Les procès de la Françafrique [1]
Assassinats politiques, élections truquées, corruption, détournements , “biens mal acquis” au Sud, complicités au Nord, ces derniers mois de l’année 2009, la justice ne chôme pas en France. Des procès surmédiatisés s’enchaînent autour de scandales politiques et financiers qui éclaboussent les plus hautes instances de la 5e République française. Du procès de l’Angolagate [2], à celui de l’affaire “Clearstream” [3]] en passant par le procès de Jacques Chirac dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, détournement de fonds publics, fraudes électorales et abus biens sociaux sont déballés sur la place publique
Pour garder son influence sur ses anciennes colonies depuis les années 1960, la France a placé et maintenu des régimes despotiques permettant aux entreprises françaises de construire leur fortune en Afrique et de poursuivre l’exploitation coloniale des ressources naturelles du continent, telles que le pétrole, l’uranium, les minerais, le bois, etc. Cette politique dite de la “Françafrique” a été menée par tous les présidents de la Ve République : du Général de Gaulle à Jacques Chirac en passant par François Mitterrand ou Valéry Giscard d’Estaing.
Quoi de neuf avec le gouvernement Sarkozy ?
Au moment de son élection à la présidence française, Nicolas Sarkozy avait promis une rupture avec la Françafrique et les pratiques de ses prédécesseurs. Or, cette politique néo-coloniale a, au contraire, gagne en intensité : ventes d’armes, prolifération du nucléaire, conquête de nouveaux marchés par Total, Bolloré, Areva, Bouygues, en Angola, au Soudan, au Congo, au Maroc, etc…. La Françafrique est aujourd’hui décomplexée face aux USA et la Chine également à la conquête de marchés en Afrique.
L’implantation d’entreprises françaises dans les secteurs publics de l’eau, l’électricité ou encore le transport fragilise encore plus les États et détruit leurs biens publics. Leurs méthodes sont bien connues : corruption pour obtenir les marchés puis détournements de fonds au mépris du développement économique et démocratique de l’Afrique. Et lorsque les peuples se révoltent contre le pillage de leurs ressources naturelles ils sont mâtés par ces régimes “amis de la France”.
Soulignons également que la France de Sarkozy a récemment soutenu le coup d’État en Mauritanie, reconnu les élections contestées de Ali Bongo, fils du défunt dictateur du Gabon et tout dernièrement l’élection de Ben Ali pour un cinquième mandat en muselant toute opposition. Avec Sarkozy, on est donc en train d’assister à une politique plus agressive pour la défense des intérêts français en Afrique. Du coup, on peut se demander si ces récents procès ne serviraient pas à donner l’illusion de tourner la page de la Françafrique et détourner l’opinion publique sur le rôle actuel de la France dans la compétition mondiale en Afrique.
Et qu’en est-il des “affaires africaines” encore récemment étouffées ?
Dès lors qu’il s’agit de juger les “affaires africaines”, la justice française piétine, aussi bien sur les biens mal acquis du clan Bongo, Nguesso et Obiang que sur la légendaire affaire “Ben Barka”, dont la famille continue à réclamer le corps disparu depuis son enlèvement le 29 octobre 1965 à Paris par des barbouzes avec la complicité de l’État français : sa police, ses services secrets et sa justice. Tous les moyens sont bons pour étouffer ces affaires qui mettent en lumière la Françafrique : le secret défense est invoqué, les témoins importants meurent ou se suicident, des journalistes véreux et de faux-témoins brouillent les pistes , les plaintes sont rejetées dès lors qu’il s’agit de protéger les amis de la France et les intérêts des entreprises françaises. Quelle justice peut-on alors espérer en France face à cette criminalité économique et financière cautionnées par les plus hautes instances de l’État ? Quelle justice peut-on espérer dans ces pays africains où les élections sont truquées et les dictateurs sont soutenus par les puissances occidentales ?
C’est le 29 octobre 1965 que Ben Barka est enlevé devant la Brasserie Lip à Paris, soit quelques mois avant de présider le comité préparatoire de la conférence fondatrice de la Tricontinentale à La Havane en janvier 1966. Opposant au régime de Hassan II dans un Maroc où l’indépendance a été sacrifiée, Mehdi Ben Barka s’exile en France. Leader tiers-mondiste, il œuvre pour unifier les luttes des mouvements de libération des trois continents : Afrique, Asie et Amérique Latine. Disparu depuis maintenant 44 ans, le corps de Ben Barka reste introuvable. Les présidents français passent mais la vérité est toujours étouffée. Hassan II, ses barbouzes et hommes de mains : Oufkir, Dlimi, Basri sont morts et le silence demeure.
Quatre mandats d’arrêt internationaux, signés le 18 octobre 2007 par le juge parisien Patrick Ramaël et révélés le 22 octobre lors d’une visite d’État de Nicolas Sarkozy au Maroc, ont été notifiés par Interpol après accord du ministère de la Justice. Ils visent le général Hosni Benslimane, chef de la gendarmerie royale marocaine, le général Abdelhak Kadiri, ancien patron de la Direction générale des Études et de la Documentation (DGED, renseignements militaires), Miloud Tounsi, alias Larbi Chtouki, un membre présumé du commando marocain auteur de l’enlèvement, et Abdlehak Achaachi, agent du Cab 1, une unité secrète des services marocains. Diffusés le 18 septembre 2009 par Interpol, soit deux ans après avoir été signés par le magistrat parisien, ces mandats sont contre toute attente bloqués le 2 octobre 2009 par le parquet de Paris. “Le blocage des mandats, quelques jours après leur diffusion, montre la complicité au plus haut niveau entre la France et le Maroc" a déclaré la famille de Ben Barka. On risque donc de ne jamais rien savoir sur la dépouille de celui qui a été le président de la Tricontinentale avant son enlèvement et sa famille ne pourra pas faire son deuil. Quarante-quatre ans après l’enlèvement de Mehdi Ben Barka, la justice n’est donc toujours pas rendue.
Le rôle de l’État marocain, de la presse indépendante, des héritiers du parti de Ben Barka : à quoi sert l’Instance Équité et Réconciliation (l’IER) ? [4.]
Créée en novembre 2003 à l’initiative du roi Mohamed VI, l’Instance équité et réconciliation (IER) visait à établir un bilan des violations des droits de l’homme au Maroc de l’indépendance (1955) à la mort du roi Hassan II (1999) et à proposer des réparations aux victimes. Cette commission censée rendre justice aux victimes des exactions commises sous le règne Hassan II, a rendu son rapport au Roi le 30 novembre 2005. Son bilan est d’autant plus décevant que l’IER a refusé de nommer et de juger les responsables des violations alors que certains d’entre eux détiennent encore des postes importants au niveau de l’État, tels ceux impliqués dans l’affaire “Ben Barka”. A quoi sert donc l’IER sinon ravaler la façade d’un régime répressif qui perdure ?
Créé et animé par d’anciens détenus politiques sous le règne de Hassan II, le Forum Marocain Vérité et Justice (FMVJ) a appellé le ministre marocain de la Justice, Abdelwahed Radi, à traiter tous les Marocains « sur un pied d’égalité, qu’ils soient des généraux ou autres ». Abdelwahed Radi est le premier secrétaire de l’ USFP [5.], parti qui se revendique de l’héritage de Ben Barka. Mais tout comme Abderrahmane Youssoufi, qui a été Premier ministre sous la fin du règne de Hassan II, leur haute fonction à la tête du parti et de l’État marocain n’a en rien aidé à faire éclater la vérité sur leur ancien camarade. Complices du pouvoir marocain, ils se cachent derrière leur silence et légitiment ainsi ses crimes et sa démocratie de façade.
Entre répression et cooptation, l’État marocain voudrait effacer une page de sa sinistre mémoire sans rompre avec son passé répressif. Il entend poursuivre la répression contre toute contestation de son régime. Refuser de dévoiler la vérité au peuple marocain, c’est également falsifier l’Histoire et permettre d’autres crimes à venir. Une partie de la presse dite “indépendante” permet de relayer cette politique et faire croire que tout change mais pour finalement ne rien changer. Les affaires continuent de plus belle car le Maroc est un pays important pour la Françafrique dans une économie de marché mondialisée. Les entreprises françaises se taillent une part de lion dans les secteurs clés privatisés : Vivendi, Bouygues, Veolia, pour ne citer que celles-ci, que l’on retrouve d’ailleurs au Gabon et dans d’autres anciennes colonies françaises où la Françafrique a de beaux jours devant elle, tant que les peuples du Sud et du Nord ne renforcent pas leur lutte commune pour imposer la justice.
Le procès des biens mal acquis en France rejeté
La cour d’appel de Paris a refusé, jeudi 29 octobre 2009, qu’un juge d’instruction enquête sur l’affaire dite des « biens mal acquis » [6.] mettant en cause les présidents du Gabon, du Congo et de Guinée-Équatoriale ainsi que leur entourage. La chambre de l’instruction de la cour d’appel a, en effet, jugé irrecevable la plainte déposée en décembre 2008 par l’ONG Transparency International, pourtant spécialisée dans la lutte contre la corruption, car cette dernière n’aurait selon les juges d’appel pas d’intérêt à agir. Cette dernière annonce son intention de se pourvoir en cassation, estimant la décision « juridiquement contestable ». Notons que depuis 2008, ce dossier a perturbé les relations entre les autorités françaises et le Gabon, ancienne colonie et pilier de l’influence française en Afrique. Libreville a fustigé « l’acharnement complice des médias français », qui relaient les accusations des ONG et menacé de « réexaminer en profondeur les accords de coopération entre la France et le Gabon ».
Au même moment, l’élection contestée de Ali Bongo est reconnue par la France et ses amis dont le Maroc. Ben Ali, président nouvellement réélu en Tunisie pour un 5e mandat est soutenu par une presse aux ordres et une France qui n’a pas rompu avec son passé colonial. Ces derniers faits ne font que confirmer que la Françafrique loin de disparaître se développe de plus belle.
En Afrique, les régimes néo-coloniaux poursuivent le pillage des richesses, perpétuent les guerres et les génocides sans fin. Citons pour exemple le Congo où Patrice Lumumba [7.] a été assassiné au profit de Mobutu avec le concours actif
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
de la Belgique, la France, les USA en pleine guerre froide. Chassé en 1996 de son pays qu’il avait ruiné, Mobutu avait trouvé refuge dans le Maroc de Hassan II avec une partie de sa fortune volée. Il est enterré au Maroc. Aujourd’hui, avec Mohamed VI au pouvoir, les nombreux Congolais qui ont fui les guerres, les pillages, les génocides pour demander asile au Maroc, sont pourchassés et maltraités. Un drame humain que les Marocains se doivent de dénoncer pour que l’argent volé au peuple congolais lui soit restitué.
La dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Congo comme celle du Maroc sont des dettes illégitimes. Plus généralement, les peuples du Sud restent asphyxiés par les mécanismes de la dette financière, en grande partie odieuse et entièrement illégitime vu l’énorme dette historique et écologique dont le Nord est redevable. “Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous ne sommes pas responsables de la dette. Nous ne pouvons pas payer la dette parce qu’au contraire les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang.” déclara Thomas Sankara dans un brillant discours avant son assassinat le 15 octobre 1987. [8.] Malheureusement, longue est la liste des dirigeants et opposants disparus pour avoir voulu un autre destin pour les pays du Sud. Dès lors, un front commun de non-paiement de la dette doit impérativement se mettre en place.
Nous réapproprier notre mémoire collective, c’est aussi nous forger pour les luttes à venir. Les hommes et les femmes meurent mais les idées qui poussent aux résistances se renouvelleront sans fin tant que les intérêts politiques, économiques, géostratégiques passeront avant les intérêts des peuples. La France coloniale est toujours là à veiller à ce que les dictateurs restent en place pour continuer à déposséder et affamer leurs peuples. Aujourd’hui la crise globale qui secoue le monde exige des changements radicaux pour remettre la planète sur ses pieds. Le capitalisme et toutes ses versions ont assez duré ! Combien de temps encore leurs faux remèdes pourront calmer les révoltes nécessaires pour la justice et la réparation ?
Souad Guennoun est membre ATTAC Maroc qui fait partie du réseau CADTM
[1] François-Xavier Verschave : De la Françafrique à la mafiafrique Éd. Tribord, octobre 2004
http://survie.org/francafrique/diplomatie-business-et-dictatures/dossier
[2] L’Angolagate réunit vente d’armes, trafic d’influence, corruption, fraude fiscale, abus de biens sociaux, d’argent du pétrole. Principal inculpé : Charles Pasqua et son réseau, ministre de l’Intérieur des gouvernements de Chirac(1986) et Balladur (1993). Cf : http://survie.org/francafrique/ango...
[3] Affaire quasi idem, implique Villepin, ministre des Affaires Étrangères sous Gouvernement de Chirac
[5.] L’USFP créé en 1975 suite à une scission de l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP), parti créé par Mehdi Ben Barka après une scission en 1959 du Parti de l’Istiqlal.l
[6.] La plainte de Transparence-International et de Sherpa visait les conditions d’acquisition d’un important patrimoine immobilier et mobilier en France par trois chefs d’État africains - Denis Sassou Nguesso du Congo, Teodoro Obiang de Guinée équatoriale et le défunt chef d’État gabonais Omar Bongo, ainsi que par certains de leurs proches.
D’après l’ONG, le patrimoine immobilier des trois chefs d’État en France s’élèverait à 160 millions d’euros. Le clan Bongo possèderait à lui seul une trentaine de luxueux appartements ou maisons.
[7.] L’indépendance du Congo est proclamée le 30 juin 1960, Patrice Lumumba est Premier ministre de juin à septembre 1960. Il sera assassiné le 17 janvier 1961.
[8.] Discours de Thomas Sankara avant son assassinat du Jeudi 15 octobre 1987
Architecte et photographe renommée, vit à Casablanca. Elle témoigne depuis plusieurs années des crises sociales du Maroc d’aujourd’hui : émigration clandestine, enfants des rues, situation des femmes, luttes ouvrières, etc.
Elle filme les luttes menées contre la concentration des richesses, les restructurations d’entreprises provoquées par le néo libéralisme, les choix du régime monarchique visant à soumettre la population aux exigences de la mondialisation financière. Elle est membre d’ATTAC-CADTM Maroc.
Maroc
Jamais le Rif ne retrouvera la paix tant que nos revendications ne seront pas satisfaites17 juillet 2017, par Souad Guennoun , Rosa Moussaoui , Khadija Ainani
Photos
Maroc : Manifestation nationale à Rabat du 11 juin en solidarité avec le Harak du Rif16 juin 2017, par Souad Guennoun
23 mars 2017, par Souad Guennoun
Maroc
Acquittement pour les deux inculpé.e.s du procès microcrédit à Ouarzazate4 décembre 2016, par Souad Guennoun
7 novembre 2016, par Souad Guennoun
Maroc
Quelle indépendance 51 ans après la disparition de Mehdi Ben Berka, président de la Tricontinentale ?29 octobre 2016, par Souad Guennoun
Maroc
Franc succès pour le séminaire international :« Les accords de libre échange, des accords coloniaux contre les peuples »7 octobre 2016, par Lucile Daumas , Souad Guennoun
Tanger
Les ouvrières de Textile Manufacturing poursuivent la lutte28 juin 2016, par Souad Guennoun
15 avril 2016, par Souad Guennoun
Maroc
Rencontre des femmes de Skoura16 mars 2016, par Souad Guennoun