Version 2.0 de Un nouveau piège de l’endettement du Sud au Nord

Les pays en développement pris dans l’étau de la dette

2 février 2021 par Eric Toussaint , Milan Rivié


La pandémie du coronavirus et les autres aspects de la crise multidimensionnelle du capitalisme mondialisé justifient en soi la suspension du remboursement de la dette. En effet il faut donner la priorité à la protection des populations face aux drames sanitaires, économiques et écologiques.

En plus de l’urgence, il est important de prendre la mesure des tendances plus longues qui rendent nécessaire la mise en œuvre de solutions radicales en ce qui concerne la dette des pays en développement. C’est pour cela que nous poursuivons l’analyse des facteurs qui renforcent dans la période présente le caractère insoutenable du remboursement de la dette réclamée aux pays du Sud global. Nous abordons successivement l’évolution à la baisse du prix des matières premières, la réduction des réserves de change, le maintien de la dépendance par rapport aux revenus que procure l’exportation des matières premières, les échéances du calendrier de remboursement des dettes des PED qui implique d’importants remboursements de 2021 à 2025 principalement à l’égard des créanciers privés, la chute des envois des migrant-e-s vers leur pays d’origine, le reflux vers le Nord des placements boursiers, le maintien de la fuite des capitaux [1]. Les reports de paiement accordés en 2020-2021 en raison de la pandémie par les États créanciers membres du Club de Paris et du G20 ne représentent qu’une petite partie des remboursements que doivent effectuer les Pays en développement.



 1. Baisse du prix des matières premières

Au tournant des années 1980, la chute du prix des matières premières fut le second facteur déclencheur principal de la crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Tiers Monde. L’histoire se répète aujourd’hui pour ces pays vulnérables et toujours dépendants de leurs revenus d’exportation. Indispensables pour fournir les devises étrangères nécessaires pour assurer le remboursement de la dette extérieure, les matières premières sont depuis 2014-2015 exportées à des prix très en-deçà de ceux précédemment atteints (voir graphique 1). Ce renversement provoque d’importantes difficultés financières pour une série de pays dépendants de revenus pétroliers, agricoles ou miniers. Les pays exportateurs de pétrole sont les plus touchés car la chute des prix est énorme. Dans une série de cas, ce facteur est aggravé par la dépréciation Dépréciation Dans un régime de taux de changes flottants, une dépréciation consiste en une diminution de la valeur de la monnaie nationale par rapport aux autres monnaies due à une contraction de la demande par les marchés de cette monnaie nationale. des monnaies des pays du Sud face au dollar étasunien.


Graphique 1 : Évolution du prix des matières premières entre novembre 2010 et novembre 2020 [2]

On remarque une corrélation nette entre l’évolution du prix des matières et l’endettement extérieur des PED. De 1998 à 2003, période de reflux de capitaux des PED vers les pays du Nord, le prix des matières premières est relativement bas. A partir de 2003-2004, les prix des matières premières entament une forte croissance qui culmine en 2008, ce phénomène attire les investisseurs et les prêteurs du Nord à la recherche de pays offrant des garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). basées sur leurs ressources en matières premières et leurs revenus d’exportation. Et donc à compter de 2008, commence une période d’afflux de capitaux des pays du Nord vers les PED. Les pouvoirs publics et les grandes entreprises privées du Sud sont incités à s’endetter en profitant du super-cycle des matières premières. Il y a néanmoins une chute en 2009 due à la crise mondiale provoquée par la grande crise financière de 2008 aux États-Unis et en Europe occidentale. Les prix des matières premières remontent à nouveau en 2010. Au cours de l’année 2014, c’est l’effondrement soudain de ce cycle.

Avec la nouvelle baisse des prix pétroliers en 2020, la baisse des recettes d’exportation et plus généralement des revenus, la hausse des remboursements à compter de 2020, une série de pays risque de ne plus être en mesure de rembourser leur dette extérieure publique

S’en suit une période courant de 2015 à 2020, au cours de laquelle les prix des différentes matières premières oscillent à la hausse bon an mal an sans jamais recouvrir pour autant les sommets atteints lors du « super-cycle ». Dans le sillage de la crise économico-financière aggravée par la Covid-19, les prix s’effondrent littéralement lors du premier semestre 2020. Malgré le rebond des prix au cours du second semestre, la tendance est clairement négative pour une série de matière première entre le 1er janvier et le 1er décembre 2020, -8,30 % pour l’ensemble des matières premières (Carburants : -31,21% ; plomb : -7,67 % ; coton : -5,17 % ; fèves de cacao : -11,92 % ; thé : -13,54 % ; café : -3,21 %). L’or, valeur refuge, spécifiquement en tant de crise, s’est quant à lui apprécié de 21,76 %.

  2. Baisse des réserves de change

Disposant de moins de revenus d’exportation, les réserves de change disponibles se réduisent rapidement (voir graphique 2) et la hausse de l’endettement s’accélère. L’année 2020 s’est terminée avec une forte hausse des dettes.


Graphique 2 : Réserves de change des PED en mois d’importation [3]

La fin du « super cycle » coïncide avec la baisse continue des réserves de change des PED en mois d’importation. Alors que pour des pays dépendant des matières premières on recommande un minimum de réserve de 3 mois d’importation, les pays à faible revenu se situent désormais bien en-deçà. Avec la nouvelle baisse des prix pétroliers en 2020, la baisse des recettes d’exportation et plus généralement des revenus, la hausse des remboursements à compter de 2020, une série de pays , en particulier certains pays exportateurs de pétrole, risque de ne plus être en mesure de rembourser leur dette extérieure publique.

  3. Maintien de la dépendance par rapport à l’exportation des matières premières

Le prix des matières premières revêt une importance fondamentale dans le système dette actuel pour les PED. Le colonialisme suivi du néocolonialisme symbolisé notamment par les plans d’ajustement structurel des IFI, maintiennent volontairement une majorité de PED dans un « modèle » extractiviste exportateur de matières premières (voir encadré). Sans infrastructures de transformation suffisante, ils sont extrêmement sensibles à la volatilité des prix, volatilité entretenue par la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
sur les grands marchés boursiers internationaux [4]. Si l’on prend les 29 pays à faible revenu (voir tableau 2), à l’exception de la Corée du Nord et d’Haïti, tous sont dépendants de l’évolution du prix d’une matière ou d’une autre. On pourrait élargir l’exercice aux pays à revenu intermédiaire et trouver des résultats similaires. Par exemple en 2017, les carburants représentaient entre 50 et 97 % des produits exportés pour le Congo (50 %), le Gabon (70 %) et l’Angola (97 %) ; les produits agricoles 80 % des exportations de la Grenade ; les produits miniers 75 % des exportations de la Zambie et 92 % pour le Botswana.

Encadré : Qu’est-ce que modèle » extractiviste exportateur ?

Ce modèle consiste en un ensemble de politiques qui visent à extraire du sous-sol ou de la surface du sol un maximum de biens primaires (combustibles fossiles, minerais, bois…) ou à produire un maximum de produits agricoles destinés à la consommation sur les marchés étrangers afin de les exporter vers le marché mondial. Ce modèle a des nombreux effets néfastes : destruction environnementale (mines à ciel ouvert, déforestation, contamination des cours d’eau, salinisation/appauvrissement/empoisonnement/érosion des sols, réduction de la biodiversité, émission de gaz à effet de serre…), destruction des milieux naturels de vie de populations entières (peuples originaires et autres) ; épuisement des ressources naturelles non renouvelables ; dépendance à l’égard des marchés mondiaux (bourses de matières premières ou de produits agricoles) où se déterminent les prix des produits exportés ; maintien de salaires très bas pour rester compétitif ; dépendance à l’égard des technologies détenues par les pays les plus industrialisés ; dépendance à l’égard d’intrants Intrants Éléments entrant dans la production d’un bien. En agriculture, les engrais, pesticides, herbicides sont des intrants destinés à améliorer la production. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, les meilleurs intrants sont réservés aux cultures d’exportation, au détriment des cultures vivrières essentielles pour les populations. (pesticides, herbicides, semences transgéniques ou non, engrais chimiques…) produits par quelques grandes sociétés transnationales (la plupart provenant des pays les plus industrialisés) ; dépendance à l’égard de la conjoncture économique et financière internationale.

Source : Eric Toussaint, « Équateur : De Rafael Correa à Lenin Moreno », https://www.cadtm.org/Equateur-De-Rafael-Correa-a-Lenin-Moreno


Tableau 1 : Dépendance des pays à faible revenu aux matières premières (en mois d’importation) [5]

Dépendance à l’égard des exportations de produits agricolesDépendance à l’égard des exportations de combustiblesDépendance à l’égard des exportations de minéraux, minerais et métaux
Pays Réserves de change
en 2019
Pays Réserves de change
en 2019
Pays Réserves de change
en 2019
Afghanistan 12,02 Soudan (2017) 0,19 Burkina Faso nc
Centrafrique nc Tchad nc Burundi (2018) 0,88
Éthiopie 1,8 Yémen nc Érythrée nc
Gambie (2018) 3,59 Guinée 3,26
Guinée-Bissau nc Liberia 2,99
Madagascar 4,38 Mali nc
Malawi 2,82 Mozambique 4,36
Ouganda (2018) 4,18 Niger nc
Syrie nc RDC (2018) 0,41
Rwanda 4,28
Sierra Leone (2018) 3,47
Tadjikistan 1,68
Togo nc


Tableau 2 : Pays en développement ayant des réserves de change inférieures à 3 mois d’importation

Pays à faible revenuPays à revenu intermédiaire inférieurPays à revenu intermédiaire supérieur
Éthiopie 1,80 Djibouti 1,22 Belize 2,38
Liberia 2,99 Eswatini 2,11 Biélorussie 1,86
Malawi 2,82 Ghana 2,73 Équateur 0,77
Tadjikistan 1,68 Laos 1,57 Guyana 1,79
Pakistan 2,55 Kazakhstan 1,61
Sao Tome et Principe 2,89 Kosovo 2,52
Sri Lanka 2,95 Maldives 1,96
Zambie 2,08

Avec la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine et le ralentissement général de la croissance amplifiée par la crise multidimensionnelle de la Covid-19, les cours des matières premières ont continué de chuter drastiquement au 1er semestre 2020. Au cours du deuxième semestre 2020, les prix des produits pétroliers sont restés très bas tandis que les prix d’autres biens primaires ont un peu remonté.

  4. Les échéances du calendrier de remboursement des dettes des PED

Les sommes que les PED doivent rembourser sont particulièrement élevées et les effets de la crise vont encore les augmenter dans les années qui viennent (ce que le tableau ci-dessous ne peut évidemment pas montrer) car les gouvernements augmentent la dette publique pour pallier à la situation dramatique de l’année 2020.


Graphique 3 : Remboursement de la dette extérieure publique des PED – 2007-2027 (en milliards de $US)

Le graphique 3 nous montre les montants remboursés par les PED par type de créancier :

On remarque une hausse sensible des remboursements entre 2007 et 2020, avec une part croissante allouée au remboursement des emprunts émis sous la forme de titres de la dette souveraine. En 2015, avec la chute du prix des matières premières (qui s’est nettement aggravée en 2020 en ce qui concerne les produits pétroliers), la hausse des taux d’intérêts (en particulier des emprunts sous la forme de titres souverains) et le ralentissement de la croissance économique mondiale, 9 PED se sont déclarés en défaut de paiement [6].

Le piège de la dette est en train de se refermer doucement mais sûrement sur un nombre croissant de PED

Le piège de la dette est en train de se refermer doucement mais sûrement sur un nombre croissant de PED.

A partir de 2020, il faut tenir compte du fait que les données sont des projections minimales. Elles sont susceptibles d’évoluer à la hausse à l’avenir. Néanmoins, les sommes sont déjà considérables. On retrouve la tendance à la hausse de la part due sous la forme de remboursement des titres souverains. Au-delà des facteurs à risque précités, il faut tenir compte des effets de la pandémie de la Covid-19.

Suite à la pandémie, les pays du G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. ont accordé un moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sur les remboursements de la part bilatérale pour la période allant de mai 2020 à avril 2021. Ce moratoire pourrait être éventuellement prolongé jusqu’à la fin d’année 2021. L’opération consiste à reporter les paiements de la part bilatérale entre 2022 et 2026. Ils viendront s’ajouter aux paiements déjà prévus ces quatre années et aggraver les difficultés de remboursement. Si 73 pays ont été retenus [7], en réalité seul 46 pays ont participé à cette initiative de suspension du service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. , dite ISSD [8]. Pourquoi si peu ? Deux facteurs l’expliquent. Le premier concerne la faiblesse de la mesure qui consiste en un report de 1,6 % de la dette extérieure publique des PED, le second se caractérise par le chantage des créanciers privés et des agences de notation Agences de notation Les agences de notation (Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch en tête) sont des agences privées qui évaluent la solvabilité et la crédibilité d’un émetteur d’obligations (État, entreprise). Jusqu’aux années 1970 elle étaient payées par les acheteurs potentiels d’obligations, depuis la libéralisation financière la situation s’est inversée : ce sont les émetteurs d’obligations qui rémunèrent les agences pour qu’elles les évaluent... Reconnaissons leur qualité de travail : c’est ainsi que Lehman Brothers se voyait attribuer la meilleure note juste avant de faire faillite. à leur égard. Ceux-ci ont indiqué que les pays introduisant des demandes de moratoire prenaient le risque de voir leur note être rétrogradée par les agences de notation et de se voir couper l’accès aux marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
 [9]. En somme, les premiers promettent une augmentation des taux d’intérêts pour ces pays tandis que les seconds promettent de restreindre la possibilité de se financer sur les marchés financiers. Conséquence, ces pays vont se retrouver à rembourser une somme supérieure avec moins de ressources. Pour revenir au tableau 1 de la première partie de notre série, ce type de conjoncture promet le retour des transferts nets négatifs pour les PED, c’est-à-dire qu’ils vont rembourser des sommes supérieures à celles qu’ils recevront sous la forme de nouveaux crédits…

Le piège de la dette est en train de se refermer doucement mais sûrement sur un nombre croissant de PED.

  5. D’autres facteurs aggravés par la Covid-19

S’il ne faut pas attribuer à la crise de Covid-19 l’ensemble des difficultés économiques traversées par les pays, celle-ci est venue approfondir une spéculation financière inédite par son ampleur ainsi qu’un début de recul de la production dès le milieu de 2019 dans des économies aussi importantes que celles de l’Allemagne et des États-Unis [10]. La finance à Wall Street a largement vacillé à l’automne 2019 [11] ainsi qu’en février-mars 2020 avant la généralisation du confinement suivie de l’intervention massive des banques centrales [12]. La crise qui s’est amplifiée d’une manière catastrophique depuis mars 2020 aura des conséquences de longue durée en termes de pertes d’emplois, de pertes de revenus et de difficultés de remboursement des dettes.

La crise qui s’est amplifiée d’une manière catastrophique depuis mars 2020 aura des conséquences de longue durée en termes de pertes d’emplois, de pertes de revenus et de difficultés de remboursement des dettes

Comme l’indique Gilbert Achcar, « 143 millions d’emplois ont été détruits dans les pays à revenu intermédiaire inférieur (- 14 %), 128 millions dans les pays à revenu intermédiaire supérieur (- 11 %), […] Et, si les États à faible revenu n’ont perdu « que » l’équivalent de 19 millions d’emplois (- 9 %) durant la même période, ce chiffre traduit mal l’impact socio-économique de la crise qu’ils subissent ». Avant de poursuivre, « Selon la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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, la pauvreté extrême — qu’elle définit comme le fait de devoir survivre avec moins de 1,90 dollar par jour — a augmenté en 2020, sous l’effet de la pandémie, pour la première fois depuis 1998, au lendemain de la crise financière asiatique de 1997 »
 [13].

Dans le sillage de la crise, on assiste à un rapatriement de moyens financiers de certains pays de la périphérie vers le centre ce qui provoque notamment une chute de certaines bourses des pays du Sud alors que les bourses du Nord ont rebondi depuis la mi-mars. C’est ainsi que la bourse Bourse La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois). de Mexico a baissé de 2,5 % entre début février 2020 et début février 2021, celle de Santiago au Chili a baissé de 7,25 %, celle de Nairobi a baissé de 5,1 %, celle du Maroc a baissé de 7 % (tous les pourcentages indiqués correspondent à l’évolution entre le 1 février 2020 et le 1er février 2021).

D’autres éléments viennent tarir les ressources financières disponibles pour les PED, en parallèle d’une hausse des dépenses (pour faire face à la pandémie) et d’une baisse de leurs recettes. Avec des instruments de contrôle mis hors « d’état de nuire » par les Institutions financières internationales (IFI) et leurs plans d’ajustement structurel, les PED subissent une importante fuite des capitaux. En 2015, le think-tank Global Financial Integrity estimait les flux financiers illicites annuels sortant des pays du Sud entre 438 et 600 milliards de dollars, soit 20 % de la dette extérieure publique des pays du Sud [14]. Rien que pour l’Afrique, la CNUCED Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
estime que les flux financiers illicites représentent une perte annuelle de 89 milliards de dollars, soit l’équivalent de l’aide publique au développement et des investissements directs étrangers cumulés [15]. Le manque à gagner est tel que l’Afrique et bon nombre de pays en développement sont en réalité des créanciers nets des pays du Nord, d’autant plus que les estimations reposent sur des projections minimales.

A la recherche de placements sûrs, les investisseurs risquent également de bouder les émissions de titres souverains par les PED les plus en difficulté sauf s’ils sont d’accord d’augmenter les taux d’intérêts et les primes de risque ce qui alourdira la facture du remboursement de la dette.

Quant aux investissements directs étrangers (IDE Investissements directs à l’étranger
IDE
Les investissements étrangers peuvent s’effectuer sous forme d’investissements directs ou sous forme d’investissements de portefeuille. Même s’il est parfois difficile de faire la distinction pour des raisons comptables, juridiques ou statistiques, on considère qu’un investissement étranger est un investissement direct si l’investisseur étranger possède 10 % ou plus des actions ordinaires ou de droits de vote dans une entreprise.
), la CNUCED table sur un déclin de 40 %. Avec la fermeture des frontières et de la baisse du trafic aérien, de nombreux pays ont connu une forte baisse de leurs revenus liés au tourisme.

  6. Recul des envois de fonds par les familles de migrants vers leurs pays d’origine

A cela, il faut y ajouter un net recul des envois de fond de la diaspora, bien supérieurs à l’aide publique au développement [16] (voir graphique 4). Or ces envois qui arrivent pour la plupart en devises fortes permettent aux États de trouver une partie des dollars, des euros ou d’autres monnaies fortes pour rembourser la dette publique externe. La diminution des revenus des ménages du Sud due à la réduction des sommes qu’ils reçoivent de leurs proches qui travaillent à l’étranger va réduire leur consommation et, mécaniquement, va diminuer leur capacité à payer des impôts indirects ou directs. Cela réduira les recettes publiques et affaiblira la capacité de rembourser la dette diminuera. Cela va aussi augmenter le besoin des familles déjà appauvries de recourir à des emprunts pour survivre.


Graphique 4 : Envois de fonds de la diaspora et aide publique au développement reçus par les PED (en milliards de $US)

Le graphique 4 compare les envois de fonds de la diaspora (en bleu) à l’aide publique au développement (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ) reçus (en orange) par les PED. En l’espace de 18 ans, l’APD a plus que triplé en valeur absolue, passant de 48,36 milliards à 165,59 milliards de dollars. Mais il s’agit d’une augmentation en trompe l’œil. En valeur relative, l’APD a baissé à 0,3 % du revenu national brut des pays contributeurs, très loin derrière l’objectif de 0,7 % [17]. Par ailleurs, il est indispensable de questionner la qualité de cette « aide », certes constituée de dons, mais surtout de prêts et qui peut être affecté à des secteurs on ne peut plus discutables comme le contrôle des frontières, les frais liés à la détention des migrants ou encore à des annulations de dette. Dans le même temps, les envois de fonds de la diaspora ont été multiplié par 6,5, passant de 73,95 milliards à 485,27 milliards de dollars. En 2019, un nouveau record a même été atteint avec quelques 554 milliards de dollars envoyés [18]. Par ailleurs, afin d’échapper aux commissions réclamées par les banques et entreprises spécialisées dans les transferts d’argent internationaux, un pourcentage significatif passe par des circuits informels invisibles pour les institutions statistiques [19]. Les envois de fonds de la diaspora représentent 3 fois l’APD au minimum, probablement beaucoup plus, et surtout des revenus indispensables pour les populations des PED, souvent à court de moyens pour des dépenses en santé, en éducation voire alimentaires. Souvent envoyés en devises fortes (dollar, euro, etc.), ils constituent également pour les Etats une part significative des réserves de change à leur disposition. Avec la crise de la Covid-19, la Banque mondiale table sur un recul de 20 % de ces envois en 2020 [20]. En d’autres termes, cela se traduit par une augmentation de la pauvreté, une augmentation des difficultés pour les classes populaires de rembourser leurs dettes et des difficultés croissantes pour rembourser la dette publique extérieure.

  7. Les pays en difficultés de paiement

D’après le FMI, 20 % des PED sont actuellement en situation de surendettement, 1 pays sur 5, c’est considérable. Et un peu moins de 15 % des PED sont en suspension de paiement. Dans les deux cas, l’Afrique subsaharienne est la région la plus représentée. Viennent ensuite l’Asie de l’Est & Pacifique, puis l’Amérique latine & Caraïbe.


Tableau 2 : Liste par région des PED en situation de surendettement ou en suspension de paiement [21]

 8. La dette contre les peuples

D’après Jubilee Debt Campaign, le service de la dette des PED devaient représenter 14,3 % de leurs revenus en 2020, soit plus qu’un doublement du service dû en 2010. Cette moyenne cache comme toujours de fortes disparités tout autant que des situations dramatiques, à l’image du Gabon (59,5 % du total des recettes publiques), du Ghana (50,2 %), du Laos (31,1 %), du Pakistan (35 %), du Sri Lanka (37,5 %) ou du Venezuela (266,4 %) . En somme, « Cinquante-deux États consacrent plus de 15 % de leurs recettes à ce remboursement, contre 31 en 2018, 27 en 2017, 22 en 2015 » [22]

 9. Résumé

En résumé des parties 2 et 3, nous avons :

  • Une hausse massive de la dette des PED à compter de 2008, se traduisant par un afflux massif de capitaux privés ;
  • Une augmentation sans précédent de la part des dettes sous la forme de titres publics souverains dont les échéances de remboursement seront les plus importantes à compter de 2020 ;
  • Un début de reflux des moyens financiers qui s’étaient dirigés du Nord vers les bourses du Sud ;
  • Des taux d’intérêts sur les emprunts publics du Sud avec une pente ascendante qui risque de s’aggraver avec la dégradation annoncée de l’endettement des PED ;
  • Une forte dégradation des termes de l’échange avec la chute brutale et continue du prix des matières premières accompagnée d’une dépréciation des monnaies des PED face au dollar étasunien ;
  • Une actualité dominée par la Covid-19 et les incertitudes planant sur les économies des PED ;
  • Une réduction des réserves de change
  • Une chute des envois des migrant-e-s vers leur pays d’origine
  • 10 pays en suspension de paiement depuis 2015 et 21 pays au total. Auxquels s’ajoutent 27 pays à haut risque de surendettement.

Un nouveau piège de la dette est en train de se refermer sur les pays du Sud. Il est grand temps d’agir.


Notes

[1Sauf mention contraire, toutes les données indiquées dans les graphiques sont issues du site de la Banque mondiale

[2Source : indexmundi, consulté le 4 décembre 2020 : https://www.indexmundi.com/commodities/

[3Selon les dernières données disponibles sur le site de la Banque mondiale. Aucune donnée en 2019 pour les pays à faible revenu.

[4Gérard Le Puill, « Spéculations permanentes sur les matières premières », l’Humanité, 26 Juin 2019. Disponible à : https://www.humanite.fr/speculations-permanentes-sur-les-matieres-premieres-674133

[5“State of commodity dependence 2019”, UNCTAD, p.25-30. Disponible à : https://unctad.org/en/PublicationsLibrary/ditccom2019d1_en.pdf

[6Il s’agit de l’Argentine, du Congo, de la Gambie, de la Grenade, du Mozambique, de São Tomé et Principe, du Soudan du Sud, du Venezuela et du Yémen.

[7Il s’agit des pays IDA de la Banque mondiale. Voir : https://ida.worldbank.org/about/borrowing-countries

[8Voir Banque mondiale, « COVID 19 : Debt Service Suspension Initiative » (données actualisées une fois par semaine) https://www.worldbank.org/en/topic/debt/brief/covid-19-debt-service-suspension-initiative Voir également Milan Rivié, « 6 mois après les annonces officielles d’annulation de la dette des pays du Sud : Où en est-on ? », 17 septembre 2020. Disponible à : https://www.cadtm.org/6-mois-apres-les-annonces-officielles-d-annulation-de-la-dette-des-pays-du-Sud

[9Voir notamment Aurélie M’Bida, « Dette africaine : Moody’s face aux foudres de l’ONU et de la Banque mondiale », JeuneAfrique, 22 juillet 2020. Disponible à : https://www.jeuneafrique.com/1018565/economie/dette-africaine-moodys-face-aux-foudres-de-lonu-et-la-banque-mondiale/ et Nelly Fualdes, « Dettes africaines : pourquoi les prêteurs privés se rebellent », JeuneAfrique, 18 mai 2020. Disponible à : https://www.jeuneafrique.com/946163/economie/dettes-africaines-pourquoi-les-preteurs-prives-se-rebellent/

[10Voir Éric Toussaint, « La pandémie du capitalisme, le coronavirus et la crise économique », 18 mars 2020. Disponible à https://www.cadtm.org/La-pandemie-du-capitalisme-le-coronavirus-et-la-crise-economique

[11Voir notamment Éric Toussaint, « Panique à la Réserve Fédérale et retour du Credit Crunch sur un océan de dettes », 25 septembre 2019. Disponible à : https://www.cadtm.org/Panique-a-la-Reserve-Federale-et-retour-du-Credit-Crunch-sur-un-ocean-de-dettes

[13Gilbert Achcar, Dans le tiers-monde, un « grand confinement » dévastateur, Le Monde Diplomatique, novembre 2020. Disponible à : https://www.monde-diplomatique.fr/2020/11/ACHCAR/62397

[14Voir Global financial integrity. Disponible à : https://gfintegrity.org/data-by-country/

[15Voir rapport de la CNUCED sur le développement économique en Afrique, 28 septembre 2020. Disponible à : https://unctad.org/fr/PublicationsLibrary/aldcafrica2020_fr.pdf

[16Julien Bouissou, « La diaspora est devenue le bailleur de fonds le plus fiable » : l’indispensable argent des migrants, 15 décembre 2019, Le Monde. Disponible à : https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/15/l-indispensable-argent-des-migrants_6022957_3234.html

[17Voir CNCD-11.11.11, Rapport 2020 sur l’Aide belge au développement, septembre 2020. Disponible à : https://www.cncd.be/IMG/pdf/2020-cncd-11.11.11-rapport-aide-belge-au-developpement-web.pdf

[18Banque mondiale, « World Bank Predicts Sharpest Decline of Remittances in Recent History », Communiqué de presse du 22 avril 2020. Disponible à : https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2020/04/22/world-bank-predicts-sharpest-decline-of-remittances-in-recent-history

[19Voir Léonce Ndikumana et James K. Boyce, La dette odieuse de l’Afrique : Comment l’endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent, version originale 2011, version française 2013 – Editions Amalion

[20Ibid note de bas de page n° 15.

[21“List of LIC DSAs for PRGT-Eligible Countries. As of november 25, 2020”. Consulté le 4 décembre 2020. Disponible à : https://www.imf.org/external/Pubs/ft/dsa/DSAlist.pdf

[22Gilbert Achcar, op. cit.

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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Milan Rivié

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milan.rivie @ cadtm.org
Twitter : @RivieMilan

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