Les lundis contre la dette

Moubarak, Morsi, Al-Sissi : quels changements politiques en Egypte ?

15 novembre 2013 par Jérémie Cravatte


Changement de pouvoir, massacres de manifestants, instauration d’un état d’urgence : depuis le 30 juin 2013, date à laquelle l’armée a destitué le gouvernement en place, l’Egypte vit au rythme des affrontements entre les pros Frères Musulmans, l’armée, la police et les manifestants soutenant le général Al-Sissi. La situation semble se cristalliser entre pro et contre Morsi, mais qu’en est-il dans les faits ?

Mahinour El-Badrawi, du Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux, est revenue sur les deux ans de soubresauts politiques qu’a vécu l’Égypte depuis les soulèvements populaires de 2011, lors d’un “Lundi contre la Dette” [1], rendez-vous mensuel organisé à Liège par le CADTM.



Du clan Mubarak, au SCAF (Supreme Council of the Armed Forces, c’est-à-dire l’Armée), en passant par le Président Morsi des Frères Musulmans, la population égyptienne a vécu de nombreux changements de régimes en peu de temps. Mais un changement de système a-t-il eu lieu ?

Mahinour est revenue sur les causes du soulèvement populaire de 2011 : trente années de politiques néolibérales et de Plans d’ajustement structurel du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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. Les indicateurs économiques dominants du pays étaient très bons, il était d’ailleurs cité comme exemple à suivre avec ses 7 % de croissance. Mais la pauvreté, elle aussi, a augmenté de manière extrême durant cette même période : de plus ou moins 15 à 25 %... Le trickle-down effect [2] n’a, de nouveau, pas eu lieu.

Lors de ce soulèvement, la répression a été terrible (plus de 1 800 morts en vingt jours). Puis le régime est tombé. À la mise en place de Morsi, la politique envers l’opposition est restée inchangée et les forces armées ont laissé la répression policière continuer. Ensuite, avec la manifestation massive du 30 juin 2013 (avec entre 15 et 30 millions de personnes, selon les chiffres) l’armée démettra le gouvernement de Morsi. À la suite de ce que certains appelleront un « coup d’État militaire », les pro-Morsi se sont mobilisés et la réponse du nouveau régime a été violente (massacre du sit-in de Rabia, par exemple). En réponse, des attaques contre les chrétiens (entre autres) ont eu lieu. Bref, d’un régime à l’autre, la réaction aux protestations a toujours été la même : une répression terrible.

Mais un deuxième point commun traverse tous ces régimes (qui est, bien sûr, lié au premier) : la politique économique. Le FMI et la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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sont toujours là. La libéralisation de l’économie égyptienne continue. Le nouveau partenariat de Deauville, qui consiste en de nouveaux prêts (toujours accompagnés de conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. ) aux pays arabes pour accompagner leur « transition démocratique », perpétue la logique des décennies passées. Fin des subsides aux besoins de base, privatisations, destruction du droit du travail, interdiction des syndicats indépendants, augmentation de la TVA, immunités des investisseurs, etc., la politique macroéconomique sous l’ère de Moubarak est restée la même sous Morsi (qui a été jusqu’à prétendre que le prêt de presque 5 milliards de dollars du FMI ne comprenait pas d’intérêts – interdits par l’Islam) et l’armée (représentée actuellement par le Général Al-Sissi, qui a prétendu ne pas avoir besoin du FMI grâce à l’argent des pays du Golfe). Ils n’ont pas intérêt au changement.

Mubarak : « La stabilité ou le chaos »
Morsi : « La démocratie ou la violence »
Al-Sissi : « Moi ou le terrorisme »

Nous y sommes. Sauf que, oui, quelque-chose a changé depuis 2011 : les gens se sont réappropriés les questions macroéconomiques et n’ont plus peur de se mobiliser. Il ne s’agit pas d’une question de bon ou de mauvais gouvernement, mais de la pression que le peuple pourra exercer sur celui-ci et le rapport qu’il entretiendra avec le pouvoir. C’est cela qui a changé, aujourd’hui le régime – quel qu’il soit – a peur de manière continue, il sait que c’est le peuple qui, en définitive, a le pouvoir.

Voir l’interview de Mahinour par Noémie Picavet : « Après Morsi, Al-Sissi »


Notes

[1LCD 11 novembre 2013

[2Théorie selon laquelle une croissance de l’économie et l’enrichissement d’une partie de la population finira toujours par profiter à l’ensemble de celle-ci, par ruissellement.

Jérémie Cravatte

Militant du CADTM Belgique et membre d’ACiDe

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