Argentine. Considérations sur l’échange de dette et ses implications
27 juin 2010 par Claudio Katz , Julio C. Gambina , Eduardo Lucita , Jorge Marchini , Alejandro Olmos Gaona , Guillermo Almeyra , Guillermo Gigliani , José Castillo , Alberto Teszkiewicz
Le gouvernement est prêt à concrétiser l’échange avec les détenteurs de titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
qui n’ont pas accepté l’offre de 2005 [1]. L’opération est célébrée par les milieux financiers, décrite en termes élogieux par les partisans du gouvernement [2], et approuvée par l’opposition de droite. Cependant, cette transaction, très onéreuse pour le pays et contraire aux intérêts publics, rouvre une négociation qui était formellement conclue et interdite. Ce processus arbitraire ne s’appuie sur aucune donnée crédible à propos de l’état des comptes publics.
Pour celles et ceux qui souscrivent à cette déclaration, il s’agit d’un échange néfaste.
Une fois de plus
Cet échange est une nouvelle émission de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
pour remplacer les vieux passifs dévalorisés avec la cessation de paiements (default) qui a duré de fin 2001 à 2005. Un échange de titres qui a déjà eu lieu à plusieurs reprises pour restructurer la dette. Cette fois cependant, l’opération est plus funeste puisqu’elle concerne les détenteurs de bons qui ont refusé l’échange de 2005 et dont le gouvernement avait promis qu’ils resteraient à l’avenir privés de tout remboursement. Le Parlement s’est même empressé d’abroger la « loi de verrouillage » (ley cerrojo [3]) pour rouvrir la transaction, violant le sacro-saint garde-fou de la sécurité juridique.
Cet échange est une fois de plus une très bonne affaire pour les banques qui préparent depuis plusieurs années un échange de titres qui leur rapporte d’énormes profits, en tant qu’opérateurs intermédiaires. Elles ont commencé à monopoliser ces bons lorsqu’ils valaient sur le marché 8 centimes par dollar (càd qu’ils se vendaient à 8% de leur valeur initiale), en pariant qu’ils atteindraient le cours actuel de 45 centimes. A la manière de ce qui se produit depuis deux siècles, un groupe de lobbyistes (Marcelo Etchebarne, Hans Joerg Rudlof et Caio Koch Wesser) a arpenté les couloirs officiels et préparé l’échange avec les fonctionnaires en place. Si un juge voulait enquêter sur les anomalies de la dette argentine, il aurait tous les éléments pour étudier les responsabilités dans ce type d’opérations.
Cette affaire est entre les mains de seulement trois banques (Citi, Deutsche et Barclays) qui se sont emparées des bons dépréciés par la cessation de paiements et revalorisés par l’offre du gouvernement. Les irrégularités sont innombrables. Barclays exerce à la fois le rôle de conseiller de l’État et de représentant des détenteurs de titres de la dette, ce qui est inadmissible. En outre, cette banque finance la compagnie britannique Desire Petroleum qui explore le pétrole des Malouines [4]. Alors que l’on vote des lois pour pénaliser les entreprises qui participent à cette déprédation coloniale, l’État engage un artisan de ce pillage.
L’opération séduit à nouveau les créanciers grâce à des concessions honteuses. Pour obtenir un haut pourcentage d’adhésion, on offre un paiement additionnel sur les intérêts produits depuis l’échange précédent, récompensant ainsi la non-acceptation du cadre de négociation antérieur, alors qu’elle devait normalement être sanctionnée. Les discussions sur le sujet ne sont pas closes mais les créanciers pourraient se voir accorder des incitations liées à la croissance du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
. Il y a cinq ans, ces mesures ont été justifiées par l’incertitude d’une économie en ruine, aujourd’hui, elles sont en réalité un simple cadeau.
Selon les premiers calculs, l’échange rapportera aux détenteurs de titres un bénéfice d’un milliard de dollars. Ce chiffre explique l’euphorie des marchés, l’appétit que suscitent les bons argentins et la diminution du « risque pays ». De plus, tout indique que les commissions des intermédiaires seront plus importantes qu’en 2005. On fait valoir que ces commissions « ne seront pas supportées par l’Etat, mais par les détenteurs de bons », alors que tout l’échange des titres de la dette argentine est payé avec des fonds publics, ce qui fait augmenter au final la dette publique.
Pour dissimuler ce préjudice, le ministre de l’Économie s’est déclaré vainqueur face aux fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
(« nous les avons isolés et nous leur avons ôté leur capacité de nuisance »). En réalité, seuls les spéculateurs marginaux sont restés hors du ring. Les principaux vautours sont les grandes banques qui ont monopolisé des titres et à qui le gouvernement a donné son blanc-seing pour régler l’affaire.
Une justification inutile
L’objectif de l’échange est d’éliminer l’obstacle qui empêche un règlement des obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
en suspens avec le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, ce qui favoriserait une certaine cohabitation avec le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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. Cette succession de mesures est présentée comme une « normalisation » de la situation financière internationale, qui laisserait en arrière le cauchemar du « default ». En choisissant cette voie, le gouvernement rend le pays coupable de son passé et occulte le fait que les financiers ont été les principaux responsables de ces désastres. Comme la consigne du moment est « de retourner au marché international », on dissimule la responsabilité primordiale des spéculateurs dans la cessation de paiements.
Sous couvert de patriotisme, on reprend le discours néo-libéral et on appelle à être « crédibles et fiables », c’est-à-dire à être des payeurs ponctuels d’échéances qui profitent aux banquiers. À nouveau, le paiement de la dette est considéré comme naturel et l’on oublie que l’Argentine a été escroquée à plusieurs reprises par les groupes financiers. Dans ces conditions, proposer de ne pas payer ou exiger une enquête sur la légitimité de la dette est considéré comme « démagogique » et « irréaliste », alors que respecter les engagements passés avec les spéculateurs est synonyme de sérieux. Il faut à nouveau être attentif à l’« attitude des marchés » et se réjouir s’ils approuvent les initiatives officielles.
La dernière nouveauté est que le paiement de la dette est devenu un « projet progressiste ». Traditionnellement, les gouvernements accomplissaient cette obligation en silence et en dissimulant ses conséquences pour le pays. Maintenant, on le revendique avec des justifications grandiloquentes. On affirme qu’il permet de « récupérer de l’autonomie », alors qu’il est évident que l’accroissement des engagements externes génère la dépendance. Le même argument fut utilisé pour payer de manière anticipée l’intégralité du passif Passif Partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (capitaux propres apportés par les associés, provisions pour risques et charges, dettes). avec le FMI. Avec ce paiement incroyable, le désendettement promis s’est transformé en un nouveau cycle d’endettement.
L’opération en cours est totalement inutile, et les fonds requis pour mener une politique économique visant une meilleure distribution des revenus peuvent tout à fait être réunis en mobilisant l’épargne intérieure. En tant qu’Economistes de gauche, nous soutenons que cet autofinancement est tout à fait possible, à condition de suspendre les paiements actuels de la dette, de freiner la fuite de capitaux, d’instaurer le contrôle des changes et un monopole étatique du commerce extérieur. Certes, l’excédent fiscal a été radicalement réduit, mais il est possible de neutraliser ce trou en revoyant, en plus des services de la dette, l’autre grande rubrique : les subventions aux grandes entreprises, lorsqu’on ne les paiera plus sur base de déclarations sur l’honneur.
Pour nous, c’est également le moment de couvrir les insuffisances fiscales grâce à une réforme de l’impôt progressive, qui grève en premier lieu les revenus extraordinaires qui en ont été exemptés, notamment les revenus financiers, et qui s’appuie sur ceux qui ont une plus grande capacité contributive. Cette sanction doit immédiatement être étendue aux secteurs de l’industrie minière et du pétrole, en même temps que les contributions des grandes entreprises doivent être doublées.
Mais comme le confirme la discussion récente sur la réforme de la loi sur le chèque (ley del Cheque [5]), il ne semble pas exister la moindre intention de la part des partis majoritaires d’aborder le problème en ces termes. Au lieu d’imposer davantage les riches, on recourt à l’endettement qui tant de fois par le passé a ruiné l’Argentine.
Prétextes et chimères
Les partisans de la restructuration de la dette (« canje ») affirment que la situation a changé de manière significative, loin de l’état d’asphyxie qui prévalait dans les années 80 et 90. C’est un point discutable, et même en admettant que ce soit le cas, cela ne ferait que confirmer combien un retour à l’endettement est inutile.
Il est vrai que l’ensemble de la dette contractée par le secteur public est passée de 139% du PIB (2003) à 49,1% (2009). La dette, qui dépassait alors les réserves de 722%, a été réduite et atteint à l’heure actuelle les 120%. On note également une diminution des engagements externes exprimés en pourcentage des exportations, de 296% en 2003 à 81% en 2009. Mais ces chiffres que les économistes de l« officialisme » (c’est-à-dire ceux qui soutiennent le gouvernement) brandissent triomphalement doivent être nuancés. S’ils reflètent une réduction de l’endettement, c’est en regard de son point culminant. Les chiffres de la dette en pourcentage du PIB sont identiques à ceux qui prévalaient au milieu des années 90, même en tenant compte de la différence de composition des produits respectifs et de leur valeur. L’augmentation du ratio réserves/endettement éloigne le risque de défaut de paiement du futur immédiat, mais ne l’élimine pas. La durée de vie moyenne de la dette est passée de 6,9 ans à 12,7 ans, mais ce qui compte, c’est le service du capital et des intérêts arrivant à échéance cette année et les années suivantes. En outre, après la restructuration de la dette en 2005, le cycle d’endettement a redémarré.
Il n’est pas inutile de rappeler que ces changements se sont produits suite à l’effondrement catastrophique de 2001, qui a entraîné la dévalorisation de tous les actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
et passifs de l’économie nationale. La réduction de la dette n’est pas due à la restructuration de 2005 ou aux astuces du négociateur Lavagna ; elle a été financée en majorité par le peuple. Les dettes ont été contractées suite à la dévaluation
Dévaluation
Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres.
, à la « pesification » (conversion du dollar en pesos) asymétrique des bilans, à l’expropriation des petits épargnants, au chômage et à la pauvreté. Il est nécessaire de se rappeler qui a fait les frais de cette restructuration afin d’éviter la reprise d’un cycle d’endettement.
Certains économistes affirment que le pays « n’a pas de difficultés de paiement », que la dette conserve « un caractère soutenable », qu’elle ne « freine plus le développement de l’économie ». Si ce diagnostic était vrai, cette restructuration n’aurait aucun sens. Il n’y aurait aucune raison de mettre en place un refinancement dont on pourrait si facilement se passer. D’autres estiment que l’emprunt est nécessaire et que cette fois-ci « il ne sera pas onéreux » pour le pays. Au contraire, ils affirment qu’il permettra de réduire le taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
qui pèse sur toute l’économie. Cependant, tous les calculs indiquent que ce taux se situerait bien au dessus de la moyenne internationale et, par conséquent, le paiement des futures échéances serait revu à la hausse. En réalité, même si la dette, malgré son coût annuel (qui avoisine actuellement les 10% du budget national) et les futures échéances, ne tend pas à reproduire la situation explosive de 2001 (on ne prévoit pas de défaut de paiement à court terme), elle reste néanmoins un problème et chaque année des milliards de dollars qui auraient pu être utilisés à meilleur escient vont emplir les poches des grands spéculateurs.
Il suffit d’observer la situation dramatique que connaissent actuellement les pays de la périphérie européenne (Grèce, Portugal, Irlande et Islande) pour se rappeler la vulnérabilité des pays en développement dans le cas d’une crise financière internationale. L’Argentine, qui a déjà enduré les effets violents d’une crise précédente, n’est pas directement concernée par cet effondrement. Cependant un nouveau cycle d’endettement la rendrait vulnérable à de nouvelles secousses.
On affirme souvent que le taux d’endettement extérieur élevé par le passé (76% en 2003) a été remplacé par un passif plus facilement gérable en monnaie locale (46% du total). Mais l’histoire récente de nombreux pays tels que le Brésil indique que substituer une tyrannie financière étrangère par une tyrannie interne ne réduit pas les souffrances populaires. Un banquier local peut être plus impitoyable que son homologue étranger.
Conflits politiques et convergences de fond
La restructuration de la dette se met en œuvre après plusieurs mois de conflits intenses entre le gouvernement et l’opposition, incarnée par l’UCR (Union du Centre Démocratique), le PJ (Parti Justicialiste) dissident, le PRO (Proposition Républicaine) et la CC (Coalition Civique). Les deux secteurs sont d’accord pour relancer le cycle d’endettement, mais ils ont bataillé durement sur la façon de mettre en œuvre cette opération, et surtout sur l’institution politique qui serait choisie pour mener à bien la réconciliation avec les financiers.
Alors que les deux secteurs s’affrontaient farouchement au Parlement et dans les médias, ils bénissaient tous deux l’enthousiasme des marchés et ont approuvé l’audit réalisé par la SEC (l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
), portant sur l’ensemble de la transaction.
La droite approuve pleinement la restructuration de la dette, mais propose d’assortir l’endettement externe d’une réduction des dépenses publiques, pour mettre en place une version plus traditionnelle de l’ajustement néolibéral. C’est la droite qui a provoqué le conflit autour de la Banque Centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. , et elle a fini par perdre la bataille après avoir déployé pendant plusieurs mois une campagne pour « la protection des réserves ». Réserves gaspillées par la droite à chaque fois qu’il lui a été donné de gouverner.
Sous la sinistre bannière de l’« autonomie de la Banque Centrale », la droite a effectivement défendu la gestion de cette entité par les banquiers, en espérant que cet organisme continue à être contrôlé par une poignée de financiers et qu’il maintienne les réserves comme garantie du paiement des dettes. A cette fin, elle a revendiqué l’adoption d’une Charte organique, pour conférer à la BCRA (Banque Centrale de la République Argentine) des pouvoirs propres et une autorité supérieure à toute autre agence gouvernementale.
Comme lors des principaux conflits survenus au cours des précédents mois (loi sur les médias, la révision des droits de douane à l’exportation, réforme politique ou diffusion du football à la télévision), le gouvernement a de nouveau gagné la dispute. Ce conflit a cependant accaparé l’attention publique, occultant la convergence des deux partis à propos de la restructuration de la dette.
Cette convergence était pourtant déjà prévisible lorsque le paiement anticipé de la dette au FMI a été approuvé par le biais de décrets soi-disant nécessaires et urgents, désormais contestés. En 2005, l’exécutif avait utilisé ces mécanismes avec la pleine approbation de ses adversaires, qui ont toujours évacué le thème de la dette de leur rôle de gardiens républicains de la Constitution.
Cette même convergence a été constatée à propos de la restructuration, démentant l’impression que l’Argentine « a repris le débat politique ». Plutôt que de la reprise d’un vrai débat, il s’agit d’une comédie, d’un moyen de faire diversion. Ces faits illustrent précisément combien les controverses basées sur la forme occultent le fond. Les deux partis luttent avec acharnement pour imposer leur politique de paiement de la dette, sans jamais remettre en cause la légitimité de la poursuite de tels paiements.
Notre point de vue
Les changements des dernières décennies dans la composition de la dette publique (interne et externe) et des détenteurs de bons (intra-étatique, privée) ont rendu l’équation plus complexe. Cette complexité nous impose d’actualiser et de renouveler nos propositions pour créer une véritable alternative.
Selon nous, une première étape vers la construction d’un programme alternatif passe par la suspension unilatérale immédiate des paiements. La dette n’est plus, comme dans les années 80, dans les mains d’une poignée de banques, nominale et facilement traçable. Au contraire, elle se trouve sous des formes diverses de bons détenus par divers créanciers. Plusieurs travaux divergent sur le degré de concentration de ces obligations. Mais le simple fait que les trois banques en charge de la restructuration puissent assurer facilement des taux d’acceptation de 75% ou plus montrent qu’une quantité importante des obligations n’est plus dans les mains des détenteurs originaires, mais de ceux qui les ont acquis alors qu’elles étaient très dévaluées au moment de la crise post-2001. C’est en direction de ces grandes banques et des fonds « vautours » que nous proposons la suspension des paiements.
Nous reconnaissons que, dans le cas des obligations dont les détenteurs sont des retraités, des anciens combattants, des victimes du terrorisme d’Etat et des petits épargnants, il est nécessaire de reconnaître et d’honorer ces engagements. Nous proposons un recensement et les contrôles nécessaires à cet effet.
Nous considérons que la dette intra-étatique, en particulier celle de l’ANSES (Administration Nationale de la Sécurité Sociale), mais aussi d’autres organismes gouvernementaux et des provinces, mérite un examen particulier. Il faudra alors décider ce que deviendront les obligations et les lettres de change détenues par ces agences, mais la priorité est d’éviter la décapitalisation de l’ANSES. En ce sens, notre proposition implique également que les caisses de sécurité sociale ne soient plus les principales sources de financement du paiement du service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. .
En ce qui concerne la dette commerciale en cours (paiement des fournisseurs, engagements de travaux publics, etc), nous proposons un audit immédiat afin de faire la distinction d’une part entre la dette strictement commerciale et la dette financière, et d’autre part entre la fraude et les contrats légaux.
La deuxième étape est de procéder à une enquête, nécessaire afin de recréer la mémoire historique de ce qui s’est passé dans le pays pendant les années tragiques de la dictature. Elle est aussi importante que le procès des génocidaires. Elle doit servir à clarifier le sens des crimes commis par les militaires, en mettant en évidence la complicité et l’association des banquiers et des grandes entreprises dans ces crimes.
De plus, elle permettrait de faire précisément la lumière sur la manière dont les sociétés ont été contraintes d’emprunter pour financer la fuite des capitaux, et sur les bénéficiaires de la nationalisation de la dette. Pour nous, il est nécessaire de reprendre et d’approfondir l’enquête d’Alejandro Olmos qui a donné lieu en 2000 à la sentence du juge Ballesteros [6]. La présidente Cristina Fernández de Kirchner a affirmé qu’on ne peut pas revenir sur cette question parce que les traces de culpabilité se sont perdues au cours des différents processus d’échange de dette. Si on suivait cet argument, il faudrait alors refermer les procès des oppresseurs, où les preuves et les témoins sont restés secrets. En fait, l’enquête sur la dette est aussi imprescriptible que celle sur les crimes de la dictature, parce que les deux processus ont les mêmes causes.
Le gouvernement et l’opposition de droite sont d’accord pour refuser cette enquête car les responsabilités les plus importantes leur sont contemporaines et affectent les gouvernements constitutionnels. Rouvrir ce dossier serait un acte d’accusation contre l’UCR (Union civique radicale) et le PJ (Parti justicialiste) que le corps politique veut éviter car il démontrerait la complicité de fonctionnaires actuels et de chefs de l’opposition dans cette escroquerie.
Les principales irrégularités ont eu lieu dans les années 90 (Plan Baker [7], capitalisation de la dette en vue de la privatisation), et concernent aussi le « méga-échange » de la dette (Megacanje) et le « blindage » financier qui se sont produits en 2001, selon le jugement de Ballesteros rendu en 2007 dans une autre décision concernant Domingo Cavallo et Daniel Marx [8]. Un principe élémentaire d’ordre juridique voudrait que le gouvernement s’abstienne de toute nouvelle opération de restructuration, jusqu’à ce que la justice ait délivré un jugement sur la légalité de ces trois cas jugés par le tribunal fédéral n° 2.
Il faut rappeler qu’entre 1994 et 2001, 80% de l’augmentation de la dette et 75% du déficit budgétaire sont le résultat de la privatisation des cotisations de retraite.
Pour qu’il n’y ait pas d’enquête sur la dette, le parti au pouvoir et la droite ont plusieurs projets visant à lancer une enquête parlementaire qui ne porterait que sur le passé dictatorial. Dans d’autres cas, on entrave tout simplement la justice avec des comités qui ne mènent à aucun résultat et qui, surtout, essaient d’éviter toute réflexion sur le présent. Au contraire, pour nous, procéder aujourd’hui à une investigation sur la dette consiste à enquêter sur le comportement des gouvernements d’Alfonsin, Menem, De la Rua, Duhalde et Kirchner, sur le plan de restructuration de Lavagna de 2005 et sur les transactions présentes. Toute autre proposition d’enquête est un acte de cynisme.
Ce qui importe en ce qui concerne la dette, ce n’est pas seulement un chiffre et une série d’anomalies, mais de dévoiler les intérêts des capitalistes qui continuent à s’enrichir sur le dos de la majorité des citoyens. Il est donc absurde de séparer « l’aspect juridique » de la dette (que des avocats devraient étudier) de l’« aspect économique » de la restructuration de la dette (qui est entre les mains des banquiers). Ce type de dualités vide le contenu politique de l’enquête, cette dernière n’ayant alors d’autre intérêt qu’archéologique.
Notre proposition prévoit la création d’une commission d’enquête dotée des pleins pouvoirs, composée de personnalités du pays et de l’étranger au parcours irréprochable, et d’organisations populaires (politiques, syndicales, de défense des droits humains), à qui l’on assignera une échéance déterminée pour rendre publiques ses conclusions.
Toutes ces questions doivent s’articuler avec des initiatives importantes dans d’autres domaines. Le débat sur des initiatives complémentaires telles que l’utilisation des réserves est essentiel. En tant qu’Economistes de Gauche, nous soutenons qu’elles peuvent et doivent être utilisées pour encourager le développement des forces productives et le financement de projets qui ont un impact sur le développement national, en donnant la priorité à la création d’emplois.
Pour nous, il est essentiel d’avancer sur les questions de la réforme financière, de la nationalisation de la banque et de la relocalisation des réserves déposées à New York, et de promouvoir le développement d’une banque régionale et d’un fonds de stabilisation souverain de l’Amérique latine.
Voici tous les débats ouverts par le rejet du plan de restructuration de la dette, et la ligne de partage actuelle entre une rupture populaire et le retour du cauchemar de la dette.
Traduit et édité par Laetitia Chemin, Aitor Ibarrola, Angelique Sapolin, Virginie de Romanet, Laure Million, Stéphanie Jacquemont et Cécile Lamarque.
[1] L’échange de dettes de 2005 consistait à proposer aux créanciers privés, en échange des bons qu’ils détenaient (et sur lesquels l’Argentine était en défaut de paiement depuis fin 2001 pour un montant de 100 milliards de dollars), des titres de moindre valeur. Après de longues négociations conclues en février 2005, 76% d’entre eux ont accepté de renoncer à plus de 60% de la valeur des créances qu’ils détenaient. Cet accord a signifié la reprise des remboursements envers les créanciers privés. Le CADTM a critiqué cet accord car le gouvernement a fait trop de concessions notamment en garantissant un taux de rémunération de nouveaux bons bien trop élevé. Le CADTM était favorable au non paiement pur et simple sauf à l’égard des petits détenteurs de titres qui auraient pu être indemnisés (NDT).
[2] Le parti justicialiste ou peroniste est le parti au gouvernement actuellement en Argentine. Il s’agit d’un parti de tendance sociale-démocrate qui a été fondé par Domingo Perón après la seconde guerre mondiale. (NDT)
[3] La « ley cerrojo », approuvée en février 2005, exclut la possibilité d’entreprendre de nouvelles négociations, à partir du 25 février 2005, avec les détenteurs de titres de la dette qui n’ont pas accepté l’offre proposée début 2005. (NDT)
[4] Sur le conflit qui oppose la compagnie Desire Petroleum à l’Argentine, lire Julio C.Gamina, « Argentina. Petróleo y Malvinas en el debate por la soberanía », 23 février 2010, http://www.cadtm.org/Argentina-Petroleo-y-Malvinas-en (NDT)
[5] La réforme porte sur des modifications relatives à la co-participation à l’impôt, et à l’affectation de ces ressources à la Nation et aux provinces. (NDT)
[6] La Sentence prononcée par le juge fédéral Ballesteros, plus connue sous le nom de « sentence Olmos » du nom du journaliste argentin à l’origine de la plainte, porte sur l’endettement durant la période de la dictature. Suite à un audit des dettes, le juge a déterminé l’existence d’au moins quatre cent soixante-dix-sept délits liés à l’endettement extérieur au cours de la période. Le texte complet de la sentence est disponible en espagnol sur http://www.cadtm.org/Deuda-externa-de-la-Argentina (NDT)
[7] En 1985, à l’initiative du secrétaire d’état au Trésor James Baker, les États-Unis lancent le plan Baker qui reprend les prescriptions habituelles du FMI concernant l’ajustement et ajoute que seuls les pays « bien notés » seraient récompensés par de nouveaux prêts des banques privées et de la Banque mondiale. (NDT)
[8] Domingo Cavallo est nommé président de la Banque centrale à la fin de la dictature (durant 54 jours à partir du 2 juillet 1982). Il a occupé à deux reprises le poste de ministre de l’Economie par la suite. Une première fois entre 1991 et 1996 pendant la présidence de Menem, il a ancré la monnaie argentine au dollar et a développé un vaste programme de privatisations. La deuxième fois en 2001 sous le gouvernement dit de centre gauche De la Rua pour imposer une dose massue d’austérité à la majorité de la population comme le recommande le FMI. Daniel Marx a été secrétaire des Finances à trois reprises, pendant la présidence de Alfonsín, Menem et De La Rua. (NDT)
est économiste, chercheur au CONICET (Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas), professeur à l’Université de Buenos Aires, membre de l’EDI (Economistas de izquierda).. Il tient également un blog : katz.lahaine.org
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14 avril 2015, par Claudio Katz
3 février 2014, par Claudio Katz
15 juin 2013, par Claudio Katz , Mario Hernández
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President de la Fundación de Investigaciones Sociales y Políticas, FISYP, Buenos Aires. www.juliogambina.blogspot.com
ATTAC-Argentina - CADTM AYNA
3 février 2022, par Julio C. Gambina
19 janvier 2022, par Julio C. Gambina
25 octobre 2021, par Julio C. Gambina
12 octobre 2021, par Julio C. Gambina
24 septembre 2021, par Julio C. Gambina
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Profesor Titular de Economía de la Universidad de Buenos Aires. Coordinador para América Latina del Observatorio Internacional de la Deuda (OID-IDO) Investigador del Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales (CLACSO). Vicepresidente de la Fundación para la Integración Latinoamericana y colaborador del Centro Latinoamericano de Análisis Estratégico (CLAE, www.estrategia.la)
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