13 décembre 2010 par Jawad Moustakbal , Salaheddine Lemaizi
Le Maroc a été marqué ces dernières semaines par une actualité mouvementée. D’une part, le démantèlement par la force du camp de Igdem Izik à Laâyoune le 8 novembre dernier et les émeutes qui l’ont suivi (13 morts), et d’autre part les inondations qu’a connu l’ensemble du territoire marocain et spécialement la région du grand Casablanca le mardi 30 du même mois (40 morts). Des événements qui ont révélé encore une fois l’échec des responsables dans la gestion des affaires publiques. A l’origine de cet échec une incompétence manifeste, une absence de démocratie et l’adoption de politiques économiques libérales. Cette politique de libéralisation des secteurs publics de base au profit de grandes multinationales de l’eau et d’environnement. Des mastodontes dont le seul objectif est la maximisation du profit même si c’est au détriment de la sécurité des citoyens voire de leur vie.
Les caches misères
Les autorités marocaines ont focalisé leur lecture des événements douloureux d’Igdem Izik sur la couverture « biaisée et partielle » faite par les médias espagnols, ainsi qu’aux décisions du parlement européen et certains partis politiques en Espagne. Ces responsables ne se sont pas donnés la peine de fournir des réponses aux questions embarrassantes que se posaient les citoyens au sujet de ces événements. Ils se sont contentés de répéter sans cesse une version officielle pleine de contradictions :
1. Est-il possible qu’une dizaine de « criminels » comme le prétend la version officielle tienne en otage 20 000 citoyens contre leur gré ?
2. Les membres du comité de dialogue, dont certains sont accusés aujourd’hui par les autorités comme des pions du Polisario, sont eux même qui ont conduit des négociations avec des responsables de l’état y compris le ministre de l’Intérieur lui-même, pourquoi cette volte-face ?
3. Si les autorités prétendent la véracité de leur version officielle, pourquoi ont-ils empêché les journalistes de différents médias d’entrer dans la ville pour s’en rendre compte sur place ?
(...)
Devant des revendications sociales, les communiqués émanant du comité d’organisation du camp d’Igdem Izik le montrent clairement [1], après une phase de dialogue, l’Etat décide de « casser » le camp. Par la suite, et au lieu de chercher les vraies raisons derrière ce désastre et punir les responsables impliqués dans ce choix, l’Etat a fui ses responsabilités. Signe de cette fuite en avant, l’organisation d’une « marche populaire ». D’une manière irresponsable des milliers de citoyens seront « conduits » à la ville de Casablanca en utilisant toutes les ressources de l’État ; médias officiels et agents de l’autorité inclus. Ce dimanche 28 novembre nous étions devant une ultime tentative de tromperie des citoyens, au devant de cette marche (très) officielle l’ensemble de la classe politique marocaine. Une marche aux allures de cache misère.
Cette action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
militante étatique payée de l’argent public illustre parfaitement le deux poids, deux mesures entre cette marche et les nombreux sit-in et marches (vraiment) populaires contre la cherté de la vie, pour exiger des services publics de qualité ou un logement décent, pour protester contre la privatisation de l’eau, etc…Ces mouvements sociaux se retrouvent à chaque fois criminalisés et les citoyens poursuivis [2]. Vive la démocratie à la marocaine !
Suite à cette marche, les médias de l’Etat célèbrent cette victoire historique contre « les ennemis de la patrie » et saluent le renouveau du consensus national. Dans un passé récent, ce vent d’unanimité a valu aux Marocains des années de répression. À partir de 1975, année de la Marche verte, une chape plomb s’est abattue sur toutes les voix qui protestaient contre l’ordre établi sous prétexte de patriotisme. La Marche de Casablanca renoue avec ce chauvinisme, selon les politiciens marocains le Maroc est « victime d’un complot et seul un consensus national peut nous sauver ». Au diable la démocratie et la liberté d’expression. L’air du temps veut étouffer tout regard critique sur ce qui se passe sous nos yeux. C’est le meilleur moyen pour camoufler l’échec patent dans la gestion du dossier du Sahara. Les inondations du mois de novembre dévoilent un autre échec…
La Lydec (Suez) : Des profits mirobolants et un état des infrastructures désolant
Le 28 novembre le pouvoir instrumentalise les masses populaires pour crier leur amour (sincère) à leur pays et leur haine « supposée » à leurs voisins algériens et espagnols. Deux jours après, le pays prend l’eau ou plutôt les Marocains des classes populaires prennent l’eau. À contrario avec la marche, les responsables ne seront pas aux côtés des simples citoyens. Ces derniers ont dû batailler seuls pour leur survie. Les inondations ont montré la fragilité des infrastructures du pays. Pourtant, elles ont coûté beaucoup de sacrifices, de dettes colossales qui continuent d’absorber un tiers du budget de l’Etat. Même le plus pessimiste des opposants aux politiques de l’Etat dans le domaine de l’équipement ne pensait pas que les villes marocaines allaient tomber comme un château de cartes. 24h de pluie ont été suffisantes pour créer un état d’urgence sur tout le territoire. Casablanca qui concentre 60% des activités économiques du Maroc a été la plus durement touchée par les eaux. 40 morts, arrêt total du transport ferroviaire pour une journée, fermeture des écoles, une bonne partie des ouvriers et des employés de la ville n’ont pas pu se rendre à leur lieu de travail et annulation de quelques vols à cause de l’inaccessibilité des aéroports. Les plus importantes administrations et institutions économiques du pays n’ont pas été épargnées, à leur tête le siège social de l’Office chérifien des phosphates (OCP). Le plus grand opérateur économique public (jusqu’à maintenant). Pire, les salles des réanimations des hôpitaux publics n’avaient plus d’électricité durant une journée ! La ville de Casa est tombée dans le noir toute une soirée et ce à cause de l’arrêt de 800 des 4000 postes de distribution d’électricité. Au même moment à Marrakech se tenait les Assises du tourisme, « le Maroc d’en haut » discutait dans le plus grand confort des palaces marrakchies sur la nouvelle stratégie touristique à l’horizon de 2020 qui ambitionne attirer 20 millions de touristes. Le comble du cynisme !
24h ont été suffisantes pour se rendre compte de nouveau de l’échec de la gestion libérale de nos villes. Le bilan des privatisations, de la gestion déléguée, des partenariats public-privé et de la bonne gouvernance à Casa, une ville où la vie s’arrête après une grosse intempérie. La Lydec (filiale de Suez), gestionnaire de la distribution de l’eau et de l’électricité et chargée de l’assainissement liquide et de l’éclairage public, est le symbole de cet échec.
Cette entreprise cotée en bourse Bourse La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois). ainsi les responsables politiques délégataires de ces services n’ont pas assumé leur responsabilité dans cette catastrophe. La Lydec s’est contentée d’un communiqué, où elle accuse « des précipitations exceptionnelles qui représentent 50% des quantités de toute une année », un prétexte fallacieux, car le réseau casablancais est supposé supporter plus que les 178 ml annoncés pour ces 24h. Le réseau d’assainissement est dimensionné pour une crue décennale, c’est d’ailleurs ce que demande Lycec elle-même à ses sous-traitants dans les cahiers de charge [3] qu’elle élabore dans ces appels d’offre.
À son arrivée en 1997, La Lydec a été présentée comme le sauveur de Casablanca. Son accord de 30 ans allait lui permettre d’effacer « un passif Passif Partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (capitaux propres apportés par les associés, provisions pour risques et charges, dettes). désastreux de la Région automne de l’eau et de l’électricité », disaient ceux qu’ils l’ont amenée. Les inondations de 1996 qu’ont connu des quartiers de Derb sultane à Casa allaient donner un coup de massue pour la régie publique. Depuis 13 ans, l’entreprise française a fait des profits mirobolants (le résultat net est de 19.8 millions d’euros en 2009 [4]) sur le dos des citoyens les plus pauvres. Les hausses de tarifs ont une cadence nettement plus grande que le rythme des investissements de l’entreprise. Ces supposés investissements n’ont même atteint le seuil minimum établi dans le cahier de charges dans l’accord de gestion de l’assainissement. L’audit effectué en 2007 des cinq premières années de gestion montre que le gap d’investissement est de 255 millions d’euros. Cet audit prouve que la Lydec se permettait déjà de distribuer des dividendes, alors que son contrat stipule que cela ne peut se faire avant les dix premières années [5].
Pour rompre avec les raisons de ces échecs de la gestion de la chose publique sur le plan national ou local, il faut poser toutes les questions, même celles qui fâchent et qui vont contre l’air du temps. Il n’y a pas que le chauvinisme et la doxa libérale, nous méritons mieux. Il est nécessaire aujourd’hui d’ouvrir le débat contradictoire entre tous les avis et de s’éloigner du consensus. Taire des voix discordantes n’a pour but que d’assurer le statu-quo qui profite aux opportunistes de tous bords. Un vrai débat sur la nature et les causes de nos échecs pourra éviter à des citoyens de succomber à la moindre catastrophe naturelle ou dans un conflit politique qui a trop duré et qui coûte aux Marocains comme aux Sahraouis énormément.
Casa, le 2 décembre 2010
[1] Pour plus de détails sur le camp lire ce reportage : http://www.telquel-online.com/446/couverture_446.shtml
[2] Tous les mouvements de protestations de grande ampleur ont connu ce sort comme les 850 mineurs à Khouribga qui exigeaient leur titularisation ou les habitants du village de Ben Smim qui refusait la privatisation de leur source d’eau.
[3] Voir les détails du cahier de charges sur www.lydec.ma
[4] Voir le rapport financier de 2009 sur http://www.lydec.ma/html/down/rapports/RP2009_VF.pdf
[5] Les journaux marocains ont consacré plusieurs enquêtes sur ce sujet.
Attac/Cadtm Maroc
Jawad Moustakbal est le coordinateur national au Maroc pour l’International Honors Programme : « Climate Change : The Politics of Food, Water, and Energy » à la School of International Training (SIT) dans le Vermont, aux États-Unis. Il a travaillé en tant que chef de projet pour plusieurs entreprises, dont l’OCP, l’entreprise publique marocaine de phosphates. Jawad est également un militant de la justice sociale et climatique, il est membre du secrétariat national d’ATTAC/CADTM Maroc, et membre du secrétariat partagé du Comité international pour l’abolition des dettes illégitimes. Il est titulaire d’un diplôme d’ingénieur civil de l’EHTP de Casablanca.
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