Commune de Paris 150e anniversaire : un point de vue économique

30 mars 2021 par Michael Roberts


C’est aujourd’hui le 150e anniversaire du début de la Commune de Paris. La Commune (Conseil) a été formée à la suite de ce qui devrait être considéré comme le premier soulèvement et révolution dirigée par la classe ouvrière dans l’histoire. Cette nouvelle classe était le produit de la révolution industrielle dans le mode de production capitaliste dont Marx et Engels ont parlé pour la première fois de manière très visible dans le Manifeste du Parti communiste publié en mars 1848.



Avant la Commune de Paris, les révolutions en Europe et en Amérique du Nord avaient pour but de renverser les monarques féodaux et de mettre finalement la classe capitaliste au pouvoir politique. Alors que le socialisme en tant qu’idée et objectif gagnait déjà en crédibilité parmi l’intelligentsia radicale, ce sont Marx et Engels qui identifièrent pour la première fois l’agence du changement révolutionnaire pour le socialisme comme la classe ouvrière, à savoir ceux qui ne possédaient aucun moyen de production mais leur propre force de travail.

La Commune de Paris s’est concrétisée à la suite de la guerre franco-prussienne. Cette guerre avait été lancée par Louis Bonaparte, neveu de Napoléon, qui s’était emparé du pouvoir par un coup d’État au lendemain de la défaite de la révolution de 1848. Il a dirigé la France de manière autocratique pendant les deux décennies suivantes. Ces décennies ont été celles d’un boom économique exceptionnel pour le capitalisme en Europe et en Amérique. Les récessions économiques étaient rares (1859 et 1864) et relativement modérées. En effet, la rentabilité a atteint des sommets dans les années 1850 (+ 11%), puis a reculé de 4% dans les années 1860.

Source : T Piketty, https://www.quandl.com/data/PIKETTY/TS6_2-Capital-labor-split-in-France-1820-2010

La France est passée d’une économie agricole arriérée à une économie industrielle à croissance rapide. Bonaparte a lancé une série de projets de travaux publics et d’infrastructures destinés à moderniser les villes françaises. Paris est devenu un centre international de la finance au milieu du XIXe siècle, juste après Londres. Il disposait d’une banque nationale solide et de nombreuses banques privées agressives qui finançaient des projets dans toute l’Europe et dans l’Empire français en expansion. La Banque de France , fondée en 1796, est devenue une banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. puissante.

Sous Bonaparte, le gouvernement français a coordonné plusieurs institutions financières pour financer de grands projets, dont le Crédit Mobilier qui est devenu une agence de financement puissante et dynamique pour de grands projets en France dont une ligne transatlantique de navires à vapeur, l’ éclairage au gaz urbain , un journal et le métro parisien. La France a multiplié par huit ses lignes ferroviaires et a doublé sa production de minerai de fer. La population a augmenté de 10% et bien plus dans les villes qui sont maintenant devenues des centres urbains de la nouvelle classe ouvrière industrielle. En 1855 et à nouveau en 1867, une exposition mondiale fut organisée à Paris pour rivaliser avec celle de la précédente Grande Exposition de la puissance industrielle britannique en 1851. Et Ferdinand de Lesseps organisa la construction du canal de Suez.

Mais la politique de guerre de Bonaparte et le projet de refonte de Paris avec l’architecte Haussmann se sont avérés coûteux ; La dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
nationale de la France a considérablement augmenté. Et l’industrie française s’est trouvée confrontée à une concurrence internationale accrue (c’est-à-dire principalement britannique). Entre 1848 et 1870, le déficit du secteur public a triplé. Ce que David Harvey a appelé le « keynésianisme primitif » a commencé à s’essouffler. Le gouvernement a eu recours à la monétarisation de la dette, à la manière du MMT, dans l’espoir que cela continuerait à stimuler l’investissement et la croissance. Marx a appelé cela le « catholicisme » de la base monétaire , transformant le système bancaire en « papauté de la production » et a embrassé ce que Marx a appelé le « protestantisme de la foi et du crédit ».

Des krachs financiers s’ensuivirent alors que la croissance des bénéfices commençait à chuter. En effet, on peut se faire une idée des problèmes croissants du boom capitaliste français dans le mouvement des cours et des rendements boursiers. Il y a eu une baisse des bénéfices lors de la récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. de 1859, en 1864 et 1868 avant la calamité de la guerre franco-prussienne.

Source : Un défi aux optimistes triomphants ? Un indice blue chips pour la bourse de Paris, 1854–2007, mes calculs

À mesure que le taux de profit a chuté au cours des années 1860, s’il était à des niveaux historiquement élevés, la croissance annuelle des bénéfices a également diminué, avec des baisses significatives en 1859 et 1864.

Les inégalités de richesse et de revenus ont monté en flèche alors que la classe ouvrière augmentait considérablement en nombre. Les tensions sociales ont commencé à s’intensifier. On pourrait dire que c’était une situation similaire en mai 1968 après deux décennies de boom économique sous le règne de la présidence gaulliste – sauf qu’en 1870, la guerre est intervenue et est devenue le catalyseur de l’essor de la Commune.

On pourrait soutenir que Bonaparte, dans son orgueil, avait besoin d’une guerre pour détourner la lutte de classe chez lui et qu’il avait besoin de restaurer l’hégémonie économique de la France en Europe continentale. Bonaparte pensait que l’armée française était supérieure à la Prusse de Bismarck. Mais il a largement sous-estimé la puissance économique et militaire allemande dirigée par la Prusse. Les Français ont été rapidement vaincus et humiliés. Bonaparte a été capturé, abdiqué et s’est enfui. Le gouvernement républicain bourgeois a tenté de se battre, mais a finalement négocié un terrible accord de paix pendant que l’armée prussienne assiégeait la population affamée de Paris. C’est alors que la Commune de Paris – un conseil des délégués ouvriers des districts – émerge pour s’emparer du pouvoir politique dans l’intérêt de la population.

Ce billet ne peut pas couvrir tous les événements et tous les thèmes des 72 jours courts que la classe ouvrière de Paris a gouverné à travers ses propres structures démocratiques, tandis que le gouvernement bourgeois s’est enfui à Versailles et a exhorté les Prussiens à écraser la Commune. La Commune n’a pas survécu longtemps. Elle est resté largement isolée en France et a finalement été réprimée de manière sanglante par les forces du gouvernement de Versailles.

Les meilleurs récits de la Commune de Paris sont ceux du Communard Lissagaray, l’Histoire de la Commune de Paris, traduite par Eleanor Marx et publiée en 1876. https://www.marxists.org/history/france/archiv/lissagaray/index.htm , et bien sûr La guerre civile en France, le propre récit de Marx écrit juste après l’écrasement de la Commune. https://www.marxists.org/ archive/marx/works/1871/civil- war-france/ . Et le marxiste belge, Eric Toussaint, a donné ici un excellent récit moderne des machinations économiques de la Banque de France et de la Commune.La Commune de Paris, la banque et la dette.

Donc, dans ce court billet, je proposerai juste quelques observations sur la politique économique de la Commune. Le plus important était la non prise en charge des leviers financiers du capital, en particulier la Banque de France. Dix ans après l’écrasement de la Commune, Marx a soutenu que la Commune aurait bien pu survivre si la Banque de France avait été prise en charge. « En plus d’être simplement le soulèvement d’une ville dans des circonstances exceptionnelles, la majorité de la Commune n’était en aucun cas socialiste et ne pouvait pas l’être. Avec un peu de bon sens, cependant, elle aurait pu obtenir de Versailles un compromis favorable à toute la masse du peuple – le seul objectif réalisable à l’époque. « 

En effet, la plus grande crainte que le gouvernement de Versailles avait, à propos de la Commune, était la perte des fonds de la Banque. Lissagaray note : « Toutes les insurrections graves ont commencé par s’emparer du nerf de l’ennemi, la caisse enregistreuse. La Commune est la seule à avoir refusé. Elle est restée en extase devant l’argent de la haute bourgeoisie qu’elle avait sous la main. ».

Et Engels dans son introduction à la réédition de La guerre civile en France en 1891 : « beaucoup de choses [ont] été négligées que, selon notre conception aujourd’hui, la Commune aurait dû faire. Le plus difficile à saisir est certainement le saint respect avec lequel on s’arrêtait devant les portes de la Banque de France. C’était d’ailleurs une grave erreur politique. La banque aux mains de la Commune valait plus de dix mille otages. Cela signifiait que toute la bourgeoisie française faisait pression sur le gouvernement de Versailles pour qu’il fasse la paix avec la Commune.

Banque de France

Pourquoi les dirigeants de la commune n’ont-ils pas repris la Banque ? Eh bien, la majorité des délégués de la Commune n’étaient pas socialistes, mais démocrates républicains. L’aile socialiste était une minorité. Et au sein de cette minorité socialiste, les marxistes étaient une minorité encore plus petite. La plupart des socialistes étaient des Proudhonistes. Ils ont vu le socialisme venir du contrôle monétaire, notamment par l’utilisation du crédit. L’homme chargé des finances de la commune, Charles Beslay, ami de Proudhon, avait une foi aveugle dans la banque et la finance plus généralement. Il était membre de la Première Internationale depuis 1866 et avait une grande influence dans la Commune. Beslay avait une formation de capitaliste, car il avait été propriétaire d’un atelier employant 200 salariés.

Charles Beslay

Le gouverneur adjoint de la Banque et monarchiste De Ploeuc a commenté : « M. Beslay fait partie de ces hommes dont l’imagination est déséquilibrée et qui se complaît dans l’utopie ; il rêve de concilier tous les antagonismes qui existent dans la société, les patrons et les ouvriers, les maîtres et les serviteurs. Beslay confirme son Proudhonisme en action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
 : « Une banque doit être vue sous un double aspect ; si elle se présente à nous sous son côté matériel par sa caisse et ses billets, elle s’impose aussi par un côté moral qui est la confiance. Supprimez la confiance, et le billet de banque n’est qu’un assignat. » Beslay a attaqué les marxistes : « Le système de la Commune et le mien se traduisent par ce mot sacré : « respect de la propriété, jusqu’à sa transformation ». Le système du citoyen Lissagaray aboutit à ce mot répugnant : spoliation » .

De plus, les mécanismes financiers sont trop compliqués pour être compris par les citoyens ordinaires, voire par les politiciens, et devraient donc être réservés aux spécialistes, voire aux experts. L’attitude du principal chef de la commune Rigault était que « les questions d’affaires, de crédit, de finance, de banque […] nécessitaient l’aide d’hommes spéciaux, qui ne se trouvaient qu’en très petit nombre, à la Municipalité. […] De plus, les questions financières […] ne sont pas […] considérées comme les problèmes essentiels du moment. Dans un avenir immédiat, tout ce qui compte, c’est que l’argent entre. »

Au lieu de destituer le gouverneur très effrayé de la Banque, Rouland, et de prendre le contrôle des énormes fonds que la banque détenait, Beslay a permis à Rouland de rester en place et a simplement demandé des fonds suffisants pour payer les gardes nationaux défendant Paris. Rouland a gentiment autorisé Beslay à rejoindre le conseil d’administration de la banque en tant que « délégué de la commune », où Beslay a agi pour assurer son indépendance vis-à-vis du contrôle et des revendications de la commune.

Banque de France Governor Rouland

Au lieu de vouloir prendre le contrôle, Beslay a tout fait pour maintenir l’intégrité de la Banque de France et garantir son indépendance. Résultat : pendant les soixante-douze jours de son existence, la Commune n’a reçu que 16,7 millions de francs pour ses besoins : les 9,4 millions d’actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
que la Commune avait déjà en compte et 7,3 millions prêtés par la Banque. Dans le même temps, la Banque a envoyé au gouvernement de Versailles 315 millions de francs depuis son réseau de 74 agences !

L’argent que la Commune obtenait était généralement utilisé à bon escient. Environ 80% sont allés à la défense de Paris, mais des revenus ont également été distribués aux quartiers les plus pauvres de la ville. La commune a introduit un système fiscal progressif, abaissant de 50% la taxe de séjour pour les plus pauvres et augmentant les taxes sur les entreprises. Les propriétaires ont dû rembourser que les neuf derniers mois de loyers et de loyers avaient été suspendus. Il y avait un moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sur toutes les dettes, qui pouvaient désormais être remboursées en trois ans sans intérêts.

Mais l’échec de la prise de contrôle de la Banque est le talon d’Achille des progrès de la Commune. Et le conseil de la Banque le savait. Ils étaient terrifiés à l’idée qu’il y aurait une « occupation de la Banque par le Comité central, qui peut y installer un gouvernement de son choix, faire produire des billets sans mesure ni limite et entraîner ainsi la ruine de l’établissement et du pays. » Et un autre membre du conseil industriel a affirmé que« le Conseil ne peut […] exposer la Banque au limogeage. Le mal serait irrémédiable et la destruction des valeurs du portefeuille et de la serre des gisements constituerait une terrible calamité, car c’est une grande partie de la fortune publique.

Si la Banque avait été prise en charge, Versailles aurait été privé de fonds pour vaincre la Commune car elle détenait un portefeuille de montants étendus à 899 millions de francs, de 120 millions de francs en titres. déposés en garantie des avances et 900 millions de francs de titres en dépôt. Au lieu de cela, Beslay suivit les instructions du gouverneur de la Banque et autorisa la Banque à envoyer de l’argent à Versailles tandis que le sous-gouverneur donnait l’ordre de faire descendre tous les titres dans les caves puis de ensabler l’escalier d’accès.

Deux ans après l’écrasement de la Commune, Beslay résume son action dans une lettre au quotidien de droite Le Figaro , publiée le 13 mars 1873 : « Je me suis rendu à la Banque avec l’intention de la protéger de toute violence de l’exagération parti de la Commune, et je suis convaincu que j’ai gardé dans mon pays l’établissement, qui était notre dernière ressource financière. » La Commune fut finalement écrasée en mai 1871 avec environ 20 000 Communards tués, 38 000 furent arrêtés et plus de 7 000 déportés. Beslay a été autorisé à se libérer et a déménagé en Suisse.

Quelque 45 ans plus tard, après une autre révolution déclenchée par la guerre et la défaite de la classe dirigeante, Lénine a rappelé cette leçon de la défaite de la Commune de Paris : « Les banques, on le sait, sont les centres de la vie économique moderne, les principaux centres névralgiques de tout le système économique capitaliste. Parler de « régulation de la vie économique » et pourtant éluder la question de la nationalisation des banques, c’est soit trahir l’ignorance la plus profonde, soit tromper les « gens du commun » par des paroles fleuries et des promesses grandiloquentes avec l’intention délibérée de ne pas tenir ces promesses. »

Source : Anti-K


Michael Roberts

a travaillé à la City de Londres en tant qu’économiste pendant plus de 40 ans. Il a observé de près les machinations du capitalisme mondial depuis l’antre du dragon. Parallèlement, il a été un militant politique du mouvement syndical pendant des décennies. Depuis qu’il a pris sa retraite, il a écrit plusieurs livres. The Great Recession - a Marxist view (2009) ; The Long Depression (2016) ; Marx 200 : a review of Marx’s economics (2018), et conjointement avec Guglielmo Carchedi ils ont édité World in Crisis (2018). Il a publié de nombreux articles dans diverses revues économiques universitaires et des articles dans des publications de gauche.
Il tient également un blog : thenextrecession.wordpress.com

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