2-1- Les dotations de l’État
Selon une étude de la DREES [1] (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), en 1959 et en 1990, les contributions de l’État constituaient respectivement 18 et 13 % des ressources de la protection sociale. En 2011, elles ne représentent plus que 8 % du total. Si les dotations de l’État étaient restées au niveau de 1990, toutes les années qui ont suivi auraient présenté un solde excédentaire. L’État ne respecte pas ses engagements inscrits dans le préambule de sa propre Constitution. (voir la partie 1 – Nous ne sommes pas redevables de la dette de la sécurité sociale, bien au contraire !)
2-2- La fiscalisation des ressources
La structure du financement de la protection sociale a considérablement évolué depuis sa création en 1945. La part des ressources provenant des cotisations sociales a progressé régulièrement de 1950 à 1990, puis a stagné de 1990 jusqu’à 1993, pour chuter régulièrement de 1993 à aujourd’hui.
Depuis 1993, au prétexte de restaurer la compétitivité du commerce extérieur et de favoriser la création d’emplois, les gouvernements successifs ont décidé de substituer une partie des cotisations par des impôts et des taxes affectés à la Sécurité sociale (ITAF).
Les gouvernements successifs ont décidé de substituer une partie des cotisations par des impôts et des taxes affectés à la Sécurité sociale (ITAF)
Avant 2000, ces ITAF concernaient essentiellement 2 types de régimes :
Celui des exploitants agricoles, financé pour 1/3 par les ITAF et celui des non salariés non agricoles (commerçants, artisans), regroupés au sein du RSI, financé pour 20% par les ITAF. Ces professions, encadrées majoritairement par des organisations proches du patronat, avaient refusé de rejoindre le régime général lors de l’instauration de la sécurité sociale en 1945.
Les ITAF affectés aux régimes des non-salariés ne dépassaient pas 2,5 % des recettes totales avant 2000. En incluant les autres régimes pour des montants bien moindres, les ITAF représentaient au maximum 4 % de l’ensemble du financement des régimes de protection sociale. Aujourd’hui, les ITAF (hors CSG) représentent environ 12 % des ressources de la Sécurité sociale, soit 5 fois plus qu’en 2000. De 3 Mds d’€ en 1993, les « allègements » se sont élevés à 19,8 Mds d’€ en 2005 pour atteindre 30 Mds en 2010. Or, ils ont surtout bénéficié à la grande distribution et au secteur de la restauration, sans effet mesurable sur le recrutement et le commerce extérieur [2].
De 3 Mds d’€ en 1993, les « allègements » se sont élevés à 19,8 Mds d’€ en 2005 pour atteindre 30 Mds en 2010
Le bilan de cette politique a déjà été critiqué à 2 reprises par la Cour des Comptes, en 2006 et en 2009. Dans un rapport daté de juillet 2006 (non publié), écrit pour la commission des finances de l’Assemblée Nationale et commenté par la revue Liaisons Sociales n° 14696 du 4 septembre 2006, la Cour des Comptes signale que : « les allègements représentent aujourd’hui un coût trop élevé », pour une « efficacité quantitative [qui] reste trop incertaine ».
En 2009 [3], la Cour avait également relevé que « les nombreux dispositifs d’allègement des charges sociales étaient insuffisamment évalués en dépit de la charge financière croissante qu’ils représentaient pour les finances publiques (27,8 Md€ en 2007, soit 1,5 % du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
). S’agissant des allègements généraux sur les bas salaires, leur efficacité sur l’emploi était trop incertaine pour ne pas amener à reconsidérer leur ampleur, voire leur pérennité.
Quant aux allègements ciblés sur des territoires ou des secteurs d’activité, leur manque de lisibilité et leur impact limité sur l’emploi justifiaient un réexamen des différents mécanismes ».
En résumé, cela coûte cher à l’État (et donc à nous) et rien ne démontre que cela crée ou préserve des emplois !
Un système d’allègement devenu totalement opaque
Extrait du rapport (rejeté) de Michelle Demessine, du groupe Communiste Républicain et Citoyen : rapport d’information sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises. « 20 ans d’exonérations de cotisations sociales : réussite ou échec d’une stratégie ? » : « Se fondant notamment sur les travaux du Conseil d’orientation pour l’emploi, de nombreux interlocuteurs de la mission ont rappelé que les mesures d’allègement avaient subi au moins 23 modifications depuis 1993… Tant pour les parlementaires que pour le citoyen, le sujet du financement de la sécurité sociale, qui reste pourtant une question essentiellement politique, a été réduite à un débat de techniciens… En conclusion, votre rapporteure estime que le manque d’efficacité des allègements de cotisations en termes de créations d’emplois implique une remise à plat et la mise en place de véritables instruments de mesure du coût du travail comme du coût du capital afin de dégager d’autres voies pour mieux mobiliser l’argent public. »
Le remplacement des cotisations sociales par des impôts et taxes est un transfert sur les ménages
En revanche, il a été constaté que le recul de la cotisation sociale depuis le milieu des années 1980 a eu un effet positif sur l’accroissement des dividendes versés sans pour autant se traduire par une augmentation des investissements [4].
Le remplacement des cotisations sociales par des impôts et taxes est un transfert sur les ménages.
En 1980, la cotisation sociale représentait alors 97,9 % des ressources contre 69,6 % en 2010 (cf. tableau 1). La part fiscale du financement, elle, est passée de 2,1 % en 1980 à 33 % en 2013 (dont 20 % de CSG).

La Contribution Sociale Généralisée (CSG) : un impôt pas si neutre que ça Instituée par Michel Rocard en 1990 (loi de finances pour 1991), elle a vu son taux passer de 1,1 % en 1991 à 7,5 % aujourd’hui. En contrepartie, les cotisations sociales ont baissé d’autant. L’opération est pourtant loin d’être neutre. Pratiquée essentiellement par retenue à la source, elle a comme principale assiette les revenus d’activité et de remplacement, soit les salaires et les retraites. La CSG constitue l’essentiel des transferts des cotisations payées par les employeurs sur les salariés. En 2012, 80 % de la CSG a pour assiette les revenus d’activité et de remplacement (essentiellement les salaires et les retraites). |
Une part importante (57 %) des impôts et taxes affectés (ITAF) est assise sur la consommation (cf. tableau 2). Cette part est également payée majoritairement par les ménages en lieu et place des entreprises.
En période de récession
Récession
Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs.
économique (baisse de la consommation et de la masse salariale), ces recettes fiscales varient à la baisse, ce qui fragilise encore plus les ressources de la Sécu.
Tableau 2 : Principaux Impôts et Taxes Affectés (ITAF)
Principaux ITAF | 2010 | 2011 | Qui paye ? |
Taxe sur les salaires |
11 437 |
11 644 |
Entreprises |
Droit de consommation sur les tabacs |
8 257 |
10 908 |
Ménages |
TVA « sectorielles » (tabacs, alcools, produits pharmaceutiques) |
8 544 |
10 114 |
Ménages |
Contribution de solidarité sur les sociétés (C3S) de base et additionnelle |
5 089 |
5 255 |
Entreprises |
Droit de consommation sur les alcools |
2 111 |
2 126 |
Ménages |
Prélèvement social sur les produits de placements |
1 170 |
1 808 |
Ménages |
Prélèvement social sur les revenus du patrimoine |
916 |
1 058 |
Ménages |
Contribution sociale sur les bénéfices |
823 |
850 |
Entreprises |
Taxe sur les véhicules de société |
995 |
928 |
Entreprises |
Contribution sur les contrats d’assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur |
946 |
972 |
Ménages |
Forfait social |
632 |
1 056 |
Entreprises |
Taxe sur les conventions d’assurance sur les contrats assurance maladie |
Mesures 2011 |
891 |
Ménages |
Taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation (« exit tax ») |
Mesures 2011 |
836 |
Entreprises |
Total |
40 920 |
48 446 |
Ensemble des ITAF (tous régimes et fonds) |
45 915 |
53 691 |
Une continuité désastreuse dans les choix politiques depuis 1986
Ces allègements de cotisations compensés à 90 % par des impôts et des taxes ont pour prétexte l’amélioration de la compétitivité des entreprises pour le commerce extérieur et les créations d’emplois. Après la désindexation des salaires sur les prix au 1er janvier 1984 (le « tournant de la rigueur » de 1983), la stabilité des salaires en part de la valeur ajoutée a disparu.
Les salaires « indirects, différés et/ou socialisés », ce que le patronat appelle une « charge », sont devenus une variable d’ajustement pour augmenter la part des profits. Les premières exonérations datent de 1986. Jusqu’en 1992, elles visaient des politiques ciblées et des salariés à statut particulier (le travail à temps partiel des femmes, les jeunes, les vieux ou les non qualifiés), ce qu’on appelait les emplois aidés.
Depuis 1993, elles ciblent principalement les bas salaires (environ les 2/3 des exonérations en 2010), les emplois à domicile et les contrats aidés. Avec les exonérations sur les heures supplémentaires, Fillon avait porté le montant de ces exonérations jusqu’au chiffre record de 30,7 Mds d’€, chiffre redescendu à 27,6 en 2012.