18 janvier 2008 par Christine Vanden Daelen
Ne nous leurrons pas : Les Accords de partenariat économique (APE) que l’Union européenne (UE) veut faire signer aux pays ACP ne constituent qu’une version encore jusque là inédite du renforcement des programmes d’ajustement structurel imposés par les institutions du Consensus de Washington et, plus récemment, par l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
à la plupart des Etats Afrique Caraïbe Pacifique (ACP). Alors qu’après plus de deux décennies de libéralisation commerciale et de promotion de modèles économiques fondés sur la croissance des exportations, la libéralisation des marchés de capitaux, la promotion d’investissements étrangers et la privatisation des services publics dans les pays africains et du Sud, les effets négatifs et déstructurants de ces politiques sont largement connus et reconnus, l’UE reprend le flambeau et part à la conquête de nouveaux marchés afin d’assouvir la soif de profits toujours croissante de ses multinationales. Examinons d’un peu plus près ce nouveau cheval de Troie de l’ultralibéralisme à l’européenne.
De Lomé à Cotonou ou d’une politique de coopération à une politique commerciale
Durant vingt-cinq ans, de 1975 à 2000, les relations spécifiques entre l’Union européenne (UE) et les pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique (ACP) [1] ont été régies par les Conventions successives de Lomé. Elles organisaient les échanges commerciaux entre ces deux blocs régionaux selon un système de « préférences non réciproques » : si les exportations des Etats ACP pouvaient entrer sur les marchés européens avec des droits de douane fortement réduits (en fonction cependant de leur degré de sensibilité, c’est-à-dire de leur capacité à concurrencer des produits européens), l’inverse n’était pas vrai : les produits européens exportés dans les pays ACP restaient, eux, frappés par des taxes à l’importation. Cela permettait aux ACP de maintenir une protection sur leurs produits clé tout en récoltant des rentrées fiscales via les droits de douane. Ce système qui consacrait le principe selon lequel une différence de développement entre pays européens et pays ACP devait donner lieu à une différence d’obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
, était une manière de venir en aide aux économies des Etats ACP et de compenser quelque peu les pillages des matières premières que ces anciennes colonies ont subis et subissent encore. Malheureusement, si dès 1989, par l’inclusion dans les négociations de Lomé IV de l’obligation de respecter les plans d’ajustement structurel du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et d’appuyer le développement du secteur privé, on observe un net virage des accords vers les thèses néolibérales émergentes, l’apparition de l’OMC, à la suite de la chute du mur de Berlin, va renforcer cette tendance et mettre à nu l’attitude agressive, unilatérale et dominatrice de l’UE dans ses rapports avec les ACP. Aux mécanismes de solidarité s’exprimant via les protections consenties aux économies ACP contenues dans les Conventions de Lomé se substitue la volonté de leur imposer une libéralisation à marche forcée de leurs échanges afin de les intégrer progressivement dans l’économie mondiale. L’Accord de Cotonou, expression de la véritable « furie » de libéralisation de l’OMC et de l’UE, fut signé le 23 juin 2000 entre l’Union européenne et 79 pays ACP pour une période de 20 ans. La signature des Accords de partenariat économique (APE) devait normalement voir sa réelle mise en œuvre le 1er janvier 2008.
Pourquoi ce changement stratégique dans les négociations commerciales ?
Il serait justifié par deux « grandes raisons ». La première serait « l’échec des accords de Lomé en termes de développement ». Le régime commercial de Lomé n’aurait pas réussi à produire les résultats escomptés. En favorisant par l’exemption de droits de douane, la canalisation vers l’Europe de matières premières, essentiellement agricoles, il aurait découragé la diversification des produits exportés ainsi que leur transformation sur place. Cette spécialisation favorisa la main-d’œuvre rurale mais ne généra qu’une faible industrialisation et rendit nécessaire les importations de produits transformés ou de haute technologie à des prix élevés.
En outre, certains produits des ACP se heurtèrent à la concurrence déloyale de produits européens fortement subventionnés, tels que la viande surgelée, le lait en poudre, des conserves de poissons ou encore de la farine de blé, qui vont entrer en compétition directe avec les productions locales et ainsi participer à leur élimination (cf. les poulets surgelés au Cameroun). Et le système de préférences non réciproques, qui est au cœur de cet échec selon l’UE, n’a pas permis d’enrayer l’érosion des parts de marché ACP dans le commerce avec l’Union européenne [2]
Cela provoqua une relation asymétrique entre des pays ACP encore largement tributaires de leurs relations avec l’UE pour leurs exportations (le marché européen demeurant le principal lieu d’écoulement des marchandises ACP) et une UE faiblement dépendante des importations (essentiellement des produits de base non transformés) en provenance des ACP.
Ce raisonnement qui impute au système de préférences non réciproques des Conventions de Lomé la responsabilité du sous-développement de pays très pauvres et leur échec à entrer dans le club des « nouveaux pays industrialisés » à l’image de ceux de l’Asie du Sud Est, ne tient pas compte du fait que ce principe de non réciprocité et de traitements préférentiels fut enrayé par d’autres obstacles tels que la persistance d’importantes barrières tarifaires sur certaines productions agricoles européennes, les différences tarifaires entre produits transformés ou non transformés et des obstacles non tarifaires au commerce (normes de qualités…), etc. qui ont empêché les pays ACP de tirer pleinement parti de ces avantages économiques modestes, mais réels. Il omet également de souligner que les économies aujourd’hui émergentes et en pleine croissance ne le sont que parce qu’à un moment donné, elles ont été protégées par des mesures protectionnistes et qu’elles se sont également, en tout ou en partie, émancipées de la tutelle des institutions financières internationales (IFIs).
La seconde « grande raison » serait « la non-conformité de ce système par rapport aux règles de l’OMC ». Pour être compatible avec l’OMC, un accord commercial doit être réciproque or, le régime de Lomé en plus d’être discriminatoire (il favorise un ensemble défini de pays en développement et non pas tous ces pays), n’était absolument pas réciproque (seule l’UE a ouvert son marché aux produits ACP, ceux-ci n’ont pas ouvert les leurs).
Face à la contestation grandissante de certains membres de l’OMC s’estimant lésés par les dispositions commerciales particulières de Lomé, la Commission européenne, soucieuse d’éviter de comparaître devant l’organe de règlements des différends [3], met en place, lors de la signature des Accords de Cotonou, un régime commercial avec les ACP basé sur le principe des préférences réciproques dans le cadre d’accords de libre-échange UE-ACP. Ainsi, au régime préférentiel envers les ACP se substitua une logique compatible avec l’OMC consacrant la primauté de l’ouverture des marchés sur toute tentative solidaire. Désormais, c’est bien l’alignement sur les règles de l’OMC - imposant entre autres par son article 67 le respect des plans d’ajustement structurel du FMI - qui régit le commerce entre ces deux zones géographiques.
Durant la période transitoire actuelle consacrée à la négociation des accords de « partenariat » économique (APE) instituant le libre échange avec certains des pays les plus pauvres de la planète, l’UE a obtenu de l’OMC une prorogation des préférences tarifaires de Lomé IV. Dès le 1er janvier 2008, ce régime spécial devait être aboli.
Les accords de libre échange constituaient-ils la seule option possible pour le commerce ACP-UE ?
Bien évidemment non et ce, pour une série de raisons. Tout d’abord, l’obstacle de l’incompatibilité « imposant » la fin d’un système accordant quelques préférences aux pays ACP aurait pu être facilement contourné : ensemble, l’Europe et les Etats ACP disposent d’une majorité à l’OMC et ils auraient pu user de leur poids pour rendre les règles de cette institution « compatibles » avec l’esprit des Conventions de Lomé. Ensuite, ils auraient pu envisager des solutions alternatives acceptables aux yeux de l’OMC telle que l’introduction dans l’article XXVI du GATT GATT Le G77 est une émanation du Groupe des pays en voie de développement qui se sont réunis pour préparer la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à Genève en 1964. Le Groupe offre un forum aux PED pour discuter des problèmes économiques et monétaires internationaux. En 2021, le G77 regroupait plus de 130 pays. du principe de traitement spécial et différencié qui aurait permis l’instauration d’accords non réciproques avec une durée de mise en œuvre adaptée au pays, sur la base d’étapes ou de critères de développement. Enfin, ils auraient pu également demander l’application d’une nouvelle dérogation dans le cadre de l’OMC. Comme on peut aisément le constater, les voies et les moyens ne manquaient pas ! Alors pourquoi ni l’Europe ni les ACP ne s’en sont-ils pas saisi ? Parce que l’Europe ne le voulait pas. Elle veut établir le libre échange via les APE, point à la ligne (nous en analyserons les principales raisons ci-dessous) ! Et parce que les ACP ne le pouvaient pas : ils demeurent dépendants et du budget de l’aide qui s’élève pour la période 2000-2007 à 13,5 milliards d’euros [4] et des marchés européens pour la majorité de leurs exportations.
Les APE : un OMC+ au service de l’Union européenne ?
Si au sein de l’OMC, les Etats ACP ont la possibilité de faire bloc avec d’autres pays en développement, d’être unis et solidaires face à des propositions qu’ils rejettent [5], dans le cadre des APE, qui constituent des accords régionaux avec l’UE, ils se retrouvent en situation de faiblesse à cause d’une part, de capacités de négociation bien moindres que celles de l’UE et d’autre part, de leur dépendance multiforme à son égard.
La Commission européenne profite de ce rapport de force indécent pour inclure dans les négociations APE trois sujets – l’investissement, la concurrence, les marchés publics [6] – qui avaient été supprimés du programme de travail de Doha à la suite d’une résistance constante manifestée par les pays ACP en collaboration avec d’autres pays en développement. Ainsi, les Etats ACP auront à se battre de nouveau pour gagner une bataille qu’ils avaient déjà gagnée au sein de l’OMC mais cette fois-ci à partir d’une position de négociation beaucoup plus faible. Cette stratégie de l’UE équivaut à renier sur le plan bilatéral, la parole donnée aux pays en développement sur le plan multilatéral.
On constate aisément que les APE sont désormais le cadre que l’UE juge à présent pertinent pour conclure des accords plus agressifs sur ce qu’elle n’avait réussi à obtenir au sein de l’OMC.
Des accords de « partenariat » d’un type nouveau ?
Les APE sont des accords commerciaux entre l’UE et six zones géographiques [7] avec chacune desquelles l’UE va négocier des accords bilatéraux de libre échange en conformité avec les textes fondateurs de l’OMC. L’objectif est l’insertion des Etats ACP, pays comptant parmi les plus pauvres de la planète [8], dans l’économie mondiale. Les négociations ont commencé en septembre 2003. L’Union européenne en impose le contenu, le rythme et la langue (l’anglais).
Les APE consacrent la disparition des préférences tarifaires non réciproques de Lomé. A la place, on introduit l’élimination complète des droits de douane entre l’UE et chacune des six zones distinctes concernées mais avec réciprocité ! Ainsi, si l’UE ouvre désormais son marché à 100% aux produits en provenance des ACP, tous les pays des ACP éliminent les droits de douane et ouvrent également leurs économies (à 80% pour le moment) pour la libre entrée des marchandises, des services et des investissements européens et ce, en une dizaine d’années. A la libéralisation réciproque s’ajoute dès lors, la déréglementation des investissements. Les gouvernements ACP qui signeront ces APE, devront permettre aux investisseurs européens d’accéder librement à tous les secteurs de leur économie sans plus accorder de préférence aux investisseurs nationaux. La signature des APE permettra aux pays en négociation l’accès au Fonds Européen de Développement (FED) qui prévoit l’allocation d’une partie de ses avoirs (15 milliards d’euros par an) au financement des programmes d’appui à l’application des plans d’ajustement structurel. Ainsi l’Europe, non satisfaite d’être la complice des IFIs pour l’application de ces plans, en dévient la créancière en les finançant par le biais du FED.
Selon l’UE, les APE doivent encourager le développement durable, contribuer à la réduction de la pauvreté (notion centrale dans l’Accord de Cotonou), conforter les processus d’intégration économique régionale, c’est-à-dire le commerce intra-régional entre les différentes régions ACP et permettre de faire évoluer une relation « post coloniale » en « opportunité stratégique » basée sur le partenariat.
Que nous révèle la face cachée des APE ?
Au-delà de la rhétorique de l’UE, ces différents accords et « partenariats » doivent être pris pour ce qu’ils sont : des outils pour faciliter l’accès des produits, des services et des investissements des sociétés transnationales européennes à certaines régions stratégiques de la planète. Ainsi, via ces APE, l’Europe devient le courtier
Courtier
Courtiers
Une société de courtage ou courtier est une entreprise ou une personne qui sert d’intermédiaire pour une opération, le plus souvent financière, entre deux parties.
des transnationales. On peut sans excessivité déclarer qu’à l’instar de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, instrument de domination de différents pouvoirs du Nord sur les pays endettés, les APE s’érigent tout autant en instrument de domination de l’économie européenne sur les pays ACP.
Les APE mettant en concurrence des économies aussi inégales que celles de l’UE et des ACP n’engendreront que la conclusion d’ « accords » totalement injustes et fortement déséquilibrés. On voit dès lors difficilement comment ce nouveau régime commercial tant acclamé par la Commission européenne, pourrait impulser un quelconque développement au Sud. De fait, devant une puissance commerciale comme l’UE, accorder des franchises douanières n’équivaut, ni plus ni moins, qu’à accentuer la pauvreté dans les Etats ACP les condamnant à dépendre encore plus de l’aide et des prêts externes, ce qui gonflera le stock de leur dette.
En réponse à l’argumentaire des Commissaires européens qui vantent les APE car ils ouvriront le marché européen aux productions ACP, doit être opposé le fait que, via l’initiative « Tout sauf des armes [9] » de 2001, c’était déjà le cas pour les Pays les Moins Avancés (PMA
Pays moins avancés
PMA
Notion définie par l’ONU en fonction des critères suivants : faible revenu par habitant, faiblesse des ressources humaines et économie peu diversifiée. En 2020, la liste comprenait 47 pays, les derniers pays admis étant le Timor oriental et le Soudan du Sud. Elle n’en comptait que 26 il y a 40 ans.
) sans que ceux-ci n’aient réellement pu en profiter faute de production suffisante.
Dernière caractéristique des APE qui les placent en porte à faux par rapport à la propagande qu’en fait l’UE : en plus d’être strictement concentrés sur le profit, excluant tout développement humain, les APE évincent des négociations les Parlements et les acteurs non-étatiques (les syndicats, les mouvements sociaux, les associations, etc.) au profit du pouvoir exécutif court-circuitant ainsi tout réel processus démocratique lors de ces pourparlers.
Les APE épousent parfaitement la « philosophie » économique des IFIs et de l’OMC qui considèrent le commerce comme un élément moteur de la croissance et donc, du développement. L’adhésion complète à cette logique les amène à prôner l’abolition de toutes les barrières au commerce international. En parfaite synchronie avec le dogme ultralibéral, les APE réaffirment le postulat selon lequel un maximum d’insertion au commerce mondial augmentera les possibilités de développement des pays ACP. Or, loin de favoriser un quelconque développement, une plus forte connexion de ces économies génère un renforcement de la position des transnationales européennes sur les marchés des Etats ACP leur assurant le contrôle de l’économie de ces Etats et aussi la mainmise sur leurs ressources naturelles. De plus, et ce phénomène est à la base de trop nombreuses souffrances des populations du Sud, l’insertion entière d’un pays ACP - ou d’un pays en développement de manière plus générale - au commerce international est générateur de déficit structurel de la balance des paiements
Balance des transactions courantes
Balance des paiements
La balance des paiements courants d’un pays est le résultat de ses transactions commerciales (c’est-à-dire des biens et services importés et exportés) et de ses échanges de revenus financiers avec l’étranger. En clair, la balance des paiements mesure la position financière d’un pays par rapport au reste du monde. Un pays disposant d’un excédent de ses paiements courants est un pays prêteur vis-à-vis du reste du monde. Inversement, si la balance d’un pays est déficitaire, ce pays aura tendance à se tourner vers les prêteurs internationaux afin d’emprunter pour équilibrer sa balance des paiements.
(les importations croissent plus rapidement que les exportations), déficit qui a tendance à être comblé par des emprunts extérieurs qui augmentent l’endettement. La boucle est bouclée ! La mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale et ses promoteurs, maintiennent les pays APC dans le cercle vicieux de l’endettement et de la dépendance. Et c’est pour que les ACP aient suffisamment de devises étrangères afin de rembourser leur dette que les APE, s’inscrivant dans la ligne politique des IFIs, s’érigent en âpres défenseurs du modèle de développement par la promotion des exportations.
Non contente de nuire aux populations des pays ACP en cautionnant les mécanismes qui accentuent l’endettement, l’UE leur fait miroiter de fausses illusions en collaborant au matraquage idéologique mensonger de la Banque mondiale et du FMI présentant la libéralisation des investissements comme l’unique voie de salut pour le développement à long terme des ACP. Or, d’une part, il n’y a aucune corrélation entre augmentation de l’investissement étranger et amélioration des conditions socio-économiques des habitants des Etats ACP car les bénéfices engrangés par ces investisseurs, au lieu d’être réinvestis au sein des économies des ACP, sont directement rapatriés dans les banques du Nord [10]. Et d’autre part, ce n’est pas le retard ou l’absence de la libéralisation des investissements qui repousse les investisseurs à pénétrer les marchés des pays ACP. Même la Banque mondiale a reconnu que les principaux facteurs décourageant les investisseurs en Afrique subsaharienne sont des préoccupations relatives à la stabilité politique, à la sécurité ou aux incertitudes concernant l’approvisionnement en électricité, plutôt que l’absence d’accords d’investissements contraignants [11].
A l’instar du conglomérat BM/FMI/OMC, les APE en considérant la libéralisation comme LA condition sine qua non à la constitution de tout régime commercial efficient, consacrent la démission du politique forcé d’abandonner ses prérogatives aux seules mains « invisibles » du marché. Cette façon d’appréhender les choses relève de la pure spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
car jusqu’à présent, aucune démonstration n’est venue conforter l’hypothèse selon laquelle le libre échange soit réellement porteur de croissance et de réduction de la pauvreté.
De plus, le libre échange n’existe pas car le commerce international est largement dominé par des entreprises monopolistiques. Pour preuve : actuellement les 200 plus puissantes sociétés multinationales contrôlent 23% du commerce mondial [Jean Ziegler, « Les nouveaux maîtres du monde », Fayard, 2002]. De même, 97% de la production automobile est le fait d’une petite vingtaine de transnationales et moins de 7 transnationales contrôlent 92% du secteur verrier, 90% du secteur médical, 87% de la filière tabac, 85% des pneumatiques et 79% des cosmétiques [Wladimir Andreff, « Les multinationales globales, éd. La découverte, 2004]. En outre, tout comme les IFIs, les APE en imposant l’application du dogme du libre marché issu du Consensus de Washington, empêchent l’émergence de stratégies et de plans de développement endogènes aux pays ACP. Et enfin, les APE en prévoyant l’allocation d’une partie du FED pour contrer les effets néfastes qu’engendrera la mise en œuvre de l’ultralibéralisme imposent aux acteurs impliqués dans la Coopération au développement avec les ACP un modèle « Aid for Trade » orienté vers la vente de produits à fable valeur ajouté et non pas sur la création d’emplois et l’amélioration de la qualité de vie des populations locales.
En guise de conclusion, nous sommes bien obligés de constater que, via les APE, c’est le néolibéralisme qui tient lieu d’ « ordre international » aujourd’hui alors qu’il est porteur d’un désordre inhumain, brutal et insensé, dévastateur des ressources vitales et menaçant pour tous les habitants de la planète. L’important serait sans attendre, d’empêcher de nuire les institutions qui en sont les instruments zélés : FMI, Banque mondiale, OCDE
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.
Site : www.oecd.org
, OMC, …, et l’Union européenne, inféodée aveuglément aux intérêts du commerce et de la finance.
Les effets prévisibles des APE au sein des entités en négociation
En porte-à-faux à ses habitudes, la Commission européenne n’a pas souhaité disposer d’une évaluation d’ensemble des conséquences du libre échange. Les pays ACP effectuent donc le travail, au cas par cas, sans disposer de garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). concernant le sérieux des études réalisées. Lorsque des études ont eu lieu, elles furent généralement réalisées majoritairement grâce à un financement et à des expertises extérieurs, et présentaient des conclusions bien plus en accord avec le calendrier des négociations qu’avec la réalité. De nouvelles études financées par les pouvoirs publics des ACP devraient être réalisées afin d’établir la vérité sur les effets des APE dans les Etats ACP.
Les APE vus d’Europe
Les APE pourvoient des avantages multiples pour l’UE. En voici les principaux :
Ce sont de nouveaux marchés pour les entreprises européennes. L’ouverture des marchés ACP aux biens et services de l’UE représente pour ses entreprises un potentiel alléchant de croissance. Pour l’Europe, un des plus grands exportateurs et importateurs de services au monde, la libéralisation induite par les APE contient la promesse de fournir quelque 700 millions de clients et consommateurs supplémentaires [12]. De plus, les APE, en reproduisant les principales caractéristiques de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) [13], le ressuscite dans les faits alors qu’en 1998, devant le large mouvement de contestation émanant notamment des pays en développement à l’OMC, il avait dû être abrogé.
La compétitivité des entreprises européennes sur les marchés ACP s’en trouvera renforcée, puisque leurs marchandises y seront moins chères que celles produites localement. Cela correspond parfaitement à la visée de l’Europe de devenir le bloc économique le plus compétitif au monde. C’est au nom de cette compétitivité que les protections environnementales et les modèles sociaux européens seront bradés du fait de l’imposition de la libéralisation interne des régions partenaires qui ne tolère aucune entrave, aucune barrière de quelque nature soit-elle.
La compétitivité de l’UE se trouvera d’autant plus renforcée que, notamment dans l’agriculture, beaucoup de produits européens sont fortement subsidiés et peuvent être écoulés sur les marchés ACP à des prix « dumping », ce qui très souvent accule les producteurs locaux à la ruine (voir infra.).
La position politique de l’Europe s’en trouvera renforcée, tant en terme de pouvoir d’ingérence dans les politiques économiques et sociales des pays ACP qu’en terme de poids accru sur la scène internationale en général et au sein de l’OMC plus spécifiquement [14]
Les APE vus des pays ACP
De nombreuses études émanant d’institutions internationales telles que la CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
, l’UNCEA (Commission Economique pour l’Afrique des Nations unies), le PNUD
PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
Site :
, la FAO et même de la Banque mondiale, estiment que l’impact net des APE sera très probablement négatif. Ces accords de libre échange entre des pays fortement industrialisés et des pays parmi plus pauvres de notre planète ne feront qu’aggraver la situation des populations du Sud en accentuant inégalités sociales et pauvreté, en les poussant à l’émigration alors que l’Europe devient une forteresse avec des mesures de plus en plus répressives à l’égard des migrants.
Les risques liés aux APE pour les pays ACP composés à 94% d’Africains sont de plusieurs ordres :
La libéralisation implique une forte réduction des taxes à l’importation. Or, des droits de douane prélevés sur les importations génèrent pour la majorité des Etats ACP au moins un tiers de leurs recettes publiques. Cette diminution des ressources de l’Etat se fera au détriment des dépenses et investissements sociaux : éducation, santé, infrastructures publiques, protection de l’environnement, etc. Les APE sapent ainsi la capacité d’intervention de l’Etat et, tout comme les plans d’ajustement structurel imposés par le FMI, empêchent les pays du Sud d’exercer leur souveraineté sur leur propre politique de développement qu’il s’agisse de politique agricole et alimentaire, de politique commerciale ou encore de protection de leur économie locale. De plus, cette diminution du capital public rend les ACP encore plus dépendants de l’aide extérieure et les pousse malheureusement à encore emprunter davantage. Une dernière facette particulièrement odieuse du soi-disant système de libre échange instauré par l’Accord de Cotonou réside dans le fait que s’il est exigé des pays ACP de restreindre drastiquement toute limitation aux importations, l’Europe quant à elle, maintient toute une série d’entraves tarifaires ou non (cf. les mesures Sanitaires et Phytosanitaires – MSP) au commerce. Ces entraves contrecarrent l’exportation et donc la production de produits africains transformés et partant, la capacité industrielle de ces pays.
Tels que négociés actuellement, les APE ouvriront les marchés des ACP aux exportations européennes à bas prix et largement subventionnées. Cette concurrence sera totalement insoutenable pour les producteurs locaux ne pouvant désormais plus écouler leurs marchandises - trop chères par rapport à celles provenant d’Europe - sur leurs propres marchés. Progressivement, ils seront ainsi contraints d’abandonner l’agriculture familiale vivrière dont l’existence et le développement constituent pourtant les conditions clé d’un recul de la pauvreté dans des pays majoritairement ruraux. Le résultat de l’application des APE sera l’anti-souveraineté alimentaire et la baisse généralisée du niveau de vie au sein des populations rurales du Sud livrées aux aléas du chômage et de la migration forcée. De plus, les Etats ACP en acceptant la libéralisation commerciale ne pourront pas protéger leur industrie naissante. Or, le risque, à moyen terme, de l’absence de mesures protectionnistes est bien une désindustrialisation des pays ACP et dès lors, une forte régression économique et sociale. On constate malheureusement que les APE, en menaçant la souveraineté alimentaire et en déstructurant l’industrie naissante dans les Etats ACP, renforcent les effets négatifs de l’ajustement structurel imposé par le FMI dans ces pays au cours des années 1980-90.
L’UE présente les APE comme des instruments supplémentaires au service du processus d’intégration économique régional [15] amorcé en Afrique. Il apparaît, au contraire, assez clairement qu’une libéralisation commerciale avec l’Union européenne précédant tout renforcement effectif des intégrations économiques régionales, contient bien plus de risques que de potentialités. En effet, avec les APE et la constitution de zones de libre échange entre les pays ACP et l’UE, ce seront les exportations et les investissements européens qui seront privilégiés au détriment des échanges commerciaux entre les différentes Communautés économiques régionales (CER) africaines préexistantes aux APE. Cela déstabilisera le commerce et l’investissement intra africain déjà fragile, limitera l’intégration régionale économique en Afrique et accentuera encore la dépendance de ce continent à l’égard de l’économie européenne. De plus, la grande hétérogénéité qui existe entre les différents Etats ACP d’une même zone régionale [16] (pour rappel : l’UE veut négocier des accords de libre échange avec six zones régionales – quatre en Afrique, une dans la région Caraïbe et une dans celle du Pacifique) hypothèque grandement tout réel processus d’intégration économique au sein de ces entités imposées par l’Europe pour les négociations des APE. Ainsi, alors que la consolidation de marchés communs régionaux constitue sans conteste une des priorités pour l’essor socio-économique en Afrique, les APE - contrairement à la propagande diffusée par l’UE - minent et anéantissent ce processus d’intégration régionale.
Si l’Europe et ses multinationales ont tout à gagner des APE et rien à en perdre, les citoyens des ACP ont, par contre, tout à perdre et fort peu à gagner ; les avantages qu’ils pourraient tirer des APE sont, comme on a pu le constater, pour le moins incertains. On peut même affirmer que le projet est extrêmement nuisible. Au vu de ce qui précède, comment encore prétendre que les APE sont des « accords » pour le développement sans faire preuve d’un cynisme démuni de toute humanité ?
L’attitude de l’UE face aux résistances des pays ACP
L’obtention d’APE incluant les « Matières de Singapour » constitue un enjeu économique et commercial de taille pour l’Union européenne. Ainsi, depuis le début des négociations et encore plus vigoureusement ces derniers temps à l’approche de la date butoir du 31 décembre 2007, elle a usé sans vergogne d’une panoplie de moyens de pression destinée à obtenir la signature des Etats ACP.
Alors que le principal leitmotiv à l’entrée des pays ACP non-PMA dans ce vaste programme de libre échange réside dans l’espoir pour ces Etats d’accéder plus facilement au marché européen, l’UE menace les pays qui seraient réfractaires à la signature des accords pour la fin de cette année 2007 de rétablir des droits de douane sur leurs productions. Obsédée par l’accroissement de sa compétitivité à n’importe quel prix, l’Union européenne s’adonne à un chantage machiavélique : « Si tu ne signes pas, je ne renouvelle pas l’accès préférentiel au marché européen dont tu bénéficiais jusqu’à maintenant et j’augmente mes taxes sur les importations provenant de ton pays ! ». Mais l’UE ne s’arrête pas là, elle surenchère et va même jusqu’à conditionner l’octroi de l’aide accordée, entre autres via le FED, à la signature des accords. Or la majorité des ACP sont des pays pauvres fortement endettés dont les maigres recettes sont absorbées par un service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. dépassant fréquemment la barre des 40% des budgets publics, ce qui les place dans une situation de forte dépendance par rapport aux financements extérieurs. Si la mise sous pression de ces pays parmi les plus pauvres de la planète est éthiquement insupportable, l’UE en se comportant de la sorte s’inscrit en faux par rapport à l’Accord de Cotonou qui énonce explicitement que « les accords de partenariat économique se tiendront avec les Etats ACP qui se considèrent prêts à les réaliser » et que « des solutions alternatives doivent être trouvées pour les Etats ACP non-PMA qui décideraient de ne pas signer ».
Face à l’amplification des mouvements de protestation contre les APE au sein des sociétés civiles des pays ACP et européens, aux refus et/ou conditions apposées par les diverses zones régionales en négociation de moins en moins enclines à signer de véritables APE d’ici fin 2007, l’UE a dû quelque peu revoir son attitude et tempérer ses exigences. Ainsi, le 23 octobre, la Commission a publié une communication dans laquelle elle reconnaît l’impossibilité de conclure des APE complets pour la fin 2007, incluant : biens, services et investissements. Elle propose désormais aux différentes régions ACP, la signature d’un accord en deux temps : un accord intermédiaire portant exclusivement sur les marchandises avant le 31 décembre 2007 ; puis la poursuite des pourparlers pour la conclusion d’un accord final (à savoir : comprenant les « Matières de Singapour » dans leur totalité) avant fin 2008. Cependant en ne faisant que retarder l’échéance sans introduire d’élément novateur susceptible de rendre ces APE plus « attractifs » pour la majorité des Etats ACP [17], l’UE ne parvient pas à dépasser les blocages aux négociations persistants du coté africain. Ayant admis qu’elle ne parviendra pas à signer des accords intermédiaires avec des régions complètement intégrées (un APE pour une région ACP), l’UE conclut désormais des accords bilatéraux de libre échange avec certains pays tels que la Côte d’Ivoire intéressée par la présence de certaines entreprises françaises sur son territoire, l’Ile Maurice mais aussi le Kenya. Cette manière de procéder crée bien évidemment des tensions au sein des différents pays d’une même communauté économique. En outre, elle menace l’intégration régionale pourtant cruciale au développement socio-économique des pays ACP ; intégration régionale censée selon le discours européen constituer l’une des préoccupations majeure dans le cadre des négociations des APE ! Ici encore, le double langage de la Commission européenne apparaît dans toute sa splendeur. L’UE continuera, on s’en doute, à exercer pressions, chantages et manipulations en tous genres en 2008 pour obtenir enfin des accords commerciaux qui soient à la hauteur de ses ambitions mercantiles avec ses anciennes colonies.
Face à l’orientation néolibérale d’une « Europe globalisante » de plus en plus agressive dans son obsession d’accroître indéfiniment sa compétitivité en offrant à ses multinationales la conquête perpétuelle de marchés nouveaux dont le coût humain est totalement ignoré, la logique exprimée par de nombreuses associations de la société civile africaine lors de la Déclaration de Maputo [18] « Pas d’accord plutôt que de mauvais accords » devrait primer sur toute autre. Ce raisonnement relatif aux négociations fut fermement réitéré par d’autres mouvements de base et organisations citoyennes africaines et européennes réunis à Lisbonne du 7 au 9 décembre 2007 [19]. Parmi de nombreuses propositions des plus intéressantes, en voici quelques-unes ayant plus spécifiquement trait aux enjeux du développement économique UE-ACP :
« Les gouvernements européens doivent cesser d’imposer des politiques économiques destructrices aux pays africains à travers le FMI, la Banque mondiale, l’OMC et tous les acteurs commerciaux, bilatéraux et régionaux ;
Il est impératif que les gouvernements européens et les banques annulent immédiatement la dette externe de l’Afrique et reconnaissent leur dette écologique
Dette écologique
La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :
La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.
La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.
Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.
L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.
Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
et sociale à l’encontre du continent ;
La Commission européenne doit cesser d’exercer des pressions sur les gouvernements africains et retirer ses demandes concernant les APE ;
- Il faut absolument que les gouvernements africains résistent à ces pressions en refusant de signer les APE ;
Les entreprises multinationales européennes doivent mettre fin à l’extraction prédatrice des ressources naturelles africaines, à la destruction des équilibres écologiques et à l’exploitation des peuples ».
Ces organisations appellent les citoyens européens à « rejeter le dit ‘nouveau traité’ européen, qui renforce le pouvoir de la Commission européenne en matière de commerce et de développement, et réduit davantage la capacité des citoyens à influencer démocratiquement ses politiques ».
Quelle conclusion finale plus adaptée à cet article que cet ensemble de revendications exprimées par les opposants aux APE du Nord mais surtout du Sud ? Tout y est, et surtout, c’est le Sud qui majoritairement parle ! C’est très important car, pour paraphraser Karl Marx, l’émancipation des peuples du Sud sera l’œuvre des peuples du Sud eux-mêmes.
[1] La population des 79 pays, quasiment tous d’anciennes colonies de l’Europe, que comprend actuellement l’ensemble ACP est à 94% africaine. C’est dire la prépondérance du continent africain sur la Caraïbe et le Pacifique dans cette appellation
[2] Chutant de 6,7% en 1975 à 2% en 1995 et de 12% à 4% en 2005 plus spécifiquement pour l’Afrique. Chiffres extraits de l’article « Dette et pauvreté : l’UE contre le développement » de Bakary FOFANA, publié le 23 janvier 2007 ; tandis que, dans le même temps, l’UE continuait de prendre de plus en plus la place de pôle de ravitaillement essentiel du marché africain.
[3] Instance juridique de l’OMC.
[4] Erik RYDBERG, « EPA ou PAS, introduction critiques aux accords de partenariats économiques », GRESEA, Cahier des Alternatives, n°6, novembre 2004, 48 p.
[5] Ces Etats créèrent le G-90. A Cancun, ces pays ont, une fois pour toutes, démontré qu’on ne pouvait plus fermer les yeux sur les intérêts des pays faibles et vulnérables.
[6] Que l’on appelle les « Matières de Singapour »
[7] Ces six zones sont : Les Caraïbes, l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique Centrale, l’Afrique de l’Est et Corne de l’Afrique, l’Afrique Australe, la région Pacifique.
[8] Rapport de 1 à 50 entre le PNB moyen des ACP et le PNB moyen européen. Les ACP comptent près de 750 millions d’habitants majoritairement ruraux dont 50% survivent avec moins de 2$ par jour et dont 200 millions souffrent de la faim.
[9] Qui garant l’accès au marché européen des produits des PMA sans franchise de droits de douane.
[10] En 2000, la Commission chargée des Flux de capitaux a fait savoir que des bénéfices totalisant 3 milliards de dollars ont été rapatriés de l’Afrique par des sociétés américaines – « Les accords de libre-échange : Un nouveau régionalisme ou une autre course aux clochers ? », 19 oct. 2005,
[11] Claude QUEMAR, « Des partenariats économiques encombrants », 10 janvier 2007,
[12] Erik RYDBERG, Op. Cit., p. 32.
[13] Cet accord offrait une protection jamais vue jusqu’alors aux investisseurs étrangers privés. Ceux-ci pouvaient passer outre la justice locale, défier toute loi, mesure, politique ou décision gouvernementale dont les effets seraient jugés néfastes à ses investissements.
[14] Eric Rydberg, Op Cit., p.33..
[15] C’est-à-dire, la mise en place de marchés régionaux ou sous-régionaux qui présentent l’avantage de lier des pays de force économique et commerciale plus ou moins égale. Ces accords intra-régionaux permettent en général aux pays concernés de mieux se protéger, de se renforcer mutuellement, de se pourvoir d’instruments nécessaires à leur industrialisation et à un développement socio-économique viable et de pouvoir plus facilement résister aux diktats des IFIs en jouissant entre autres, d’une plus large autonomie dans l’élaboration de leurs politiques économiques.
[16] A l’intérieur de ces zones coexistent des pays au développement fort inégal avec des régimes commerciaux différents entre les PMA, qui n’ont rien à gagner de la signature d’un APE (cf. Initiative « Tout sauf des armes), et des non-PMA qui, s’ils ne signent pas,se voient menacés par la Commission d’un accès plus ardu au marché européen pour leurs productions.
[17] Ces accords continuent à imposer à 90% la libéralisation des marchandises et induisent donc une perte sèche pour les Etats ACP due à la disparition des recettes fiscales provenant des droits de douane.
[18] Cette déclaration est le produit de la réunion des organisations de la société civile africaine réunies à Maputo (Mozambique) à l’occasion du 4e Sommet des Chefs d’Etats ACP.
[19] Cette rencontre des peuples d’Afrique et d’Europe a eu lieu parallèlement à une réunion organisée à Lisbonne entre les dirigeants africains et européens ayant comme principal point à leur ordre du jour la définition du cadre structurant du « Partenariat stratégique Afrique-UE ».
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