Liberté d’Expression et de la Presse. Que dit la presse burkinabé de l’assassinat de Thomas Sankara ?

18 novembre 2009 par Pauline Imbach




A Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, se tenait du 4 au 7 novembre, la 3e édition du Festival International de la Liberté d’Expression et de la Presse (FILEP). Des journalistes et des activistes de la défense et de la promotion de la liberté d’expression et de la presse de toute l’Afrique se sont donné rendez-vous autour du thème « De Windhoek 1991 à Ouagadougou 2009 : Bilan et perspectives de la liberté de la presse ». L’objectif de la rencontre était, entre autres, de faire un bilan de l’état de la liberté d’expression et de la presse en Afrique depuis le séminaire pour le développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste organisé à Windhoek (Namibie), du 29 avril au 3 mai 1991. La déclaration de Windhoek mettait l’accent sur les textes de droit fondamentaux qui garantissent la liberté d’expression et de la presse. On peut par exemple citer l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ou encore la résolution 59 (I) de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies dans laquelle la liberté de l’information est qualifiée de droit humain fondamental [1.].
A Ouagadougou, il était donc question d’évaluer la liberté d’information comme droit humain fondamental en Afrique et plus particulièrement en Afrique de l’Ouest et aussi de discuter des questions du développement des médias, des modes de répression et des entraves au travail des journalistes, de l’accès à l’information, etc. Le FILEP s’est terminé le 7 novembre par un concert avec des artistes très engagés comme Smockey, Samsklejah, Awadi, Ismael Isaak, Slam, Sana Bob, et Amiti Meria. Plus de 500 personnes ont réclamé, le poing levé, justice et fin de l’impunité pour les assassinat de Norbert Zongo et de Thomas Sankara.

En parallèle à ce colloque nous avons voulu avoir un aperçu du traitement de l’information dans la presse burkinabé. Nous avons acheté quelques journaux qui titraient sur l’assassinat de Thomas Sankara. Thomas Sankara, s’il est besoin de le rappeler, était le président du Burkina Faso du 4 août 1983 au 15 octobre 1987, date à laquelle il a été assassiné. Depuis son assassinat, de nombreux Burkinabè, et en premier lieu sa famille, se battent courageusement pour que la vérité soit faite sur l’assassinat de cet homme, considéré aujourd’hui comme un héros au-delà même des frontières du continent africain.
A l’occasion du 22e anniversaire de son assassinat, comment la presse parle de ce « Che Africain » alors que son assassinat met inévitablement en cause les responsabilités du président actuel Blaise Compaoré, bras droit de Sankara au moment des faits ? Après lecture et sélection d’articles, voici un aperçu du traitement de ce sujet par deux médias burkinabés : Le Reporter et l’Evénement.


Qui dort dans la tombe de Thomas Sankara ?

Les deux numéros d’octobre du bi-mensuel le Reporter titrent sur l’assassinat de Thomas Sankara. Le premier numéro, intitulé « Notre père est-il vraiment dans cette tombe ? », informe que les enfants et la femme de Sankara ne savent pas si c’est vraiment le corps de Thomas Sankara qui gît dans la tombe qui porte son nom au cimetière de Dagnoën. Ils ont adressé le 16 octobre 2009 une requête au président du Tribunal de grande instance de Ouagadougou pour connaître la vérité sur cette affaire. L’Evénement, un autre bi-mensuel, revient également sur cette requête, en titrant son numéro du 25 octobre « Qui dort dans la tombe de Thomas Sankara ? ».
Rappelons que Blaise Compaoré, dans une interview donnée à Jeune Afrique le 4 novembre 1987 [2.] quelques jours après l’assassinat, affirmait « dans mon esprit, les corps des victimes devaient être transportés à la morgue et être restitués ensuite à la famille. C’est seulement le lendemain que j’ai appris qu’ils avaient été enterrés à Dagnoën. Thomas ne peut pas être enterré ailleurs qu’au cimetière des militaires. Le Front populaire va d’ailleurs prendre les dispositions pour cela. » Mais voilà, 22 ans après, la famille de Thomas Sankara demande toujours que justice soit faite sur cette affaire. En 2003, la famille Sankara avait adressé une plainte au comité des droits de l’homme de l’ONU afin d’obtenir « la reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille ». En mars 2006, le comité des droits de l’homme des Nations unies a considéré « que le refus de mener l’enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme Sankara et ses fils ». Son acte de décès stipulait qu’il était décédé d’une mort naturelle... En 2006, sous la pression, il a été modifié et le lieu de la dépouille a été officialisé. Mais sur le fond de l’affaire, rien n’a avancé, et Mme Sankara et ses enfants demandent maintenant les preuves que c’est bien le corps de Thomas Sankara qui repose dans cette tombe.
Le Reporter retrace également les procédures judiciaires entreprises par les proches de Thomas Sankara pour que la vérité éclate au grand jour sur son assassinat. Les juridictions de droit commun se sont déclarées incompétentes en 2001, le tribunal militaire n’a pas donné suite à la demande : « les autorités pertinentes ont refusé ou omis de renvoyer la cause au ministre de la défense, afin que des poursuites soient engagées devant les tribunaux militaires ». « Le procureur a arrêté, à tort, la procédure engagée [par le conseil des plaignants] et n’a pas répondu à leurs recours engagé en juillet 2001 ».
Le 18 novembre 2008, Blaise Compaoré rencontrait Nicolas Sarkozy à l’Elysée. A cette occasion, Mme Sankara interpella par courrier le président français. Dans cette lettre (reproduite dans son intégralité par le Reporter), elle explique ne pas comprendre « pourquoi on me demande en tant que victime d’accepter des indemnités et de pardonner, alors que les auteurs de ces crimes se promènent librement en tout impunité, alors même que par ailleurs de semblables criminels sont jugés comme l’est aujourd’hui Charles Taylor. (...) Il serait alors souhaitable, que vous puissiez exiger de votre encombrant hôte, de me laisser accéder à la justice militaire dont l’action Action
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ne peut être déclenchée que sur ordre de poursuite de son Ministre de la défense. »

Le Reporter conclut que Blaise Compaoré est aujourd’hui considéré à l’international comme un « faiseur de paix », comme en Côte d’Ivoire, au Togo ou dernièrement en Guinée où il a eu le culot de déclarer : « Nous ne devons pas tolérer en Guinée qu’il y ait encore des discussions sur des personnes disparues dont on ne retrouve pas les corps ». Cynisme politique ...

Justice où es-tu ?

Le deuxième numéro du Reporter revient sur les derniers éléments de l’affaire Sankara et notamment sur les déclarations de Prince Johnson en octobre 2008 sur RFI [3.]. Celui-ci affirme « que la mise à mort de Thom Sank ? aurait été décidée par son bras droit et successeur, Blaise Compaoré, avec l’aval du Président ivoirien de l’époque Houphouët-Boigny. » D’autres acteurs de l’assassinat sont également mis en cause comme la France et la CIA. L’article rappelle également que Sankara, à travers une politique audacieuse, contribuait à « l’émergence d’une conscience africaine forte, émancipée de la domination politique et économique des puissances capitalistes » avant de rappeler que « le système politique en lui- même est fondé sur le laisser-aller, l’impunité des crimes économiques et de sang (...) l’exercice des libertés individuelles et collectives est vicié par un système politique qui s’est imposé par une peur terrorisante, un musellement des fortes personnalités. Aujourd’hui la confiscation de la liberté se fait sur la base de l’exploitation des gourmandises, des ambitions démesurées et les promotions imméritées, les fortunes sans histoire (...) Ironie du sort, c’est contre ces même tares, les dérives actuelles de la société burkinabé que la révolution sankariste s’est battue. Assurément, elle était avant-gardiste. »

Les Burkinabè doivent se battre

Les articles du Reporter se poursuivent par un appel aux Burkinabè à se libérer de l’indignité. « Chaque peuple mérite ses dirigeants. Si les Burkinabè estiment qu’ils méritent mieux, ils doivent se battre pour ce mieux (...) Les Burkinabè doivent réapprendre à rêver et à se battre pour la réalisation de leur rêve. (...) Le combat continue, celui pour la démocratie vraie, une démocratie qui n’a pas seulement pour fondement, l’organisation régulière d’élections qui relèvent plus de formalité que de compétition démocratique équitable. »
Le journaliste appelle enfin à une unité des mouvements sankaristes en sortant du « fétichisme idéologique » afin de « tirer tous les enseignements des dérives de la Révolution d’août 1983, puiser les grandes idées qui ont fait de Thomas Sankara une légende, les enrichir avec les apports de la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
et la nécessité de la reconstruction du Burkina Faso, en partant de son histoire, de son potentiel socioculturel et économique et de ses valeurs. »

Meurtrier assis au pouvoir

Dans l’extrait d’une interview de Blaise Compaoré parue dans Jeune Afrique [4.] , Blaise Compaoré explique que « C’est pour avoir voulu nous liquider, Jean Baptiste Lingani, Henri Zongo et moi, qu’il s’est fait abattre par des soldats qui me sont restés fidèles (...) Il a préféré se débarrasser de nous. Il a joué, il a perdu. » Il faut noter que Jean Baptiste Lingani et Henri Zongo ont été exécutés en septembre 1989 pour complot contre Blaise Compaoré. Quand le journaliste demande quelle garantie Blaise Compaoré peut fournir à ses compatriotes pour les convaincre qu’il n’a pas personnellement fait éliminer Thomas Sankara par soif de pouvoir, celui-ci argumente qu’il a personnellement participé à deux coups d’Etat pour remettre aussitôt le pouvoir à quelqu’un d’autre. « Je n’ai jamais rêvé de pouvoir et je ne m’y accrocherai pas. Ce sont mes camarades qui décideront. Pour le reste, je fais confiance à notre peuple. » A l’heure actuelle Blaise Compaoré a déjà changé la constitution pour rester au pouvoir et, dans le cadre des prochaines élections qui doivent avoir lieu en 2010, sa candidature ne fait aucun doute... Le Reporter consacre d’ailleurs un article à la révision de l’article 37 de la constitution « Un seul homme aura passé 23 ans à la tête du pays. Et pour les caciques du CDP [5.] , ce n’est pas encore suffisant. Blaise Compaoré doit donc continuer à s’accrocher au pouvoir, l’essentiel étant que leurs intérêts personnels soient sauvegardés. Ils sont donc prêts à lui assurer un pouvoir à vie sans aucune gêne. »

Plume engagée ... menacée

Le lien entre l’affaire Sankara et l’assassinat de Norbert Zongo et ses compagnons de Sapouy sont souvent mis en parallèle, car ce sont les deux « crimes d’Etat » sur lesquels la population est la plus mobilisée pour obtenir la vérité. Le Reporter qualifie les responsables du crime du journaliste (Blaise Compaoré en première ligne) de « barbares indignes du genre humain », avant de dénoncer de nouvelles menaces à l’encontre de journalistes du Reporter et de l’Evénement. S’il existe au Burkina Faso une presse critique [6.] qui s’oppose à une presse propagandiste les journalistes qui osent défendre un point de vue contestataire restent bien souvent menacés. Comme cela a été rappelé lors du FILEP, il existe une myriade de moyens de pression sur un organe de presse et ses journalistes comme les pressions économiques, les menaces physiques allant jusqu’à l’assassinat. Depuis 1991, 144 journalistes ont été tués en Afrique, dont 58 en Algérie (18 en Somalie, 11 en Sierra Leone, 8 en Angola, au Rwanda et en Angola). Au Burkina Faso, Norbert Zongo reste à ce stade un exemple dans le combat pour la liberté de la presse burkinabé. « Il n’y aura jamais de victoire sans lutte car jamais personne ne vous donnera rien gratuitement, surtout pas les fruits d’une lutte pour une vie » Norbert Zongo.


Notes

[2.Publié dans le Reporter du 15 octobre 2009

[4.Interview réalisé le 4 novembre 1987 par Jeune Afrique, trois semaines après l’assassinat de Thomas Sankara, republié dans le Reporter.

[5.Congrès pour la Démocratie et le Progrès - Parti politique de Blaise Compaoré

[6.On peut par exemple citer pour la presse critique en plus de Reporter et l’Evénement, l’Indépendant (de Norbert Zongo), le Journal du Jeudi, l’Etalon enchaîné ou Hakili,

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