Le secteur de l’énergie renouvelable au Maroc : concentration aux mains du secteur privé

8 octobre 2016 par Lucile Daumas


Analyse critique du plan solaire marocain

Intervention lors du Séminaire « Garder l’énergie fossile dans le sol : Pourquoi le gaz est une fausse solution », conférence à Bruxelles, 26-28 septembre 2016, organisée par la Fondation Rosa Luxemburg.



À l’approche de la COP 22 qui va se tenir en novembre prochain à Marrakech, le Maroc se veut le champion des énergies renouvelables et fait grand étalage de ses projets et réalisations en matière d’énergie éolienne et d’énergie solaire notamment. Cela est présenté comme la solution à la dépendance énergétique du pays, non producteur de pétrole et très faible producteur de gaz et de charbon, et comme grande avancée dans la lutte contre le réchauffement climatique..

En 2011 la consommation d’énergie au Maroc provenait de sources d’énergies fossiles à 89 % (pétrole, charbon, gaz), intégralement importés.

Source : Royaume du Maroc, Département de l’énergie et des mines, Nouvelle stratégie énergétique, bilan d’étape, 2013

La politique énergétique marocaine : des paroles et des actes

Ce discours est donc particulièrement séducteur. Mais il ne correspond pas vraiment à la réalité. Si l’objectif est bien « d’augmenter la contribution des énergies renouvelables dans la consommation en énergie primaire pour attendre 10 à 12 % en 2020 et 15 à 20 % en 2030 (le Maroc se fixe même un objectif de 42 % pour ce qui est de la production électrique). En revanche, il n’écarte aucune source possible d’énergie. Dans l’immédiat, plusieurs grands chantiers sont à l’œuvre : le complexe solaire de Ouarzazate et Aïn Beni Mathar, l’extension du parc d’éoliennes, deux nouvelles petites centrales hydrauliques, certes, mais aussi de nouvelles centrales à charbon ou extension des existantes (JORF EL ASFAR., Nador, Jerada), et deux centrales au diesel (Tiznit, Dakhla, de petite capacité). Le charbon est toujours en extension (35 % de la production en 2015) et restera la principale source d’énergie en 2020. Par ailleurs, les prévisions font état d’une augmentation importante du gaz et des options restent ouvertes pour les schistes bitumineux et le nucléaire.

Source : www.ires.ma/wp-content/uploads/2015/12/pdf__presentation_dg_ires_energie_vff-2.pdf

Parallèlement au renouvelable c’est donc le charbon qui est surtout mis en avant, mais des options restent ouvertes pour le gaz, les schistes bitumineux et le nucléaire. Cependant, le Maroc ne renonce pas à trouver des sources d’énergie fossile et fait des conditions plus qu’avantageuses pour les entreprises extérieures voulant faire de la prospection pétrolière (20 sociétés font actuellement de la recherche pétrolière, pour lesquelles 86 permis de recherche ont été délivrés, dont 71 en offshore). Il ne renonce pas non plus à mettre en exploitation les gisements de schistes bitumineux et extraire de l’uranium des phosphates. San León Energy, entreprise basée en Irlande (22 % du capital est détenu par le multimilliardaire investisseur américain George Soros) en accord avec l’américaine Chevron, a obtenu la licence d’exploration des sites de Timahdit et Tarfaya et commencé à titre expérimental une première production d’huile de schiste.

Le Maroc entend aussi exploiter sa situation géographique à la charnière de l’Afrique et de l’Europe, et son contrôle sur le détroit de Gibraltar, point occidental d’entrée et de sortie pour la zone méditerranéenne. Un point de passage incontournable dans le commerce transfrontalier de l’énergie : gazoduc Algérie-Espagne, Terminal à hydrocarbures de Tanger-Med, interconnexion électrique méditerranéenne.

On assiste donc à une ruée vers le secteur énergétique, toutes sources et tous secteurs confondus, loin du discours vert servi à l’occasion de la COP. Pour bien comprendre ce qui se passe au niveau du secteur de l’énergie au Maroc, il faut remonter aux années 1990 avec la libéralisation du secteur énergétique.

Les grandes dates de la libéralisation du secteur énergétique marocain

C’est ainsi que la principale raffinerie de pétrole, la Samir de Mohammedia, est vendue en 1997 à un groupe saoudien. Aujourd’hui, elle est fermée et déclarée en faillite. Les régies de distribution d’eau et d’électricité des principales grandes villes sont mises en gestion déléguée et gérée par Suez, Veolia et autres grandes transnationales. Et les manifestations des usagers se multiplient (encore il y a quelques mois à Tanger). Les barrages, longtemps considérés comme secteurs stratégiques placés sous la surveillance de l’armée, commencent à être privatisés. Le secteur privé s’empare aussi des centrales thermiques, notamment le groupe émirati (Abu Dahbi) Taqa qui possède l’imposante centrale à charbon de Jorf el Asfar, au sud de Casablanca. Quant au holding royal SNI, par le biais de sa filiale NAREVA, il a compris que le secteur énergétique constituait une promesse d’importants bénéfices. Il intervient dans le projet de centrale à charbon de Safi avec ENGIE (ex GDF SUEZ) France, Mitsui, Japon et l’équipementier sud-coréen Daewoo) ; dans le secteur de l’éolien en collaboration avec ENGIE (parcs d’Akhfennir, Haouma, Boujdour et Foum el Oued). Il construit actuellement le plus grand parc éolien d’Afrique à Tarfaya (300 MW) et contrôle pratiquement tout le secteur du solaire.

Solaire : des méga-projets pharaoniques

Ce qui frappe dans ces deux derniers domaines, c’est le gigantisme des projets. « Tarfaya, le plus grand parc éolien d’Afrique »… « Au Maroc le plus grand parc solaire du monde » titrent journaux et revues.

Ce projet avait été conçu comme arrimé au plan Desertec, vaste projet transsaharien finalement abandonné en particulier du fait de la tiédeur de l’Union européenne et du retrait de la BEI de ce projet jugé « pharaonique ». aujourd’hui la première centrale Noor a été livrée, financée par des apports de la BEI, la BAD, la BM Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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, l’AFD (France), et la KFW (Allemagne). Au total, 9 milliards d’investissement pour un projet qui devra s’étendre à 4 autres nouvelles centrales et ambitionne de fournir l’électricité à près d’un million d’habitants. Il faut évidemment comprendre cela comme plus de dettes pour le peuple marocain et plus de profit pour les entreprises, marocaines ou étrangères.

Il faut savoir en outre que toute cette production d’énergie n’est pas destinée en premier lieu à la population locale, mais à l’exportation vers l’Europe qui, Conférences climatiques obligent, veulent importer de l’énergie « propre ». En quelque sorte, en caricaturant un peu, les centrales à charbon, au diesel, au gaz pour les marocains, le solaire et l’éolien pour les européens.

La question est : cela pose-t-il un problème ? L’excellente étude fournie par Hamza Hamouchène [1] montre qu’en fait il y en a plusieurs.

Le premier concerne l’accaparement des terres. Sous prétexte que le complexe solaire s’installe dans une zone semi-désertique, à faible densité humaine, il est fait fi des populations qui sont sur leurs terres –collectives- et y exercent l’activité économique qui les fait vivre : l’élevage extensif. Ce faisant, l’État marocain est responsable d’une double spoliation puisqu’il a exproprié pour 1 dirham symbolique le m2 quelques 3000 hectares de terres collectives qu’il a ensuite revendus à l’Agence marocaine pour l’énergie solaire (MASEN), société privée créée avec des fonds publics en octobre 2010 dans le but spécifique de mener à bien les programmes solaires marocains. Pire encore, ces sommes n’ont pas été versées aux tribus concernées, mais ont été placées dans un fonds de « développement » pour financer des projets préparés loin des populations, et pour toute la zone, si tant est qu’ils voient le jour. Enfin, le projet n’a fait l’objet d’aucune consultation préalable, libre et informée des tribus berbères concernées, comme le stipule l’article 169 de l’OIT OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
concernant le droit à la consultation des peuples originaires. La première réunion publique n’a consisté qu’en une séance d’information sur un projet déjà ficelé, un mois après son annonce par le roi.

Le deuxième problème concerne la question de l’endettement et du rôle des Institutions financières internationales qui, par l’intermédiaire de ces prêts, renforce et justifie l’orientation néolibérale et l’approfondissement des politiques « pro-marché », le développement d’un capitalisme soi-disant « vert » tant dans l’agriculture que dans le domaine de l’énergie et l’instauration de mécanismes dit PPP : Partenariat public-privé qui vise essentiellement à privatiser les profits et à socialiser les coûts ou les pertes s’il y en a.

L’idée que le Maroc emprunte des milliards de dollars pour produire de l’énergie, dont une part sera exportée vers l’Europe, alors que la viabilité économique de l’initiative est à peine assurée, soulève le problème de l’externalisation des risques de la stratégie européenne de l’énergie renouvelable vers le Maroc et d’autres économies en difficulté de la région. Cette dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
est avantageuse pour l’Europe à plusieurs titres. Non seulement elle devra lui être remboursée – et ce ne sont pas les entreprises qui le feront, mais l’État marocain et donc les citoyens contribuables-, non seulement elle permet aux entreprises européennes et autres d’être partie prenante du projet, d’en influencer les options, mais en plus elle entre dans le cadre du Mécanisme pour un développement propre, ouvrant ainsi des droits à polluer pour ces mêmes entreprises sur leur territoire d’origine. « Cela revient à ignorer ce que l’on appelle la dette climatique ou la dette écologique Dette écologique La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.

La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :


- La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.

- La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.

- Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.

- L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.

Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
, qui est due par les pays industrialisés du Nord aux pays du Sud de la planète ».

Le troisième problème, tout aussi épineux, concerne la question de l’eau. Quels que soient les procédés choisis, la production d’énergie solaire est une grosse consommatrice d’eau, pour assurer le refroidissement (très grande consommation d’eau) ou le nettoyage des panneaux solaires (consommation 200 fois moindre). Or, et sans tenir compte du stress hydrique que vit le Maroc en général et la région semi-désertique de Ouarzazate tout particulièrement, c’est la première solution qui a été choisie, sachant que le processus de refroidissement entraîne une consommation annuelle d’eau de 2 à 3 millions de m3 par an. Ce sont donc les terres irriguées ainsi que les oasis de la vallée du Draa qui vont en pâtir, alors que ces dernières sont déjà fortement affectées par la sécheresse et le sur-pompage dans les zones irriguées en amont de la vallée (ajouter à cela l’arrosage des golfs et les piscines des hôtels…).

Partout dans le monde, se développent ce genre de méga-projets solaires, Espagne, Japon, Égypte, Dubaï, etc. L’Algérie et l’Allemagne parlent de relancer le projet Desertec. À Ouarzazate, ce sont 500 000 panneaux solaires qui ont été posés sur le sable – et ce n’est que la première tranche. Mais l’électricité produite va ensuite être acheminée par câbles aériens ou sous-marins vers l’Europe, sur des milliers de kilomètres. Or on sait que les pertes lors du transport de l’électricité sont importantes, pouvant aller de 2 % jusqu’à près de 30 %, proportionnelles à la distance parcourue par le courant [2]. Le projet Desertec, mais d’autres aussi comme le méga-projet photovoltaïque de Beaucaire en France, ont été abandonnés : leur rentabilité n’était pas assurée, alors que les investissements étaient démesurés. Leur impact environnemental et social était loin d’être négligeable. Certains pensent même que de telles installations pourraient avoir un impact, du fait de leur taille, sur le réchauffement climatique. En effet, « les centrales thermo-solaires agissent comme des pièges à énergie solaire et comme de gigantesques radiateurs. Une centrale thermo-solaire est un gigantesque four qui fonctionne en permanence, 24h sur 24 et 365 jours sur 365 ». [3]

Des installations de taille plus humaine, moins destructrices de l’environnement et des ressources telles que l’eau ne sont-elles pas préférables ?

Le micro-solaire

L’impressionnante progression du micro-solaire, qui va de pair au Maroc avec les méga-projets, offre matière à réflexion.

En effet, le Maroc ne fait pas que dans le gigantisme. Avec la privatisation du secteur, une nouvelle niche de profits est apparue : les millions de marocains vivant en milieu rural et ne disposant pas de l’électricité. En 1995, le taux d’électrification rurale ne dépassait pas 18 %. Cette situation va de pair avec une indigence particulièrement grave de l’ensemble des services publics (santé, éducation, réseau de transport, accès à l’électricité et à l’eau potable) qui, malgré l‘image d’abondance et de modernité que peut percevoir le visiteur à première vue, plombe le classement du Maroc dans l’IDH Indicateur de développement humain
IDH
Cet outil de mesure, utilisé par les Nations unies pour estimer le degré de développement d’un pays, prend en compte le revenu par habitant, le degré d’éducation et l’espérance de vie moyenne de sa population.
, 126e place en 2015.

On ne peut donc que se féliciter du programme d’électrification rurale qui a amené en 15 ans à un taux d’électrification de 96,8 %. Comment un tel saut en avant a-t-il été possible ?

Trois technologies ont été retenues : le raccordement au réseau national, les kits photovoltaïques, et les micro-centrales électriques.

Pour ce qui est du solaire, des kits photovoltaïques ont été installés dans quelques 150 000 foyers (environ 10 % du plan d’électrification, selon le système « fee for service », comprendre donc… service public payant. Il en coûte pour chaque foyer une participation de 900 dirhams au moment de l’installation et 65 dirhams par mois (environ 90 et 6,5 euro) pour la consommation. Pas très cher, direz-vous. Mais quel est le service offert ? La société TEMASOL (filiale de TOTAL énergie) fait le détail : 4 ampoules à basse consommation et une prise électrique (pour recharger un portable ou brancher une télévision). « Sceptiques au début, les utilisateurs sont aujourd’hui des inconditionnels du solaire », annonce sans rire la page web de la société TEMASOL. Pensez, pour ce prix, même pas possible de brancher un réfrigérateur ni encore moins une pompe pour le puits ! Le bénéficiaire dispose de 4 ampoules et d’une batterie d’une autonomie de 3 à 5 jours (en cas de pluie) qui sera remplacée, dit la société, pendant 10 ans. Et au-delà, son remplacement est à la charge de l’usager. Qui a rarement les liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
lui permettant de le faire : résultat des courses, il n’aura l’électricité que le jour et ne pourra donc guère l’utiliser que pour recharger son téléphone portable (s’il y a un réseau disponible). Quel luxe !

C’est dire le mépris qui anime l’administration centrale et les entreprises multinationales envers les populations rurales [4]. Il serait intéressant, à ce sujet, de savoir quels bénéfices Total énergie a retirés de cette opération, aujourd’hui relayée par la société emiratie MASDAR. Quant à l’AFD, elle a déboursé 230 millions d’euros (encore une dette) pour accompagner ce programme.

On a donc là un effet d’annonce, permettant au Maroc de déclarer plus de 95 % de raccordement à l’électricité. Selon une approche participative (comprendre payante) privilégiant l’optimisation des coûts (donc le moins cher possible), comme l’indique la ministre de l’énergie, Madame Benkhadra, dans une présentation du PERG (Programme d’Électrification Rurale Global). Mais qui maintient les populations « bénéficiaires » dans des conditions de vie indignes.

D’un côté, le gigantisme des méga-centrales, de l’autre le micro-solaire qui est beaucoup de poudre aux yeux. Une électricité à deux vitesses, celle pour les nantis et celle du pauvre. Maroc des contrastes, vantait il y a quelques années une publicité touristique !!

Conclusion

La question ne peut donc être posée seulement en termes d’énergie fossile ou non fossile, ce n’est pas une simple question technique. La privatisation du secteur et sa gestion en fonction des critères du marché ont amené à de multiples dérives, renchérissement des factures, gigantisme des projets, production renouvelable pour l’exportation et électricité fossile pour la consommation locale, et permanence d’un système profondément inégalitaire et excluant. Défossiliser la matrice énergétique, refuser la technique de la fracturation hydraulique doivent être des objectifs prioritaires, mais le système de production d’énergie ne peut être pensé indépendamment du type de société que l’on veut construire. Quel type d’énergie ? Pour qui ? Pour répondre à quels besoins ? À quel prix ?

Tant que ce sont les intérêts des banques qui priment, et avec elles ceux des actionnaires, il est illusoire de parler en termes de durabilité et de lutte contre le changement climatique. L’objectif n’est ni de protéger la planète, ni de lutter contre le réchauffement climatique, ni de satisfaire les besoins des usagers. L’objectif, c’est le profit, et les usagers ne sont intéressants que parce qu’ils paient. Le fameux fee for service ! La logique des marchés contre celle du service public.

C’est pourquoi il est urgent d’exiger son seulement la re-nationalisation du secteur, mais sa gestion démocratique sous contrôle populaire. Afin de déterminer les quantités d’énergie nécessaires, pour quels besoins, selon quelle méthode de production et d’acheminement.

« L’énergie n’est pas qu’un concept physique, elle concentre des aspects sociaux, politiques, économiques et culturels. Elle a un lien intrinsèque avec les droits acquis qui se trouvent malmenés ou violés par le modèle extractif des hydrocarbures… Un système de production d’énergie est un système de pouvoir. L’énergie pour quoi ? Pour soutenir le modèle sociétal actuel ou comme outil pour vivre mieux ? » [5].


Notes

[1Hamza Hamouchene, La centrale solaire de Ouarzazate au Maroc : le triomphe du capitalisme « vert » et la privatisation de la nature, consultable en arabe et en français, notamment sur le site d’Attac Maroc, http://attacmaroc.org, ou en anglais, espagnol ou français sur le site du CADTM.

[4J’ai pu constater la même situation en rendant visite à quelques éleveurs survivants du peuple huarpe, subsistant dans des coins reculés de la province de Mendoza, dans la zone des Lagunas de Guanacache, en état d’assèchement avancé.

[5Cette conclusion est empruntée à l’ouvrage “Vaca muerta : Construcción de una estrategia. Políticas públicas ambiguas, empresas estatales corporatizadas y diversificación productiva a medida”, OPSUR, Buenos Aires.

Lucile Daumas

membre d’Attac/Cadtm Maroc

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