Université d’été européenne des mouvements sociaux
24 août 2014 par Maud Bailly , Anouk Renaud
Il est 9h, l’équipe du CADTM s’éveille pour le 3e jour de l’Université européenne des mouvements sociaux. Nous poursuivons sur notre lancée et notre tiercé gagnant : séminaires, ateliers et stand. Beaucoup de personnes nous ont remerciés pour le séminaire que nous avons organisé sur la dette et nous ont dit les avoir convaincues. À l’image de cette participante qui nous a confié avoir enfin compris la problématique de la dette. À ceux-ci, nous donnons rendez-vous aux Rencontres d’été du CADTM, le 13 et 14 septembre à Namur pour approfondir cette thématique de la dette. Aux autres, qui ont encore le sentiment de nager, nous les invitons également à cet événement convivial et où seront organisés des ateliers revenant sur les mécanismes de l’endettement au Nord et au Sud. En attendant de vous y retrouver, voici un bref retour sur cette journée parisienne du vendredi 22 août.
SEMINAIRE DETTE
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
– « Les créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
européennes »
Nicolas SERSIRON (CADTM France) a ouvert le troisième et dernier round du séminaire sur les dettes illégitimes, organisé par le CADTM. Il a rappelé l’origine des dettes des pays du Sud qui trouvent leur source dans la volonté de conquête du Vieux Continent et de pillage des ressources (naturelles, humaines et financières) . Après la deuxième guerre mondiale, suite aux indépendances, le mécanisme de la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
a été utilisé pour garder la mainmise sur les pays nouvellement indépendants . Les créances européennes constituent ainsi un levier du système capitaliste industriel-extractiviste.Le montant du transfert financier du Sud vers le Nord ces 25 dernières années s’élève à 665 milliards de dollars, soit l’équivalent de 6 plans Marshall ! et reflète l’accaparement des matières premières et de la plus-value
Plus-value
La plus-value est la différence entre la valeur nouvellement produite par la force de travail et la valeur propre de cette force de travail, c’est-à-dire la différence entre la valeur nouvellement produite par le travailleur ou la travailleuse et les coûts de reproduction de la force de travail.
La plus-value, c’est-à-dire la somme totale des revenus de la classe possédante (profits + intérêts + rente foncière) est donc une déduction (un résidu) du produit social, une fois assurée la reproduction de la force de travail, une fois couverts ses frais d’entretien. Elle n’est donc rien d’autre que la forme monétaire du surproduit social, qui constitue la part des classes possédantes dans la répartition du produit social de toute société de classe : les revenus des maîtres d’esclaves dans une société esclavagiste ; la rente foncière féodale dans une société féodale ; le tribut dans le mode de production tributaire, etc.
Le salarié et la salariée, le prolétaire et la prolétaire, ne vendent pas « du travail », mais leur force de travail, leur capacité de production. C’est cette force de travail que la société bourgeoise transforme en marchandise. Elle a donc sa valeur propre, donnée objective comme la valeur de toute autre marchandise : ses propres coûts de production, ses propres frais de reproduction. Comme toute marchandise, elle a une utilité (valeur d’usage) pour son acheteur, utilité qui est la pré-condition de sa vente, mais qui ne détermine point le prix (la valeur) de la marchandise vendue.
Or l’utilité, la valeur d’usage, de la force de travail pour son acheteur, le capitaliste, c’est justement celle de produire de la valeur, puisque, par définition, tout travail en société marchande ajoute de la valeur à la valeur des machines et des matières premières auxquelles il s’applique. Tout salarié produit donc de la « valeur ajoutée ». Mais comme le capitaliste paye un salaire à l’ouvrier et à l’ouvrière - le salaire qui représente le coût de reproduction de la force de travail -, il n’achètera cette force de travail que si « la valeur ajoutée » par l’ouvrier ou l’ouvrière dépasse la valeur de la force de travail elle-même. Cette fraction de la valeur nouvellement produite par le salarié, Marx l’appelle plus-value.
La découverte de la plus-value comme catégorie fondamentale de la société bourgeoise et de son mode de production, ainsi que l’explication de sa nature (résultat du surtravail, du travail non compensé, non rémunéré, fourni par le salarié) et de ses origines (obligation économique pour le ou la prolétaire de vendre sa force de travail comme marchandise au capitaliste) représente l’apport principal de Marx à la science économique et aux sciences sociales en général. Mais elle constitue elle-même l’application de la théorie perfectionnée de la valeur-travail d’Adam Smith et de David Ricardo au cas spécifique d’une marchandise particulière, la force de travail (Mandel, 1986, p. 14).
des travailleurs. La multiplication des accords de libre-échange vise à faciliter ce transfert de ressources - à l’image de l’Accord de partenariat économique entre l’Union Européenne et les pays ACP (Afrique-Caraïbe-Pacifique), équivalent du TAFTA (Traité de libre-échange UE-USA) qui menace les peuples européens. En somme, la revendication de l’annulation des dettes illégitimes doit impérativement aller de pair avec celle d’une sortie de ce système qui consiste à endetter pour piller, en vue de construire une société post extractiviste, post consumériste, et donc post capitaliste.
Mimoun RAHMANI (ATTAC-CADTM Maroc) a quant à lui illustré le mécanisme du « Système dette » à partir d’un exemple concret au Sud : celui de la dette publique marocaine. Cette dernière s ’élève à 75% du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
, et le service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
accapare un tiers du budget de l’État, soit 8 fois celui accordé à la santé, 2 fois celui accordé à l’éducation. Si l’on se penche sur la dette publique externe du Maroc (c’est-à-dire celle détenue par des créanciers étrangers), depuis 1983 (application des plans d’ajustement structurel), le Maroc a déboursé 136 milliards de dollars à destination de ses créanciers, ce qui représente 9 fois sa dette initiale , mais il lui reste néanmoins 25 milliards de dollars à rembourser. Devinez quel est le premier pays créancier ? La France ! Ancienne puissance coloniale, aujourd’hui puissance néocoloniale. Et cette dette externe ne décroit pas malgré l’application des « politiques de gestion active de la dette », imposées par le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, sous couvert d’une soi-disant stratégie de réduction de dette, qui n’est autre qu’une stratégie d’accaparement des secteurs stratégiques du pays (eau, électricité...). Enfin, a signalé Mimoun RAHMANI, le Maroc est lui menacé par les accords de libre-échange : l’ALECA (Accords de libre-échange complet et approfondi) fait l’objet de négociations secrètes avec l’Union européenne, auxquelles se joignent la Tunisie, l’Égypte et la Jordanie.
L’intervention de Peter SLAATREM TITLAND (ATTAC Norvège) s’inscrivait dans la perspective d’un pays européen créancier, la Norvège en l’occurrence, souvent cité comme exemple de modèle d’État-providence. La Norvège, a-t-il martelé, tient une responsabilité dans la crise européenne, et elle devrait donc en assumer les pertes plutôt que de tirer profit du saccage des droits sociaux et économiques qui accablent les peuples voisins. « Je ne vois pas le problème, a déclaré le Ministre des affaires étrangères norvégien, que la Norvège s’enrichisse avec la crise financière. » ! Le rapport d’ATTAC Norvège qui vient de paraître « On the other side of the financial crisis » présente une analyse des créances du pays scandinave à l’égard des pays de la « périphérie » européenne : comment celles-ci ont contribué à la création de la bulle immobilière et à l’éclatement de la crise et comment elles tirent profit de la situation aujourd’hui. Peter SLAATREM TITLAND nous a ainsi rappelé le rôle fondamental que nous avons à assumer en tant que citoyens d’un pays créancier, afin de faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils réalisent un audit de leurs créances. À l’instar de la victoire obtenue en 2006, lorsque - sous la pression des mouvements sociaux – la Norvège avait décrété l’annulation unilatérale des créances qu’elle détenait à l’égard de cinq pays du Sud (Équateur, Égypte, Jamaïque, Pérou, Sierra Leone) concernant des « prêts liés », reconnus comme « illégitimes ».
C’est donc sur cette note d’espoir que s’est clôturé le séminaire sur les dettes illégitimes : l’espoir dans le pouvoir de la mobilisation citoyenne. La lutte pour l’annulation des dettes illégitimes doit donc plus que jamais être poursuivie – au Nord et au Sud, en coopération étroite - si l’on veut impulser l’annulation de toutes les dettes illégitimes.
ATELIER– « Le microcrédit, un outil supplémentaire au service de la finance contre les peuples ? », co-organisé par CADTM Belgique, CADTM-ATTAC Maroc et Maroc Solidarité citoyenne.
En introduction, Zaïna OUBIHI (ATTAC-CADTM Maroc) a rappelé la situation de plusieurs femmes victimes du microcrédit, dans les régions de Ouarzazate et Zagora, qui fut le point de départ d’une lutte acharnée et qui dure maintenant depuis trois ans. [1]
Cet atelier a évoqué ces dérives mais a également démontré comment le microcrédit est devenu un outil au service de la finance et du patriarcat et cela particulièrement dans le contexte actuel de crise.
Après avoir rappelé quelques chiffres sur l’importance et la réalité du microcrédit aujourd’hui dans le monde, Pauline IMBACH (CADTM France) a d’abord évoqué l’idéologie sous-jacente au microcrédit, présenté comme un outil de réduction de la pauvreté, elle-même considérée non pas comme le produit d’un rapport politique et social mais comme une donnée naturelle et individuelle. Le lien avec la privatisation des services publics a également été mis en avant, dans la mesure où beaucoup de microcrédits s’avèrent être des prêts à la consommation, venant pallier le déficit de services publics. Ce qui ne permet pas aux contractants de dégager des revenus pour le remboursement de leurs crédits, les plongeant alors dans le surendettement.
Les grands gagnants de cette nouvelle euphorie dont fait l’objet le microcrédit demeurent sans aucun doute les institutions financières, qui ont devant elles un nouveau marché énorme : celui des pauvres, qui ne cesse de croître avec la crise. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si les institutions de microfinance se sont installées dans les PED, suite aux ravages opérés par les plans d’ajustement structurel. Voir l’article de l’intervention : http://cadtm.org/Le-microcredit-un-outil-pour
Lucile DAUMAS (CADTM-ATTAC Maroc) est revenue, quant à elle, sur l’aspect genré du microcrédit, étant donné que 80% des bénéficiaires sont des femmes. Bien loin d’être un outil « d’empowerment » des femmes comme aiment le rappeler les institutions de microfinance, le microcrédit les enferment dans la spirale du surendettement, les amenant parfois à se prostituer ou à déscolariser leurs enfants. Il les expose aussi à des violences conjugales et exacerbe les conflits entre les femmes, puisque les microcrédits sont souvent conditionnés à une garantie qu’apportent ces dernières.
Force est de constater l’alliance du système bancaire et capitaliste avec le patriarcat, car le microcrédit permet de récupérer la plus-value issue du travail informel réalisé par les femmes et vient pallier un démantèlement des services publics dont les femmes sont les premières victimes. Mais comme le rappelle Lucile, les femmes marocaines se mobilisent face à cette double oppression, faisant du mouvement de lutte contre le microcrédit un véritable outil de politisation et d’émancipation.
Notons en conclusion, quelques réactions des participant.e.s pointant le fait que malgré les dérives, le microcrédit a permis à certains de s’en sortir. Ce à quoi Pauline répond que l’on ne peut certes pas nier les success stories qu’a permis le microcrédit, mais qu’elles s’avèrent largement dérisoires au regard du changement global que nous voulons. En effet, afin de construire cet autre monde pour lequel luttent les gens réunis ces trois derniers jours à Paris, « nous ne pouvons prendre appui sur des outils où pour un gagnant il y en a 999 autres qui perdent et via lesquels les grandes gagnantes demeurent les banques ».
[1] Pour en savoir plus sur la situation de ces femmes marocaines et des luttes en cours : http://cadtm.org/Microcredit,777?lang=fr
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