A la « Catho », hommage au cardinal putschiste de Tegucigalpa et à l’ancien directeur général du FMI
16 octobre 2009 par Bernard Cassen
On aurait aimé que ce soit un canular, mais c’est une information
vérifiée : le 24 novembre prochain aura lieu à Paris une cérémonie dont
le casting est proprement ahurissant au regard de l’actualité française
et internationale.
Ce jour-là, le cardinal archevêque de Tegucigalpa, Oscar Rodriguez
Maradiaga, et l’ancien directeur général du Fonds monétaire
international (FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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), Michel Camdessus, recevront les insignes de docteur
/honoris causa/ de l’Institut catholique de Paris. Et leur panégyrique
(/Laudatio/) sera prononcé respectivement par Monseigneur Hippolyte
Simon, archevêque de Clermont, et Jean-Claude Trichet, président de la
Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE).
Il faut vraiment croire que les puissances invitantes, à savoir le
cardinal André Vingt-Trois, et le recteur de l’Institut, Pierre Cahné,
vivent sur une autre planète pour oser mettre en scène publiquement
cette nouvelle alliance du sabre, du goupillon... et de la salle de marchés.
On ose espérer que l’invitation au cardinal Maradiaga reposait sur
l’image « progressiste » que le prélat avait su se donner ces dernières
années, notamment lors de sa candidature à la succession de Jean-Paul
II. Mais les autorités de l’Institut catholique auraient dû se
renseigner et lire ses déclarations après le coup d’Etat du 28 juin
dernier au Honduras. Non seulement, comme d’ailleurs les autres membres
de la Conférence épiscopale hondurienne et, dit-il, avec le plein
soutien du Vatican, il n’a pas dénoncé le putsch, mais il l’a au
contraire légitimé en déclarant que « les documents prouvent que les
institutions ont correctement fonctionné et que la Constitution a été
respectée/ ». Il n’a pas condamné ni même évoqué les assassinats, les
tortures et les arrestations massives dont s’est rendu coupable le
gouvernement de facto. Pas non plus un mot sur la suppression de toutes
les libertés civiques, sur la fermeture de tous les moyens de
communication qui n’avaient pas fait allégeance aux putschistes, en
particulier la station de radio des Jésuites, Radio Progreso. Le
goupillon du cardinal a aspergé d’eau bénite le sabre putschiste.
Voilà le récipiendaire du doctorat honoris causa de l’Institut
catholique dont l’archevêque de Clermont s’apprête à célébrer les
qualités. Le gouvernement de Nicolas Sarkozy, qui a condamné le coup
d’Etat et continue de reconnaître officiellement le président Zelaya,
devrait logiquement refuser le visa d’entrée en France à ce prélat
considéré comme putschiste par le gouvernement légal.
Les états de service dont peut se prévaloir Michel Camdessus sont d’un
autre ordre : il n’a certes jamais trempé dans une action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
armée, mais
les politiques qu’il a impulsées à la tête du FMI, de 1987 à 2000, ont
été infiniment plus coûteuses en détresse et en vies humaines que celles
de la soldatesque hondurienne. Sa trajectoire est l’inverse de celle du
cardinal de Tegucigalpa : il pose volontiers aujourd’hui à l’adepte de
la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
« à visage humain », alors que pendant des années, il
a imposé d’impitoyables plans d’ajustement structurel aux malheureux
pays qui avaient recours à son « aide ».
Grâce aux « recettes » du FMI, il a à son actif
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
, si l’on peut dire, la
création ou l’aggravation d’une dizaine de crises financières majeures,
de celle du Mexique en 1994 à celle du Brésil en 1999. Fanatique du
marché et de la libéralisation financière qui, pour lui, « demeure le
but final correct », il s’est toujours désintéressé des conséquences
sociales des mesures qu’il imposait. Après les émeutes de la faim
qu’elles provoquèrent en 1997 en Indonésie, et la violente répression
qui s’ensuivit, ce catholique pratiquant expédia ainsi ses regrets aux
familles des victimes : « Je n’avais pas prévu que l’armée allait tirer
sur la foule »...
Il n’y a certainement aucun pays du Sud où une institution universitaire
accorderait une distinction à Michel Camdessus. Tout porte même à croire
que sa venue dans un établissement d’enseignement supérieur provoquerait
des troubles. Est-ce cette persévérance dans l’erreur, à peine compensée
par des bribes tardives de repentance, que va récompenser l’Institut
catholique ?
Que Jean-Claude Trichet ait été sollicité pour faire le panégyrique de
l’ancien directeur général du FMI complète un tableau franchement
caricatural. Le président de la BCE partage avec le récipiendaire une
absolue certitude des bienfaits de l’orthodoxie monétaire et un
souverain mépris des instances élues. Avec eux, les salles de marchés
font leur entrée officielle dans les hauts lieux du savoir. La finance
n’a que faire des franchises universitaires qui, pourtant, s’imposent
encore à la police...
Tout cela fait beaucoup pour une seule journée. Certainement, le 24
novembre à 19 h, on refusera du monde à la « Catho »...