13 juin par Meera Srinivasan
“Anti-government protest in Sri Lanka 2022” by AntanO is licensed under CC BY-SA 4.0.
Depuis près d’un an, de nombreux·ses Sri Lankais·es scandent avec ferveur trois lettres : FMI (Fonds monétaire international).
Alors que le problème de la balance des paiements
Balance des transactions courantes
Balance des paiements
La balance des paiements courants d’un pays est le résultat de ses transactions commerciales (c’est-à-dire des biens et services importés et exportés) et de ses échanges de revenus financiers avec l’étranger. En clair, la balance des paiements mesure la position financière d’un pays par rapport au reste du monde. Un pays disposant d’un excédent de ses paiements courants est un pays prêteur vis-à-vis du reste du monde. Inversement, si la balance d’un pays est déficitaire, ce pays aura tendance à se tourner vers les prêteurs internationaux afin d’emprunter pour équilibrer sa balance des paiements.
du pays s’est aggravé en 2022, les citoyen·nes ont été confronté·es à des pénuries et à des coupures d’électricité prolongées. Iels sont descendu·es dans la rue pour protester massivement et ont chassé les Rajapaksas, qu’iels tenaient pour responsables de leurs souffrances. La petite musique demandant l’aide du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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a persisté malgré ces événements dramatiques.
En juillet 2022, l’ancien Premier ministre Ranil Wickremesinghe a été élu Président à l’issue d’un vote parlementaire réalisé dans l’urgence. L’une des premières tâches qu’il s’est fixées a été de négocier un accord avec le FMI afin de relancer l’économie du pays. Le Sri Lanka a conclu un accord avec le Fonds le 1er septembre 2022, pour un prêt de 2,9 milliards de dollars.
À la recherche d’un renflouement
Les détracteur·ices du FMI, une très petite minorité au Sri Lanka, considèrent qu’un programme du FMI fait partie du problème et non de la solution
M. Wickremesinghe a annoncé que son gouvernement avait mis en place 15 mesures demandées par le FMI, conditions du versement de son « aide ». Celle-ci a finalement été validée à la fin du mois de mars 2023.
En fait, le Sri Lanka espérait l’obtenir à la fin de l’année 2022, ou au moins en janvier 2023, mais le processus a traîné en longueur. L’une des principales raisons de ce retard est liée aux assurances de financement écrites de la Chine, du Japon et de l’Inde, les trois principaux créanciers bilatéraux du Sri Lanka. Le FMI avait conditionné son programme à leur coopération. L’Inde a pris les devants et a envoyé ses assurances au Fonds en janvier, suivie par le groupe de créanciers du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, dont fait partie le Japon. Seules les assurances de financement écrites de la Chine étaient en attente.
Le gouvernement et une partie de la population du Sri Lanka considèrent ce versement du FMI comme une étape cruciale de son redressement économique. De toute évidence, un mécanisme élargi de crédit de 2,9 milliards de dollars sur une période de quatre ans n’est pas une grosse somme pour le Sri Lanka. Même après avoir rationalisé les importations pour économiser des dollars, la nation insulaire dépense bien plus d’un milliard de dollars chaque mois pour les seules importations essentielles. Les exportations ont totalisé 978 millions de dollars en janvier 2023, ce qui témoigne d’un déficit commercial persistant.
Toutefois, le programme du FMI aide le Sri Lanka à devenir plus solvable aux yeux des prêteurs mondiaux, qu’il s’agisse d’agences multilatérales comme la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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ou la Banque asiatique de développement, de partenaires bilatéraux ou de créanciers privés. Le pays en faillite, qui a fait défaut sur sa dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
extérieure de 51 milliards de dollars en 2022, espère qu’un accord avec le FMI lui permettra d’emprunter à nouveau. Après être tombé dans un cycle d’emprunts inconsidérés, en particulier au cours des 15 dernières années, le Sri Lanka se trouve dans une situation où son problème et sa solution se ressemblent étrangement à ce stade.
S’attaquer à la corruption
Ce qui pourrait faire la différence cette fois-ci, c’est l’accent mis par le FMI sur la lutte contre la corruption au Sri Lanka, point de ralliement de nombreux·ses économistes et analystes politiques sri-lankais·se. Selon elleux, c’est la corruption qui a conduit le Sri Lanka au bord du précipice. Selon elleux, la corruption, associée à la tendance de l’État à mettre en œuvre des programmes d’aide sociale « populistes » qui ne sont pas viables, a fragilisé l’économie du pays au fil du temps. À tel point que 16 des accords passés avec le FMI n’ont pas réussi à redresser la situation du Sri Lanka.
Les détracteur·ices du FMI, une très petite minorité au Sri Lanka, considèrent qu’un programme du FMI fait partie du problème et non de la solution. Iels craignent que les mesures d’austérité qui l’accompagnent ne portent un coup fatal à la population, en particulier à la classe ouvrière du pays, qui est la plus touchée par cette crise. Par ailleurs, il n’y a pas de débat public passionné ou de résistance populaire au FMI au Sri Lanka, contrairement à ce qui s’est passé récemment en Argentine, par exemple. En ce qui concerne le programme du FMI, le/la Sri Lankais·e moyen·ne se préoccupe davantage de savoir quand il sera mis en œuvre que de savoir si le pays en a réellement besoin.
Même les syndicats, qui protestent actuellement contre la forte augmentation des impôts et des factures de services publics - introduite par le gouvernement en prévision du programme du FMI - ne s’opposent qu’aux mesures politiques spécifiques qui leur portent préjudice. Pour le reste, ils semblent se réconcilier avec un énième programme de réformes mené par le FMI, une « pilule inévitable et amère », comme on l’entend souvent dire.
Insécurité alimentaire
Avec une inflation de plus de 50 %, la moitié des familles du Sri Lanka sont obligées de réduire la quantité de nourriture qu’elles donnent à leurs enfants
Au cours de l’année 2022, les familles pauvres ont été contraintes de réduire considérablement leur consommation de nourriture. La flambée des prix a rendu les œufs, le poisson et la viande inaccessibles pour beaucoup, ce qui a suscité l’inquiétude des médecins quant au niveau de nutrition de la population. Avec une inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. de plus de 50 %, la moitié des familles du Sri Lanka sont obligées de réduire la quantité de nourriture qu’elles donnent à leurs enfants, a constaté l’organisation humanitaire Save the Children. En outre, elle a mis en garde contre une « véritable crise de la faim ». Dans sa mise à jour de janvier 2023, le Programme alimentaire mondial a estimé que 33 % des ménages sri-lankais étaient en situation d’insécurité alimentaire.
Quelle que soit la quantité d’argent que le Sri Lanka pourra emprunter par la suite, la route sera très longue avant un éventuel redressement.
En mars 2023, le pays a été témoin d’une nouvelle vague de protestations, principalement de la part des travailleur·euses et des professions libérales, alors que les difficultés économiques de la population augmentent. Le gouvernement a également été critiqué pour le report des élections locales début 2023, alors que de nombreux sondages ont indiqué une augmentation significative du soutien aux partis d’opposition. Mais pour les milieux d’affaires, l’administration Wickremesinghe symbolise une version de la stabilité. La démocratie peut attendre, affirment-ils, car la reprise économique est urgente. Pour beaucoup d’autres, M. Wickremesinghe, qui a perdu son mandat lors des dernières élections générales et qui est arrivé au pouvoir avec le soutien du parti de M. Rajapaksas, largement méprisé, représente la continuité d’un ordre politique qu’iels se sont battu·es pour changer. Ils considèrent les élections comme un baromètre essentiel qui reflétera ce sentiment.
En attendant, la façon dont le Sri Lanka tracera la voie de la reprise économique dans les mois à venir sera essentielle. Près d’un demi-siècle après la libéralisation de son économie - le Sri Lanka a été le premier de la région à le faire - le pays est confronté à des questions fondamentales, concernant la quantité qu’il produit, la quantité qu’il importe encore et le peu de diversification de ses exportations au cours de toutes ces années.
Ces questions vont au-delà du problème de la corruption. Elles ont également une incidence sur le progrès global du pays, qui ne peut être mesuré sans tenir compte de l’ampleur des inégalités.
La dernière enquête sur les revenus et les dépenses des ménages de 2019, réalisée avant la pandémie et la crise du Sri Lanka, a montré une augmentation du coefficient de Gini, synonyme d’aggravation des inégalités. Le FMI a déclaré qu’un élément clé de son programme consisterait à atténuer l’impact de la crise sur les pauvres en augmentant les dépenses sociales et en améliorant la couverture et le ciblage d’un filet de sécurité sociale. Alors que le gouvernement poursuit ses mesures d’austérité, il reste à voir s’il peut soutenir ses citoyens les plus vulnérables.
Traduction Maxime Perriot.
Source : The Hindu
2 mai 2018, par Eric Toussaint , Meera Srinivasan