Par Solange Koné, Damien Millet, José Mukadi, Ajit Muricken, Victor Nzuzi, Salissou Oubandoma, Aminata Touré Barry, Eric Toussaint et Renaud Vivien. [1]
Le contrôle de l’exploitation des ressources naturelles est une préoccupation centrale des Etats. Or, ces ressources se trouvent en grande quantité dans les pays du Sud (pétrole, métaux, diamant, bois...), ce qui attire les convoitises des grandes puissances comme les Etats-Unis, l’Union européenne et la Chine qui ont impérativement besoin de ces ressources pour alimenter leur économie. Le résultat est très souvent dramatique pour les populations des pays du Sud qui ne profitent pas de leurs richesses : par exemple, le sous-sol de la République démocratique du Congo est considéré comme un « scandale géologique » tant il regorge de richesses pendant que plus de 70% des Congolais souffrent de malnutrition. L’uranium du Niger profite-t-il au peuple nigérien ou à Areva ?
Cette confiscation des richesses naturelles s’effectue au profit de sociétés transnationales occidentales, avec la complicité des dirigeants du Sud et du Nord ainsi que le soutien des bailleurs de fonds internationaux comme la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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. Nous sommes là au centre du système : dès les années 1960-1970, les prêts des grandes banques privées et de la Banque mondiale visaient à faire main basse sur ces ressources au moindre coût. Alors que les questions de développement humain étaient ignorées par les créanciers, l’explosion de l’endettement des pays du Sud allait déboucher, au virage des années 1980, sur la hausse brutale des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
combinée à la chute des cours des matières premières, puis à la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. L’issue s’est révélée dramatique : plans d’ajustement structurel imposés par le FMI, libéralisation de l’économie, privatisations massives, forte réduction des budgets sociaux, détérioration des conditions de vie…
Cependant, l’expression « malédiction des richesses naturelles » n’est pas appropriée pour qualifier cette situation car elle fait l’impasse sur la stratégie délibérée d’accaparement de ces ressources. Le FMI et le Banque mondiale en sont parmi les principaux artisans. En effet, les maigres allègements de dette qu’ils octroient en échange de l’application stricte des mesures dictées par leurs experts ultralibéraux comprennent des privatisations massives dans les secteurs stratégiques de l’économie, l’abandon de toute forme de contrôle des mouvements de capitaux, l’ouverture des marchés, mettant en concurrence déloyale des petits producteurs locaux et des groupes internationaux. Les grands gagnants sont les mêmes depuis des décennies : ils s’appellent Total, Bouygues, Bolloré, Aréva et consorts.
Face à l’injustice sociale qui règne dans le monde, on assiste depuis le début des années 2000 à la reprise du contrôle des ressources naturelles par certains pouvoirs publics d’Amérique latine : renationalisation de l’eau en Bolivie, en Argentine et en Uruguay, d’une partie des hydrocarbures au Venezuela, en Bolivie et en Equateur… A chaque fois, cela ne manque pas de susciter de vives protestations de la part de l’Union européenne et des Etats-Unis, dont les chefs d’Etat n’hésitant pas à se transformer en représentants de commerce des grands groupes qui d’ailleurs les ont aidés à accéder au pouvoir… L’exploitation des ressources naturelles détenues par le Sud profite donc en bout de course aux actionnaires de grandes entreprises des pays les plus industrialisés, ne laissant aucune perspective de développement au Sud et allant directement à l’encontre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes inscrit dans des textes juridiques majeurs comme la Charte des Nations unies.
En Amérique latine, la récupération du contrôle de ces biens publics, qui avaient été privatisés sur injonction du FMI et de la Banque mondiale, n’a pu se réaliser que grâce à d’importantes mobilisations populaires. Les luttes sociales et les victoires politiques qui ont suivi en Bolivie et au Venezuela sont emblématiques de ce revirement de situation en faveur des peuples. Après quinze ans de néolibéralisme imposé à la Bolivie par les institutions financières internationales à partir de 1985, ayant entraîné le licenciement de 23 000 mineurs du secteur public, de 5 000 employés du secteur privé et de 18 000 fonctionnaires de l’administration publique, le peuple bolivien a donné une leçon magistrale au reste du monde en se mobilisant de façon spectaculaire pour la défense des biens publics. D’abord, en 2000 dans la région de Cochabamba, les mouvements sociaux boliviens ont revendiqué le droit à l’eau et la transnationale états-unienne Bechtel a dû plier bagage. En 2005 à El Alto, c’est le géant français Suez qui est expulsé par les autorités du pays sous la pression du peuple bolivien qui a réussi à arracher la gestion de l’eau au privé. Entre temps, en 2003, le président bolivien Gonzalo Sanchez de Lozada a dû démissionner suite à la lutte des Boliviens pour la récupération du contrôle public sur le gaz, après des émeutes violemment réprimées ayant entraîné la mort de plusieurs dizaines de personnes. C’est dans ce contexte social que, fin 2005, Evo Morales est devenu le premier président indien de Bolivie. Fort de l’appui de la population qui s’est exprimée par voie référendaire le 18 juillet 2004, Morales a pris le 1er mai 2006 un décret de nationalisation des hydrocarbures visant 26 transnationales étrangères. Ce décret, en plus d’être légitime, est tout à fait légal.
Le Venezuela est également un cas intéressant à ce sujet puisque les décisions prises par le président Hugo Chavez en matière de ressources énergétiques résultent directement de mobilisations populaires. Ainsi, l’Etat vénézuélien a repris le contrôle de la grande compagnie pétrolière PDVSA, ce qui a entraîné la tentative de coup d’état en avril 2002 menée par la classe capitaliste vénézuélienne et orchestré par le gouvernement des Etats-Unis. Mais grâce à la mobilisation populaire, Chavez a pu revenir au pouvoir deux jours après le putsch.
Ces mesures de nationalisation tant critiquées par les dirigeants occidentaux et les grands médias ne sont que l’application du droit international. Depuis la résolution 1803 des Nations unies du 14 décembre 1962 relative à la souveraineté permanente des Etats sur les ressources naturelles, de nombreux textes juridiques ont réaffirmé le droit des pouvoirs publics de prendre toutes mesures visant à assurer le bien-être de la population. Le droit de nationalisation constitue même une obligation
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
juridique internationale, en vertu de la « Déclaration sur le droit au développement » adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 8 décembre 1986, texte de référence que le CADTM veut mettre en avant. Le droit des pouvoirs publics de contrôler l’exploitation, la gestion et le commerce des ressources naturelles est la conséquence de la souveraineté des Etats, qui constitue un principe de base du droit international. Peu importent donc les actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
en justice lancées par les transnationales devant le CIRDI
CIRDI
Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a été créé en 1965 au sein de la Banque mondiale, par la Convention de Washington de 1965 instituant un mécanisme d’arbitrage sous les auspices de la Banque mondiale.
Jusqu’en 1996, le CIRDI a fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de sa première affaire (la seule de l’année), l’année 1974 suivit avec 4 affaires, et suivirent de nombreuses années creuses sans aucune affaire inscrite (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991). L’envolée du nombre d’affaires par an depuis 1996 (1997 : 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) s’explique par l’effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires (voir graphique)). Ce pourcentage s’élève à 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l’année 2011.
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(Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements, le tribunal de la Banque mondiale), les décisions souveraines prises par les gouvernements bolivien et vénézuélien sont tout à fait fondées en droit.
La Bolivie a également montré l’exemple en quittant le CIRDI le 2 mai 2007, estimant à juste titre que cet organisme est à la fois juge et partie puisqu’il constitue une branche de la Banque mondiale. La Bolivie n’en fait donc plus partie et la nouvelle Constitution qui sera soumise à référendum cette même année dispose, dans son article 135, que toutes les entreprises opérant en Bolivie sont soumises à la souveraineté, aux lois et aux autorités de la République. Bel exemple à suivre…
Evo Morales l’avait dit le 26 janvier 2006 : « Nous sommes dans l’obligation de nationaliser nos ressources naturelles et de mettre en route un nouveau régime économique. (...) il ne s’agit pas de nationaliser pour nationaliser, que ce soit le gaz naturel, le pétrole ou les ressources minérales ou forestières ; nous avons l’obligation de les industrialiser. » Il l’a fait, preuve que, malgré de fortes résistances, l’encombrante tutelle du FMI et de la Banque mondiale peut être sévèrement battue en brèche.
Alors autant poursuivre sur cette belle route ! Les gouvernements du Sud ont tout intérêt à réaliser des audits permettant de prouver le caractère illégal et odieux des dettes réclamées avant de les répudier. En aucun cas, les recettes tirées de l’exploitation des matières premières ne doivent servir au remboursement de la dette. En outre, les pays en développement doivent être solidaires et inventer des formes d’échange novatrices pour que la récupération des ressources naturelles bénéficie le plus largement possible aux peuples des pays concernés. La mission de la future Banque du Sud, alternative à la Banque mondiale, devrait justement permettre de financer des projets publics d’intégration régionale dans les sept pays d’Amérique latine impliqués dans ce processus, leur donnant ainsi les moyens d’extraire, de transformer et de commercialiser les richesses naturelles tout en préservant l’environnement de ces pays.
Les pouvoirs publics des pays du Sud disposent du droit inaliénable de propriété et d’exploitation de leurs ressources naturelles au bénéfice de leurs populations, ce qui est indispensable pour construire enfin un modèle économique socialement juste et écologiquement soutenable. Mais il faut la volonté politique d’agir pour l’amélioration des conditions de vie et pour l’élaboration d’une logique basée sur la satisfaction des droits humains fondamentaux. Le bien commun ne doit pas être bradé à une poignée de millionnaires alors que des centaines de millions d’individus n’ont pas accès aux biens et services de base. Les auteurs des violations des droits humains, comme le bradage des ressources naturelles au profit de quelques-uns, doivent désormais répondre de leurs actes en justice.
[1] Les auteurs sont membres du réseau international CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), en Côte d’Ivoire, en France, en République démocratique du Congo, en Inde, au Niger, au Mali et en Belgique.
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