Dette et extractivisme : Chapitre 1
17 juillet 2017 par Nicolas Sersiron
Chapitre 1 du livre Dette et extractivisme écrit par Nicolas Sersiron, ancien président du CADTM France.
Ce livre est sorti sur papier aux éditions Utopia en octobre 2014. Il est possible de se le procurer soit en librairie soit de le commander sur ce site au prix de 8 euros.
Les 5 chapitres sont publiés séparément au courant de l’été 2017.
Le système dette, que la majorité des lecteurs du site commence à bien connaître, est mis en lien avec l’extractivisme. Il est en effet un des plus puissant leviers du pillage des ressources naturelles qui enrichit un petit nombre d’actionnaires, appauvri et désespère la grande majorité de l’humanité et détruit notre biotope. Au fil de la publication des chapitres, nous verrons comment le réchauffement climatique et l’extinction des espèces vivantes en forte accélération, l’acidification des océans, la destruction des grands massifs forestiers, sont des conséquences directes des deux systèmes dette et extractivisme.
« Il y a assez de ressources sur cette terre pour répondre aux besoins de tous [1], mais il n’y en aura jamais assez pour satisfaire les désirs de possession de quelques-uns. » Gandhi
Au « Sommet mondial sur le développement durable » de Johannesburg en 2002, il avait été dit : « chaque année, près de 100 tonnes de ressources non renouvelables, auxquelles s’ajoutent plus de 500 tonnes d’eau douce, sont consommées en moyenne par personne pour maintenir l’actuel style de vie des pays industrialisés, c’est-à-dire trente à cinquante fois plus que ce qui est disponible dans les pays les plus pauvres ». Une décennie plus tard, les classes moyennes des pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». accèdent à ce niveau de consommation. Alors que les habitants des pays occidentaux ne baissent pas leurs prélèvements sur les ressources naturelles, bien au contraire, la fin de certaines ressources ne peut que se rapprocher de plus en plus vite.
Le développement : pourquoi et pour qui ?
Si un enfant se développe jusqu’à atteindre l’âge adulte, les PED peuvent-ils eux aussi croître jusqu’à atteindre le niveau de vie matériel des pays développés ? Le rattrapage est-il possible ? Ce développement pour tous n’est-il pas un mythe voire un énorme mensonge destiné à masquer l’origine du développement des pays du Nord : le pillage des PED ? Le niveau de vie des populations n’était-il pas très proche au Nord et au Sud au moment des colonisations ? Aujourd’hui, si près de trois milliards d’humains survivent dans les PED avec quelques dollars, n’est-ce pas la conséquence d’un impérialisme armé datant de plusieurs siècles, prolongé aujourd’hui par le système dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et le libre-échange imposé au nom du développement ?
La logique du développement, dont la BM
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
Cliquez pour plus de détails.
et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
Cliquez pour plus de détails.
font la promotion depuis des décennies, est extractiviste, capitaliste et contraire à l’amélioration de la vie des populations. Comme le dit l’historien burkinabé Ki-Zerbo « on ne développe pas, on se développe. »
Ce développement durable, ardemment soutenu depuis quelques années par les pays industrialisés, est-il possible ? Traduction : une croissance économique continue voire infinie est-elle réalisable alors qu’elle est basée sur le cycle extractivisme Extractivisme Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique. / productivisme / consumérisme / profits / déchets / pollutions ? Sur une planète finie, il faut « être un fou ou un économiste pour le croire ». Si les arbres se développent et grandissent, ils ne montent pourtant pas jusqu’au ciel.
Alors le « développement » est-il autre chose qu’une déclinaison du mot « conquête » pour masquer la croissance des plus forts au détriment des plus faibles et de la nature ? Pourquoi croissance du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
(ne comptant que la production des marchandises et services) et compétitivité sont-ils omniprésents dans les médias et la bouche des politiciens, alors qu’ils entraînent inégalités sociales et désastres environnementaux croissants ?
Le PNUD
PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
Site :
(programme des Nations Unies pour le développement) a créé en 1990 l’indice de développement humain, l’IDH
Indicateur de développement humain
IDH
Cet outil de mesure, utilisé par les Nations unies pour estimer le degré de développement d’un pays, prend en compte le revenu par habitant, le degré d’éducation et l’espérance de vie moyenne de sa population.
, s’appuyant sur le degré d’éducation, de santé et le niveau de vie. Il ne prend toutefois pas en compte la soutenabilité écologique ni le degré de liberté politique. Certains pays défendent d’autres concepts reposant sur le vivre ensemble et le respect de la nature, comme le bien-vivre (Buen Vivir), le bonheur national brut et d’autres encore. Ce développement est-il autre chose qu’un « avoir plus » ? Est-il compatible avec un mieux-être pour tous, en harmonie avec la nature ? Nous ne le pensons pas.
« Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés : lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient la terre et nous la Bible. » Jomo Kenyatta [2]
Les sols
Les ressources du sous-sol pillées et exportées
L’exemple historique le plus criant est l’exploitation des mines d’argent et d’or de Potosi, en Bolivie. Elle a débuté au XVIe siècle et se poursuit encore aujourd’hui. Les historiens s’accordent sur le fait que six millions de travailleurs indiens et africains y sont morts tandis que des dizaines de milliers de tonnes d’argent et d’or ont été extraites au profit des Espagnols jusqu’à l’indépendance de la Bolivie en 1825. Quand les travailleurs descendaient dans la mine, ils n’avaient pas le droit de ressortir avant six mois et y vivaient - quand ils ne mouraient pas - dans des conditions de misère inimaginable : faim, chaleur étouffante, manque d’oxygène, travail harassant. L’argent de Potosi a irrigué une partie de la planète pendant quelques siècles.
« Dès le règne de Philippe II (1556-1598), l’économie espagnole devient une économie de rente marquée par une désindustrialisation rapide. Contrôlé par des négociants étrangers, le commerce extérieur nourrit le gigantesque gaspillage de l’aristocratie. Ainsi commençait le mal ibérique qui devait ronger le pays des siècles durant et lui faire prendre un retard considérable sur le reste de l’Europe. L’Espagne payait très cher l’argent de Potosi » [3]
Plus que jamais, les mines d’Amérique du Sud attisent les convoitises étrangères et leurs mises en exploitation provoquent émeutes et résistances. Ainsi, dans la province de Catamarca en Argentine, une lutte dramatique se poursuit entre la population et la transnationale Glencore.
« Pour extraire du cuivre, de l’or et d’autres métaux rares qui font de ce gisement l’un des plus rentables de la planète, l’exploitant consomme 5 millions de litres d’eau par heure, puisés dans les nappes de la région, l’équivalent des besoins énergétiques d’une ville comme Marseille. Chargés d’arsenic, de strontium et de bore, les résidus d’extraction sont rejetés dans un canal d’irrigation 120 kilomètres plus loin. (…) En juin 2008, les autorités judiciaires du pays ont été saisies au pénal d’une plainte pour pollution contre Julian Rooney, vice-président de Xstrata, actionnaire principal du consortium UTE (Union Transitoria de Empresas). Une deuxième plainte a suivi en 2010, pour contrebande de minerais vers la Chine et évasion fiscale - évaluée à 8,26 milliards de dollars. » [4]
Glencore-Xstrata, basée à Zoug, super paradis fiscal
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
en Suisse, est la quatrième entreprise mondiale pour les mines et la première pour le négoce des matières premières (chiffre d’affaires 240 milliards de dollars). La société KCC, une filiale extrayant le cuivre au Katanga « en présentant depuis 5 ans de faux bilans déficitaires, ferait perdre au trésor public congolais 153,7 millions de dollars ». [5]
Au Pérou, à Cajamarca, dans la même cordillère des Andes, les Indiens livrent un combat désespéré contre la société Newmont qui veut exploiter l’or dans une mine à ciel ouvert, entraînant la disparition de grands réservoirs naturels d’eau. La société extractive Yanacocha a déjà gravement pollué l’eau de cette même région avec une mine proche. [6] Il faut concasser une tonne de roche pour obtenir entre un et cinq grammes d’or. Mais la séparation ne peut se faire que par lixiviation, un lessivage par produits chimiques mélangés à l’eau (cyanure, mercure, acides) qui seront ensuite stockés dans d’immenses réservoirs à ciel ouvert et/ou rejetés dans la nature, volontairement ou par accident fréquent.
Un autre exemple criant est l’exploitation par Shell du pétrole dans le delta du Niger. Le peuple Ogoni a perdu une majeure partie de son territoire de vie qui était d’une grande richesse : agriculture et biodiversité. Certains disent que les fuites de pétrole y sont équivalentes, chaque année, à celle de la plateforme Deep water de BP dans le golfe du Mexique en 2010. Les rejets du torchage (l’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de brûler le gaz méthane qui sort à l’air libre en même temps que le pétrole) empoisonnent les habitants, polluent et réchauffent de vastes étendues devenues inhabitables. Le torchage est pourtant interdit en Europe. Quel scandale éclaterait aux Pays-Bas si des torchères de la multinationale hollandaise Shell salissaient les belles façades multicolores, empoisonnaient enfants et adultes, et abîmaient les célèbres tulipes ?
Personne n’imaginait il y a cinquante ans, hors des esprits éclairés tels que Jacques Ellul, André Gorz, Bernard Charbonneau et bien d’autres, dont les rédacteurs du rapport Meadows de 1972 sur les limites à la croissance, [7] que le progrès matériel créerait en même temps le risque d’effondrement des sociétés occidentales. C’est pourtant la disparition rapide des ressources sur lesquelles il s’est bâti et la destruction de l’environnement qui ont permis à 20 % des habitants de la planète de disposer d’un confort matériel aussi incroyable que non soutenable, au détriment de la majorité des autres. Le pétrole est un concentré d’énergie solaire fabriqué à travers la photosynthèse végétale au cours de centaines de millions d’années. Cet incroyable capital énergétique naturel sera dilapidé en à peine plus d’un siècle. Que ce soit pour chauffer ou refroidir des maisons passoires à calories ou frigories, pour transporter des aliments que l’on peut produire localement sur des milliers de kilomètres, se déplacer seul dans une boîte à quatre roues de plus d’une tonne pour aller travailler loin de chez soi, prendre l’avion pour nouer des affaires ou bien profiter du sable et des cocotiers à des milliers de kilomètres, il y a une inconscience ou une volonté de ne pas savoir : pourtant un crime pour les générations futures.
Non seulement elles ne disposeront plus de cette énergie aussi extraordinaire qu’irremplaçable mais elles devront survivre sur une planète réchauffée au climat chaotique. Ce ne sont pas les gaz de schistes ou les pétroles bitumineux qui leurs apporteront des solutions. Dans l’Alberta au Canada, il faut environ un demi-baril de pétrole énergie plus trois à cinq barils d’eau pour extraire un baril de pétrole des sables, le plus sale au monde. Ainsi dans l’Alberta, l’EROEI [8] est égale à deux. Au début du pétrole, il suffisait d’investir un baril de pétrole pour en obtenir 100, l’EROEI était de 100. Quand le rapport sera égal à un, le gain énergétique sera de 0. Ce qui est déjà le cas pour les agrocarburants, qui selon Yves Cochet n’existent que par les subventions. On s’en rapproche avec les extractions en eau profonde ou les sables bitumineux. Le photovoltaïque est à 2,5 pour 1.
« La terre du Canada renferme actuellement l’un des plus grands gisements de pétrole « exploitable » au monde : « exploitable » si vous acceptez de détruire de façon irréversible une surface équivalente à celle de l’Angleterre et qui était jusqu’alors occupée par l’une des plus grandes et des plus belles forêts du monde totalement intacte. » [9]
« Si nous maintenons le gâchis énergétique au nom de la sacro-sainte croissance, il sera impossible de remplacer le pétrole demain. Selon le Smithsonian Institute qui confirme en 2012 le rapport Meadows écrit 40 ans auparavant, la société de consommation va s’effondrer en 2020-30 : ‘tout se déroule comme prévu pour que survienne le désastre’ ». [10]
Un des pires cas d’extractivisme et de pression exercée sur la population se trouve dans l’exploitation des minerais au Kivu (coltan, diamants, etc), dans l’est de la République Démocratique du Congo, RDC. Ce pays détient les sous-sols les plus riches au monde, mais la population y est extrêmement pauvre, avec un classement selon l’indice de développement humain, l’IDH, de 186 sur 186 en 2012. Selon le New York Times de 2010, « environ 6,9 millions de personnes sont mortes dans cette région depuis 15 ans. » [11] Viols massifs des femmes et massacres par les chefs de guerre n’existent que par la volonté des acheteurs occidentaux et ceux des pays émergents qui les financent pour obtenir ces minerais « sales ». [12] Ce chaos guerrier est aussi entretenu par les rivalités des pays de la zone des Grands Lacs. La pauvreté de la RDC, gouvernée par un Kabila réélu frauduleusement fin 2011, rendent impossible l’ordre et la justice dans cette région située à près de 4 000 kilomètres de Kinshasa par la « route ». Le coltan est un métal indispensable aux téléphones, ordinateurs, automobiles, avions, fusées, satellites... Il est essentiel pour nos sociétés de gaspillage où les produits high-tech sont devenus des « besoins primaires ». La question de notre responsabilité doit donc être posée.
En Amérique du Sud, sur un continent « indépendant » depuis près de deux siècles, le jugement rendu début 2012 en Équateur en dit long sur l’extractivisme du sous-sol :
Le groupe pétrolier était accusé par plus de 30 000 habitants de la province de Sucumbíos (nord-est de l’Équateur) d’avoir « déversé près de 70 millions de litres de pétrole brut et de 80 milliards de litres d’eau » remplis de produits chimiques et de métaux lourds dans la forêt amazonienne. La multinationale américaine (Chevron) devra payer la somme faramineuse de 9,5 milliards de dollars (7,3 MdsE). [13]
Dans le Sahel, en Afrique, l’uranium d’Arlit au Niger, et bientôt d’Imouraren, fait tourner 40 % des centrales nucléaires françaises depuis plus de trente ans et fournit l’électricité la moins chère du monde, officiellement. En réalité, à quel prix ? Si l’on prenait en compte toutes les externalités négatives, telles que l’irradiation cachée des populations en France et au Niger, les énormes provisions financières qu’il faudrait stocker pour faire face à un grave accident nucléaire - ce que les plus grands assureurs refusent de prendre en charge -, le prix du traitement des déchets sur des siècles et pour certains des millénaires, le démantèlement quasi impossible des centrales en fin de vie, alors le prix du kWh atomique exploserait et les centrales seraient fermées en urgence.
Le PIB du Niger, ce pays du Sahel de 17 millions d’habitants, n’est que de 5,5 milliards de dollars, à peine supérieur au bénéfice d’EDF en 2013. Son IDH par habitant le classe à la dernière place des 186 pays à égalité avec la RDC. Les famines y sont fréquentes. « Selon l’ONG Action contre la faim (ACF), 20 % de la population seraient d’ores et déjà « dans une situation alimentaire grave », et 38,2 % « dans une insécurité alimentaire modérée, soit plus de la moitié des Nigériens. » [14] Azaoua Mamane explique :
« La population a hérité de 50 millions de tonnes de résidus radioactifs stockés à Arlit et Areva continue de pomper gratuitement 20 millions de mètres cubes d’eau par an pendant que la population meurt de soif. Les rues et les habitations d’Arlit sont construites à l’aide de résidus radioactifs et la nappe phréatique usée et contaminée s’assèche par la faute d’Areva. » [15]
L’armée française a été engagée au Mali en 2013 dans une guerre, avec comme raison officielle de lutter contre Al Quaïda au Sahel. Ce pays très pauvre au pouvoir très corrompu était effectivement incapable de résister à la pression des islamistes armés partis à sa conquête. Les richesses minières, uranium et autres métaux de ce pays et celles du Niger voisin, ne sont-elles pas les causes cachées de l’engagement de l’armée française dans la guerre du Sahel, par le pays le plus nucléarisé au monde par habitant ? Alors que les travailleurs nigériens et les populations avoisinantes des mines exploitées par la France, à travers l’entreprise Areva, ont subi de graves irradiations [16] on comprend bien son intérêt à ce que son ancienne colonie soit dirigée par une dictature ou un président « ami » : limiter le prix de ce précieux minerai venu du Niger.
L’extraction sans exportation
L’extraction indirecte est plus pernicieuse. Les énergies fossiles sont extraites pour produire de l’électricité qui permettra de transformer des minerais en métaux qui seront ensuite exportés. Le gouvernement du pays favorise l’intérêt des multinationales au détriment des populations locales, avec le financement d’institutions financières, les IFIs, telles que la BM ou la BEI (Banque européenne d’investissement) ou la BERD (banque européenne de reconstruction et de développement).
La construction de la centrale électrique à charbon de Medupi en Afrique du Sud, la plus grande du monde, également la plus émettrice de CO2, se fait au profit des sociétés BHP Billiton et Anglo American. Les populations locales subissent de très graves pollutions de l’air et de l’eau produites par le brûlage du charbon et la transformation de la bauxite en aluminium. La société d’électricité Eskom doit augmenter le prix de l’électricité de 25 % pour l’ensemble de la population sud-africaine afin de rembourser l’énorme investissement ! « L’État français qui garantit le projet dans l’intérêt d’Alstom (à travers la garantie Coface [17]) donne l’image d’une France qui soutient un système injuste, anti-écologique, au bénéfice des riches multinationales, et pesant sur les plus pauvres. » [18] Le barrage d’Inga en est un autre exemple dramatique que nous verrons plus bas.
Sols volés
Les peuples colonisés avaient souvent perdu le droit d’usage traditionnel de leurs sols. Les colons, installés par la force des armées, occupaient les meilleures terres. La colonisation en Algérie s’est faite dans les plaines fertiles, en repoussant les paysans dans les montagnes. Un siècle plus tard, les combattants algériens qui résistaient à l’armée française pour gagner leur indépendance, ceux que les français nommaient les fellaghas, étaient en majorité des paysans des montagnes. En Nouvelle-Calédonie, les Kanaks ont été dépossédé de 90 % de leurs territoires par les français et contraints de s’exiler dans les montagnes, eux aussi, par la conquête coloniale au XIXe. Les bonnes terres ont partout été converties par les colons en monocultures extractrices de la fertilité et dédiées à l’exportation. Jusqu’en 1898, date de son indépendance, les terres de Cuba ont été dévastées par la monoculture Monoculture Culture d’un seul produit. De nombreux pays du Sud ont été amenés à se spécialiser dans la culture d’une denrée destinée à l’exportation (coton, café, cacao, arachide, tabac, etc.) pour se procurer les devises permettant le remboursement de la dette. de la canne dont le sucre fut exporté vers l’Espagne.
« Jusqu’à la colonisation européenne, le sud du Sahara, le Sahel, connaissait une forme d’agriculture particulière dont l’un des pivots était un arbre non comestible. L’acacia albida est économe en eau, il produit des feuilles en saison sèche pour nourrir le bétail, on peut cultiver des céréales en association. […] Les programmes agricoles de la colonisation mirent un terme à cette agriculture « archaïque » au profit notamment de l’arachidier que préférait l’économie métropolitaine. » [19]
Les terres, fragilisées par ces pratiques de monocultures productivistes, ont subi l’érosion éolienne et hydrique. C’est ainsi que la région de Kaolack au Sénégal, sous la colonisation dédiée à l’arachide, est devenue une plaine aride et stérile.
« Les entreprises extractivistes minimisent les pertes de ressources, entraînant misère ou exil vers les bidonvilles. Par exemple pour le passage de l’oléoduc Tchad-Cameroun, cofinancé par un prêt de la BM, un paysan a reçu en 1999, selon la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l’Homme), 1 300 FF (198 euros) en espèces « pour la destruction de 1 600 m2 de cultures vivrières
Vivrières
Vivrières (cultures)
Cultures destinées à l’alimentation des populations locales (mil, manioc, sorgho, etc.), à l’opposé des cultures destinées à l’exportation (café, cacao, thé, arachide, sucre, bananes, etc.).
et l’abattage de deux karités dont la valeur cumulée de la production, selon une estimation indépendante, dépasse les 8.000 FF par an (1 220 euros). » [20]
Les accaparements des terres et de l’eau d’irrigation
Aujourd’hui, plus de cinquante ans après les indépendances, une nouvelle forme de vol est en pleine expansion. L’Afrique est le continent le plus recherché. L’accaparement des terres par des entités financières internationales, avec la complicité des décideurs corrompus, prend des proportions qui révèlent une dépossession de type coloniale. La violence des armes est remplacée par la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
financière et la corruption des élites. Le retour sur investissement de ces opérations est estimé à 20 %, alors qu’en agriculture il n’est généralement que de 3 à 5 %.
La BM soutient financièrement ces opérations, en s’abritant derrière le principe du RAI (Responsible Agro Investment) et en parlant de contrats « gagnant-gagnant », occultant ainsi les désastres sociaux et environnementaux. Selon Via Campesina, association regroupant 275 millions d’agriculteurs dans le monde, les RAI sont des « politiques visant à attribuer des titres de propriété aux terres afin de faciliter la vente et l’achat de biens fonciers. Au bout du compte, les paysans pauvres perdent leurs terres au profit de ceux qui ont les moyens de les acquérir. »
En France l’Agence française de développement, l’AFD, qui gère une grosse partie de l’Aide publique au développement, l’APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. , participe elle aussi, à travers des financements combinés avec des entités privées, aux scandales des accaparements de terres. Ingrid Aymes, dans un article titré « Les partenariats de financement public-privé : symptômes révélateurs de la financiarisation du développement agricole », décrit avec précision les mécanismes de ces dérives de la coopération française qui fragilise l’agriculture paysanne. [21]
Ce n’est pas un hasard si 50 à 60 % des terres accaparées le sont en Afrique où près d’un tiers de la population est très pauvre : Soudan, Mozambique, Éthiopie, Madagascar et tant d’autres. Jacques Berthelot écrit en 2013 : « 66 % des transactions ont porté sur des pays où la faim prévaut à un niveau élevé, alors qu’environ la moitié des superficies sont déjà cultivées par la paysannerie locale. » [22] Les investisseurs-accapareurs, en complicité avec les gouvernements, s’attaquent à des populations qui n’ont jamais été aidées pour développer une véritable agroécologie, ce qui leur aurait permis d’accéder à une alimentation sécurisée, à des revenus par la vente des excédents, donc à de vraies possibilités d’éducation pour leurs enfants et à une meilleure santé. L’Afrique exploite 2 ou 3 % seulement de ses ressources en eau, à la différence de nombreux pays d’Asie où près de 40 % des terres sont irriguées.
Pour prix des locations à long terme, [23] plus de trente ans (baux emphytéotiques), les accapareurs ne versent officiellement aux gouvernements concernés que des sommes dérisoires en prétextant que ces terres ne rapportent rien : plus ou moins un euro par hectare et par an. Un prix très faible comparé aux bénéfices des acquéreurs, un prix ridicule vu les pertes de territoires de vie que cela engendre pour les populations. Il est certain que des contreparties moins avouables existent, par exemple sous forme de versements occultes dans des paradis fiscaux et judiciaires (PFJ) en faveur des divers responsables politiques. Les bénéfices pour les pays en emplois ou taxes sur les exportations sont insignifiants.
L’exportation d’aliments, de fleurs, de céréales, ou pire encore, d’agrocarburants produits par des capitaux étrangers sur les terres fertiles d’un PED, en pompant l’eau des nappes phréatiques en grandes quantités et en ruinant la fertilité, là où la population a des difficultés pour se nourrir voire accéder à l’eau, est une des pires formes de l’extractivisme.
L’Ethiopie, pays de la corne de l’Afrique dans lequel sévit la famine, a déjà cédé plusieurs centaines de milliers d’hectares pour alimenter des voitures et du bétail étranger ou fournir des fleurs aux amoureux des pays industrialisés. D’après Jean Ziegler, le plein en agrocarburants d’une grosse voiture représente 350 kg de maïs, de quoi alimenter une personne pendant un an. [24] Plutôt que de prendre les terres, pourquoi ne pas donner aux populations locales les moyens financiers et techniques de développer sur place une agriculture efficiente, biologique et capable d’exporter ses surplus ? Aucun profit pour les accapareurs, évidemment ! Pourtant, piller la fertilité et l’eau pour l’exportation est comparable à l’extractivisme des énergies et des minerais, mais en pire, car c’est aussi un ethnocide, une mort culturelle, et parfois une mort physique, pour les peuples chassés de leurs territoires ancestraux et contraints d’aller vivre dans les bidonvilles ou les forêts.
Sols stérilisés
Désertification des terres agricoles
Pourquoi l’Inde ou la Chine accaparent-elles des terres ? Leur croissance démographique suffit-elle à expliquer ce phénomène ou bien n’est-ce pas plutôt une question de désertification et de pertes de rendements résultant d’une agriculture productiviste et chimique ? En cassant le système de création naturelle de l’humus - la fine couche fertile du sol - fait par les bactéries, la microfaune et la microflore, et en abattant les forêts qui sont des ressources importantes de vie pour les sols par les mycorhyses [25], on fait disparaître la MOS, source de la fertilité. L’érosion hydrique et éolienne emportera alors chaque année des tonnes de sols agricoles parce qu’ils auront perdu leurs structures naturelles et leurs couverts végétaux par les labours et l’usage de la chimie, ou leurs couverts forestiers par les incendies et le défrichage.
Dans un article intitulé « Planète terre, planète désert », Dominique Guillet - créateur de Kokopelli, association pour le sauvetage des semences anciennes - écrit :
« À l’échelle planétaire, ce sont 1 370 hectares de sol qui sont désertifiés à jamais toutes les heures, ce qui fait 12 millions d’hectares chaque année, l’équivalent de la moitié de la surface agricole de la France. En Inde, par exemple, ce sont 2,5 millions d’hectares qui sont désertifiés chaque année. Certaines terres australiennes ont des concentrations de sel trois fois supérieures à celles de l’océan. Il aura fallu à la société occidentale un siècle et demi d’agriculture et d’élevage intensifs pour transformer l’Australie en un désert. » [26]
Et selon John Jeavons : « six kilos de sol sont détruits par l’érosion du vent et de l’eau à chaque fois que nous consommons un kilo de nourriture produite par l’agriculture chimique mécanisée des États-Unis. » [27]
Artificialisation des sols et extraction de sable
C’est le bétonnage des routes et autoroutes, des lignes à grande vitesse (LGV), des constructions commerciales et des habitations qui stérilisent les terres arables. Jusqu’ici, on évoquait l’artificialisation des sols en France à raison de 1 % du territoire tous les dix ans (l’équivalent du sol agricole d’un département). A présent, avec 800 kilomètres carrés supplémentaires bétonnés chaque année en France, on atteint plutôt l’équivalent d’un département tous les six ou sept ans. Les grands barrages qui artificialisent de très grandes surfaces en Chine ou en Amazonie créent de graves problèmes de survie pour les populations autochtones qui sont le plus souvent expulsées. Il faut le rappeler, les mines à ciel ouvert ou l’extraction du pétrole des sables bitumineux dans l’Alberta sont aussi la cause de la perte définitive de très grandes surfaces de sols forestiers.
La redoutable artificialisation des sols engloutit beaucoup de sable. Il faut pourtant des centaines de milliers d’années à la nature pour le fabriquer. Quelques centaines de tonnes sont nécessaires pour construire une maison, et il en faut 30 000 tonnes pour un kilomètre d’autoroute. [28] Les carrières d’exploitation de sable le long des rivières remplacent des milliers d’hectares de terres alluvionnaires très fertiles par des étendues d’eau.
Denis Delestrac, auteur du documentaire Le sable, explique « Dans le monde, beaucoup de carrières sont déjà épuisées. Dans les rivières on s’est rendu compte que cela causait plus de crues, des affaissements de berges, des inondations ». [29] Les conséquences de cette surexploitation apparaissent. Les appétits économiques ont grignoté au moins 75 % des plages du monde, et englouti des îles entières, en Indonésie et aux Maldives, tandis que Singapour ou Dubaï ne cessaient d’étendre leur territoire en important frauduleusement du sable.
Productions du sol détournées
Les grandes cartes politiques de l’Afrique, affichées dans les écoles de France durant la période coloniale, ressemblaient à une corne d’abondance. Sur les flèches, jaillissant des pays africains et incurvées vers l’Europe, on pouvait lire : caoutchouc, coton, arachide, poissons, café, vanille, huile de palme, bananes, or, cuivre, etc. Un continent chargé d’histoire, sur lequel vivent tant de peuples, de langues, de cultures différentes était réduit à la satisfaction de nos petits désirs et grands gaspillages. Comme si les hommes et les femmes de ce continent ne demandaient qu’à offrir gratuitement richesses et travail à la France et aux autres colonisateurs. Le « Y’a bon Banania » est colonial et raciste. Sous couvert d’une image « drôle », il a donné aux enfants une vision très méprisante des africains masquant un pillage agricole dramatique pour eux. Comme si l’extraction de fèves sous les cacaoyers par 35° en fendant toute la journée les cabosses à la machette, n’était qu’une franche partie de rigolade. Durant les « trente glorieuses » de l’après guerre, pour les PED « les trente odieuses », le confort a progressé partout en Europe sans que l’on admette qu’il reposait sur les ressources de la nature volées dans les colonies, le travail forcé des indigènes dans leurs pays, ou celui des immigrés en France, tous soumis à nos « besoins ».
Aujourd’hui, ces cartes faussement naïves ont disparu mais le pillage des productions agricoles et sylvicoles, lui, s’est lourdement accentué. En Birmanie, le teck des forêts est surexploité par les acheteurs chinois en complicité avec les hommes d’affaires birmans, à qui les généraux dictateurs ont transmis toutes les entreprises publiques, avant de s’autoproclamer pouvoir civil démocratique. Les dictatures corrompues de Suharto en Indonésie, des militaires au Brésil ou de Mobutu au Zaïre, et bien d’autres, ont surendetté les PED. Pour rembourser leur dette, ces trois grands pays détruisent aujourd’hui les trois plus grands massifs forestiers tropicaux de la planète. Les bois précieux sont coupés, les forêts primaires sont incendiées et remplacées par des palmiers à huile, du soja OGM
OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.
Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.
Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.
Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
et des élevages de bœufs : tout pour l’exportation, en échange de devises indispensables au remboursement de la dette publique et à l’enrichissement des clans proches du pouvoir.
En juin 2009, Manuel Zelaya, président du Honduras démocratiquement élu, est chassé du gouvernement par un putsch militaire. Devant la pauvreté des travailleurs de son pays, il avait osé remonter le niveau du salaire minimum. La Chiquita brand Int, société étatsunienne qui exploite les bananeraies pour l’exportation, n’avait pas supporté cette hausse qui faisait une petite encoche dans ses profits colossaux. Après le remplacement de Zelaya, les salaires minima ont été baissés, des journalistes indépendants et les syndicalistes ont été assassinés. [30] Last but not least, le premier exportateur de bananes au monde est l’île anglo-normande de Jersey, un paradis fiscal. Grâce à des mécanismes d’évasion fiscale à grande échelle et à d’habiles jeux d’écriture comptable, les multinationales font porter les bénéfices par leurs filiales inscrites dans des paradis fiscaux comme Jersey. [31]
Les grands producteurs de café d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Afrique se font une concurrence terrible et les multinationales de la torréfaction en profitent. Un kilogramme de café dont le prix varie autour de un euro pour le producteur peut être vendu jusqu’à 150 euros dans un café parisien en « petits Noirs » ou sous forme de dosettes individuelles aux particuliers. Bien que revendu 150 fois son prix par Nestlé, premier groupe alimentaire mondial, cette société ne reverse rien de ses bénéfices colossaux aux producteurs. Elle utilise même un système d’achat aussi redoutable que complexe pour faire baisser les prix versés aux caféiculteurs qui cueillent à la main les grains mûrs un à un, et survivent difficilement. [32] Son chiffre d’affaires (75 milliards d’euros) dépasse le PIB de la majorité des PED, son bénéfice, en 2012 et 2013 (environ 10 milliards d’euros), est plus élevé que le PIB du Mali ou du Niger. Pour couronner l’immense injustice de cet « échange », les énormes dividendes que recueilleront les actionnaires de Nestlé se feront dans le paradis fiscal Suisse.
Les eaux douces, volées ou détournées
Un chef Adivasi (indigènes de l’Inde), de la tribu qui a lutté victorieusement contre Coca-Cola dans le village de Plachimada [33] où je l’ai rencontré, m’a expliqué que cette compagnie pompait tellement d’eau que les habitants de la région ne pouvaient plus ni irriguer leurs rizières ni même boire l’eau de leurs puits. Les eaux polluées par la fabrication étaient rejetées dans les forages. Il m’a aussi appris que cette compagnie mettait du glycol - antigel utilisé dans les radiateurs des voitures, toxique pour l’homme - dans ces bouteilles pour que les clients puissent, selon la publicité, boire cette boisson ultra glacée, plus froide que zéro degré. Ils y avaient aussi découvert des pesticides. Les bouteilles étant transportées dans des camions non réfrigérés sur des centaines de kilomètres, la boisson se serait détériorée sans ces conservateurs, pourtant des poisons pour l’homme.
Avec la progression du réchauffement climatique, la fonte des glaciers de montagnes et les besoins croissants de l’agriculture productiviste, l’extractivisme de l’eau est déjà largement engagé. Si la guerre de l’eau n’est pas encore visible dans les pays tempérés, elle a pourtant commencé.
Les prévisionnistes financiers réalisent que, à l’instar des matières premières traditionnellement négociées tels les métaux précieux, l’eau exploitable du futur sera si rare qu’il faudra l’extraire comme un minerai, la traiter, la conditionner, l’embouteiller et, plus important encore, la déplacer et la transporter à travers le monde. [34]
De puissantes compagnies privées s’approprient les ressources d’eau potable pour les revendre en bouteille jusqu’à deux euros le litre, avec l’accord des gouvernements. Très souvent elles privent les populations d’eau pour l’agriculture et pour la maison. En Indonésie, c’est surtout Danone, au Pakistan et au Brésil, plutôt Nestlé [35], au Maroc, Castel, et en Inde, particulièrement Coca-Cola, qui s’approprient ce bien commun vital (liste non exhaustive). De nombreux paysans sont contraints de quitter leurs territoires pour aller grossir les bidonvilles des grandes agglomérations après avoir perdu l’accès à l’eau.
D’autres grandes compagnies privées, comme les Françaises Veolia et Suez, monopolisent le service d’adduction d’eau par tuyaux jusqu’aux habitations des populations. Dans les PED, la privatisation aboutit parfois à enlever aux populations locales l’accès à l’eau, car vendue à des prix trop élevés.
En 1997, la BM a imposé à la Bolivie la privatisation de l’eau à El Alto-La Paz et dans la ville de Cochabamba en contrepartie de son aide financière. Cette privatisation fut confiée à la compagnie Aguas del Tunari, filiale des sociétés transnationales Bechtel, Edison et Albengoa, qui en janvier 2000 augmenta les tarifs de 200 % et prit le contrôle de tous les réseaux d’eau. La résistance citoyenne est cependant parvenue, après avoir subi deux morts et de nombreux blessés dans les banlieues privées d’eau potable, à faire annuler par le gouvernement son contrat avec Aguas del Tunari. [36]
Le barrage d’Inga est un autre exemple d’extraction de l’eau. Située sur la partie basse du fleuve Congo en RDC, cette opération est un des plus grands scandales du pseudo développement adoubé par la BM et les occidentaux en Afrique. C’est un « éléphant blanc », très comparable aux GPII (grands projets inutiles imposés) comme le projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes en France. Inga a rapporté beaucoup d’argent aux multinationales qui l’on construit et au clan du président Mobutu. Mais il a lourdement endetté et appauvri le pays jusqu’à aujourd’hui, depuis les constructions des tranches Inga I en 1972 et Inga II en 1982. Une ligne à très haute tension a été construite sur 1 900 km entre le barrage et la province du Katanga, pour assurer l’extraction et la transformation sur place des minerais, notamment de cuivre. Aucun village sur le parcours ne profite de cette énergie et, en plus les turbines sont aujourd’hui en grande partie ensablées.
Les Amis de la Terre tentent de s’opposer aux investissements désastreux, sur le plan social et écologique, de la Banque européenne d’investissement (BEI) dans les grands barrages. Ses financements au « développement » sont beaucoup plus importants que ceux de la BM.
Les conséquences des grands barrages, déforestation, accaparement de terres agricoles, dégradation de la biodiversité et des écosystèmes, destruction du patrimoine et des peuples, privatisation de l’eau, corruption, non-respect des droits humains, servent à alimenter de grosses industries appartenant à des compagnies étrangères recherchant de l’électricité bon marché pour produire des biens destinés à l’exportation vers les pays riches. [37]
L’agriculture industrielle est le plus grand extracteur d’eau douce des PED. Les monocultures de végétaux destinés à l’alimentation du bétail, soja et maïs OGM, des fleurs ou des végétaux transformés en agrocarburants sont une exportation de quantités colossales d’eau virtuelle. Rouler en France avec des agrocarburants produits en Afrique, comme manger de la viande de bœuf produit au Brésil sur les terres de la forêt amazonienne, revient à en consommer virtuellement l’eau. Il faut 15 000 litres d’eau (voire beaucoup plus) pour produire 1 kg de bœuf et moins de 1 000 litres pour 1 kg de blé. « Selon les études disponibles, le jatropha nécessite entre 3 213 et 778 025 litres d’eau pour produire un litre de biodiesel. » [38]
En Europe comme aux États-Unis, l’eau est consommée à 70% par les productions agricoles destinées en majorité au bétail. « Il n’y aura pas suffisamment d’eau disponible sur nos terres agricoles pour produire de la nourriture pour une population qui devrait atteindre neuf milliards d’habitants en 2050, si nous suivons les tendances alimentaires actuelles dans les pays occidentaux. » [39]
Les réserves naturelles d’eau fossile sont classées comme non renouvelables. Elles ont pourtant été utilisées en Arabie Saoudite pour produire du blé, au Kansas et ailleurs pour irriguer des champs au détriment des générations futures. Utiliser des ressources aussi précieuses pour produire des céréales qui serviront pour une grande partie à nourrir le bétail ou à produire des agrocarburants comme aux États-Unis est un crime pour les générations futures. Surtout quand on a bien compris que le réchauffement climatique provoque la fonte des grands glaciers de montagne servant de réservoirs aux grands fleuves dont l’agriculture de milliards d’humains est dépendante.
Les mers violées
La Somalie est une dramatique illustration de l’extractivisme marin. Le président Siyaad Barre, devenu un dictateur sanglant, a été destitué en 1991 par un contre-pouvoir armé soutenu par l’Éthiopie. Débute alors un terrible chaos politique et humain. Les grands chalutiers européens viennent ratisser les très poissonneux fonds marins au large de ses côtes, non gardées faute de gouvernement. D’autres y ont coulé des fûts de déchets nucléaires. [40] Non seulement les réserves halieutiques étaient pillées, mais les bateaux usines européens détruisaient les filets des Somaliens. Ainsi est née la piraterie au large de la Somalie.
L’un des leaders des pirates, Sugule Ali, a déclaré que leur motif était « d’arrêter la pêche illégale et l’immersion des déchets, dans nos eaux… Nous considérons que les bandits des mers [sont] ceux qui pêchent illégalement et utilisent nos mers comme une décharge et rejettent leurs déchets dans nos mers et viennent [naviguer] en armes sur nos mers. » [41]
Aujourd’hui, environ 700 bateaux de toutes les nations pillent les ressources halieutiques au large de la corne de l’Afrique, là où le problème de la faim fait d’énormes ravages. La réponse internationale consiste à envoyer quelques bateaux remplis de céréales financés par le Programme alimentaire mondial, le PAM, et surtout des bâtiments de guerre pour protéger les bateaux de pêche étrangers qui s’accaparent les ressources alimentaires somaliennes. [42]
Que ce soit au large des côtes sénégalaises, mauritaniennes ou malgaches, les décideurs politiques ont été « contraints » de vendre leurs réserves halieutiques aux bateaux des nations extractivistes, bien souvent pour rembourser la dette illégitime. Les sommes reçues en échange, quand elles ne sont pas détournées, ne compensent pas la perte de travail et des ressources halieutiques pour les pêcheurs locaux, ni la perte alimentaire pour les populations. Cette pêche, un véritable extractivisme industriel, détruit parfois pour toujours la capacité de renouvellement de certains stocks de poissons. Au-delà des petits pêcheurs, cette ressource alimentaire manque déjà à des millions d’habitants de ces pays alors que la population de l’Afrique va atteindre 2 milliards d’habitants vers 2050. [43]
L’aquaculture n’est pas la solution miraculeuse qui résoudra le problème de la surpêche et de la faim. Les poissons d’élevage en ce début du troisième millénaire sont plus nombreux sur les étals des commerçants que leurs cousins sauvages. En effet, pour alimenter les poissons carnivores, ceux que les Occidentaux mangent, comme les saumons, dorades, bars, cabillauds, thons… il faut pêcher d’autres poissons sauvages dits « poissons-fourrage » qui seront ensuite transformés en farine. Et il en faut jusqu’à sept kilos pour faire un kilo de poissons d’élevage. Ainsi, entre les prises destinées à nourrir les humains et celles destinées à nourrir les poissons d’élevage, avec les moyens technologiques de la « pêche » moderne, le moment où les ressources halieutiques seront épuisées est de plus en plus proche. Chaque année, la période d’autosuffisance en poissons se raccourcit, pour l’année 2011 par exemple « la France ne mange plus à partir du 14 juin 2011 que du poisson venant des eaux étrangères parce qu’elle a épuisé à cette date ses réserves pêchées dans les eaux de l’Union européenne. » [44]
Les Norvégiens, grands producteurs-exportateurs de saumons d’élevage, sont obligés de mélanger aux aliments de leurs poissons des pesticides pour lutter contre les poux de mer qui déciment les occupants des nasses concentrationnaires flottant dans les magnifiques fjords de ce pays. « La présence de polluants tels que les dioxines et le PCB dans le saumon génère un risque de cancer, qui, pour les personnes jeunes, dépasse les bénéfices attendus du saumon sur la santé. » [45]
Dernier exemple, l’élevage des crevettes roses, destinées à l’exportation vers les pays surdéveloppés, est pratiqué dans de nombreux pays tropicaux. De très nombreuses mangroves ont été détruites pour y installer cette aquaculture. Or elles sont un lieu exceptionnel de la biodiversité marine, indispensable pour la reproduction de nombreuses espèces. De plus, une bonne partie des dégâts et des morts causés par le grand tsunami de 2005 sur les côtes asiatiques est liée à la disparition des palétuviers qui ne jouent plus le rôle d’amortisseur contre les très puissantes vagues des tsunamis. Il y a eu beaucoup plus de morts sur les côtes birmanes où la mangrove avait été détruite sur ordre des généraux dictateurs qu’au Sri Lanka où elle était restée à peu près intacte. [46]
Le vent accaparé
Les meilleurs gisements éoliens terrestres sont aujourd’hui accaparés en France par des capitaux privés. Ce sont des espaces très spécifiques qui sont aussi limités. Car si le vent est une énergie renouvelable, les grands sites d’implantation avec des vents potentiellement rentables et suffisamment éloignés des habitations ne sont pas inépuisables. La disponibilité pour des projets citoyens ou publics baisse.
Pourquoi n’existe-t-il pas des installations publiques de production électrique d’origine éolienne comme les barrages hydroélectriques alpins ou fluviaux mis en place par les grandes compagnies publiques d’électricité en Europe, durant les décennies passées ? Les Etats seraient-ils devenus trop pauvres - par le jeu de la dette illégitime due aux cadeaux fiscaux faits aux plus riches - pour pouvoir financer ces installations ? Alors comment les grands barrages construits après la dernière guerre dans un pays surendetté et en reconstruction comme la France ont-ils été financés ? Par la volonté politique, la dette et les impôts. Ces installations bénéficient directement à tous les citoyens depuis plus d’un demi-siècle. S’il avait fallu verser des dividendes à des investisseurs, français ou étrangers, pendant cette période, l’électricité hydraulique aurait coûté sans doute 20 % plus cher aux citoyens français.
Dans le village Les Clérimois dans l’Yonne, un fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. étatsunien reçoit 12-15 % de retour sur investissement des quatre éoliennes qui y sont installées. La société française Poweo, après avoir financé la construction des moulins, a revendu l’ensemble avec bénéfice. Le contribuable français, en subventionnant l’électricité d’origine éolienne parce qu’elle n’émet pas de CO2, participe, sans le savoir, au financement des retraites des travailleurs étatsuniens !
L’énergie du vent telle qu’elle est développée aujourd’hui, financée par des capitaux privés, est une forme d’extractivisme, un pillage de ressources naturelles. Pourquoi ? Les impôts des contribuables permettent un gaspillage supplémentaire d’électricité « verte ». Alors que nous avons tous compris qu’il fallait économiser l’énergie, les publicitaires multiplient par milliers le nombre d’écrans numérisés dans les gares et les espaces publics. Un panneau lumineux numérique de 7 m2 consomme annuellement autant d’électricité que sept familles. [47]
Les déportés et les forçats
La traite transatlantique, cette effroyable déportation imposée aux Africains que l’on a arrachés à leur famille, leur culture et leur pays, a été centrale dans la conquête du monde par les Européens. Sans esclaves, pas d’or, ni tabac, ni bois précieux, ni sucre de canne (la betterave à sucre n’existait pas), ni coton n’auraient pu être produits puis débarqués dans les ports du Nord. Sans le pillage des métaux précieux extraits par ces forçats, pas d’Europe des « Lumières », pas de financement pour la révolution industrielle ni de capitalisme triomphant. Les populations afro-américaines, africaines, indiennes et tous ceux qui ont été asservis par la puissance des armées européennes sont les créanciers d’une dette historique, sociale et écologique qu’il est indispensable de réparer.
Les colonisés
Si pour les hommes et les femmes des pays colonisés au XIXe siècle, ce n’était plus formellement de l’esclavage, pour les Congolais sous Léopold II, c’était pire. Comme le souligne l’Express, « le souverain belge fit du Congo sa propriété privée. Près de dix millions d’hommes, de femmes et d’enfants en sont morts » [48] dans des conditions effroyables. De nombreux bras et mains ont été coupés à ceux qui n’avaient pas rapporté assez de latex de la forêt…
Les populations des différents pays, soumises par les armées coloniales, ont été contraintes de travailler et d’extraire gratuitement des matières premières agricoles, sylvicoles ou minières pour l’Europe. Quand ils se révoltaient pour retrouver leur indépendance, les massacres étaient terribles. À Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie au cours de l’année 1945, après la victoire alliée, ce sont environ 15 000 Algériens qui ont été massacrés. A Madagascar, après une manifestation réclamant l’indépendance en 1947, près de 100 000 Malgaches ont été assassinés par la même armée française. Plus de cinquante ans après la révolte des populations kényanes qui demandaient leur indépendance, « Londres a finalement accepté en 2013 d’indemniser financièrement plusieurs milliers de Kényans, une soixantaine d’années après la répression sanglante de l’insurrection des Mau Mau. » [49]
Esclaves d’aujourd’hui
Des millions de paysans pauvres du Brésil se sont regroupés au sein du Mouvement des sans terre (MST) pour lutter contre les propriétaires des immenses fazendas. Ces grands propriétaires – possédant plusieurs milliers d’hectares - continuent à imposer leurs lois au monde paysan. On dit là-bas que la terre est devenue prisonnière quand l’homme est devenu libre.
Le vieux système de « l’esclavage pour dette », pourtant aboli dans une majorité de pays, a par endroit remplacé la traite négrière. Encore de nos jours au Brésil, le travailleur pauvre est embarqué vers la promesse d’un eldorado. Mais quand il arrive en Amazonie, on lui demande de rembourser le prix de son transport, de ses outils, et il gagne si peu qu’il doit aussi obtenir un crédit pour se nourrir à la boutique appartenant à son employeur. Constamment endetté, il est contraint de travailler comme un esclave, tels ces coupeurs de canne à sucre qui doivent toujours produire davantage et meurent parfois d’épuisement, afin d’assurer la production en bout de chaîne de l’éthanol, un carburant réputé propre !
Au Pakistan et en Inde, la dette se transmet de génération en génération et fabrique des captifs depuis longtemps. Pour éviter ce véritable esclavage, des paysans surendettés, originaires du Kerala, de l’Andhra Pradesh et d’autres Etats indiens se suicident, 275 000 en quinze ans selon Vandana Shiva. Pour se procurer des semences OGM très coûteuses chaque année et les engrais et pesticides indispensables à cette « révolution verte », ces paysans obtiennent des crédits. Une mauvaise récolte de coton empêche l’agriculteur d’acheter l’année suivante ces semences brevetées. La faillite est alors certaine. J’ai rencontré une jeune femme indienne dont le mari venait de se suicider dans l’Etat du Maharastra. Contrainte de vendre les terres familiales pour payer les dettes, elle vivait dans une cabane de branchages avec ses deux filles au bord d’un champ. Elle louait ses bras à un paysan voisin pour quelques roupies par jour, sans travail ni nourriture assurés pour le lendemain.
Les Muhammad Yunus (Grameen Bank) ou Jacques Attali (Planet Finance) ont tellement dit qu’ils sauveraient les pauvres en leur permettant de créer leur micro-entreprise avec le microcrédit que beaucoup les ont crus. [50] Comme si le problème de la pauvreté n’était pas le résultat d’une guerre des riches contre les pauvres, et qu’il pouvait se résoudre par une meilleure allocation de fonds que celle que proposent les usuriers. Or, il y a loin entre le microcrédit social auto-organisé par les femmes et la microfinance qui permet à de grandes institutions financières privées un retour sur investissement de plus 20 %. Cette dernière s’adresse quasi exclusivement aux femmes car elles remboursent à près de 99 % leurs dettes, voire parfois en vendant leur corps.
Souvent contraintes par l’extrême pauvreté et la tentation de recourir à un emprunt pour nourrir leurs enfants, elles s’endettent. N’ayant pu investir dans un « petit business devenant grand », invention pour pousser à l’endettement, elles ne peuvent rembourser et sont alors contraintes de réemprunter ailleurs. Cette cascade d’emprunts et d’intérêts les enferre dans des remboursements impossibles. Poursuivies jusque chez elles par les employés brutaux des organismes prêteurs elles n’ont souvent plus d’autre solution que la mort ou la prostitution.
La recherche du profit et la compétition sont suicidaires, pour nous tous. Le partage des ressources, la sobriété dans leur utilisation, la coopération, autant pour la préservation de la nature aujourd’hui que pour les générations futures, sont des buts autrement plus enthousiasmants que l’accumulation primaire et sans limites de richesses matérielles. Selon le rapport Oxfam de janvier 2014 « près de la moitié (de la richesse du monde) est entre les mains des 1% les plus riches, tandis que 99 % de la population mondiale se partagent l’autre moitié. » [51]
Le viol de l’imaginaire
Les civilisations indigènes d’Amérique et d’Afrique ont été en grande partie détruites par les Occidentaux. Sans oublier l’extermination des peuples indiens d’Amérique, sud et nord, des Maoris de Nouvelle-Zélande ou les situations tragiques vécues encore aujourd’hui par les Aborigènes en Australie. Actuellement les Adivasis en Inde, les peuples autochtones de Bornéo ou les Indiens d’Amazonie sont très durement attaqués par les pilleurs-extractivistes, multinationales et gouvernements, pour les richesses de leurs territoires : mines, terres et forêts.
Les missionnaires qui ont accompagné les conquêtes occidentales étaient là pour détruire les cultures animistes, étape indispensable pour que ces peuples adhèrent aux religions monothéistes et acceptent le vol et la dépossession de leurs richesses naturelles. « Les génocides sont universellement condamnés, mais les ethnocides, cette destruction du mode de vie d’un peuple, sont appelés ‘politiques de développement » ! [52]
L’Église catholique au temps de l’inquisition a-t-elle fait autrement en Europe ? Les « sorcières », ces femmes qui étaient brûlées tentaient pourtant de faire survivre, face au totalitarisme chrétien, la diversité des religions polythéistes, des pratiques médicales traditionnelles à base de plantes et d’élixirs, etc. Des femmes ou parfois des hommes ont été assassinés pour avoir défendu la liberté de pensée ou les sagesses anciennes contre le patriarcat et le monothéisme catholique.
Le monde est encore aujourd’hui largement dominé par cette idéologie conquérante, patriarcale et extractiviste. L’accumulation sans limites se fait en déniant la finitude du monde et le désir de bien vivre des peuples. David Harvey explique : « Le principe est que la tendance du taux de rendement du capital dépasse toujours le taux de croissance des revenus. C’est ainsi que le capital assure sa propre reproduction, quels que soient les inconvénients pour le reste d’entre nous. Et c’est ainsi que la classe capitaliste vit. » [53] On ne brûle pas encore les objecteurs de croissance, mais quels économistes, hommes politiques ou médiacrates ne les traînent pas, encore en 2014, dans la boue en les taxant d’arriérés prônant le retour aux cavernes et à la bougie ?
Introduction
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
[1] Le générique masculin est utilisé dans l’ensemble du texte sans aucune discrimination et uniquement dans le but d’alléger le texte.
[2] Leader politique puis président kenyan (1893-1978).
[3] http://www.lesechos.fr/journal20120711/lec1_saga/0202139988317-potosi-l-argent-du-perou-inonde-le-monde-342774.php
[4] http://www.lesechos.fr/19/07/2012/LesEchos/21230-039-ECH_argentine---catamarca--la-mine-de-la-colere.htm
[5] http://www.onewovision.com/actu-rdc/Pillage-du-cuivre-congolais-chiffres-fort-troublants,i-20140625-92e4
[6] http://www.amnesty.ch/fr/pays/ameriques/perou/documents/2013/le-pillage-des-ressources-de-yanacocha
[8] « energy returned on energy invested », énergie acquise sur énergie dépensée.
[9] http://gazdeschistesprovence.wordpress.com/2011/09/04/sables-bitumineux-de-líalberta-et-contestation-devant-la-maison-blanche/
[10] « La croissance mondiale va s’arrêter », Le Monde 25.05.2012.]
Daniel Tanuro écrit :
« Aucune société dans l’histoire n’a été guidée par la soif inextinguible de profit qui pousse les propriétaires de capitaux à accumuler toujours plus pour produire toujours plus et vendre toujours plus en créant toujours plus de besoins. (…) Les ‘pénuries alimentaires, les famines, les guerres d’aujourd’hui ne sont pas dues au fait que trop de gens luttent pour trop peu de ressources’ : elles sont dues au fait que les nantis s’approprient les ressources et se donnent les moyens militaires de continuer à les piller pour leur profit. ‘Les révolutions, les changements de régime violents, l’effondrement de l’autorité, le génocide, la mortalité infantile élevée’ ne sont pas ‘des mesures de la pression environnementale et démographique : ce sont des mesures de l’injustice, de l’oppression, de l’exploitation et de la barbarie montante, etc. » [[http://blog.mondediplo.net/2008-01-18-Effondrement-de-Jared-Diamond
[11] http://www.afriqueredaction.com/article-6-9-millions-de-morts-en-rdc-necessite-d-un-tribunal-penal-international-47407787.html
[12] Frank Poulsen, Du sang dans nos portables, documentaire Arte, 2011.
[13] 7,3 MdsE = 7.3 milliards d’euros… http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/Le-petrolier-Chevron-condamne-a-une-amende-record-pour-pollution-_NG_-2012-01-04-754001.
[14] Libération, 7 avril 2010.
[15] http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2013/10/12/manifestation-anti-areva-au-niger_3494805_3212.html
[16] « Comment Areva laisse mourir ses travailleurs au Niger » article Bastamag du 14 janvier 2013 http://www.bastamag.net/article2858.html et Uranium, l’héritage empoisonnée, documentaire diffusé sur la chaîne Public sénat le 07.12.2009 http://www.publicsenat.fr/cms/uranium_documentaire
[17] La Coface est une institution financière française semi-publique qui fait de l’assurance crédit pour les exportations.
[18] Sebastien Godinot, Les Amis de la Terre http://cadtm.org/Garantie-de-la-Coface-pour-le
[19] Matthieu Calame, La tourmente alimentaire, Charles Léopold Mayer 2008.
[22] Jacques Berthelot, Réguler les prix agricoles, L’Harmattan, 2013.
[24] Jean Ziegler, Destruction massive, géopolitique de la faim, Seuil, 2011.
[25] Association symbiotique entre les racines et les champignons.
[29] Denis Delestrac : http://www.atlantico.fr/decryptage/penurie-en-vue-quoi-peut-on-remplacer-sable-denis-delestrac-alain-bidal-739012.html#ya3T6JbtYt1umwI8.99
[30] Plus d’infos : Maurice Lemoine, Coups d’Etat en douce, Le monde diplomatique, Août 2014.
[31] Voir chapitre 5, dans la partie Paradis fiscaux et judiciaires, de plus amples explications sur Jersey et les prix de transfert.
[32] Jean-Pierre Boris, Commerce inéquitable, le roman noir des matières premières, Hachette, 2005.
[35] http://www.lecourrier.ch/bottled-life et « Nestlé et le business de l’eau, », documentaire, Arte.
[36] http://www.aguariosypueblos.org/fr/lutte-contre-la-privatisation-de-leau-a-cochabamba-ñ-bolivie/
[38] http://www.grain.org/article/entries/4654-il-faut-arreter-d-accaparer-les-terres-pour-produire-des-biocarburants#sdfootnote23sym
[39] Étude du Stockholm International Water Institute, citée par le Guardian, http://ecologie.blog.lemonde.fr/2012/08/28/serons-nous-tous-vegetariens-en-2050/
[40] Selon des chiffres de l’État italien, la mafia calabraise “encaisse” tous les ans 7 milliards de $ US provenant du commerce des déchets atomique », et Mogadiscio est une des clés de ce trafic. http://blogs.mediapart.fr/edition/nucleaire-lenjeu-en-vaut-il-la-chandelle-pour-lhumanite/article/020613/lafrique-poubelle-nucleaire
[43] http://www.lesafriques.com/actualite/la-population-africaine-a-atteint-un-milliard.html?Itemid=89
[44] file :///tmp/mozilla_nicolas0/%20http://cna-alimentation.fr/index.php%3Foption=com_content&task=blogcategory&id=43&Itemid=48
[45] Claudette Béthune, http://www.rue89.com/rue89-planete/2011/12/24/le-saumon-ruine-ecologique-de-la-norvege-227529
[46] http://planetevivante.wordpress.com/2008/06/25/role-des-mangroves-dans-le-cas-de-la-houle-cyclonique-ou-des-tsunamis/, et Damien Millet, Les tsunamis de la dette, Syllepse, 2005.
[49] http://www.rtbf.be/info/monde/detail_kenya-londres-indemnise-des-victimes-de-sevices-a-l-epoque-coloniale?id=8012204
[50] http://cadtm.org/Microfinance-surendettement-et et bien d’autres articles sur le site du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde) : cadtm.org.
[51] En finir avec les inégalités extrêmes, http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/bp-working-for-few-political-capture-economic-inequality-200114-fr_1.pdf
[52] Wade Davis, Pour ne pas disparaître : pourquoi nous avons besoin de la sagesse ancestrale, Albin Michel, 2011 et www.bastamag.net/article1758.html
Président du CADTM France, auteur du livre « Dette et extractivisme »
Après des études de droit et de sciences politiques, il a été agriculteur-éleveur de montagne pendant dix ans. Dans les années 1990, il s’est investi dans l’association Survie aux côtés de François-Xavier Verschave (Françafrique) puis a créé Échanges non marchands avec Madagascar au début des années 2000. Il a écrit pour ’Le Sarkophage, Les Z’indignés, les Amis de la Terre, CQFD.
Il donne régulièrement des conférences sur la dette.
8 octobre 2021, par Nicolas Sersiron
4 juin 2021, par Nicolas Sersiron
10 février 2021, par CADTM Belgique , Nicolas Sersiron , Sushovan Dhar , Camille Bruneau , Pablo Laixhay , Jonathan Peuch
26 octobre 2020, par Nicolas Sersiron
22 avril 2020, par Nicolas Sersiron
3 septembre 2019, par Nicolas Sersiron
19 mars 2019, par Nicolas Sersiron
24 janvier 2019, par Nicolas Sersiron , Cédric Durand , Nathalie Janson , Charles Gave , Frédéric Taddeï
7 janvier 2019, par Nicolas Sersiron , Aznague Ali
18 décembre 2018, par Nicolas Sersiron