Monsanto+Bayer=MoBay, le cartel des empoisonneurs contre la planète

21 septembre 2016 par Vandana Shiva


L’Inde est embourbée dans une controverse artificielle créé par Monsanto à propos de la première culture génétiquement modifiée, censée avoir reçu le feu vert pour sa commercialisation. Impliquée dans des litiges sur plusieurs fronts, Monsanto tente de contourner nos lois sur les brevets, la loi de protection de la variété végétale, celles sur les droits des agriculteurs, sur les produits de base et sur la concurrence. Elle se comporte comme s’il n’y avait, en Inde, aucun parlement, aucune démocratie, aucune loi souveraine à laquelle elle devrait obéir. Ou tout simplement, elle s’en moque.



Sur un autre terrain, Monsanto et Bayer sont en train de fusionner. Elles ont déjà dans le passé formé une seule entité appelée MoBay (MonsantoBayer), digne héritière du cartel d’empoisonneurs IG Farben. Les participations majoritaires de ces deux entreprises étaient entre les mains des mêmes sociétés d’investissement privées. Le domaine d’expertise de ces firmes, c’est la guerre. IG Farben, moteur économique d’Adolf Hitler et principale source de devises étrangères de l’Allemagne d’avant guerre, était également une machine de renseignements étrangers. Hermann Schmitz était le président d’IG Farben, son neveu Max Ilgner était un directeur d’IG Farben, tandis que le frère de Max, Rudolph Ilgner, dirigeait la branche new-yorkaise comme vice-président de Chemnyco.

Paul Warburg, frère de Max Warburg (du conseil d’administration d’IG Farben), fonda le système de réserve fédéral des USA. Max Warburg et Hermann Schmitz ont joué un rôle central dans l’empire IG Farben. Carl Bosch, Fritz ter Meer, Kurt Oppenheim et George von Schnitzler étaient d’autres dirigeants de l’entreprise. Tous, sauf Paul Warburg, furent jugés et condamnés comme criminels de guerre à Nuremberg.

Les accusés d’IG Farben à Nuremberg

Monsanto et Bayer ont une longue histoire. Elles fabriquaient des explosifs et des gaz toxiques mortels à l’aide de technologies partagées et les vendaient aux deux camps des deux guerres mondiales. Les mêmes produits chimiques étaient achetés par les Alliés et les forces de l’Axe, aux mêmes fabricants, avec de l’argent emprunté à la même banque.

MoBay fournissait les ingrédients de l’Agent orange (acide 2,4,5-T aux dioxines) durant la guerre du Vietnam. Près de 75 millions de litres de défoliants et d’herbicides MoBay furent pulvérisés sur le Sud-Vietnam. Des enfants naissent encore avec des malformations congénitales, des adultes ont des maladies chroniques et des cancers à cause de l’exposition aux produits chimiques de MoBay. La résistance de l’agent orange cobreveté par Bayer et Monsanto a été codéveloppée pendant des décennies. Des guerres étaient menées, des vies perdues, des nations ciselées en terres promises — avec des frontières artificielles profitant à la colonisation et au pillage des ressources — tandis que Bayer et Monsanto vendaient des produits chimiques sous forme de bombes et de poisons, et que leurs frères fournissaient les prêts pour acheter ces bombes.

Plus récemment, Bayer CropScience AG et Monsanto auraient engagé un partenariat à long terme. Ce qui leur donne accès aux herbicides de l’un et de l’autre et donc à une double technologie de résistance aux herbicides. À travers des accords de licences croisées, des fusions et des acquisitions, l’industrie de la biotechnologie devient l’IG Farben de notre temps, avec Monsanto aux commandes.

L’industrie mondiale des produits chimiques et des OGM OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.


- Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.


- Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.


- Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
— Bayer, Dow Agro, DuPont Pioneer, Mahyco, Monsanto et Syngenta — s’est syndiquée sous forme de Fédération de l’Industrie semencière d’ Inde (FSII) afin d’augmenter son pouvoir de nuisance sur les paysans indiens, sur l’environnement et les lois démocratiquement élaborées qui protègent le public et l’intérêt national. Ceci en plus de l’Association des Entreprises de Biotechnologie (ABLE), qui a tenté de s’attaquer au contrôle des prix des semences en Inde mis en place par la loi sur les produits de base n faisant appel à la Haute Cour de justice du Karnakata à Bangalore, qui a rejeté la plainte.

Ce nouveau groupe n’a rien à voir avec « l’industrie semencière », il ne produit pas de semences. Il tente d’étendre le principe du brevet aux produits chimiques afin d’obtenir la propriété de semences, même dans des pays où les brevets sur les semences et les plantes ne sont pas autorisés. Comme en Inde, en Argentine, au Brésil, au Mexique et dans beaucoup d’autres pays.

Toutes les affaires Monsanto en Inde sont liées à sa revendication non-scientifique, illégale et de brevets sur les semences, au mépris des lois indiennes, et à sa tentative d’extorquer des redevances à l’industrie semencière indienne et aux agriculteurs. La FSII est une « réunion de famille séculaire d’IG Farben », un rassemblement d’entités indépendantes et autonomes.

Le cartel chimique familial d’IG Farben a été responsable de l’extermination de gens dans des camps de concentration. Il représente un siècle d’écocide et de génocide, entrepris au nom de l’expérimentation scientifique et de l’innovation. Aujourd’hui, ce cartel d’empoisonneurs porte des habits d’ingénieur génétique et répète ad nauseam le mantra de l’innovation. Les camps de concentration d’Hitler furent une « innovation » dans le domaine du meurtre ; et presque un siècle après, la famille Farben est en train de mener la même extermination, silencieusement, mondialement et efficacement.

L’innovation de Monsanto consistant à extorquer des royalties illégales et à pousser des paysans indiens au suicide est aussi une innovation dans la manière de tuer ni vu ni connu et indirectement. La nouveauté de la méthode d’assassinat ne rend pas le meurtre plus juste. « L’innovation », comme toutes les activités humaines, a ses limites — définies par l’éthique, par la justice, par la démocratie, les droits des personnes et de la nature.

IG Farben a été jugée à Nuremberg. Nous avons des lois nationales pour protéger les personnes, leur droit à la vie et à la santé, ainsi que l’environnement. Les lois indiennes sur les brevets et la biosécurité, ainsi que celle sur la variété végétale visent à contrôler les propriétaires voraces d’entreprises historiquement coupables de crimes contre la nature et l’humanité.

L’industrie se prépare à lancer son nouveau « gène », la moutarde GM (DMH-11). La moutarde GM, promue comme une « innovation » du secteur public, se base sur le système de gènes barnase/barstar pour créer des plantes mâles stériles et sur un gène bar pour la résistance au glufosinate. En 2002, la demande d’approbation par pro-Agro (Bayer) de plantation commerciale de moutarde GM basée sur le même système avait été rejetée.

Bien que bannie en Inde, Bayer trouve les moyens de vendre du glufosinate illégalement aux plantations de thé d’Assam et aux pommeraies d’Himachal Pradesh, dans le nord-ouest de l’Inde. Des revendeurs font passer la vente de glufosinate dans la catégorie « autres » pour contourner la loi. Ces produits chimiques se fraient un chemin jusqu’aux corps de nos enfants sans l’accord du gouvernement. Essentiellement, tous les brevets clés liés au gène bar sont détenus par Bayer CropScience, qui a acquis Aventis Cropscience, elle-même créé à partir des départements de génie génétique de Schering, Rhône-Poulenc et Hoechst. Puis Bayer a fait l’acquisition de Plant Genetic Systems, et a passé un accord de coopération avec Evogene, qui détient des brevets dans le secteur de la cartographie génomique.

Avant qu’une autorisation soit accordée à la moutarde modifiée génétiquement, le problème des limites de la brevetabilité doit être résolu sur la base des lois indiennes, et les brevets sur les plantes, les semences et les méthodes agricoles ne doivent pas être autorisés. Deepak Pental, un professeur à la retraite et développeur d’OGM ne commercialisera pas la semence de moutarde GM. Ses donneurs d’ordre de Bayer/Monsanto/MoBay le feront.

Au vu de notre expérience avec le coton GM, le ministère de l’Environnement et des Forêts envisage d’établir des directives pour l’évaluation socio-économique des variétés OGM proposées, prenant en compte des facteurs comme l’économie, la santé, l’environnement, la société et la culture.

Au cœur de cette évaluation socio-économique, on retrouve le problème des monopoles et des cartels, et de leur impact sur les petits agriculteurs. Bien que les brevets sur les semences ne soient pas autorisés, pendant plus de 15 ans, Monsanto a illégalement extorqué des redevances aux paysans indiens, les piégeant par la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, et déclenchant ainsi une épidémie de suicides. La guerre de Monsanto contre la piétaille de l’Inde — les paysans — est une guerre menée par la famille IG Farben contre notre famille terrienne.


Traduit par Nicolas Casaux


Source : Tlaxcala