Parce qu’il ne veut pas de témoins de ses crimes Israël tue méthodiquement les journalistes qu’il ne peut faire taire !

12 janvier par Yorgos Mitralias


Photo : Al Jazeera English, Flickr, CC, https://www.flickr.com/photos/aljazeeraenglish/3372696866



Aucun criminel ne veut de témoins de ses crimes. Et Israël non plus, bien sûr. C’est pourquoi il fait tout ce qu’il peut pour pouvoir commettre ses crimes à Gaza - et dans les Territoires occupés - loin des projecteurs. Et il le fait de plusieurs façons à la fois :

- En interdisant aux journalistes étrangers d’entrer dans la bande de Gaza, dont il contrôle toutes les entrées.
- En menaçant ceux qui sont restés à Gaza pour qu’ils la quittent immédiatement s’ils ne veulent pas mourir.
- En assassinant méthodiquement, systématiquement et en priorité ceux qui persistent pour faire leur travail de journaliste.
- En faisant pression et en menaçant de les qualifier d’« antisémites » les journalistes intègres de par le monde pour qu’ils utilisent comme seules sources d’information sur ce qui se passe au Moyen-Orient uniquement celles de l’armée israélienne et du gouvernement israélien.
- En forçant, avec la coopération active des autorités étatiques et d’autres soutiens dans le monde, les médias d’autres pays à utiliser une certaine terminologie interdisant des mots et des expressions tels que ...« escalade de la guerre » ou même « stop the war » !

Mais il y a aussi une suite, puisque depuis quelques semaines, nous assistons -au niveau mondial- à la mise en application d’une nouvelle forme de manipulation de l’information par Israël et ses complices internationaux : le black out, le silence journalistique total sur les « actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
 » de l’armée israélienne à l’encontre de la population palestinienne. La raison en est évidente : telle est l’ampleur de ses crimes, tel est le choc et la répulsion qu’ils provoquent presque partout, telle est désormais l’inefficacité de ses « arguments » et de sa propagande, qu’Israël et ses soutiens dans le monde entier jugent apparemment préférable de faire « oublier » leur guerre et de ne plus en parler au quotidien ! C’est ainsi que l’on voit, par exemple, des médias qui, pendant deux mois, ont consacré leur première page au bain de sang de Gaza, ne disant - soudainement et... comme par magie - pas un mot ou couvrant la question de manière succincte et sur leurs toutes dernières pages... remplaçant systématiquement les rivières de sang de Gaza par des reportages sur des crimes crapuleux et autres faits divers d’un intérêt plutôt médiocre.

L’effet de ce black-out de l’information se fait déjà sentir : la guerre et, avec elle, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par Israël font désormais partie de la routine quotidienne ou tendent à être oubliés. C’est sans doute le plus grand, le plus dangereux et le plus cauchemardesque « exploit » de Netanyahou et de ses bourreaux, car il nous accoutume “à un monde ressemblant de plus en plus à une jungle où règne uniquement le droit du plus fort et où sont « permises » les pires atrocités contre les plus faibles !” [1]

Et tout cela dans l’indifférence générale, et sans la moindre réaction des syndicats des journalistes de nos pays. Des syndicats qui ne semblent pas particulièrement émus par le fait que non pas un ou deux, mais... 110 collègues journalistes ont été tués ou plutôt assassinés, principalement à Gaza et dans les Territoires occupés, par l’armée israélienne et les colons israéliens, en seulement trois mois, dans ce qui est de loin le plus grand massacre de journalistes de l’histoire de l’humanité ! Vraiment, qu’attendent-ils pour descendre dans la rue et se mettre urgemment en grève de solidarité et de soutien aux collègues palestiniens, qui vivent et meurent dans l’enfer de Gaza, et qui demandent désespérément ce soutien et cette solidarité ?

Pourtant, Tim Dawson, secrétaire général adjoint de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), avait deja déclaré il y a trois semaines, « je ne pense pas qu’il y ait jamais eu autant de journalistes tués dans un conflit, quel qu’il soit. Il y avait environ 1 000 journalistes à Gaza au début de ce conflit. Bien que les chiffres diffèrent légèrement quant au nombre exact de morts, si entre 7,5 et 10 % d’entre eux sont décédés, il s’agit d’un chiffre extraordinairement élevé ». Et la présidente de la Fédération internationale des journalistes (600 000 membres dans le monde), Dominique Pradalié, avait ajouté :« Sur les terrains de guerre, des exactions peuvent être commises contre des journalistes de façon ponctuelle. À Gaza, elles sont systématiques. » ». Quant au vice-président de la même Fédération internationale des journalistes, le Palestinien Nasser Abou Bakr, après avoir dénoncé que les journalistes travaillant à Gaza et dans les Territoires occupés sont "régulièrement menacés de mort et reçoivent des appels et messages anonymes ou de militaires sur WhatsApp”, il a conclu comme suit ; « Chaque jour, je communique avec mes confrères encore sur place, je leur demande comment ils vont. Ils me répondent une chose : nous sommes toujours vivants. Ils attendent de mourir et se demandent qui sera le prochain. Mais ils insistent pour continuer leur travail. S’ils arrêtent, qui racontera et documentera les crimes de masse et le nettoyage ethnique que subit notre peuple ? Israël veut tuer les journalistes, qui sont les témoins de ses crimes ».

Bien entendu, ce n’est pas un hasard si la plupart des journalistes menacés, blessés ou tués travaillent pour la chaîne d’Al Jazeera, car c’est précisément cette chaîne de télévision internationale qui est constamment dans le viseur d’Israël, qui tente à tout prix de la faire taire. Pourquoi ? Mais, parce qu’Al Jazeera est la seule chaîne qui fait correctement son travail : elle informe directement et généralement « en direct », couvrant tous les développements et événements du Moyen-Orient - et pas seulement du Moyen-Orient - et donnant la parole à toutes les parties, même les plus odieuses. Ayant suivi la chaîne anglophone d’Al Jazeera sans interruption au cours des trois derniers mois, nous pouvons confirmer que nous y avons vu défiler aussi bien des représentants du Hamas que des ministres et des généraux israéliens, aussi bien des Américains et autres partisans de M. Netanyahou que ceux qui soutiennent les Palestiniens. En d’autres termes, nous avons constaté qu’Al Jazeera fait exactement ce que la grande majorité des médias, y compris bien sûr ceux de nos pays « libéraux », refusent de faire. Quant aux calomnies qui sont traditionnellement lancées contre elle, même par de nombreux « progressistes », à savoir qu’Al Jazeera serait le porte-parole des « Frères musulmans » ou... du Hamas, ce sont des mensonges aussi grossiers que ceux qui prétendent qu’Israël bombarde et tue sans discernement non pas des civils palestiniens, mais des « terroristes du Hamas ». Après tout, il serait pour le moins paradoxal qu’Al Jazeera soit... islamiste, obscurantiste et réactionnaire alors qu’elle critique durement toute manifestation d’antisémitisme et qu’elle soutient et promeut sans réserve les mouvements progressistes et antiracistes du monde entier, y compris ceux des Juifs des États-Unis et d’ailleurs qui manifestent quotidiennement réclamant un cessez-le-feu immédiat…

C’est donc parce que ce sont ses journalistes qui font que Al Jazeera soit si unique et précieuse en ces temps de barbarie où l’information objective devient une denrée de plus en plus difficile à trouver, que leur incroyable souffrance nous émeut et nous bouleverse encore plus. En effet, ce n’est pas seulement que 110 journalistes ont déjà été tués par l’armée israélienne. C’est aussi que les membres de leur famille, de leurs grands-parents à leurs petits-enfants et à leurs bébés, sont également tués avec eux, aussi en toute priorité ! C’est ce qui s’est passé, entre bien d’autres, dans la tragédie personnelle du reporter en chef d’Al Jazeera à Gaza, Wael Al-Dahdouh, qui a perdu dans trois bombardements israéliens successifs sa femme, sa fille, son fils cadet et son petit-enfant, ainsi que huit autres membres de sa famille. Puis, son cameraman qui est mort exsangue, les soldats israéliens n’ayant pas permis à l’ambulance de l’atteindre - alors qu’il était lui-même blessé - et enfin, son fils aîné, journaliste lui aussi ! Inutile de dire qu’il n’y a pas de mots pour décrire les sentiments du téléspectateur lorsqu’il voit quelqu’un, et cela s’est produit à plusieurs reprises, interrompre un journaliste d’Al Jazeera alors qu’il parle en plein direct depuis les décombres des innombrables bombardements israéliens, pour lui chuchoter à l’oreille que des membres de sa famille viennent d’être tués. Et de voir ce journaliste se pétrifier, devenir tout pale et avoir les larmes aux yeux... tout en continuant de faire son reportage, parlant de la mort des autres !

C’est donc à ces journalistes qui sauvent l’honneur du journalisme mondial, que les syndicats des journalistes de nos pays doivent d’urgence et en actes montrer leur solidarité, non seulement parce qu’ils leur en sont redevables, mais aussi parce que le salut et même la vie de ces journalistes héroïques dépend de notre soutien. Cependant, ce n’est pas seulement nos syndicats des journalistes mais toute l’opposition progressiste et les gauches qui doivent justifier leur raison d’être en soutenant le peuple palestinien martyrisé non pas en paroles mais par des actes. Comme par exemple, en soutenant activement la plainte sud-africaine pour génocide contre Israël, qui a commencé à être discutée à la Cour internationale de justice de La Haye. De quelle manière ? En mobilisant dans les rues et en faisant pression dans les Parlements sur leurs gouvernements pour qu’ils s’associent ou pour le moins soutiennent la plainte de l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice. Hic Rhodus, hic salta...


Yorgos Mitralias

Journaliste, Giorgos Mitralias est l’un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l’appel de soutien à cette Commission.

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