Les échanges de dettes ne sont pas une alternative à l’annulation des dettes odieuses

8 mars 2012 par Popular Campaign to Drop Egypt’s Debt




Déclaration de la Campagne populaire pour l’annulation de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
égyptienne

Contexte

Dans une atmosphère générale d’opacité, nous avons appris que l’Égypte a conclu des accords relatifs à la mise en œuvre de programmes d’échanges de dettes avec trois pays européens et que des négociations sont en cours avec deux autres pays. D’après nos sources, les pays en question sont l’Allemagne, la France, l’Italie et la Belgique. La Campagne populaire pour l’annulation de la dette égyptienne souhaite partager ses vives inquiétudes sur les conditions liées à ces accords et plus généralement sur les échanges de dettes (les swaps Swap
Swaps
Vient d’un mot anglais qui signifie « échange ». Un swap est donc un échange entre deux parties. Dans le domaine financier, il s’agit d’un échange de flux financiers : par exemple, j’échange un taux d’intérêt à court terme contre un taux à long terme moyennant une rémunération. Les swaps permettent de transférer certains risques afin de les sortir du bilan de la banque ou des autres sociétés financières qui les utilisent. Ces produits dérivés sont très utilisés dans le montage de produits dits structurés.
). En effet, dans les circonstances actuelles, la campagne s’oppose à cette pratique qui s’écarte de notre objectif d’auditer les dettes, particulièrement la dette contractée pendant le régime dictatorial de Moubarak. Cet objectif est d’ailleurs repris dans plusieurs documents officiels comme la Résolution de l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE [1] sur les soulèvements démocratiques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Cette résolution demande notamment la suspension du paiement et la réalisation d’un audit de la dette de ces pays qui traversent, à l’instar de l’Égypte, des processus de démocratisation.

Manque de transparence et de participation

Indéniablement, quelle que soit la position finale, politique ou économique, qui se dégage de ces accords d’échanges de dettes, ils témoignent d’emblée d’un manque de transparence. C’est d’ailleurs le cas de toutes les activités liées à l’emprunt extérieur en particulier et aux finances du gouvernement en général. Mais cette fois, le secret a atteint un degré tel que le gouvernement n’a fait aucune déclaration publique et n’a pas informé les médias des détails relatifs à ces accords. C’est grâce à des contacts informels que la campagne a pu obtenir quelques informations. Or, si le gouvernement actuel considère que ces échanges de dettes sont positifs pour l’Égypte, il devrait dès lors divulguer les détails de ces accords et rendre compte des prétendus gains à la société civile et aux citoyen-ne-s égyptien-ne-s.

Position de la Campagne sur la procédure d’échange de dettes

A côté du manque de transparence et de l’absence de toute participation parlementaire ou populaire à cette procédure, l’échange de dette ne représente en aucun cas une alternative à l’audit et à l’annulation des dettes externes odieuses. L’échange de dette consiste à ce qu’un pays créancier renonce à recouvrer une dette ou une partie de celle-ci en échange de l’engagement du pays endetté à rediriger les montants vers des projets d’investissements conclus avec ce pays prêteur. Cependant, si l’échange de dette permet initialement d’atteindre certains avantages en termes a) d’économie du coût du service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. , et b) de transformation des dettes externes en investissements, il n’existe aucune garantie que ces projets cadrent avec les plans de développement des États endettés. En réalité, ces projets constituent souvent une contrainte, une forme de conditionnalité décidée par le créancier. La nature, l’utilité de ces projets et les résultats attendus sont un autre point qu’il faut examiner afin de s’assurer que l’échange de dette n’accable pas l’Égypte de nouvelles dettes. Dans tous les cas, les détails de ces accords et les procédures qui régissent ces projets doivent être rendus publics.

Échange de dette versus dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.

De plus, ces échanges risquent de porter sur des dettes odieuses qui devraient donc être annulées sans condition. On parle de dette odieuse notamment dans le cas de prêts contractés sans que les populations n’aient été consultées. Sont également odieux les prêts octroyés à un gouvernement qui opprime sa population et/ou qui n’offre pas de garantie suffisante que les fonds seront effectivement utilisés dans l’intérêt de la population. Ce qui était le cas lors de la dictature de Moubarak. Dès lors, il est urgent de réaliser un audit intégral de la dette extérieure contractée sous ce régime. C’est pourquoi la Campagne populaire pour l’annulation de la dette égyptienne poursuivra ses analyses de l’endettement extérieur et demande que soient rendus publics les détails des accords d’échanges de dettes. Les membres de la Campagne sont extrêmement déçus que la corruption avérée du régime de Moubarak n’ait pas conduit à l’audit des dettes externes et internes contractées sous son long règne. Cette indifférence perdure malgré les preuves de corruption liées à la gestion la dette extérieure apportées par les parlementaires et le pouvoir judiciaire.

Respect de la souveraineté du peuple égyptien

Un des objectifs de la Campagne est d’envoyer aux futurs gouvernements un message clair : contracter de nouvelles dettes en l’absence de transparence et de responsabilité n’est plus acceptable. Après le printemps arabe, les populations demandent à leur gouvernement et aux créanciers de respecter la souveraineté inaliénable du peuple égyptien.

Les gouvernements de transition ne devraient pas formuler de politiques engageant l’Égypte à long terme

Pour la Campagne, la tendance continue du gouvernement à procéder à des échanges de dettes, au lieu d’auditer la dette et de répudier la partie identifiée comme illégale ou odieuse, vise à enfouir les responsabilités des auteurs de cette mauvaise gestion. Ceci n’a rien de surprenant étant donné que la plupart des membres de l’équipe de décision actuelle maintiennent des positions similaires à celles qu’ils défendaient sous l’ancien régime. En outre, nous considérons totalement inacceptable qu’un gouvernement « de transition » outrepasse son mandat et négocie des accords avec d’autres gouvernements, dont les conséquences auront un impact sur l’économie de l’Égypte.

Pour toutes les raisons mentionnées dans cette déclaration, nous appelons tous les gouvernements étrangers à s’abstenir de négocier avec un gouvernement de transition non élu, à engager un audit des crédits octroyés à la dictature égyptienne et à s’assurer que toutes les négociations futures soient transparentes et se déroulent avec un partenaire légitime qui représente la population égyptienne.

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Extrait de notre Charte fondatrice [2]

2) De manière générale, la campagne désapprouve les mécanismes d’échanges de dettes. Ces échanges de dettes vont créer un nouveau fardeau pour le peuple égyptien, et leurs légalité et bénéfices ne sont pas vérifiés par la population. Si l’on procède à des échanges de dettes plutôt qu’à la réalisation d’un audit et à l’annulation des dettes illégitimes, la campagne dispose que :

  • Ces accords doivent être examinés afin de déterminer la légitimité des dettes soumises à l’échange.
  • Les conditions d’échanges doivent être discutées afin de garantir l’intégrité et la transparence dans le processus de prise de décision.

Traduction par Cecile Lamarque et Renaud Vivien.