Les militants pour l’abolition de la dette se préparent à un contre-sommet à Marrakech alors que la Banque mondiale et le FMI s’y réunissent

7 octobre 2023 par Eric Toussaint , Ashley Smith


Les militants du mouvement mondial pour l’abolition de la dette se réunissent du 12 au 15 octobre à Marrakech, au Maroc.

Les militants du mouvement mondial pour l’abolition de la dette se préparent à se mobiliser à Marrakech, au Maroc, où la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) tiennent leur réunion annuelle du 9 au 15 octobre, malgré le tremblement de terre dévastateur qui a ravagé le mois dernier des pans entiers du pays.



Prévu pour protester contre cette réunion d’élite, le contre-sommet militant rassemblera des délégations de mouvements sociaux du monde entier, créant ainsi une force d’opposition aux 10 000 banquiers, PDG d’entreprises et bureaucrates gouvernementaux qui se rendront dans le pays pour séjourner dans des hôtels cinq étoiles et discuter de la manière de gérer le système d’endettement qu’ils imposent aux pays du Sud mondial.

Ashley Smith, de Truthout, s’est entretenu avec l’un des principaux organisateurs du contre-sommet, Éric Toussaint, au sujet de la nature du système de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et de la lutte pour son abolition. Toussaint est le porte-parole du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et fait partie du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Le système dette. Une histoire des dettes souveraines et de leur répudiation et Banque mondiale : Une histoire critique.

Ashley Smith : Les pays du Sud sont pris dans une nouvelle crise de la dette souveraine qui ne cesse de s’aggraver. Qu’est-ce qui a poussé tant de pays à s’endetter ? Qu’est-ce qui a déclenché la crise de la dette actuelle ?

Éric Toussaint : Depuis la grande récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. , l’endettement des pays en développement, en particulier des plus pauvres, a considérablement augmenté. La cause première de cette croissance de la dette est la politique adoptée par les États impérialistes pour relancer leurs économies.

Ils ont mis en œuvre l’assouplissement quantitatif, injectant des milliards de dollars, d’euros et de livres sterling sur leurs marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
pour relancer les grandes banques et les fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. qui étaient au bord de la faillite. Riche en liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
, ces institutions financières ont cherché les sites d’investissement les plus rentables.

Elles ne les ont pas trouvés dans la dette publique des pays du Nord, où les taux de rendement étaient proches de zéro. Elles ont donc acheté des obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
souveraines émises par des pays en développement, y compris des pays désespérément pauvres comme le Rwanda et l’Éthiopie. Ces obligations leur ont rapporté entre 4 et 6 %.

Les dirigeants de ces pays ont ensuite convaincu les marchés financiers de leur prêter davantage d’argent. Ensuite, ils ont annoncé à la population de leur pays que la vente d’obligations et les nouveaux prêts assureraient un avenir meilleur.

L’accès à ces investisseurs et prêteurs privés était une nouveauté. Auparavant, les pays les plus pauvres ne pouvaient obtenir des prêts qu’auprès du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et d’autres banques multilatérales, ainsi que de créanciers bilatéraux comme la France, le Royaume-Uni, la Chine et les États-Unis.

Plusieurs chocs subis par le capitalisme mondial ont précipité une nouvelle crise de la dette. Tout d’abord, la pandémie a temporairement bloqué l’économie mondiale. Les pays pauvres ont soudain dû faire face à d’énormes dépenses de santé publique, tandis que leurs marchés d’exportation se sont fermés et que les voyages touristiques se sont arrêtés, plongeant les États dans des crises budgétaires et leurs économies dans une chute libre.

En outre, la guerre en Ukraine a fait grimper le prix des denrées alimentaires, que de nombreux pays en développement, si ce n’est la plupart, importent, imposant de nouveaux coûts aux populations pauvres. De même avec l’augmentation des prix des combustibles que beaucoup de pays du Sud importent. Ensuite, la Réserve fédérale américaine et d’autres banques centrales ont considérablement augmenté leurs taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
pour lutter contre l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. , faire baisser la demande et les salaires. Les nouveaux taux ont considérablement augmenté le prix des nouveaux prêts pour maintenir les États et les économies à flot.

Ces chocs ont déclenché la crise de la dette souveraine qui touche des pans entiers de l’hémisphère Sud. Pour ne citer qu’un exemple, le Ghana, qui avait été célébré comme une réussite néolibérale, a été contraint de suspendre ses paiements aux créanciers. On pourrait également cité le Sri Lanka.

Ashley Smith : Qui sont les principaux détenteurs de la dette du Sud aujourd’hui ?

Éric Toussaint : Les créanciers privés tels que les fonds d’investissement, les banques et les classes dirigeantes locales du Sud détiennent plus de 50 % de la dette extérieure totale. Environ 25 % sont détenus par des institutions multilatérales telles que le FMI, la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement, la Banque africaine de développement et la Banque interaméricaine de développement. Le reste est entre les mains de créanciers bilatéraux comme les États-Unis, les pays européens et la Chine.

Les plus pauvres sont principalement à la merci du FMI et de la Banque mondiale. Certains pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». sont également sous leur coupe : l’Argentine leur doit environ 44 milliards de dollars et l’Ukraine environ 20 milliards de dollars.

Ashley Smith : Le FMI et la Banque mondiale se réunissent ce mois-ci à Marrakech, au Maroc. Quel agenda tenteront-ils de faire avancer lors de leur sommet ? Quel sera l’impact sur les pays endettés ?

Éric Toussaint : Leur ordre du jour est d’affirmer quelques points essentiels. Tout d’abord, ils rappelleront au monde qu’aucune autre institution (et surtout pas la nouvelle banque de développement des BRICS BRICS Le terme de BRICS (acronyme anglais désignant Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a été utilisé pour la première fois en 2001 par Jim O’Neill, alors économiste à la banque Goldman Sachs. La forte croissance économique de ces pays, combinée à leur position géopolitique importante (ces 5 pays rassemblent près de la moitié de la population mondiale sur 4 continents et près d’un quart du PIB mondial) font des BRICS des acteurs majeurs des activités économiques et financières internationales. ) ne peut les remplacer. Il ne faut pas oublier que les États-Unis contrôlent le FMI et la Banque mondiale et les utilisent comme des outils impérialistes, malgré la participation de nombreux autres pays, dont la Chine, à ces deux institutions.

Les États-Unis veulent donc s’assurer que le FMI reste le créancier de dernier recours et la Banque mondiale le principal prêteur pour le développement dans le Sud le plus pauvre. Washington veut ainsi repousser les tentatives de la Chine de rivaliser avec son hégémonie économique et politique.

Deuxièmement, les États-Unis veulent renforcer leur modèle néolibéral - déréglementation, privatisation, flexibilisation des marchés du travail et ouverture des pays aux capitaux multinationaux. Bien sûr, ils ne peuvent pas le dire publiquement car ces politiques sont fortement discréditées.

Au lieu de cela, ils diront que leur objectif est d’alléger la dette, de réduire la pauvreté et de renforcer les économies des pays en développement pour faire face au changement climatique et à la crise écologique. Mais cela n’est guère crédible, surtout de la part des dirigeants actuels de ces deux institutions.

Il suffit de prendre le cas Ajay Banga, le nouveau directeur de la Banque mondiale. Avant sa nomination, il était directeur de Mastercard et n’avait aucune expérience dans le domaine du développement, mais il était doué pour escroquer les gens en leur faisant payer des taux d’intérêt exorbitants sur les cartes de crédit.

Par exemple, il a convaincu le gouvernement sud-africain du Congrès national africain de mettre fin à sa politique de distribution d’aide sociale en espèces aux pauvres et de la remplacer par une carte de crédit. Bien entendu, cette mesure s’accompagnait de la signature d’un contrat par lequel les bénéficiaires s’engageaient à payer toute dette contractée à un taux d’intérêt de 5 %. Ce système était tellement corrompu qu’il a été fermé en l’espace de cinq ans seulement.

La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a une histoire tout aussi mouvementée. Alors qu’elle était haut fonctionnaire à la Banque mondiale, une enquête indépendante a révélé qu’elle avait trafiqué des données pour faire passer les pratiques commerciales et industrielles de la Chine pour meilleures, afin de justifier une amélioration de son rang dans la liste publiée dans le rapport Doing Business publié par la Banque mondiale, à une époque où Washington et Pékin collaboraient sous l’administration Obama.

À la Commission européenne, elle aurait soi-disant aidé Haïti à se remettre du tremblement de terre de 2010. Cette aide de l’Europe, des États-Unis et des institutions financières internationales a laissé Haïti dans une situation pire que jamais.

Il ne faut donc pas prendre pour argent comptant la prétendue préoccupation de ces deux institutions pour l’éthique, la dette et la pauvreté. Ce n’est que de la rhétorique. Au mieux, elles veulent que les prêteurs privés allègent une partie de la dette et acceptent une décote sur la valeur de leurs prêts. Ils disent la même chose aux créanciers bilatéraux comme la Chine.

Mais le FMI et la Banque mondiale eux-mêmes ne réduisent jamais véritablement le volume de leurs créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). aux pays en développement. Bien sûr, ils annoncent périodiquement des plans de suspension temporaire des paiements et d’allègement de la dette pour les pays les plus pauvres. Mais jamais d’annulation complète de la dette.

Elles se contentent de proposer de nouveaux prêts, augmentant ainsi l’endettement global. Par exemple, ils viennent d’annoncer 1,3 milliard de dollars de prêts supplémentaires au Maroc, soi-disant pour l’aider à se remettre de l’impact désastreux du tremblement de terre qu’il a subi en septembre 2023.

Le FMI et la Banque mondiale ne sont donc que des usuriers impérialistes qui se font passer pour des anges du développement et de la charité

Mais ces prêts ne feront que s’ajouter à la dette extérieure existante de 63 milliards de dollars, qui représente plus de 70 % du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
du pays. Le FMI et la Banque mondiale ne sont donc que des usuriers impérialistes qui se font passer pour des anges du développement et de la charité.

Ashley Smith : Vous avez contribué à l’organisation d’un contre-sommet pour défier ces deux institutions. Qui fait partie de ce contre-sommet, quelles seront les revendications des forces rassemblées et quelles campagnes allez-vous lancer ?

Éric Toussaint : D’importantes délégations viennent du monde entier. Elles viennent de groupes actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
dans les mouvements pour l’abolition de la dette, la justice climatique, les droits des femmes, la justice sociale et l’égalité économique.

Plus de 20 groupes d’Irak soutiennent le contre-sommet. Des organisations palestiniennes y participeront, ainsi que des groupes du Niger, du Mali, du Burkina Faso et du Gabon. Nous aurons également des délégations d’Amérique latine, d’Asie et d’Europe.

Nous avons des délégations très importantes de pays d’Afrique et du Moyen-Orient. Par exemple, plus de 20 groupes d’Irak soutiennent le contre-sommet. Des organisations palestiniennes y participeront, ainsi que des groupes du Niger, du Mali, du Burkina Faso et du Gabon. Nous aurons également des délégations d’Amérique latine, d’Asie et d’Europe.

La principale demande que nous ferons est l’annulation immédiate et totale de la dette souveraine. En outre, nous aborderons une série d’autres problèmes liés à la dette, qui vont du changement climatique à la pauvreté systémique.

Une chose qui frappe à travers tous les préparatifs du contre-sommet est le radicalisme d’une nouvelle génération d’activistes. Presque toutes les personnes impliquées dans les campagnes pour la justice climatique savent parfaitement que ce système ne peut pas être réformé. C’est particulièrement vrai pour les jeunes activistes comme Greta Thunberg.

Ce radicalisme est aujourd’hui typique, et non exceptionnel. Les gens n’ont plus les mêmes illusions que dans les années 80, 90 et 2000. À l’époque, des organisations de justice globale comme ATTAC pensaient pouvoir obtenir une taxe Tobin Taxe Tobin Taxe sur les transactions de change (toutes les conversions de monnaie), proposée à l’origine en 1972 par l’économiste américain James Tobin pour stabiliser le système financier international. L’idée a été reprise par l’association ATTAC et par d’autres mouvements altermondialistes dont le CADTM, dans le but de diminuer la spéculation financière (de l’ordre de 1.200 milliards de dollars par jour en 2002) et de redistribuer le bénéfice de cette taxe aux plus démunis. Les spéculateurs internationaux qui passent leur temps à changer des dollars en yens, puis en euros, puis en dollars, etc., parce qu’ils estiment que telle monnaie va s’apprécier et telle autre se déprécier, devront payer une taxe minime, entre 0,1 % et 1 %, sur chaque transaction. Selon ATTAC, elle pourrait rapporter au moins 100 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Qualifiée d’irréaliste par les classes dirigeantes pour justifier leur refus de la mettre en place, l’analyse méticuleuse de la finance mondialisée menée par ATTAC et d’autres a au contraire prouvé la simplicité et la pertinence de cette taxe. sur les transactions spéculatives comme réforme pour lutter contre l’endettement et la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
.

Mais 20 ans plus tard, nous n’avons pas de taxe Tobin, la spéculation s’est emballée et la crise de la dette s’est encore aggravée. Les militants se font donc moins d’illusions sur des réformes aussi limitées.

Cependant, le mouvement global est plus faible. Au début des années 2000, il était facile de mobiliser des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de personnes pour des contre-sommets dans des villes comme Washington, Prague, Bangkok et Gênes.

Aujourd’hui, nous n’avons pas cette capacité. Il y a de nombreuses raisons à cela, notamment la désillusion, la répression et la difficulté de voyager. Certain-es sont également tenté-es de remplacer les actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de masse par des actions en petits groupes.

Nous n’avons pas de taxe Tobin, la spéculation s’est emballée et la crise de la dette s’est encore aggravée. Les militants se font donc moins d’illusions sur des réformes aussi limitées.

Bien sûr, nous défendons et soutenons la désobéissance civile pour perturber les sommets. Mais de telles actions, aussi bien intentionnées soient-elles, n’empêcheront pas les puissances impérialistes, leurs institutions financières et les prêteurs privés d’imposer leur système d’endettement.

Nous avons besoin de masses de personnes en mouvement au niveau international pour obtenir l’abolition de la dette. Nous considérons notre contre-sommet de Marrakech comme une étape dans la construction d’un nouvel internationalisme et d’une capacité renouvelée de mobilisation de masse.

Ashley Smith : L’un des pays sur lesquels vous attirez l’attention lors du contre-sommet est l’Ukraine. Comment s’inscrit-elle dans le schéma général de la dette et de l’ajustement structurel ? Pourquoi les pays du Sud devraient-ils considérer sa lutte pour l’autodétermination et l’annulation de la dette comme faisant partie de la leur ?

Éric Toussaint : Tout le monde devrait soutenir la lutte de l’Ukraine contre l’agression impérialiste russe. Comme tous les pays opprimés, l’Ukraine devrait avoir le droit à l’autodétermination. Mais la lutte de l’Ukraine ne devrait pas seulement être dirigée contre la Russie, mais aussi contre les puissances occidentales.

Les États-Unis et leurs alliés ont imposé au peuple ukrainien une thérapie de choc à partir des années 1990 et maintiennent le pays aujourd’hui dans une situation de domination par la dette. La lutte de l’Ukraine devrait donc être menée contre deux ennemis : l’impérialisme russe et l’impérialisme occidental.

L’Occident veut renforcer l’OTAN OTAN
Organisation du traité de l’Atlantique Nord
Elle assure aux Européens la protection militaire des États-Unis en cas d’agression, mais elle offre surtout aux États-Unis la suprématie sur le bloc occidental. Les pays d’Europe occidentale ont accepté d’intégrer leurs forces armées à un système de défense placé sous commandement américain, reconnaissant de ce fait la prépondérance des États-Unis. Fondée en 1949 à Washington et passée au second plan depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN comprenait 19 membres en 2002 : la Belgique, le Canada, le Danemark, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, auxquels se sont ajoutés la Grèce et la Turquie en 1952, la République fédérale d’Allemagne en 1955 (remplacée par l’Allemagne unifiée en 1990), l’Espagne en 1982, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque en 1999.
et imposer son modèle néolibéral à l’Ukraine, où il n’a pas été pleinement adopté. Les États-Unis et leurs alliés utilisent donc la carotte de l’intégration dans l’UE pour faire accepter le bâton du néolibéralisme.

Bien entendu, le gouvernement Zelenskyy et les oligarques ukrainiens sont complices de tout cela. Tout comme les classes dirigeantes du Sud, ils ont des profits à tirer du néolibéralisme et de l’intégration au capitalisme mondial.

Ainsi, la situation difficile de l’Ukraine n’est pas si différente de celle des pays du Sud. Il existe donc une base de solidarité avec les peuples d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie et d’Amérique latine. Nous devrions nous unir dans la solidarité en soulevant des demandes d’autodétermination et d’annulation de la dette partout, de l’Ukraine au Ghana en passant par le Sri Lanka et d’autres pays.

Mais ce n’est pas un argument facile, car beaucoup considèrent les États-Unis et les puissances européennes comme les principaux ennemis, ce qui est compréhensible compte tenu de leur longue et brutale expérience de l’intervention impérialiste qu’elle soit nord-américaine, européenne occidentale ou japonaise. Et Vladimir Poutine en profite pour prétendre représenter les intérêts du Sud.

C’est un mensonge. Dans les ateliers de notre contre-sommet, nous dénoncerons le régime russe comme une puissance impérialiste brutale.

Ashley Smith : Pourquoi est-il si important d’obtenir l’annulation de la dette pour les pays du Sud ?

Éric Toussaint  : L’abolition de la dette illégitime est une condition essentielle mais insuffisante pour réaliser des réformes structurelles dans les pays appauvris. Ces réformes sont impossibles si les pays ne sont pas émancipés de leurs créanciers impérialistes.

Ces puissances utilisent la dette pour imposer leur volonté aux pays sous-développés. L’allègement de la dette n’est pas une solution, car il maintient l’endettement et, avec lui, l’oppression nationale. C’est pourquoi nous exigeons une abolition inconditionnelle.

En même temps, l’abolition de la dette ne suffit pas si les classes dirigeantes nationales ou étrangères maintiennent la propriété privée sur les grands leviers de l’économie et sur les ressources naturelles. L’abolition de la dette doit donc être un élément clé de la construction d’un mouvement anticapitaliste radical pour un changement de système dans chaque pays et dans le monde.


Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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Ashley Smith

est un écrivain socialiste et un militant de Burlington, dans le Vermont. Il a écrit dans de nombreuses publications, dont Truthout, International Socialist Review, Socialist Worker, ZNet, Jacobin, New Politics, Harpers, et bien d’autres publications en ligne et imprimées. Il travaille actuellement sur un livre pour Haymarket intitulé Socialism and Anti-Imperialism. Ashley Smith est responsable de la revue Spectre

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