Mobilisation sociale historique au Niger

26 juin 2005 par Olivier Bonfond


Le 14 mars 2005, conformément aux exigences aveugles du FMI et de la Banque mondiale, le gouvernement nigérien augmente la TVA sur les produits de première nécessité. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La population descend dans la rue. Un bras de fer s’engage entre le gouvernement et le mouvement social ...



Lors des précédentes élections présidentielles fin 2004, une victoire électorale de la Gauche était tout à fait possible. Le régime en place était usé et depuis plus d’un an, 3 partis d’opposition, dont l’ORDN ( Organisation Révolutionnaire Démocratie Nouvelle, organisation révolutionnaire à tendance marxiste), tentaient de former une alliance s’articulant autour de deux priorités : l’éducation (refus de voir 80 % des enseignants devenir des « appelés volontaires », contractuels sous-payés comme l’exige la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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) et la santé (accès aux soins d’urgence pour tous alors qu’aujourd’hui, il faut payer pour être inscrit à l’hôpital et amener ses médicaments). Malheureusement, certains partis n’ont pas osé garder une position ferme et claire et ont choisi de privilégier leurs postes et leurs prébendes. Isolé et sans moyens pour mener campagne, c’est le fiasco électoral pour l’ORDN, malgré les liens tissés avec les mouvements sociaux ces dernières années. Rajoutons que les raisons de cet échec sont également externes : Chirac ne voulait surtout pas connaître à nouveau une situation à l’ivoirienne, où un intellectuel non lié aux réseaux français accède au pouvoir. La France n’a donc pas hésité à soutenir activement le régime en place, notamment en fournissant, par l’intermédiaire d’Omar Bongo (président du Gabon), deux hélicoptères et une équipe de campagne.

Les politiques néolibérales reprennent

Dès janvier 2005, Mamadou Tandja (photo), au pouvoir pour un second mandat de 5 ans, promulgue une loi rectificative au budget, augmentant la TVA à 19 % sur la farine de blé, le sucre, le lait, l’eau et l’électricité. Lorsque cette mesure est mise en application début mars, la population, déjà appauvrie par des années de mauvaises récoltes (sècheresses et attaques de criquets migrateurs) et d’ajustements structurels (privatisations, licenciements et gel des salaires dans la fonction publique, ...) descend en masse dans la rue pour exprimer son mécontentement. Plus de 100 000 personnes dans les rues de Niamey le 15 mars 2005, c’est du jamais vu depuis 25 ans ! Les raisons qui expliquent cette mobilisation sont doubles.

Un mouvement qui s’organise

La situation économique et sociale catastrophique du pays (avant dernier dans le classement de l’Indice de Développement Humain (IDH Indicateur de développement humain
IDH
Cet outil de mesure, utilisé par les Nations unies pour estimer le degré de développement d’un pays, prend en compte le revenu par habitant, le degré d’éducation et l’espérance de vie moyenne de sa population.
), une personnes sur trois souffre de la faim, ...) et l’impact direct de cette mesure sur le pouvoir d’achat, expliquent largement cette mobilisation. Mais cette dernière est également l’aboutissement de plusieurs années de croissance et de renforcement du mouvement social. La réaction sociale, organisée autour de trois organisations de consommateurs, a réussit à créer une large force unitaire autour d’une « coalition contre la vie chère », regroupant 29 organisations et les 4 confédérations syndicales.

Les « erreurs » du gouvernement

Afin de détourner les « énergies » et d’éviter un débat de fond sur cette mesure, le gouvernement procède à des arrestations arbitraires dès la première manifestation. Mais cette loi a été adoptée en octobre 2004, alors qu’il n’en était pas question lors des élections présidentielles. La population se sent trompée et exige des explications (« Ce sont des pourris qui nous ont menti. »). Les responsables politiques tentent alors de se justifier, au nom d’une mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
libérale inéluctable : les politiques d’ouverture et de suppression des barrières douanières, imposées par l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) et le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, ont occasionné une baisse des rentrées pour le gouvernement. Il doit donc trouver des ressources supplémentaires et la seule solution serait d’augmenter la TVA. Cet argument ne convainc pas et la coalition maintient la pression en organisant des journées villes mortes. Toute la population est partie prenante de l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
 : les marchés sont fermés, les taxis à l’arrêt, ...

Le gouvernement prend peur et se radicalise. Il arrête sans mandat et sans chef d’accusation les responsables de la coalition. Une fois de plus, le mouvement social est criminalisé. Ils vont jusqu’à être accusé de complot contre la sûreté de l’Etat !

Première victoire importante

Le mouvement tient bon, la solidarité internationale s’organise et après une nouvelle journée ville morte massivement suivie, c’est la victoire ! Le gouvernement vient de reculer. Les prisonniers sont relâchés et la mesure est largement supprimée : la TVA ne sera maintenue que sur le sucre ! Cette victoire est très importante. Elle démontre qu’avec une population unie et mobilisée, il est possible de résister et de faire plier la logique néolibérale destructrice qui fait rage dans l’ensemble du tiers-Monde.

Ce combat ne doit cependant pas s’arrêter là. Les mouvements sociaux nigériens l’ont bien compris. Alors que le gouvernement vient d’augmenter le prix de l’essence, la société civile dénonce avec force cette mesure qui ne vise qu’à compenser l’autre. Profitant du soutien d’une population plus consciente et revigorée, ils portent également sur la place publique d’autres revendications, tels que la remise en cause des avantages de la classe dirigeante (salaires exorbitants, fonds spéciaux, ...), mais aussi la suppression des pratiques esclavagistes, encore présentes dans l’ouest du pays, fait scandaleux que le gouvernement continue de nier. Celui-ci vient d’ailleurs d’arrêter un responsable de cette lutte en l’accusant d’escroquerie.

Les mouvements sociaux ont du pain sur la planche, mais le Niger est en mouvement et il s’agit de rester attentif et de le soutenir activement. Selon Mamane Sani, membre de l’ORDN, l’important maintenant est de « structurer le mouvement, de l’élargir géographiquement et de le politiser, afin d’ouvrir de nouvelles perspectives réellement alternatives. Les politiques économiques et les accords régionaux de ces dernières années se sont réalisés contre les intérêts de la majeure partie de la population, et sans aucune consultation. Remettre en cause ces choix et instaurer un véritable débat national démocratique sur ces mêmes choix, doivent être des objectifs prioritaires. C’est à la population nigérienne de décider de son avenir, de manière libre et autodéterminée, et non au FMI ou à une classe dominante corrompue ».


Source : La Gauche (www.sap-pos.org).

Olivier Bonfond

est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).

Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles