Les conflits géopolitiques pourraient exacerber la nouvelle crise de la dette internationale, qui atteint déjà un niveau record de 313 000 milliards de dollars, selon l’IFI

11 avril 2024 par Fátima Martín


« Origami money gun » by Dominik Meissner www.Orime.de is licensed under CC BY-NC-ND 2.0.

Les conflits géopolitiques, qui entraînent une forte augmentation des dépenses de défense, pourraient exacerber la nouvelle crise de la dette internationale, qui a déjà atteint un nouveau record de 313 000 milliards de dollars en 2023, selon le Global Debt Monitor, publié par l’Institut de la finance internationale (IFI) en février 2024 [1].



Selon ce récent rapport, la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
mondiale totale (des gouvernements, des sociétés financières et non financières et des ménages) a augmenté de plus de 15 000 milliards de dollars en 2023. Environ 55 % de cette augmentation provient des marchés dits « matures », principalement des États-Unis, de la France et de l’Allemagne. Dans les marchés émergents, l’accumulation de la dette s’est surtout concentrée en Chine, en Inde et au Brésil. Au total, les marchés matures ont accumulé 208 300 milliards d’USD de dette, soit 103 700 milliards d’USD de plus que les marchés émergents, qui ont atteint 104 600 milliards d’USD.

Par secteur, ce sont les gouvernements qui ont connu les plus fortes augmentations de la dette libellée en dollars, suivis par les sociétés non financières. Sur le total de la dette mondiale comptabilisée au quatrième trimestre 2023, quelque 94 400 milliards de dollars étaient détenus par des sociétés non financières, 89 900 milliards par les gouvernements, 69 400 milliards par le secteur financier et 59 300 milliards par les ménages.

La dette mondiale totale a augmenté de plus de 15 000 milliards de dollars en 2023. Environ 55 % de cette augmentation provient des marchés matures, principalement des États-Unis, de la France et de l’Allemagne

Le Global Debt Monitor de décembre de l’année pandémique 2020 mettait déjà en garde contre « l’assaut du tsunami de la dette ». À l’époque, la dette mondiale atteignait 233 000 milliards d’euros et nous nous demandions s’il existait des brise-lames face à un tel tsunami [2].

Lire aussi : Y a-t-il un brise-lames face au tsunami de la dette mondiale, qui arrive déjà à 365 % du produit brut mondial ?

L’OCDE OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.

Site : www.oecd.org
a également publié récemment son rapport sur la dette mondiale, intitulé Global Debt Report 2024 : Bond Markets in a High-Debt Environment [3] (Rapport sur la dette mondiale 2024 : les marchés obligataires dans un environnement très endetté). Elle estime que le ratio global dette/PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
dans l’OCDE augmentera légèrement cette année. Il prévoit également une augmentation de plus d’un point de pourcentage dans neuf pays, au premier rang desquels les États-Unis, où il devrait augmenter de trois points de pourcentage. En revanche, le ratio dette/PIB de 12 pays devrait diminuer de plus d’un point de pourcentage, notamment au Japon, au Portugal et en Espagne, où il devrait baisser de plus de cinq points de pourcentage.

En outre, le Rapport sur la dette mondiale 2024 de l’OCDE montre que le ratio dette/PIB en 2023 a dépassé les niveaux d’avant la pandémie d’environ cinq points de pourcentage en moyenne et de dix points de pourcentage dans l’ensemble de la zone OCDE. Il indique également que ce ratio est plus élevé dans 24 pays et qu’il a augmenté de plus de huit points de pourcentage dans tous les pays du G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. . Il note également que les ratios dette/PIB du Japon et des États-Unis ont augmenté de plus de 24 et 22 points de pourcentage, respectivement, depuis 2019. Au cours de la même période, les ratios dette/PIB ont diminué dans 14 pays, chutant de plus de dix points de pourcentage en Irlande, en Pologne, au Portugal et en Suède. Enfin, il précise que les ratios dette/PIB et leur évolution varient considérablement en fonction des différentes méthodes d’évaluation de la dette.

Larry Fink, PDG de BlackRock, met en garde contre la dette publique de son pays : « Aux États-Unis, la situation est plus urgente que ce dont je me souviens »

Le PDG de BlackRock, Larry Fink, met en garde contre le problème de la dette aux États-Unis dans son impudente Lettre annuelle aux investisseurs [4]. Une missive dans laquelle il remet en cause l’âge de la retraite à 65 ans (plus de la moitié des dix mille milliards de dollars d’actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
de BlackRock sont gérés pour la retraite) ; justifie par le « pragmatisme énergétique » son abandon du terme hypocrite ESG (investissement socialement responsable), face aux désinvestissements républicains (BlackRock a investi plus de 300 milliards de dollars dans des entreprises énergétiques traditionnelles et 138 milliards dans des stratégies de transition énergétique) ; et exalte les bienfaits du capitalisme pour... sortir les gens de la pauvreté !

Sous le titre « Debt Matters », le PDG du plus grand gestionnaire de fonds au monde, lanceur d’alerte mondial, met en garde contre la dette publique dans son pays : « Aux États-Unis, la situation est plus urgente que dans mes souvenirs », prévient-il. Il ajoute que « depuis le début de la pandémie, les États-Unis ont émis environ 11 100 milliards de dollars de nouvelle dette, et le montant n’est qu’une fraction de l’émission ». À cela s’ajoute le taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
que le Trésor doit payer sur cette dette : « Si les taux actuels se maintiennent, cela représenterait 1 000 milliards de dollars supplémentaires en paiements d’intérêts au cours de la prochaine décennie », calcule-t-il.

Fuente/Source : IIF

« Pourquoi cette dette pose-t-elle problème aujourd’hui ? Parce que, historiquement, les États-Unis ont remboursé leurs anciennes dettes en émettant de nouvelles dettes sous la forme de titres du Trésor. C’est une stratégie viable tant que les gens veulent acheter ces titres, mais à l’avenir, les États-Unis ne peuvent pas supposer que les investisseurs voudront les acheter dans un tel volume ou avec la prime qu’ils ont actuellement. Aujourd’hui, environ 30 % des titres du Trésor américain sont détenus par des gouvernements ou des investisseurs étrangers. Ce pourcentage est susceptible de diminuer à mesure que de plus en plus de pays construisent leurs propres marchés de capitaux et investissent à l’intérieur du pays », répond-il.

Ce que Larry Fink ne dit pas dans sa lettre, c’est que les intérêts qu’il représente ont non seulement contribué aux crises, mais sont les bénéficiaires directs de la conversion de la dette privée en dette publique, provoquant l’escalade de cette dernière

Selon le PDG de BlackRock, un mauvais scénario se dessine pour l’économie américaine dans lequel « elle commence à ressembler à celle du Japon à la fin des années 1990 et au début des années 2000, lorsque la dette dépassait le PIB et conduisait à des périodes d’austérité et de stagnation ». La recette proposée par le maître de la bourse Bourse La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois). mondiale, outre la discipline budgétaire (augmenter les impôts ou réduire les dépenses), est de croître en moyenne de 3 % en termes réels. Comment ? En « faisant appel aux marchés des capitaux pour construire l’un des meilleurs catalyseurs de la croissance : les infrastructures. En particulier les infrastructures énergétiques »...

Ce que Larry Fink ne dit pas dans sa lettre, c’est que les intérêts qu’il représente ont non seulement contribué aux crises mais sont les bénéficiaires directs de la conversion de la dette privée en dette publique, provoquant l’escalade de cette dernière. Il convient de rappeler qu’en 2020, année marquée par la pandémie de Covid-19, la Réserve fédérale américaine (Fed) a fait appel à une division de BlackRock, Financial Markets Advisory, pour gérer des milliards de dollars d’achats d’obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
et d’actifs adossés à des créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). hypothécaires, comme mesure supplémentaire pour prétendument amortir l’impact économique et financier du coronavirus. Lors de la précédente crise financière de 2008, BlackRock avait également été engagée pour gérer les actifs de Bear Stearns et d’American International Group (AIG). Dans les deux cas, il n’y a pas eu d’appel d’offres formel, ce qui a suscité de nombreuses critiques à l’époque [5].

Fuente/Source : AIREF

Parlons à présent du président de CaixaBank (anciennement Bankia), José Ignacio Goirigolzarri. L’entité dopée qu’il préside (également détenue par BlackRock), est le plus grand bénéficiaire du sauvetage public des banques espagnoles, qui s’élevait sur le papier à quelque 100 000 millions d’euros, une hypothèque qui n’a pas été remboursée et qui a contribué à la montée en flèche de la dette publique espagnole, tant en 2012, l’année du sauvetage, qu’en 2020, lorsque la dette de près de 35 000 millions d’euros de la bad bank Bad bank Une bad bank est une structure créée pour isoler et recueillir les actifs à haut risque d’une banque en difficulté. ou SAREB a fait surface (voir le graphique de l’AIREF pour l’augmentation verticale de la dette publique espagnole à 125,3 % du PIB en 2020). Et maintenant, avec toute l’impudence et l’impunité, sous l’œil vigilant des superviseurs nationaux et internationaux qui le permettent, elle ose faire pression publiquement sur le gouvernement pour « réduire la dette publique » [6].

Lire aussi : Espagne : Entre vautours et parasites, le sauvetage bancaire augmente la dette publique

Notes

[4BlackRock. (2024). Larry Fink’s 2024 Annual Chairman’s Letter to Investors. BlackRock. https://www.blackrock.com/corporate/investor-relations/larry-fink-annual-chairmans-letter

[5Ablan, J. / Greeley, B. (26/03/2020). La FED recurre a BlackRock para gestionar la compra de deuda. Expansión. https://www.expansion.com/mercados/2020/03/26/5e7bd5ef468aebfe0e8b45cd.html

[6Sampedro, R. (23/03/2024). Botín y Goirigolzarri presionan a Sánchez para aplicar ya un tijeretazo a la deuda pública. Vozpópuli. https://www.vozpopuli.com/economia_y_finanzas/banca/botin-y-goirigolzarri-presionan-sanchez-aplicar-ya-tijeretazo-deuda-publica.html

Fátima Martín

est journaliste. Elle est l’auteure, avec Jérôme Duval, du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, Icaria editorial 2016. Elle développe le journal en ligne FemeninoRural.com.

Autres articles en français de Fátima Martín (45)