Communiqué de presse ATTAC / Confédération paysanne
24 avril 2008
Les révoltes dans divers pays révèlent une crise alimentaire mondiale qui s’installe sans doute pour une longue période, à défaut de changement radical d’orientation.
Nous ne sommes pas dans une situation de pénurie mondiale. Quoique extrêmement faibles, les stocks sont encore suffisants pour faire la jonction entre deux récoltes. Mais l’accès à l’alimentation des populations s’est dégradé brutalement face à une augmentation considérable des prix. Elle aggrave encore la situation actuelle (20 000 morts par jour, près de 900 millions de personnes souffrant de malnutrition dont 80% de paysans).
La faiblesse des stocks est en cause. Elle provient en partie de phénomènes nouveaux : une demande forte en céréales et oléagineux pour l’alimentation, une demande en hausse pour la production d’agrocarburants industriels (éthanol et diester) et des accidents climatiques qui ont diminué les récoltes sur certains territoires de la planète.
Mais cette nouvelle tension sur les marchés révèle surtout des problèmes structurels, issus de choix économiques désastreux, basés sur la croyance des bienfaits pour l’humanité de la libéralisation des marchés agricoles et de la marchandisation tous azimuts :
— avançant la nécessité du remboursement de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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contraignent depuis des dizaines d’années les pays pauvres à réorienter leurs productions agricoles vers l’exportation. Ces pays ont ainsi dû délaisser leurs cultures vivrières
Vivrières
Vivrières (cultures)
Cultures destinées à l’alimentation des populations locales (mil, manioc, sorgho, etc.), à l’opposé des cultures destinées à l’exportation (café, cacao, thé, arachide, sucre, bananes, etc.).
, augmentant leur dépendance aux marchés extérieurs ;
— sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
et sous la pression des accords bilatéraux, les politiques agricoles de tous les pays et leurs tarifs douaniers ont été progressivement démantelés : l’agriculture paysanne des pays du Sud se retrouve sans protection, en compétition directe avec l’agriculture subventionnée et industrielle des pays du Nord ;
— la spéculation sur les marchés de matières premières accentue l’instabilité, à la baisse ou à la hausse, de leurs prix. Elle s’inscrit dans le cadre d’un capitalisme financier exacerbé, qui détériore l’ensemble des conditions de vie, y compris dans ce qu’elles ont de plus élémentaire ;
— de nombreux pays, en soutenant le développement des agrocarburants, répondent aux intérêts des multinationales mais mettent un peu plus en danger la sécurité alimentaire mondiale. Tandis que leur bilan carbone est contesté dans la plupart des cas, les cultures intensives d’agrocarburants concurrencent directement les productions alimentaires et favorisent la hausse des prix et la spéculation.
Pour toutes ces raisons qui n’ont rien de conjoncturel, il est à craindre que l’extrême pauvreté et les conflits régionaux ne fassent que s’aggraver. Seules des mesures cohérentes, en rupture avec les politiques libérales actuelles, peuvent permettre d’endiguer la catastrophe qui s’annonce :
— une régulation mondiale des marchés agricoles avec le recours aux stocks publics dans le cadre d’une instance internationale sous l’autorité des Nations unies : elle doit permettre une régulation des prix mondiaux compatible avec l’intérêt général et l’instauration d’une fiscalité procurant les ressources publiques pour satisfaire les besoins en développement des pays du Sud ;
— la reconnaissance du droit à la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire le droit des populations, de leurs États ou Unions à définir leur propre politique agricole et alimentaire sans dumping vis-à-vis des pays tiers ;
— l’annulation de la dette des pays pauvres et l’augmentation substantielle de l’aide publique, à commencer par celle de l’Union européenne et de ses États membres, qui est aujourd’hui en diminution ;
— un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
pour suspendre la production d’agrocarburants et expérimenter des solutions alternatives, comme le propose Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation.
Enfin, la crise alimentaire ne peut être résolue au détriment des impératifs écologiques, notamment par la déforestation et le développement des OGM
OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.
Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.
Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.
Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
. La crise climatique et l’épuisement des sols sont autant de facteurs qui, au contraire, accentuent la crise alimentaire. Les solutions résident dans des pratiques agricoles écologiques et sociales. Elles nécessitent en particulier une réorientation de la recherche publique agronomique et des politiques agricoles et alimentaires dans leur ensemble.