Série : Questions/Réponses sur les BRICS 2025 (Partie 3)

Les BRICS sont les nouveaux défenseurs du libre-échange, de l’OMC, du FMI et de la Banque mondiale

Ils ne proposent pas une alternative de financement et de commerce pour le Sud global

17 septembre par Eric Toussaint


Le président russe Vladimir Poutine lors d’une séance photo collective des chefs de délégation au 16e sommet des BRICS à Kazan. De gauche à droite : le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, le président chinois Xi Jinping. De droite à gauche : le ministre des Affaires étrangères du Brésil, Mauro Vieira, le président iranien, Masoud Pezeshkian, le président des Émirats arabes unis, Cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan, et le Premier ministre indien, Narendra Modi. Author : Sergey Bobylev Source : Photohost agency brics-russia2024.ru Location : Kazan, Republic of Tatarstan, Russia

Les BRICS+ sont une coalition hétéroclite rassemblant 10 pays (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud auxquels se sont ajoutés en 2024 l’Égypte, les Émirats Arabes Unis, l’Éthiopie, l’Indonésie et l’Iran) dont certains sont directement alliés aux États-Unis.

Face à l’offensive de Donal Trump à propos des tarifs douaniers, les pays membres des BRICS+ négocient en ordre dispersé. Il n’y a aucune tentative de leur part de faire bloc. Face aux attaques de Trump, la Chine et l’Inde se rapprochent et entretiennent d’importantes relations commerciales avec la Russie mais ces pays ne fonctionnent pas en bloc ni avec les deux autres membres fondateurs des BRICS, à savoir le Brésil et l’Afrique du Sud, ni en tant que BRICS+.

Alors que les 10 pays membres des BRICS+ représentent la moitié de la population mondiale, 40% des ressources fossiles d’énergie, 30% du produit intérieur mondial et 50% de la croissance, ils ne proposent pas de mettre en œuvre un modèle de développement différent.

Les dirigeants des BRICS soutiennent le mode de production capitaliste qui nous a menées au désastre écologique actuel. Les BRICS sont favorables au maintien de l’architecture financière internationale (avec le FMI et la Banque mondiale en son centre) et commerciale internationale (OMC, traités de libre-échange…) telle qu’elle existe.



 Que proposent les BRICS au niveau du système financier international ?

Alors que les 10 pays membres des BRICS+ représentent la moitié de la population mondiale, 40% des ressources fossiles d’énergie, 30% du produit intérieur mondial et 50% de la croissance, ils ne proposent pas de mettre en œuvre un modèle de développement différent

Les BRICS BRICS Le terme de BRICS (acronyme anglais désignant Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a été utilisé pour la première fois en 2001 par Jim O’Neill, alors économiste à la banque Goldman Sachs. La forte croissance économique de ces pays, combinée à leur position géopolitique importante (ces 5 pays rassemblent près de la moitié de la population mondiale sur 4 continents et près d’un quart du PIB mondial) font des BRICS des acteurs majeurs des activités économiques et financières internationales. + considèrent que le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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doit rester au centre du système financier international.
Dans la déclaration finale du sommet que les BRICS+ ont tenu à Rio de Janeiro (Brésil) début juillet 2025, ils écrivent au point 11 :

« Le FMI doit rester doté de ressources suffisantes et mobilisables rapidement, au cœur du Réseau de sécurité financière mondiale (RSFM), afin de soutenir efficacement ses membres, en particulier les pays les plus vulnérables. » [1]

Ils apportent aussi leur soutien à la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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. Ils affirment au point 12 de leur déclaration qu’ils veulent augmenter la légitimité de cette institution. Or, depuis leur fondation, la Banque mondiale et le FMI mènent, depuis leur fondation, une politique contraire aux intérêts des peuples et des équilibres écologiques.

Les BRICS se contentent de demander une meilleure représentation des pays dits en développement au sein du FMI et de la Banque mondiale. C’est tout. Comme l’ont démontré de nombreux auteurs et le CADTM, la Banque mondiale, tout comme le FMI imposent une sous-représentation anti démocratique des pays dits en développement et un mode de gouvernement favorables aux intérêts des grandes puissances économiques et des grandes entreprises privées.

Dans la déclaration finale, les BRICS n’expriment aucune critique à l’égard des politiques néolibérales que les deux institutions de Brettons Woods s’activent à faire appliquer. A aucun moment ils ne remettent en cause les dettes que ces institutions réclament aux pays endettés.
Cette position des BRICS en faveur du FMI et de la BM va à l’encontre des intérêts des peuples et des positions des mouvements sociaux ou/et altermondialistes (voir plus loin dans la série Q/R sur les BRICS, la partie sur le soutien des BRICS au sauvetage par le FMI du gouvernement d’extrême droite de Milei en Argentine).

 Quelle est la position des BRICS+ à l’égard de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ?

Les BRICS+ n’émettent aucune critique à l’égard des politiques néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui font appel à leurs crédits

Les BRICS sont devenus les principaux avocats de l’OMC OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
qui est paralysée suite à l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
du président Trump au cours de son premier mandat. Dès 2017, l’administration Trump a refusé de nommer de nouveaux juges pour faire partie de l’organe d’appel (Appellate Body) de l’OMC. Cette sorte de “cour suprême” du commerce international tranche les litiges entre États une fois qu’un premier panel a statué. Comme cet organe est bloqué depuis 2017, l’OMC est mise hors d’état de fonctionner.

Au point 13 de la déclaration de Rio de juillet 2025, les BRICS+ affirment leur soutien aux règles de l’OMC et déclare que l’OMC doit être en cœur du système commercial mondial. Les BRICS+ affirment :

« Nous soulignons que l’OMC, qui célèbre son 30e anniversaire, reste la seule institution multilatérale dotée du mandat, de l’expertise, de la portée universelle et de la capacité nécessaires pour mener des discussions sur les multiples dimensions du commerce international, y compris la négociation de nouvelles règles commerciales. » [2]

Rappelons que les mouvements sociaux, la Via Campesina et le mouvement altermondialiste (le mouvement contre la globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
capitaliste néolibérale) ont systématiquement critiqué et dénoncé l’OMC pour son rôle néfaste car son action va à l’encontre des intérêts des travailleureuses, des paysannes, des économies locales et de la Nature (voir encadré sur l’OMC).

Encadré : Pourquoi l’action de l’OMC est-elle négative ? Pourquoi faut-il s’y opposer ?

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui compte 166 pays membres est entrée en activité en 1995 et cherche à mettre fin à toutes les barrières que les États pourraient mettre en place pour protéger leurs producteurices locauxales.

Or, contrairement à ce que veut l’OMC, les barrières douanières devraient servir par exemple à protéger les petites exploitations paysannes, les petites et moyennes entreprises ou/et les entreprises publiques, qui pour différentes raisons ne sont pas en mesure de répondre à la compétition que représente les produits exportés par les économies plus avancées technologiquement. Les protections douanières peuvent aussi servir à protéger les entreprises locales de la concurrence que constitue l’importation de produits exportés par les économies où les salaires sont plus bas à cause d’une surexploitation du Travail. Il peut s’agir aussi de protéger les économies dites en développement de l’invasion de marchandises provenant des pays qui subventionnent leurs productions nationales, notamment celles destinées à l’exportation. On sait que les grandes puissances économiques comme celle d’Amérique du Nord ou d’Europe occidentale n’hésitent pas à subventionner largement leurs grandes entreprises en contournant les régles de l’OMC alors qu’elles ont contribué à les établir.

A travers l’accord général sur le commerce des services, l’OMC favorise fortement la privatisation des services publics (eau, santé, éducation, transports, etc.), ce qui augmente la domination des multinationales et la marginalisation des petites structures locales. L’OMC joue aussi un rôle clé dans la défense des droits de propriété intellectuelle à travers l’Accord sur les ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce / TRIPS en anglais) y compris dans des domaines sensibles comme les médicaments, les semences, ou les technologies. On a vu dans le cas des vaccins anti-Covid, que l’OMC, sous la pression des grandes puissances et des multinationales pharmaceutiques, a refusé de suspendre ces règles, ce qui a freiné l’accès des pays pauvres aux vaccins. Concernant les variétés végétales, l’OMC a été l’instrument catalyseur qui a permis d’imposer un standard strict de droits de propriété intellectuelle et privatisation du vivant dans le domaine agricole à l’échelle mondiale, au détriment des droits des petits paysan-nes et de la souveraineté semencière des pays. L’OMC collabore avec le FMI et la BM et les trois institutions agissent comme un trio qui promeut des politiques favorables aux multinationales et impose une orientation des économies du Sud vers plus d’intégration dans le marché mondial et par conséquent l’accentuation de leur dépendance économique, financière et alimentaire.

Si on se place du point de vue de l’intérêt des peuples, il faut que les pays (ou les groupes de pays) mènent des politiques contre les règles de l’OMC afin de renforcer leur production locale pour satisfaire les besoins du marché intérieur. Il s’agit ainsi de répondre aux besoins de leur population, notamment en subventionnant les producteurices locauxales. Contre les règles de l’OMC, il faut que les pays puissent protéger leurs services publics, leurs entreprises publiques contre la concurrence étrangère. Dans le passé toutes les économies qui ont réussi une diversification industrielle et une souveraineté alimentaire l’ont fait en protégeant leur marché intérieur de la concurrence.

Rappelons que la Grande Bretagne n’est devenue libre échangiste que dans la seconde moitié du 19e siècle que lorsqu’elle a atteint un niveau suffisant d’avancée technologique pour résister à la concurrence. Avant cela, la Grande Bretagne a été très protectionniste et a protégé systématiquement son industrie locale (voir les travaux de Paul Bairoch et de nombreux autres auteurs). Il en a été de même pour les Etats-Unis qui ne sont devenus timidement libre échangiste que dans l’après seconde guerre mondiale lorsque leurs industries ont atteint une importante avancée technologique. De même pour la Corée du Sud dans les années 1960- 1970 (lire : Éric Toussaint, « La Corée du Sud et le miracle démasqué » [3], https://www.cadtm.org/La-Coree-du-Sud-et-le-miracle-demasque ). Même chose pour le Japon du 19e siècle à la seconde moitié du 20e siècle. De même que la Chine qui a fortement protégé son marché et soutenu ses industries jusqu’à conquérir un avantage de compétitivité qui l’amène aujourd’hui à devenir une grande avocate du libre-échange.

Si Trump est aussi protectionniste et aussi agressif en matière de droits de douane, c’est que l’économie des Etats-Unis a perdu énormément en compétitivité et que sur le marché mondial et sur le marché intérieur les industries locales ne sont plus en mesure de répondre à la concurrence des produits chinois et d’autres pays. Cette évolution provoque la paralysie de l’OMC notamment parce que Trump lors de son premier mandat (suivi par Biden) n’a pas désigné de juges des Etats-Unis pour compléter le tribunal de l’OMC, ce qui bloque son fonctionnement.

Croire à gauche qu’au nom du multilatéralisme, il serait bon de relancer l’OMC est une erreur. Il ne faut pas accepter l’orientation pro-OMC des BRICS+. Cette orientation des BRICS+, en particulier soutenue par la Chine, le Brésil, les Émirats Arabes Unis, coïncide également à la volonté de multiplier des traités de libre commerce qui vont à l’encontre des producteurices locauxles et favorisent les intérêts des grandes entreprises transnationales (principalement du Nord mais aussi certaines du Sud). La Chine multiplie les signatures de Traités de libre commerce, le Brésil veut aboutir à la ratification du traité de libre commerce MERCOSUR Mercosur Le Mercosur est une zone régionale de coopération économique du Cône Sud (marché du Cône Sud) qui rassemble le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay, en plus de plusieurs pays associés, le Chili, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Suriname, le Guyana et le Pérou. -Union européenne alors que les mouvements sociaux en Europe et dans le MERCOSUR s’y opposent.

A l’opposé des traités de libre commerce, il faut promouvoir des accords entre groupes de pays qui cherchent ensemble comment mettre en pratique des politiques économiques, sociales et culturelles qui favorisent la satisfaction de de droits humains dans le respect de la Nature avec comme priorité la justice sociale et environnementale. Ces accords doivent inclure le commerce dans un ensemble plus large basé sur les principes de solidarité et de complémentarité. Augmenter le commerce n’est pas un but en soi, loin de là. Promouvoir des échanges non commerciaux doit devenir une priorité : échange de savoirs, transfert gratuit de technologie et de savoir-faire, réparations, restitution de bien mal acquis…

Il faut que les pays puissent protéger l’environnement, la biodiversité en imposant des règles strictes pour stopper la surexploitation des ressources naturelles le saccage du milieu naturel.

Soulignons que l’OMC a refusé en 2022 de soutenir la proposition soutenue par plus d’une centaine de pays du Sud de lever l’application des brevets sur les vaccins. Il s’agissait de permettre leur fabrication à grande échelle pour protéger les populations victimes de la pandémie.

Dans la déclaration finale de Rio des BRICS+ qui est longue d’une quarantaine de pages et contient 126 points, nulle part, il n’est demandé de suspendre l’application des brevets pour la production de vaccins. Or ces brevets favorisent les intérêts particuliers des grandes entreprises privées pharmaceutiques dont la principale motivation est la recherche des profits maximums.

Pour comprendre cette position des BRICS+, il faut avoir en tête que la Chine a pris l’avantage sur les États-Unis et sur l’Europe en termes de production et de commerce tant au niveau des coûts que de la productivité et des avantages technologiques dans un nombre importants de secteurs. La Chine est devenue une fervente avocate du libre-échange, des traités de libre commerce, des règles de l’OMC, de la libre concurrence tandis que les États-Unis, l’UE, la GB, le Canada, sont devenus de plus en plus protectionnistes [4]. Les autres BRICS suivent la Chine.
Au nom du respect des règles de l’OMC, les BRICS+ dénoncent les mesures protectionnistes, les sanctions commerciales prises par les Etats-Unis et par les puissances européennes. Bien sûr, la Russie et l’Iran qui sont directement visés par des sanctions sont très favorables au discours libre échangiste, anti protectionniste et anti-sanctions (voir notamment le point 14 de la déclaration finale).

Les BRICS sont devenus les principaux avocats de l’OMC qui est paralysée depuis le premier mandat de Trump

En plus, les gouvernements d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale, qui sont entrés en guerre commerciale avec la Chine, ont abandonné le discours et les actions en faveur de la globalisation qu’ils avaient présentée comme une voie royale vers la prospérité pendant la période qui va des années 1990 au milieu des années 2010. A cette période, de 1997 à 2013, la Russie avait été invitée par le G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. (Etats-Unis, Canada, Japon, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie) à ses réunions. Du coup, le G7 a été rebaptisé G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. pendant toute cette période. La Chine, de son côté, était considérée par les Etats-Unis comme un partenaire économique et commercial intéressant (voir Benjamin Bürbaumer, Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
, La Découverte, Paris, 2024, 302 pages).

Les BRICS sont aussi les principaux avocats de la globalisation/mondialisation capitaliste elle-même en pleine crise

Maintenant, les BRICS sont devenus les principaux avocats de la globalisation/mondialisation capitaliste, elle-même en pleine crise. Au point 8 de la déclaration finale du sommet de Rio 2025, ils affirment :

« Nous reconnaissons que la multipolarité peut élargir les possibilités pour les pays en développement et les marchés émergents (PDME) de développer leur potentiel constructif et de bénéficier d’une mondialisation et d’une coopération économiques universellement avantageuses, inclusives et équitables. » [5]

Au point 43 de la déclaration, on peut lire :

« Nous réaffirmons l’importance de veiller à ce que les politiques commerciales et de développement durable soient mutuellement bénéfiques et conformes aux règles de l’OMC. » [6]

 Conclusions

Les BRICS+ ont déclaré qu’ils veulent renforcer les capacités financières du FMI et augmenter la légitimité de la Banque mondiale

L’élargissement des BRICS en 2024 (BRICS+) a fait naître des attentes quant à leur capacité à proposer une alternative au système économique mondial dominé par les puissances impérialistes traditionnelles sous le leadership des Etats-Unis. Pourtant, malgré leur poids démographique et économique — près de la moitié de la population mondiale, 40 % des ressources fossiles, 30 % du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
mondial et 50 % de la croissance —, les BRICS+ ne cherchent pas à rompre avec l’architecture néolibérale internationale.

Sur le plan financier, la déclaration finale du sommet de Rio (juillet 2025) réaffirme le rôle central du FMI et de la Banque mondiale, les BRICS+ se limitant à revendiquer une meilleure représentation des pays en développement sans remettre en cause les politiques d’ajustement structurel, les dettes imposées ou l’orientation néolibérale de ces institutions. Concernant le commerce, les BRICS+ défendent l’Organisation mondiale du commerce (OMC), paralysée depuis le blocage américain initié par Donald Trump en 2017. Ils en soulignent la légitimité et souhaitent la placer au cœur du système commercial mondial, sans critiquer ses effets néfastes sur les économies locales, les droits sociaux ou l’environnement.

Dans la pratique, la Chine, appuyée par d’autres membres, multiplie les traités de libre-échange et promeut une mondialisation capitaliste fondée sur le libre-échange, alors même que les anciennes puissances du Nord virent désormais vers le protectionnisme. Ainsi, loin de représenter un contre-modèle, les BRICS+ se présentent comme les nouveaux défenseurs d’un système capitaliste mondialisé en crise, au détriment des mouvements sociaux et des alternatives fondées sur la justice sociale, la souveraineté économique et la protection écologique.
En soutenant le FMI, la Banque mondiale et l’OMC, ils s’inscrivent dans la continuité du néolibéralisme globalisé plutôt que d’en proposer une alternative. Cette posture traduit une volonté d’accroître leur influence à l’intérieur des institutions dominantes, sans rompre avec leurs logiques destructrices pour les peuples et la planète.

Loin de représenter une chance d’émancipation pour les pays du Sud, les BRICS+ apparaissent comme des partenaires de la gestion d’un capitalisme en crise qui a entraîné la planète vers la catastrophe écologique, vers une accentuation des conflits armés et une aggravation massives des crimes contre l’Humanité. Face à cela, il revient aux mouvements sociaux et altermondialistes de continuer à porter des propositions alternatives : protection des biens communs, solidarité entre peuples, souveraineté économique, bifurcation écologique et justice sociale.

L’auteur remercie pour leur relecture et pour leurs conseils Omar Aziki, Sushovan Dhar, Jawad Moustakbal et Maxime Perriot. L’auteur est entièrement responsable des opinions qu’il exprime dans ce texte et des erreurs éventuelles qu’il contient.


Notes

[1Engl. : 11. “the International Monetary Fund (IMF) must remain adequately resourced and agile, at the center of the global financial safety net (GFSN), to effectively support its members, particularly the most vulnerable countries.” https://dirco.gov.za/rio-de-janeiro-declaration-strengthening-global-south-cooperation-for-a-more-inclusive-and-sustainable-governance-rio-de-janeiro-brazil-6-july-2025/
Esp. : 11. “FMI debe permanecer con recursos adecuados y ágil, en el centro de la Red de Seguridad Financiera Global (RSFG), para apoyar efectivamente a sus miembros, particularmente los países más vulnerables  » https://noticiaspia.com/declaracion-final-de-la-cumbre-del-brics-en-brasil/
Pt. : 11. «  o FMI deve permanecer com recursos adequados e ágil, no centro da Rede de Segurança Financeira Global (RSFG), para apoiar efetivamente seus membros, particularmente os países mais vulneráveis.  » https://www.gov.br/mre/pt-br/canais_atendimento/imprensa/notas-a-imprensa/declaracao-de-lideres-do-brics-2014-rio-de-janeiro-06-de-julho-de-2025

[2Esp. «  Enfatizamos que la OMC, en su 30º aniversario, continúa siendo la única institución multilateral con el mandato, la expertise, alcance universal y capacidad para liderar discusiones sobre las múltiples dimensiones del comercio internacional, incluyendo la negociación de nuevas reglas comerciales.  »
English : «  We emphasize that the WTO, at its 30th anniversary, remains the only multilateral institution with the
necessary mandate, expertise, universal reach and capacity to lead on the multiple
dimensions of international trade discussions, including the negotiation of new trade
rules  »
Pt : «  Enfatizamos que a OMC, em seu 30º aniversário, continua sendo a única instituição multilateral com o mandato, a expertise, alcance universal e capacidade para liderar discussões sobre as múltiplas dimensões do comércio internacional, incluindo a negociação de novas regras comerciais.  »

[3Éric Toussaint, «  La Corée du Sud et le miracle démasqué  », CADTM, publié le 10 avril 2024, https://www.cadtm.org/La-Coree-du-Sud-et-le-miracle-demasque

[4Il y a bien sûr des exceptions notamment quand l’UE maintient son avantage dans ses rapports avec des partenaires commerciaux moins avancés par exemple avec des pays d’Afrique elle reste favorable aux accords de libre commerce.

[5Esp. : «  8. Reconocemos que la multipolaridad puede ampliar las oportunidades para que los Países en Desarrollo y Mercados Emergentes (PDME) desarrollen su potencial constructivo y se beneficien de una globalización y cooperación económicas universalmente ventajosas, inclusivas y equitativas.  »
Pt. : «  8. Reconhecemos que a multipolaridade pode ampliar as oportunidades para que os Países em Desenvolvimento e Mercados Emergentes (PDME) desenvolvam seu potencial construtivo e se beneficiem de uma globalização e cooperação econômicas universalmente vantajosas, inclusivas e equitativas.  »
En. : “8. We acknowledge that multipolarity can expand opportunities for EMDCs to develop their constructive potential and enjoy universally beneficial, inclusive and equitable economic globalization and cooperation.”

[6Esp. : “43. Reiteramos la importancia de asegurar que políticas de comercio y desarrollo sostenible sean mutuamente beneficiosas y alineadas con las reglas de la OMC.”
EN. “43. We reiterate the importance of ensuring that trade and sustainable development policies are mutually supportive, and aligned with WTO rules.”

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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