Nyéléni : nouvelle étape sur le chemin de la souveraineté alimentaire

1er mars 2007 par Jérôme Ollier , Victor Nzuzi




Jérôme Ollier (CADTM Belgique) - Victor Nzuzi (NAD-CADTM RD Congo)

Lancé par la Via Campesina en 1996, le concept de souveraineté alimentaire a, depuis lors, été utilisé à toutes les sauces. Récupéré par différents acteurs, on a même vu certains chefs d’Etats abonder en son sens, sans changer pour autant un iota des politiques actuelles qui nous éloignent bel et bien de ce droit fondamental.

C’est donc pour clarifier ce concept et pour construire une stratégie commune que les mouvements : Via Campesina, Marche Mondiale des Femmes, Roppa, les Forums mondiaux des pêcheurs et les Amis de la Terre international convoquèrent ce Forum Mondial sur la Souveraineté Alimentaire. Nommé Nyéléni, en hommage à une grande agricultrice malienne, ce forum rassembla pendant cinq jours plus de 500 délégués de plus de 80 pays à Selingue, village de la campagne malienne.

Une grande diversité culturelle donc, mais aussi sectorielle (pêcheurs, paysans, peuples autochtones,...) caractérisait les participants. Une attention particulière avait été portée à ce qu’il y ait un équilibre entre les sexes. Bien représentées, les femmes ont fait une déclaration spécifique dans laquelle elles : « réaffirment leur volonté d’agir pour changer le monde capitaliste et patriarcal qui priorise les intérêts du marché avant le droit des personnes ».

L’objectif avait été également de se centrer sur la participation de mouvements sociaux limitant ainsi la venue des secteurs institutionnels et de coopération pour donner un cadre politique populaire à ce concept de souveraineté alimentaire.

En effet la rencontre, ficelée par une méthodologie élaborée, avait des objectifs ambitieux. Au-delà de la réappropriation du terme, il s’agissait de fortifier les alliances des réseaux luttant pour le concept ainsi que d’établir des stratégies et des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
communes.

Six secteurs, de sept régions à travers trois groupes d’intérêts (femmes, jeunes et environnement) se réunirent séparément et participèrent ensuite à un travail de groupe dans 7 thèmes fondamentaux pour la souveraineté alimentaire : politiques commerciales et marchés locaux, savoirs locaux et technologies, accès et contrôles des ressources naturelles, partage des territoires, conflits et catastrophes, conditions sociales et migrations forcées et enfin modèles de production.

Bien entendu la plupart de ces thèmes, interdépendants s’il en est, régis par les politiques capitalistes, furent marqués par des problématiques transversales : refus des Accords de Partenariat Economiques (APE), des Agro-carburants, des Organismes Génétiquement Modifiés, mise en place de nouveau réseaux de distribution rapprochant le consommateur du producteur, pour n’en citer que quelques uns. Il est d’ailleurs intéressant de constater les différences de position des continents. En effet si les participants du Nord se sont largement étendus sur le pouvoir du consommateur, le Sud prônait beaucoup plus volontiers la nécessité de changer de modèle de production.

Le premier résultat de ces discussions fut une déclaration politique, où est réaffirmé le concept de souveraineté alimentaire et le droit des peuples à en jouir comme d’un droit humain fondamental (une des propositions fut d’ailleurs de changer la journée mondiale de l’alimentation en journée mondiale de la souveraineté alimentaire et de faire entrer le concept dans le droit onusien). Dans cette déclaration le mouvement réaffirme se battre contre « L’impérialisme, le néo-libéralisme, le néo-colonialisme et le patriarcat ainsi que tous les systèmes qui appauvrissent la vie, les ressources et les écosystèmes mais aussi leurs promoteurs, tels que les institutions financières internationales, l’Organisation Mondiale du Commerce OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
, les accords de libre échange, les multinationales (une action mondiale contre des transnationales fut d’ailleurs évoquée) et les gouvernements ennemis des peuples
 ». Ces gouvernements qui continuent à demander ou à payer une dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
au détriment de la santé, de l’éducation, des services publics et... de la souveraineté alimentaire.

Nyeleni lance donc une nouvelle étape dans ce combat avec comme slogan : l’heure de la souveraineté alimentaire est venue !


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