My BLACKROCK life

10 décembre 2018 par Fabrizio Rondanelli


Entrée de BlackRock à Londres (CC - Wikimedia)

Une vie ordinaire se base sur de nombreux actes ordinaires qui ont une origine commune, les choix que l’on fait avant de les poser.

Le but de cette infographie n’est pas de montrer l’influence que subissent nos choix, ce qui mériterait une infographie supplémentaire [1], mais de vérifier l’inter-connectivité extrême du système financier actuel qui se traduit ici par une présence démiurgique de quelques investisseurs au sein du capital de la plupart des entreprises mondiales et qui produisent à leur tour la plupart des objets et des services qui « font » notre quotidien.



Inspirés par la célèbre réplique « politique » de Charles de Montalembert, nous pourrions aujourd’hui nous lancer un « vous avez beau ne pas vous occuper de Blackrock, Blackrock s’occupe de vous… », que l’on ne serait pas trop loin de la réalité.

Blackrock [2] est aujourd’hui la plus grande société de gestion d’actif Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
au monde, une multinationale US de l’« asset management ». Si grande, si imposante au niveau mondial, que quelques mois seulement après son investiture, le président Macron se dépêche d’inviter à l’Elysée et dans le faste, son fondateur et PDG, Larry Fink. Deux mois après cette première rencontre, ce nouvel exécutif français organise, à Versailles cette fois, un « sommet de l’attractivité » ouvert exclusivement aux VIP du monde de la finance mondiale et de l’entreprise transnationale.

On peut bien entendu se féliciter de cette suite dans les idées de nos gouvernants, qui passent de la banque d’affaire aux affaires publiques aussi facilement que l’on passerait, à l’occasion d’une promotion interne, d’un poste de comptable senior à celui, mieux rémunéré, de technico-commercial en charge de clientèle VIP, pardon des HNWI [3].

Mais on peut aussi s’interroger sur notre représentativité politique. A l’heure où l’on parle essentiellement de pouvoir d’achat habillé de gilet jaune, ne serait-ce pas du pouvoir de choix qu’il faudrait parler. Ce pouvoir du choix dont le manque cruel, ajouté aux fins de mois impossibles, nous frustre au point de nous faire sortir, dans le froid hivernal, en quittant le confort apathique de notre rôle premier de fournisseurs de données ?


Jeu d’influence

Vendre la compétitivité nouvelle comme s’il s’agissait d’une belle bouteille de vin, serait-ce là le dernier rôle dévolu à nos représentants ? En tout cas le seul peut-être les sortant, eux, de temps à autres de leur fonction régalienne d’austère comptable voué corps et âme à l’équilibre budgétaire interne de leur boîte « Etat SA ».

Mais après tout qu’y a-t-il là de mal ? Un président voulant attirer les investissements étrangers ne sert-il pas les intérêts de son pays, de sa population en augmentant les possibilités d’emplois futurs, par la restauration des termes d’échange, par l’amélioration de la balance des paiements Balance des transactions courantes
Balance des paiements
La balance des paiements courants d’un pays est le résultat de ses transactions commerciales (c’est-à-dire des biens et services importés et exportés) et de ses échanges de revenus financiers avec l’étranger. En clair, la balance des paiements mesure la position financière d’un pays par rapport au reste du monde. Un pays disposant d’un excédent de ses paiements courants est un pays prêteur vis-à-vis du reste du monde. Inversement, si la balance d’un pays est déficitaire, ce pays aura tendance à se tourner vers les prêteurs internationaux afin d’emprunter pour équilibrer sa balance des paiements.
, en favorisant la croissance donc la richesse et enfin le bien-être et le saint pouvoir d’achat ?

La question se comprend peut-être mieux si inversée. S’agit-il pour un président démocratiquement élu, d’attirer des investisseurs ou plutôt pour celui-ci, et donc nous à travers lui, de se soumettre aux exigences de ces géants de la finance. Sous couvert d’investissements productifs générateurs d’emplois, ne serait-ce pas plutôt pour ces gérants de ne s’assurer que d’un R.O.I [4] annuel de 5 à 10 %. Que cette exigence passe par une diminution voire par l’anéantissement de lois sociales ou règlementations nationales anti-business ne serait donc plus qu’un ajustement aussi évident qu’urgent pour la survie même de ces géants gérants.


Inter-connectivité

Quand on parle de Blackrock, on parle en fait d’une société qui gère, et donc qui décide de l’affectation d’une somme de plus de 6.200 milliards de dollars [5], soit les PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
cumulés de la France et de l’Allemagne.

Il est difficile dans ces conditions de ne pas considérer un rapport de force en faveur du géant de la finance lorsqu’il discute avec un représentant élu.

Il y a quelques années déjà, James Glattfelder de l’université de Zurich, spécialiste en étude des systèmes complexes s’était attaché à l’analyse des réseaux et structures de propriété des sociétés de capitaux au niveau mondial. Son étude se concluait en démontrant comment une toute petite partie (146) des sociétés à travers les quelques conseils d’administrations qui les représentent, contrôlent par ce jeu subtil d’actionnariats croisés un peu plus de 40 % de la richesse produite mondialement.

Blackrock fait partie de ce cœur financier mondial, il serait même plutôt en tête de liste.

Comment donc ne pas penser que cette concomitance entre puissance financière, données par le montant des actifs gérés, donc contrôlés, et inter-connectivité extrême, tant au niveau de la gestion interne (ces gérants d’actif détenant des parts les uns dans les autres sont parmi les sociétés les plus interconnectées) que des politiques d’investissement externes communes, ne soient, au mieux, des facteurs d’instabilité économique mondiale (comme nous l’avons constaté en 2007) et, au pire, la preuve ultime de détournement final de tout pouvoir d’une population mondiale à se déterminer démocratiquement, et cela au seul profit d’une minuscule caste financière internationale.


Mais Blackrock, c’est nous !

On entendra aussi ceux qui, dans un dernier espoir d’auto-persuasion, nous dirons « Mais Blackrock, c’est notre argent qu’il gère, à travers les fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. et les sociétés d’assurance clientes, c’est de notre avenir qu’il s’agit ! ».

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Bien sûr, regardons (pour ceux qui en ont encore une) notre épargne gérée par notre conseiller bancaire, notre courtier Courtier
Courtiers
Une société de courtage ou courtier est une entreprise ou une personne qui sert d’intermédiaire pour une opération, le plus souvent financière, entre deux parties.
ou notre assureur et constatons à l’envie que nos gestionnaires agissent en bons pères de famille en nous faisant participer au système à travers notre investissement en fonds proposés par les « Blackrock », « StateStreet », « Vanguard », « Fidelity », [6]

Mais répondons-leur simplement que le fondement du problème n’est pas la gestion de l’épargne des consommateurs mais bien le détournement du pouvoir de décision démocratique quant aux choix de société dévolu logiquement aux seuls citoyens.


Conclusions

Ces gérants de fortune opèrent sans frontières et nous remarquons que nos représentants-gouvernants ont, au mieux, pour tâche de faciliter la leur en leur permettant de prendre librement et sans contrôle local des décisions d’investissement tellement gigantesques, en quantité et en qualité que cela nous influence individuellement et collectivement dans l’ensemble de nos activités quotidiennes et tout au long de notre existence et sans doute aussi dans celles de nos enfants. Que ceci se déroule à travers des mécanismes de libre circulation des capitaux, de normalisation de procédures de recouvrement de dettes au niveau mondial ou à travers les processus de dérèglementations ou privatisations de tout service et bien public n’est plus aujourd’hui un mystère.

L’infographie est juste un petit exercice que chacun peut faire facilement chez soi en reprenant les informations quant aux actionnaires sur n’importe quel site boursier, au moins un certain degré de transparence existe encore.

Mais ce que cet exercice nous dit essentiellement est qu’une structure centralisée du capital international, gérée par un nombre toujours plus petit de sociétés toujours plus puissantes et interconnectées, est à l’œuvre.

Que ceci ne puisse que favoriser la concentration du pouvoir et la communautarisation de tout intérêt général au profit d’un seule petite poignée de décideurs non élus et donc au détriment de toute volonté et processus démocratique plus large reste une interprétation personnelle.




Sources :
- Marianne, 5 décembre 2017, « Comment Macron et ses principaux ministres ont bichonné le gotha de la finance toute une journée », https://www.marianne.net/politique/comment-macron-et-ses-principaux-ministres-ont-bichonne-le-gotha-de-la-finance-pendant

- Le Figaro, 22 janvier 2018, « Sommet de l’attractivité » à Versailles : l’opération de séduction de Macron, par Cécile Crouzel, http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/01/21/20002-20180121ARTFIG00164-macron-organise-a-versailles-un-sommet-de-l-attractivite.php

- « The Network of Global Corporate Control », Stefania Vitali, James B. Glattfelder, and Stefano Battiston, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3202517/


Notes

[1Ce qui aboutirait sans doute au même résultat final tant l’intégration de nos modes de fonctionnement en tant qu’êtres humains n’ont plus de secrets pour les sociétés championnes de la gestion des « big data ».

[2Blackrock, le « rocher noir », nom digne de thrillers qu’Hollywood nous sert treize à la douzaine chaque année, ne doit pas être confondu avec Blackwater, autre société américaine ayant fait la une des médias pour ses activités de plus grand fournisseur international de services de « sécurité ». En réalité une société de mercenaires, que le fondateur Erik Prince réussit à développer en surfant sur les politiques US de privatisation toute activité publique y compris celle hautement stratégique de la « défense ».

[3« High Net Worth Individuals » sont les personnes à haut potentiel de développement, donc représentant de gros portefeuilles d’actifs, pour les professionnels de la finance et de la banque d’affaire.

[4« Return on Investment », rendement annuel sur le montant investi.

[5Chiffres décembre 2017

[6N’oublions pas non plus que ces sociétés gèrent aussi les fortunes des quelques milliers de millionnaires et milliardaires dont les considérations en matière de retour sur investissement sont légèrement différentes.