17 septembre 2014 par Virginie de Romanet
CC - Phyllis Buchanan
Le 18 septembre aura lieu le référendum sur l’indépendance de l’Écosse vis-à-vis du Royaume-Uni. Les sondages donnent le OUI gagnant à 51%, cependant, bon nombre d’électeurs sur les plus de 4 millions que compte l’Écosse demeurent indécis en particulier parce que les trois grands partis traditionnels (Conservateurs, Travaillistes et Libéraux démocrates) sont tous opposés à l’indépendance et font campagne en ce sens.
Avec cette indépendance, l’Écosse pourrait choisir de rompre radicalement avec les politiques d’austérité tant de l’Union Européenne que du Royaume-Uni et elle se trouverait économiquement bien positionnée pour mener une politique de rupture avec le néolibéralisme. En deux mots, elle pourrait être un exemple à suivre si elle décidait d’utiliser son pouvoir financier pour des alternatives.
D’importantes recettes financières potentielles
A l’instar des autres régions sécessionnistes, l’Écosse a beaucoup à gagner de son divorce avec le Royaume-Uni. Bien que cela ne soit pas si connu, l’Écosse dispose des plus grandes réserves pétrolières d’Europe - Aberdeen (3e ville écossaise) étant d’ailleurs dénommée capitale pétrolière européenne. En accédant à l’indépendance, l’Écosse pourrait récupérer la grande majorité des réserves pétrolières du Royaume-Uni. Les réserves de gaz reviendraient également majoritairement à l’Écosse qui est le second producteur européen après les Pays-Bas.
Ces réserves pétrolières sont estimées à 24 milliards de barils pour une valeur d’environ 1500 milliards de livres (près de 1900 milliards d’euros). Selon le professeur Alex Kemp de l’Université d’Aberdeen, le principe de la ligne médiane [1] généralement utilisé en droit international donnerait 90% des recettes pétrolières à l’Écosse [2].
Au cours des 40 dernières années, on estime que le Trésor britannique a reçu environ (compte tenu de l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. ) 300 milliards de livres de taxes sur la production pétrolière dont environ 90% en provenance des eaux territoriales de l’Écosse, richesse qui a été largement gaspillée via les cadeaux fiscaux faits aux plus riches et aux grandes entreprises.
Ce secteur pétrolier et gazier est de loin le plus important de l’économie écossaise et a contribué pour près de 22 milliards de livres au PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
de l’Écosse en 2012. Avec une Écosse indépendante cela aurait représenté pour 2011-2012 un supplément de recettes de 10,57 milliards de livres par rapport aux recettes actuelles basées sur une répartition par habitant. En mars 2013, le gouvernement écossais a prédit un « nouveau boom pétrolier » et dans le premier numéro de son bulletin d’analyse pétrolière et gazière il a estimé que la production pétrolière des eaux écossaises pourrait générer de 41 à 57 milliards de livres (52 à 72 milliards d’euros) de recettes d’ici à 2018 [3]. Par ailleurs, ce chiffre ne tient pas compte de la possibilité d’une production pétrolière on-shore dans l’Ouest de l’Écosse. Un rapport publié le 3 septembre 2014 suggère que l’Écosse pourrait disposer du double des réserves de pétrole et de gaz actuellement connues.
Il convient cependant de rester prudent quand on sait que l’extraction du pétrole et du gaz sur terre est beaucoup plus coûteux et polluant qu’en mer et que par ailleurs ce rapport émane de représentants de cette industrie.
L’enjeu est bien évidemment de savoir ce qui pourrait être fait de cette manne conséquente....
Un acteur de premier plan en matière d’énergies renouvelables
Par ailleurs, l’Écosse dispose d’un potentiel important en matière d’énergies renouvelables en particulier d’énergies éolienne et marémotrice. Forte de cet atout, elle s’est fixée pour objectif d’une production électrique issue à 40% des énergies renouvelables d’ici 2020, processus qui est déjà en cours [4]. Pour éclairer un peu le propos, il existe déjà de nombreuses fermes d’éoliennes le long de la côte et sur les collines et l’Écosse projette de créer une des plus importantes fermes d’éoliennes au niveau mondial dans l’île de Lewis [5]. Parallèlement, le projet LIMPET (Land Installed Marine Power Energy Transformer) est le premier projet de commercialisation au niveau mondial d’un modèle réduit de dispositif utilisant la houle [6], l’Écosse représentant environ 25% du potentiel marémoteur européen [7].
Actuellement, le secteur des énergies renouvelables emploie environ 11.000 personnes [8]. La pleine maîtrise des recettes conséquentes issues des énergies fossiles pourrait - entre autres - servir à renforcer la transition énergétique déjà entamée - vers un modèle qui intègre chaque fois davantage la donne environnementale. Etant relativement à la pointe en ce qui concerne les énergies renouvelables, elle serait en mesure d’utiliser la manne pétrolière pour diversifier son économie et en même temps augmenter son apport en matière environnementale par l’adaptation de son parc immobilier d’habitats mais aussi de bâtiments scolaires, administratifs, etc. aux caractéristiques de bâtiments économes en énergie, le bâtiment étant avec le transport le secteur le plus énergétivore. Il s’agirait là d’un chantier tout à fait conséquent.
Des revenus substantiels pour quoi faire ? Comment l’Écosse pourrait-elle incarner un nouveau modèle ?
A côté de recettes très importantes, l’Écosse héritera également d’une partie de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Royaume-Uni qui avait une répartition per capita équivaudrait à 8,3% de la dette du Royaume-Uni soit environ 140 milliards sur 1700 milliards d’euros. Elle pourrait très bien décider d’organiser un audit de la part qui lui sera attribuée pour identifier les dettes qui n’ont pas servi à l’intérêt général et qu’elle pourrait refuser de payer, mettant ainsi en avant une perspective alternative en Europe.
En tant que nouvel Etat, l’Écosse pourrait refuser d’adhérer à la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. européenne et décider que la Banque nationale d’Écosse soit réellement au service de l’économie du pays en prêtant à du 1% par an ou au taux de l’inflation. Cela représenterait un atout considérable par rapport aux autres Etats européens qui, en vertu de l’article 123 du Traité de Lisbonne, ne peuvent obtenir de financement de la Banque centrale européenne ou de leur propre banque nationale et sont obligés de passer par le secteur bancaire privé. Si l’Écosse décidait de suivre l’exemple de la Norvège (qui n’est pas membre de l’Union européenne), de mettre les ressources pétrolières au service du bien commun contre les politiques d’austérité mises en place dans les pays de l’Union européenne elle se doterait d’une marge de manœuvre assez considérable.
Elle pourrait décider la socialisation intégrale de son système bancaire sous contrôle des travailleurs du secteur, des représentants des clients et des pouvoirs publics. Celui-ci se verrait bien sûr interdire d’effectuer des transactions dans les paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
. Bien que l’Écosse soit un petit pays, une décision en ce sens pourrait avoir valeur d’exemple.
L’Écosse pourrait également décider de mettre en place un impôt exceptionnel sur la fortune, ce qui lui procurerait d’un coup des recettes tout à fait substantielles. Ceci, n’empêche en rien la mise en place d’un impôt récurrent sur la fortune et d’un système fiscal qui empêche les grandes entreprises de recourir à l’ingénierie fiscale, faisant perdre aux Etats des recettes considérables.
Ainsi enrichie par la manne pétrolière, des mesures de justice fiscale, et le contrôle du secteur bancaire, l’Écosse pourrait décider d’une réduction radicale du temps de travail en étant par exemple pionnier en Europe dans la mise en place de la semaine de 4 jours. Avec les embauches complémentaires, cela pourrait créer un grand nombre d’emplois tout en renforçant le secteur des cotisations sociales avec l’augmentation du nombre de cotisants. Elle pourrait aussi décider d’augmenter les salaires et les pensions. Toutes ces mesures, si elles ont un coût évident, auront également un impact économique favorable par la mise en place d’un cercle vertueux opposé au cercle vicieux des politiques d’austérité largement appliquées en Europe.
Une contribution substantielle en matière d’accueil de migrants
Etant donné les ressources supplémentaires conséquentes dont elle disposerait en cas d’indépendance, dotée d’une population parmi les plus éduquées et relativement peu nombreuse, l’Écosse pourrait décider d’inviter une partie des migrant/e/s présent/e/s sur le sol européen désirant s’installer en Écosse en leur conférant tous les droits liés à la citoyenneté. Elle pourrait ainsi prendre le contre-pied des politiques migratoires discriminatoires et mortifères en Europe et qui sont à l’origine d’incommensurables drames humains. La densité démographique n’étant que de 67,5 habitants au km2, ce qui en fait une des plus faibles d’Europe, permettrait d’« absorber » facilement des populations qui pourraient donner un dynamisme supplémentaire au pays [9].
L’Écosse pourrait à son niveau apporter une contribution dans le cadre de la crise écologique globale pour pallier ne fût ce que très partiellement aux ravages causés par le changement climatique en invitant de même des populations vulnérables du Bangladesh et d’autres Etats fortement concernés à s’installer en terre écossaise. Elle pourrait ensuite utiliser son exemple au sein des Nations Unies pour soulever le débat sur la responsabilité des pays du Nord dans la dégradation des conditions de vie des peuples en raison du changement climatique mais aussi du pillage et de la domination des peuples du Sud pour la nécessité d’adopter des mesures d’accueil coordonnées et ambitieuses.
Ces quelques mesures résolument progressistes pourraient servir d’exemple concret pour impulser de nouvelles luttes pour la mise en place de nouvelles politiques dans d’autres pays européen. Il ne faut bien sûr pas exagérer le poids politique de l’Écosse car en dépit de son poids économique potentiel elle restera un petit acteur au niveau politique. Par ailleurs, il n’est pas évident qu’elle veuille s’écarter de la voie toute tracée, qui est de se conformer aux institutions et politiques d’austérité imposées partout en Europe que ce soit par la Troïka ou par les Etats eux-mêmes. Comme le dit le titre de cet article, il s’agit d’un scénario de politique fiction qui, s’il n’est malheureusement pas très probable, s’appuie néanmoins sur des choix différents de ceux imposés par l’Union Européenne ou Londres. Ainsi le gouvernement d’Edimbourg, issu de l’autonomie accordée à l’Écosse en 1997 et qui lui confère des pouvoirs dans certains domaines comme l’Education et la Santé, a fait des choix différents de ceux de l’Union Européenne. Alors que le Royaume-Uni a fait passer le montant de l’inscription à l’université de £ 2000 à £ 9000 comme mesure faisant partie du paquet d’austérité, en Écosse l’éducation universitaire est gratuite. Il en est de même pour l’aide aux personnes âgées. Même si c’est limité, cela contraste tout de même avec l’imposition de mesures d’austérité, de marchandisation et de privatisation imposées partout ailleurs mais aussi avec les tendances sécessionnistes de régions comme la Flandre ou l’Italie du Nord qui sont impulsées par les organisations patronales de ces régions et n’ont donc aucune portée émancipatrice même si il faut rester prudent quant à celle de l’Écosse [10].
[1] Principe du droit international qui sert à la délimitation des frontières entre des pays limitrophes.
[2] What about oil in an independent Scotland ? http://www.yesscotland.net/answers/what-about-oil-independent-scotland
[3] Idem
[6] http://www.theguardian.com/environment/2000/sep/14/energy.renewableenergy ; http://www.hi-energy.org.uk/Default.aspx.LocID-00tnew078.RefLocID-00t007008001.Lang-EN.htm
[8] Idem
[9] A titre de comparaison, la moyenne européenne est, elle, de 116 hab/km2.
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