondiale comme un pays en développement car le revenu annuel par habitant dépasse le plafond fixé, soit actuellement 9385 dollars. Elle est dorénavant rangée dans les pays développés.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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