17 février 2024 par Eric Toussaint

Ligne de chemin de fer financée par la Chine au Kenya | Photo : Antony Trivet, CC, Pexels, https://www.pexels.com/photo/a-red-train-on-a-railroad-6143296/
La Chine est diabolisée par de nombreuxses commentateurices : elle serait la principale créancière d’un grand nombre de pays du Sud et elle les exploiterait tandis que la Banque mondiale, le FMI, le Club de Paris, qui regroupent les puissances créancières traditionnelles, feraient de leur mieux pour venir en aide à ces pays qui ploient sous le fardeau d’une dette trop lourde.
De son côté, la Chine fait aussi de la propagande. Elle se présente comme l’alliée des pays du Sud, annonce régulièrement des annulations ou des allègements de dettes et affirme qu’elle n’impose pas de conditionnalités néolibérales comme le font le FMI et la Banque mondiale. Elle met également l’accent sur son efficacité. Voici la troisième partie de cette analyse sous forme de questions/réponses.
Depuis 2020, et la succession de chocs externes (pandémie du coronavirus et les effets de la guerre en Ukraine notamment sur le prix des céréales, des fertilisants chimiques et des combustibles), le nombre de pays en difficultés financières a très fortement augmenté. Cela n’a pas abouti à une crise généralisée des paiements de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
car le Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et la Chine ont multiplié des crédits d’urgence et/ou des rééchelonnements de remboursements. Le FMI et la Chine n’ont pas été les seuls à faire cela mais ce sont eux qui ont eu le plus d’effets vu leur poids financier.
Cela a permis d’offrir des solutions à court terme en faveur des créanciers qui ont évité jusqu’ici une crise généralisée des paiements, mais cela n’a apporté aucune solution structurelle. Plus grave, dans le cas du FMI, il en a profité pour imposer l’approfondissement des politiques néolibérales appliquées depuis près de 40 ans : réduction des dépenses sociales, suppressions des subventions aux produits et services de premières nécessité, augmentation de la TVA, privatisations supplémentaires, encore moins de protection pour les producteurs locaux et les productrices locales face aux produits importés… Cela a contribué à l’aggravation des conditions d’existence vécues par des centaines de millions de personnes.
Dans le cas de la Chine, qui n’impose pas ce type de conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. , ce qui est positif, le report des échéances de paiement n’apporte aucune solution de fond car le stock de la dette Stock de la dette Montant total des dettes. des pays « bénéficiaires » de ces reports continue de croître. Dans certains cas, la Chine a obtenu le contrôle direct sur des infrastructures comme cela a été le cas au Kenya avec une ligne de chemin de fer, ou au Sri Lanka, avec le port de Hambantota [1] pour lequel elle a obtenu une concession d’exploitation pendant 99 ans.
La Banque populaire de Chine octroie de plus en plus de crédits d’urgence afin d’éviter le plus possible des déboires pour les créanciers publics chinois en cas de non-remboursements
Effectivement, la Chine a eu recours a bien des égards, aux recettes utilisées par les États-Unis confrontés à la crise de la dette des pays d’Amérique latine à partir du début des années 1980. Afin de protéger les intérêts des prêteurs étasuniens, en particulier les banques américaines qui étaient les principaux créanciers de l’Amérique latine, les États-Unis sont intervenus activement pour restructurer les dettes, pour octroyer des crédits d’urgence aux pays concernés afin qu’ils maintiennent ou reprennent les paiements à l’égard des banques.
Le Trésor américain est intervenu avec de l’argent public pour sauver les créanciers privés étatsuniens c.-à-d. les grandes banques privées [2]. Dans le cas de la Chine, on constate que la Banque populaire de Chine (la banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. chinoise) octroie elle-même de plus en plus de crédits d’urgence afin d’éviter le plus possible des déboires pour les créanciers publics chinois en cas de non-remboursements.
Néanmoins, il y a une différence importante entre la Chine et les États-Unis, c’est que dans le cas de la Chine, l’écrasante majorité des prêteurs chinois sont publics. Tandis que dans le cas des États-Unis et de la crise des années 1980, les créanciers étaient presque exclusivement privés.
Selon Eugène Berg, ex-ambassadeur de France en Namibie et au Botswana « Entre 2000 et 2018, cinquante pays africains sur cinquante-quatre ont emprunté à la Chine 132 milliards de dollars, dont 80 % à la Ex-Im Bank of China et à la China Development Bank (CDB), sous des formes diverses. En 2018, la Chine détenait près de 21 % des encours de la dette publique externe du continent, une grande partie de ces prêts finançant des infrastructures à la pertinence contestable. » source : Eugène Berg, « La percée chinoise en Afrique a des effets délétères », 31 décembre 2021 , https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/31/eugene-berg-la-percee-chinoise-en-afrique-a-des-effets-deleteres_6107775_3232.html
L’agence chinoise Xinhua donne des chiffres différents, inférieurs en ce qui concerne l’importance des prêts chinois : « Un rapport publié en juillet dernier par l’ONG britannique Debt Justice montre que 12% de la dette extérieure des pays africains est détenue par des prêteurs chinois, contre 35% par des prêteurs occidentaux privés, tandis que le taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
moyen de ces prêts privés est de 5%, contre 2,7% pour ceux des prêteurs publics et privés chinois. » Source : Xinhua, « Des faits clés sur la dette africaine que les Etats-Unis ignorent délibérément », 7/02/2023, https://french.news.cn/20230207/4d1e5c179b344ccb90307ddd72c28d3d/c.html
| Encadré : Un rapport de Debt Justice relativise le poids de la Chine comme créancière des pays d’Afrique Dans un rapport publié en juillet 2022 [3], Debt Justice s’appuie sur la base de données de la Banque mondiale Banque mondiale BM La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies. En 2022, 189 pays en sont membres. Cliquez pour plus de détails. pour relativiser la place de la Chine et sa diabolisation comme créancière des pays africains. La Chine pèse bien moins lourd que les créanciers privés dans l’endettement du continent. En 2022, ces derniers possédaient 35 % de la dette extérieure des pays africains, contre « seulement » 12 % pour la Chine (on parle ici des créanciers publics et privés chinois). De leur côté, les créanciers multilatéraux (principalement Banque mondiale et FMI) représentaient 39 % de la dette extérieure publique de ces pays. Par ailleurs, selon Debt Justice, la Chine prend, en moyenne, un taux d’intérêt de 2,7 % sur ses prêts aux pays africains, contre 5 % pour les créanciers privés. On verra plus loin que, de ce point de vue, le rapport de Debt Justice se trompe car une partie des crédits chinois sont à des taux plus élevés. De la même manière, plus d’un tiers du service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. extérieure des pays d’Afrique pour la période 2022-2028 est dû aux créanciers privés, contre 19% aux prêteurs chinois, qui se font pourtant rembourser, sur cette période, la totalité du stock de dette extérieure qui leur était due fin 2020. Là aussi, il faut préciser que les montants qui devraient être remboursés à la Chine jusque 2028 sont plus élevés que ce que prévoyaient la Banque mondiale et Debt Justice. En effet, une partie importante des crédits chinois sont à taux variable indexés généralement sur le Libor LIBOR London Interbank Offered Rate Taux interbancaire de la City londonienne (très proche du prime rate des États-Unis, autre taux de base des prêts internationaux). et, avec la remontée brutale des taux d’intérêts depuis 2022 (causée par la décision unilatérale de la Réserve fédérale des Etats-Unis, par la BCE BCE Banque centrale européenne La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone. Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier. et par la Banque d’Angleterre), les taux auxquels les pays africains doivent rembourser la Chine ont fortement augmenté (voir plus loin). Pour affiner l’analyse, Debt Justice s’est penché sur les 15 pays qui dépensent plus de 15 % de leurs revenus dans les remboursements de leur dette extérieure, ceux qui sont les plus endettés. Parmi ces pays, la part représentée par la Chine dans les remboursements est encore une fois bien inférieure à celle représentée par les créanciers privés sur la période 2022-2028. Néanmoins, l’auteur remarque que plus d’un tiers du service de la dette extérieure de l’Angola, du Cameroun, de la République démocratique du Congo, de Djibouti, de l’Éthiopie et de la Zambie, sur cette période, est dû à des créanciers chinois. Par exemple, entre 2022 et 2028, 59 % du service de la dette extérieure de l’Angola et 45 % du service de la dette extérieure de l’Éthiopie sont dus à la Chine. En bref, selon ce rapport, il faut relativiser la place de la Chine comme créancière en Afrique. Ce sont bien les créanciers privés occidentaux qui sont majoritaires dans la dette extérieure publique africaine. Sur ce point, Debt Justice a tout à fait raison |
Une partie significative des crédits octroyés par la Chine indique que le taux d’intérêt variable correspond au Libor auquel s’ajoute entre 2 % et 4 % supplémentaires. Cela donne aujourd’hui du 7% à 9% de taux d’intérêt
Effectivement, au cours des dernières années, de plus en plus de crédits ont été accordés à taux variables. Les contrats chinois à taux variables adoptent l’index appelé Libor (London Interbank Offered Rate) qui a été mis en place par les grandes banques privées dans les années 1970. À signaler que, lors de la crise de la dette du Tiers monde des années 1980, l’une des causes de celle-ci a été la décision de la Réserve fédérale des États-Unis d’augmenter radicalement ses taux, ce qui s’est répercuté par une augmentation aussi brutale du Libor, qui servait d’index aux crédits bancaires à taux variables octroyés par les banques privées du Nord aux pays dits du Tiers monde.
D’une certaine manière, le même phénomène se reproduit sous nos yeux. Les crédits octroyés par la Chine à taux variables depuis le lancement du projet de la « Nouvelle route de la soie » (BRI en anglais) l’ont été lorsque le Libor était proche de 0 car il correspondait aux taux pratiqués par la Banque centrale des États-Unis, la Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre entre 2012 et 2022. Suite à la décision unilatérale de ces trois grandes banques centrales de relever leurs taux jusqu’à 5,5 % pour la Réserve fédérale des États-Unis et la Banque d’Angleterre, le Libor est passé de 0 à plus de 5 %. Voir le graphique ci-dessous.
Graphique 9 : Évolution du Libor entre 1999 et 2024
Une partie significative des crédits octroyés par la Chine indique que le taux d’intérêt variable correspond au Libor auquel s’ajoute entre 2 % et 4 % supplémentaires. C’est le cas par exemple d’un crédit de la China Ex-Im Bank au Cameroun accordé en 2014. Le contrat prévoit que le taux d’intérêt est celui du Libor plus 3 % à 4 %. Ce qui signifie aujourd’hui, si cette clause du contrat est appliquée, du 8 % à 9 % puisque le Libor est à plus de 5 %.
Un autre crédit octroyé au Cameroun, cette fois-ci par la China Development Bank, prévoit que le taux variable correspond au Libor plus 2 % à 3 %. Un troisième crédit octroyé au Cameroun, cette fois par la Banque publique chinoise ICBC prévoit un taux correspondant au Libor plus 1 % à 4 %.
La Chine n’est pas la seule à prévoir des taux variables et à adopter le Libor comme référence. C’est le cas par exemple de l’Export Credit Bank de la Turquie, qui a octroyé un crédit également au Cameroun avec un taux d’intérêt indexé sur le Libor plus 4 %. C’est le cas aussi d’un crédit octroyé par la International Islamic Trade Finance Corporation qui prévoit que le taux est le Libor plus 3 %. Situation similaire pour un crédit octroyé au Cameroun par la banque privée CommerzBank AG Paris qui prévoit que le taux est le Libor plus 1,6 %.
D’autres créanciers utilisent un autre index appelé l’Euribor. Dans le cas du Cameroun, c’est le cas de l’Agence française de développement (AFD), qui prévoit que le taux est celui de l’Euribor plus une marge qui n’a pas été rendue publique. À noter que dans le cas de ce crédit, l’Agence française de développement (AFD) a imposé au Cameroun une clause équivalente à celle expliquée plus haut dans le cas de la Chine, à savoir la création d’un compte dans lequel une partie des revenus générés par le projet sont versés et dans lequel l’AFD peut puiser en cas de suspension de paiement.
Pour revenir à l’index Euribor, dans le cas du Cameroun, il est utilisé par la Banque africaine de développement (BAD) qui prévoit l’Euribor plus 0,6 %, par la Banque mondiale (BIRD), qui prévoit Euribor plus 1,3 % et par la banque privée Deutsche Bank, qui prévoit l’Euribor plus 3,05 %. Le recours à l’Euribor comme index a les mêmes conséquences que l’utilisation du Libor, voir le graphique ci-dessous :
Graphique 10 : Évolution de l’Euribor entre 1999 et 2024
Ces deux graphiques permettent de visualiser très clairement que pendant la période dite de quantitative easing, les taux du Libor et de l’Euribor étaient proches de 0 et qu’à partir de 2022, l’augmentation est à la fois brutale et très forte.
La Chine n’est pas responsable de l’augmentation brutale des taux. La responsabilité de celle-ci incombe uniquement aux banques centrales des États-Unis, de la Zone Euro et de l’Angleterre
Il faut souligner que la Chine n’est pas responsable de l’augmentation brutale des taux. La responsabilité de celle-ci incombe uniquement aux banques centrales des États-Unis, de la Zone Euro et de l’Angleterre. Mais on ne peut que regretter et critiquer que la Chine ait décidé d’adopter le Libor et le principe de taux variable alors que le précédent de la crise des années 1980 était connu et qu’en plus, le Libor a été l’objet avéré de manipulations lors de la crise financière de 2008 – 2010, ce qui a abouti à la mise à l’amende de plusieurs grandes banques qui définissent entre elles ce taux.
Il est fondamental de voir si la Chine, face aux effets catastrophiques de l’augmentation du Libor, va revoir l’application des contrats afin d’atténuer radicalement l’impact de cette hausse. Jusqu’ici, aucune annonce officielle chinoise n’indique que la Chine n’exige pas l’application de l’augmentation des taux.
La Chine n’est pas pire que les autres créanciers mais elle ne s’en distingue pas fondamentalement, et de loin
La montée en puissance de la Chine comme prêteur de premier plan a modifié radicalement les rapports de force entre créanciers. Jusqu’aux années 2010, à l’égard des pays pauvres, en cas d’accord entre le FMI, la Banque mondiale et le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par une Française. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, il était difficile pour un pays pauvre dont ils étaient les créanciers principaux de trouver une source de financement alternative, et il n’y avait aucun gouvernement du Sud à part celui de Cuba qui avait le courage de suspendre unilatéralement les paiements. Il y a bien eu le gouvernement de l’Équateur qui a suspendu le paiement d’une partie de sa dette et a imposé aux créanciers une très forte réduction de celle-ci [4], mais cela concernait les dettes détenues par les créanciers privés et pas celles détenues par la Banque mondiale, le FMI et le Club de Paris.
À partir des années 2010, la croissance vertigineuse des crédits chinois a modifié les relations entre les créanciers. Pour un nombre significatif de pays, la Chine a occupé une place de plus en plus importante et a supplanté dans certains cas, les créanciers traditionnels comme les anciennes puissances coloniales (France, Grande-Bretagne, Belgique, Japon, Espagne…), les autres grandes puissances impérialistes comme les États-Unis et l’Allemagne, ou la Banque mondiale et le FMI.
Les États-Unis disposent de 16,5 % des droits de vote au FMI et de 15,51 % des droits de vote à la Banque mondiale, tandis que la Chine ne dispose que de 6,08 % des droits de vote au FMI et de 5,92 % des droits de vote à la Banque mondiale
La Chine n’est pas entrée dans le Club de Paris. Et, alors qu’elle est membre du FMI et de la Banque mondiale, les États-Unis et leurs alliés l’empêchent de satisfaire son désir légitime d’obtenir une augmentation de son pourcentage de droit de votes proportionnel au poids de son économie. Rappelons que les États-Unis disposent de 16,5 % des droits de vote au FMI et de 15,51 % des droits de vote à la Banque mondiale, tandis que la Chine ne dispose que de 6,08 % des droits de vote au FMI et de 5,92 % des droits de vote à la Banque mondiale [5]. En conséquence, la Chine, et on la comprend, n’est pas d’accord de se plier aux accords passés entre le Club de Paris et les deux institutions de Bretton Woods, tous trois dominés par les États-Unis et les puissances européennes occidentales. Elle préfère négocier de manière bilatérale avec chaque pays endetté pris séparément. Les critiques que des dirigeantes de la Banque mondiale et du FMI adressent à la Chine, qui lui reprochent son égoïsme, manquent de crédibilité car ces deux institutions refusent systématiquement, qu’en cas d’accord pour une annulation de dette, celui-ci s’applique aux créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). qu’elles détiennent elles-mêmes sur les pays concernés. En effet, la Banque mondiale et le FMI n’annulent pas de dettes. Elles créent un fonds spécifique financé par un certain nombre de pays membres, généralement les plus riches, dans lequel elles puisent pour se rembourser [6]. Du côté du Club de Paris, les critiques à l’égard de la Chine ne sont pas plus fondées que celles du FMI et de la Banque mondiale car il négocie avec chaque pays endetté pris séparément tout comme le fait la Chine.
Après avoir critiqué la mauvaise foi des dirigeantes du FMI, de la Banque mondiale et du Club de Paris à l’égard de la Chine, il convient de préciser que la Chine, dans son comportement, ne se distingue pas fondamentalement des autres créanciers. Elle s’est imposée comme un créancier capable de fixer des conditions qui lui conviennent. Elle a donc changé le rapport de force entre les créanciers. Mais elle n’a pas changé les rapports entre les créanciers et les pays endettés. Elle se situe dans le même camp que les autres créanciers, et veut que ses intérêts soient autant respectés que les intérêts des États-Unis ou des autres grandes puissances. Elle pourrait prendre le parti des peuples du Sud Global et montrer l’exemple en accordant des annulations de dettes, en pratiquant une politique transparente sur ses contrats, et en refusant la discipline ou les politiques néfastes qu’imposent la Banque mondiale et le FMI. Or, très régulièrement, la Chine demande aux pays endettés à son égard de respecter les conditionnalités et les politiques imposés par le FMI et la Banque mondiale. Elle ne les impose pas elle-même mais elle les soutient.
En résumé, la Chine n’est pas pire que les autres créanciers mais elle ne s’en distingue pas fondamentalement, et de loin.
L’auteur remercie Gilbert Achcar, Maxime Perriot et Claude Quémar pour la recherche de documents et la relecture.
[1] Pierre-François Grenson, “RDC, Burundi, Angola, Sri Lanka : Quatre exemples pour comprendre la présence chinoise en Afrique et en Asie », CADTM, 21 juin 2023, https://www.cadtm.org/RDC-Burundi-Angola-Sri-Lanka-quatre-exemples-pour-comprendre-la-presence.
[2] Lire Éric Toussaint, Banque mondiale et FMI : huissiers des créanciers, publié le 14 août 2020, https://www.cadtm.org/Banque-mondiale-et-FMI-huissiers-des-creanciers ou le chapitre 15 du livre Banque mondiale : une histoire critique, Syllepse, 2022.
[3] Debt Justice, “The growing debt crisis in lower income countries and cuts in public spending”, Juillet 2022, https://debtjustice.org.uk/wp-content/uploads/2022/05/Debt-and-public-spending_May-2022.pdf.
[4] Lire Éric Toussaint, « En 2007-2008, l’Équateur a osé dire « non » aux créanciers et a remporté une victoire », publié le 15 mars 2015, https://www.cadtm.org/En-2007-2008-l-Equateur-a-ose-dire Voir aussi les vidéos : « Équateur : Historique de l’audit de la dette réalisée en 2007-2008. Pourquoi est-ce une victoire ? (vidéo de 14 minutes) », publiée le 8 novembre 2016, https://www.cadtm.org/Equateur-Historique-de-l-audit-de et « Vidéo : L’audit de la dette en Équateur résumé en 7 minutes », publiée le 27 novembre 2015, https://www.cadtm.org/Video-L-audit-de-la-dette-en
[5] Pour en savoir plus, CADTM, « L’ABC du Fonds monétaire international », CADTM, 31 octobre 2023, https://www.cadtm.org/L-ABC-du-Fonds-monetaire-international-FMI et CADTM, « ABC de la Banque mondiale », CADTM, 28 octobre 2022, https://www.cadtm.org/L-ABC-de-la-Banque-mondiale.
[6] Ecouter : « A propos de la prétendue annulation de dettes, Éric Toussaint interviewé par la BBC dénonce les effets d’annonce de Macron et du FMI », publié le 16 avril 2020, https://www.cadtm.org/A-propos-de-la-pretendue-annulation-de-dettes-Eric-Toussaint-interviewe-par-la
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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