Pourquoi la socialisation du secteur bancaire est-elle préférable au système bancaire privé actuel ?

Une proposition de réponse à la lumière du cas français

5 mars 2018 par Patrick Saurin


Le 13 novembre 1945, Assemblée nationale constituante.

coll. Musée de la Résistance nationale/Champigny

« … Nous pouvons dire que les banques françaises portent une part importante de la responsabilité de nos malheurs. »
(Applaudissements à gauche, à l’extrême gauche et sur divers bancs au centre. Exclamations à droite). [1]

Christian Pineau, rapporteur général de la commission des finances et du contrôle budgétaire, session de l’Assemblée nationale constituante, 1re séance du dimanche 2 décembre 1945.



 Un constat : les banques restent aujourd’hui un impensé de la théorie économique hétérodoxe … et surtout de sa praxis

« Par sa nature ambivalente, le système de crédit tend, d’une part, à développer l’élément moteur de la production capitaliste – l’enrichissement par l’exploitation du travail d’autrui – pour l’ériger en un pur système de jeux et de tripotages, et à restreindre toujours davantage le petit nombre de ceux qui exploitent la richesse sociale ; d’autre part, à constituer la forme de transition vers un nouveau mode de production. C’est précisément cette ambivalence qui confère aux principaux porte-parole du crédit, de Law jusqu’à Isaac Pereire, ce caractère plaisamment hybride d’escrocs et de prophètes. »
Karl Marx, Le Capital [2]

La finance reste plus que jamais un casino et si les banquiers peinent à revêtir les habits de prophètes, leurs costumes d’escrocs leur vont toujours à ravir
Au fond, si l’on s’en tient à l’essentiel, entre le moment où Marx écrivait ces lignes, il y a près d’un siècle et demi, et aujourd’hui, bien peu de choses ont changé. La récente crise de 2007-2008 en a apporté une preuve supplémentaire : la finance reste plus que jamais un casino et si les banquiers peinent à revêtir les habits de prophètes, sauf lorsqu’il est question de malheur, leurs costumes d’escrocs leur vont toujours à ravir. Pourtant, si la pensée économique critique est riche en analyses de crises, pointue en études rétrospectives des bouleversements intervenus ces dernières décennies et prolixe en dénonciations du capitalisme financiarisé, on ne peut que déplorer son indigence et son laconisme quand il s’agit de mettre sur la table des propositions concrètes d’alternatives au système bancaire actuel. Pour paraphraser Heidegger, on pourrait dire que la pensée économique hétérodoxe est « pauvre en monde bancaire alternatif ».

En effet, si la crise de 2007-2008 a suscité une pléthore d’articles, de livres et de témoignages sur le monde de la finance, la quasi-totalité de cette production s’est limitée à constater, décrire, critiquer, et s’est gardée de proposer des réponses d’application pratique ni même de dessiner quelques perspectives solides susceptibles d’en constituer les premiers jalons. Cette carence se retrouve également dans les programmes des partis politiques à la gauche d’une social-démocratie en pleine décomposition, dans les textes des organisations syndicales et dans les analyses des associations porteuses d’une critique sociale. Nous sommes ici confrontés à un impensé de la pensée économique hétérodoxe.

Cette situation est d’autant plus incompréhensible que la crise de 2007-2008 et ses prolongements dans la crise des dettes souveraines ont révélé au grand jour le rôle essentiel joué par la finance et les grandes banques privées ainsi que leur responsabilité dans la mise à mal des économies. La gravité de ces crises se traduisant par les cures d’austérité infligées aux populations a souligné la nécessité de prendre le contrôle des banques et d’en faire un service public sous contrôle citoyen.

Ces dernières années, des organisations telles Attac, la Plateforme des paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
et judiciaires ou le CADTM ont contribué à faire la lumière sur le rôle néfaste des pratiques spéculatives des banques privées, et de nombreux livres et articles ont relancé le débat sur la question des banques. Je pense à deux ouvrages en particulier, le livre d’Éric Toussaint, Bancocratie et au Livre noir des banques, co-produit par Attac et Basta [3]. Il y a eu également le texte, « Que faire des banques ? » qui a recueilli une large audience non seulement en France mais aussi au Royaume-Uni et en Espagne, et qui continue aujourd’hui à susciter des réflexions [4].

Le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC) s’est fixé pour mission de procéder à l’audit de la dette publique nationale, de la dette sociale et des dettes des acteurs publics locaux
Mais cela n’est pas suffisant, il reste encore beaucoup à faire pour arriver à une proposition d’ensemble partagée, cohérente et opérationnelle, c’est-à-dire une proposition prévoyant tout à la fois un plan d’organisation du secteur bancaire et des assurances, les modalités concrètes de sa mise en place ainsi que les mesures pratiques prévues pour remédier aux inévitables tentatives de déstabilisation qu’un tel projet ne manquerait pas de susciter. Ce déficit en matière de propositions se double d’une carence en ce qui concerne les initiatives sur le terrain associant la population pour aller au-delà d’une simple démarche pétitionnaire et engager des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
concrètes. L’exemple des audits citoyens en donne une parfaite illustration.

Créé en France à la fin de l’année 2011, le Collectif pour un audit citoyen de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique (CAC) s’était fixé pour mission de procéder à l’audit de la dette publique nationale, de la dette sociale et des dettes des acteurs publics locaux, en particulier ceux contaminés par les emprunts toxiques. Or, il aura fallu attendre mai 2014 pour que le rapport d’audit sur la dette publique de la France voit enfin le jour [5]. En ce qui me concerne, un an plus tôt, en mai 2013, j’avais publié dans l’urgence un livre à vocation pratique destiné à permettre aux militantes et aux militants des collectifs locaux d’audit citoyen de réaliser l’analyse de la dette de leur collectivité et de leur hôpital public [6]. Dix annexes à la fin de cet ouvrage constituaient autant d’outils pratiques destinés à aider les camarades de ces collectifs à engager leurs investigations et à poser les premiers jalons d’une réappropriation citoyenne de la politique locale. À ce jour, on recense une dizaine d’initiatives d’analyse approfondie de dettes locales menée dans la durée sur la centaine de CAC locaux constitués entre fin 2011 et fin 2012. Citons pour mémoire les travaux des collectifs du CAC 21 à Dijon, du Conseil Populaire 68 pour l’abolition des dettes publiques à Mulhouse, du CAC 67 à Strasbourg, du CAD 69 à Lyon, du CAC de Rouen, enfin les actions de quelques militants à Nice, Châtenay-Malabry, Oullins, Nîmes, Vichy et Lormont. Mais avant de développer notre réflexion, il importe de revenir sur la définition de quelques mots essentiels.


Petit préambule sémantique : étatisation, monopole, nationalisation, socialisation…

« Mais, dans tous les cas, il est toujours préférable de se mettre d’accord sur la chose elle-même, grâce à des définitions, plutôt que sur le nom isolé, sans définition. »
Platon
, Sophiste [7]

Politiques, syndicalistes, juristes, tous ont contribué à alimenter le débat autour de ces notions et, au-delà du seul aspect définitionnel, ont aidé à cerner les enjeux dont elles sont porteuses. Partant des définitions proposées par Lucien Laurat, économiste responsable de l’Institut supérieur ouvrier de la CGT, Jean-Louis Robert écrit : « La nationalisation se distingue de l’étatisation en ce qu’elle est appropriation collective par la nation, et que les forces productrices, les consommateurs doivent intervenir dans la gestion de l’entreprise nationalisée au même titre que l’État. Mais, aussi, la nationalisation se distingue de la socialisation qui est « une transgression » du cadre capitaliste. On considère généralement que la collectivisation qui s’accomplit dans le cadre du régime capitaliste est une nationalisation, tandis qu’on réserve le terme de socialisation à la collectivisation qui transgresse le cadre capitaliste et qui est réalisée par les travailleurs organisés exerçant le pouvoir. » [8]

En 1944, le souvenir du Cartel et de 1936 nous a donné le souci de soustraire l’État aux grands intérêts d’argent
Lors d’un colloque organisé en mai 1984, des historiens et des acteurs de la Résistance échangent sur ces questions. Jean-Jacques Becker rappelle que pour les communistes, « les nationalisations ne sont pas des mesures de caractère socialiste quand elles sont réalisées dans le cadre d’un État capitaliste. » Pour Georges Rougeron (secrétaire du Comité départemental de la Libération de l’Allier et secrétaire de la Fédération socialiste de ce département), « en 1944, le souvenir du Cartel et de 1936 nous a donné le souci de soustraire l’État aux grands intérêts d’argent, il ne fallait pas que le nouveau pouvoir se heurtât aux difficultés qui avaient été celles des expériences précédentes : les nationalisations devaient permettre de casser cette influence dans un objectif immédiat. Dans un objectif un peu plus lointain, la socialisation devait permettre d’établir les prémisses d’une société nouvelle. » [9]

L’entreprise socialisée apparaîtrait ainsi comme le laboratoire de l’émancipation des travailleurs, base de la société nouvelle que rêvent d’édifier les socialistes.
Les réalités que recouvrent les mots sont essentielles. Serge Berstein rappelle un épisode fort instructif sur ces questions de vocabulaire survenu à l’occasion d’une réunion de l’instance dirigeante du parti socialiste : « … au comité directeur du 20 février 1945, Jules Moch [10] demande une correction du procès-verbal de la séance du 6 février qui lui fait évoquer les nationalisations alors que, dit-il, c’est de socialisations qu’il a parlé. En quoi consiste la différence ? Pour les socialistes, elle réside fondamentalement en trois caractères qui permettraient de distinguer les socialisations qu’ils envisagent de certaines formes de nationalisation : les capitalistes seraient éliminés, non seulement de la propriété, mais aussi de la gestion des entreprises ; celles-ci ne donneraient pas naissance à un capitalisme d’État qui ne ferait que substituer un patron à un autre ; la gestion serait démocratique, associant les travailleurs, les techniciens, les représentants des intérêts généraux dans des conseils tripartites jouissant d’une autonomie de gestion. L’entreprise socialisée apparaîtrait ainsi comme le laboratoire de l’émancipation des travailleurs, base de la société nouvelle que rêvent d’édifier les socialistes. » [11]

Le sujet ne laisse pas insensible les juristes. Le JurisClasseur Civil a consacré deux cahiers aux nationalisations en décembre 1948. Le premier article part de la définition donnée indirectement par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui affirme dans son alinéa 9 : « Tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » Les auteurs complètent cette définition avec celle proposée par Marcel Waline dans son manuel élémentaire de droit administratif où « la nationalisation s’y trouve caractérisée par son but : la volonté d’éliminer d’une entreprise la direction capitaliste. » [12] Comme il est précisé, plus loin, ce transfert de propriété à la collectivité qui s’accompagne de l’éviction de la direction capitaliste est accompli « dans l’intérêt général ». Cette élimination de la direction capitaliste est essentielle pour les auteurs pour qualifier le but de la nationalisation et différencier cette dernière d’une opération de création de monopole d’État dans laquelle « le but poursuivi, d’ordre exclusivement fiscal, étranger à tout anti-capitalisme de principe, ne permet pas d’assimiler les deux opérations. » [13] Ils prennent bien soin également de distinguer la nationalisation de l’étatisation (la première voit la « collectivité », et non pas nécessairement l’État, prendre en charge l’entreprise), du procédé de l’économie mixte (dans cette dernière le transfert ne porte pas sur la totalité du capital de l’entreprise, et encore moins sur l’entreprise elle-même), et ils relèvent que son but n’a pas nécessairement pour résultat de transformer une entreprise privée en service public (l’entreprise nationalisée pouvant être un service public assuré par le biais d’une entreprise d’économie mixte). [14]

Ce que nous retenons de ces contributions et qui nous confirme dans notre préférence pour la socialisation, c’est que celle-ci est un instrument pour l’édification d’une société nouvelle caractérisée par le rôle actif Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
des travailleurs, la participation de la population à la gestion, la mise en avant de l’intérêt général et du service public et, pour reprendre le propos des rédacteurs du JurisClasseur, un anti-capitalisme de principe.

 Bref état des lieux sur la question des nationalisations et de la socialisation des banques

« Il est possible que vienne une époque où, non seulement le fonctionnement et l’organisation des chemins de de fer, mais aussi les modes existants de la production industrielle, seront devenus si routiniers que les hommes d’affaire, au lieu de s’opposer à la nationalisation, la réclameront à grands cris afin de consacrer leur énergie à des affaires autorisant plus de nouveauté, de variété et d’opportunités de risques et de gains. Même dans un régime où la propriété privée est générale et constante, il est concevable qu’ils puissent ne pas plus souhaiter être ennuyés par des opérations qu’ils ne voudraient prendre en charge l’entretien des voies publiques. »
John Dewey, Le public et ses problèmes [15]

La droite et la social-démocratie n’ont eu de cesse ces dernières années de démanteler et de privatiser les services publics

À la lecture de ce passage, tiré d’un livre célèbre de John Dewey publié en 1927, il est manifeste que les évolutions envisagées par celui-ci ne sont toujours pas advenues, bien au contraire notre époque a apporté un cinglant démenti à ses prévisions. Non seulement la production industrielle est toujours dans la sphère privée jalousement gardée par les capitalistes qui retirent de leur possession des profits considérables, mais la droite et la social-démocratie n’ont eu de cesse ces dernières années de démanteler et de privatiser les services publics. Ainsi, l’énergie, la gestion de l’eau ou le service des ordures ménagères, pour ne prendre que quelques exemples, sont devenus la chasse gardée de grandes sociétés privées qui en retirent de substantiels profits. Quant à « l’entretien des voies publiques » évoqué par Dewey, la privatisation des autoroutes initiée en 2002 par le gouvernement de Lionel Jospin et menée à terme par celui de Dominique de Villepin en 2005-2006, la lutte acharnée de Vinci, Eiffage, HIT (dirigée par la société espagnole Abertis) [16] et autre Escota pour en avoir l’exploitation donne une idée de la rentabilité de ce secteur pour les actionnaires. Enfin, la privatisation du rail reste plus que jamais un des grands projets de l’Union européenne. L’analyse du philosophe américain qui imaginait un glissement de ces activités privées vers la sphère publique en raison de leur caractère routinier et ennuyeux s’est révélée complètement fausse.

Les rails à l’ombre de la BCE

les nationalisations, les socialisations et les enjeux qu’elles recouvrent sont la résultante d’une lutte entre des classes sociales et des individus porteurs de projets économiques et politiques antagoniques

Sur la période qui court tout au long du XXe siècle jusqu’au début du XXIe, ce ne sont pas les hommes d’affaires qui ont réclamé les nationalisations mais certains secteurs du monde du travail. Si l’on prend le cas de la France, on relève que les nationalisations de 1945-46 et de 1981-82 sont intervenues dans un contexte particulier où les rapports de forces étaient plus marqués qu’à l’accoutumée, le monde du travail ayant su construire une opposition face au capital, avec l’action du Conseil National de la Résistance et des maquis en 1944, avec la dynamique du Programme commun et de l’Union de la Gauche dans les années 70/80 qui prolongeait à sa manière le grand mouvement social de mai 68. Mais, dans la mesure où le camp des travailleurs n’a pas su maintenir un minimum de pression, ces nationalisations n’ont été que de simples parenthèses qui ont vu à chaque fois la réappropriation par les capitalistes des entreprises et des activités nationalisées.

Non seulement Dewey a négligé la réalité de la lutte des classes, mais il a sous-estimé les profits que les activités utiles à l’ensemble de la collectivité pouvaient générer si les capitalistes se les appropriaient. Enfin, il n’a pas pris la mesure de la rapacité des capitalistes et leur aptitude à faire de toute activité une source de profit. Ainsi, loin d’être la conséquence d’un glissement progressif vers la routine et l’ennui, d’un lâcher-prise des « hommes d’affaires » animés par l’attirance pour la nouveauté, le goût pour la variété et la recherche d’opportunités, les nationalisations, les socialisations et les enjeux qu’elles recouvrent sont la résultante d’une lutte entre des classes sociales et des individus porteurs de projets économiques et politiques antagoniques.

Si pour le capital les nationalisations ont fait et font toujours l’unanimité contre elles, en revanche dans le camp des travailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait supposer, les avis ont été beaucoup plus partagés et la question continue de faire débat. Enfin, pour ce qui est des institutions, les nationalisations n’ont jamais été au centre des préoccupations. Comme le relève François Morin, « la constitution du secteur d’intervention directe de l’État, tant dans le domaine bancaire que dans le domaine industriel, n’a jamais procédé d’une construction théorique cohérente, ou d’une doctrine achevée, mise totalement en action. Elle procède au contraire d’une lente montée marquée par des ruptures se traduisant par de brusques extensions de ce champ de contrôle. » [17] Mais le développement du capitalisme et surtout des crises qu’il a générées ont contribué à faire de la question des nationalisations un débat récurrent.


Les débats en France autour des nationalisations

En 1936, le gouvernement du Front Populaire nationalise les industries de guerre et les chemins de fer (en créant la SNCF), mais le capital de la Banque de France reste entre les mains de ses détenteurs privés initiaux.
Au début du XXe siècle, la gauche française et le syndicalisme ouvrier sont dans leur majorité opposés aux nationalisations au motif que l’État est l’instrument et le représentant du capital [18]. Pour ces courants, nationaliser est un leurre car cela reviendrait en quelque sorte à prendre dans une main du capital pour lui redonner dans l’autre. Mais cette vision des choses portée surtout par les guesdistes [19] et les syndicalistes révolutionnaires [20] va évoluer. À la fin de la première guerre mondiale, dans son Programme minimum de 1918, la CGT fait du développement industriel un enjeu national, l’État devant garder la maîtrise de la production en constituant notamment des « monopoles d’état ».

En 1936, le gouvernement du Front Populaire [21] nationalise les industries de guerre et les chemins de fer (en créant la SNCF), mais le capital de la Banque de France reste entre les mains de ses détenteurs privés initiaux. Il faudra attendre 1945-1946 et 1981-1982 pour voir deux vagues de nationalisations dans le secteur bancaire. Un petit retour sur les débats de l’époque est instructif pour notre approche.


Les nationalisations de 1945-46

Si les nationalisations des banques en 1946 sont bien sûr le produit d’un rapport de force entre des projets portés par des partis et des organisations, elles doivent être replacées dans le contexte de la Résistance avec « un mouvement venu d’en bas », selon l’expression d’Antoine Prost [22]. En effet, la Libération a donné lieu à la mise en place de comités ouvriers de gestion dans certaines entreprises, de comités d’usine à l’origine de « socialisations spontanées » comme le congrès du Parti socialiste les appelait à l’époque [23]. Mais, pour aller plus loin, si la volonté de gestion ouvrière était bien présente, il manquait le soutien des partis politiques. Ainsi que le relève Antoine Prost : « Si un relais politique avait été assuré, les socialisations spontanées de la Libération auraient pu marquer le début de la fin du capitalisme. » [24] Pour cet historien, « Jamais jusque-là on n’avait constaté en France une telle aspiration ouvrière à la gestion des entreprises. » [25] En 1944, les Français sont massivement favorables à la participation des ouvriers à la gestion des entreprises (65 % de l’ensemble de la population et 79 % chez les ouvriers) et l’année suivante, 70 % des Français sont favorables à la nationalisation des banques (81 % chez les ouvriers). [26]

Grèves d’avril 1947 à l’Usine Renault.

Le camp du capital, discrédité par la collaboration n’en a pas moins tenté de faire obstacle aux nationalisations. Pour éviter la nationalisation des banques, un comité constitué à l’initiative du Professeur Rivet préconisait à l’époque « une nationalisation du crédit » afin de mieux adapter la distribution du crédit. Selon la proposition établie par ce comité, « Cette distribution du crédit continuera à se faire par les banques, mais celles-ci, tout en conservant leur liberté dans le choix de leur clientèle, seront constamment orientées et contrôlées, stimulées ou freinées dans leur action ; elles deviendraient de véritables éléments d’un service public. » [27] En clair, les banques restaient toujours entre les mains de leurs actionnaires.

Un document émanant du Parti socialiste, intitulé « Proposition de résolution tendant à inviter le gouvernement à réaliser la socialisation du crédit » [28], développe sur une quinzaine de pages les raisons de changer de système bancaire. L’état des lieux dressé du régime de l’époque n’est pas sans évoquer celui de la période actuelle, plus de soixante ans après. Les auteurs de la proposition dénoncent la responsabilité des banques dans les difficultés économiques, leurs manœuvres nuisibles, leur incapacité à réguler le crédit, leur aptitude à socialiser leurs pertes – qu’ils désignent sous l’appellation de « la politique des renflouements » [29] – et leur opposition sur bien des points à la politique ou à l’intérêt de l’État. Pour eux, « l’ensemble des banques privées (…) constitue le rempart de la conservation sociale » [30].

Au sortir de la guerre, les priorités sont bien identifiées : « Le problème du crédit consiste évidemment, en premier lieu, à supprimer cet intermédiaire nuisible que représente le banquier privé dans le développement économique de la nation. Mais il consiste aussi à fournir à l’État les disponibilités financières dont il a besoin pour la reconstruction et le développement de l’économie générale du pays, sans avoir recours dans ce but à l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. ou à la dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. monétaire. » [31] Le projet socialiste préconise la nationalisation de sept organismes principaux constituant un secteur socialisé, à côté d’un secteur libre strictement réglementé et contrôlé.
Au final, le 2 décembre 1945, seules la Banque de France et quatre banques de dépôts sont nationalisées, les banques d’affaires Banques d'affaires
Banque d'affaires
Société financière dont l’activité consiste à effectuer trois types d’opérations : du conseil (notamment en fusion-acquisition), de la gestion de haut de bilan pour le compte d’entreprises (augmentations de capital, introductions en bourse, émissions d’emprunts obligataires) et des placements sur les marchés avec des prises de risque souvent excessives et mal contrôlées. Une banque d’affaires ne collecte pas de fonds auprès du public, mais se finance en empruntant aux banques ou sur les marchés financiers.
sont épargnées. L’année suivante, le 25 avril 1946, c’est au tour de certaines sociétés d’assurance d’être nationalisées.

Le 10 mai 1981


Les nationalisations de 1981-82

La loi du 11 février 1982 indique dans son article 12 : « Sont nationalisées les banques inscrites sur la liste du comité consultatif du secteur financier en application de l’article 9 de la loi du 13 juin 1941, dont le siège social est situé en France, dès lors qu’elles détenaient, à la date du 2 janvier 1981, un milliard de francs ou plus sous forme de dépôts à vue ou de placements liquides ou à court terme en francs et en devises au nom de résidents, selon les définitions adoptées par le Comité consultatif du secteur financier. » Cet article énumère 18 banques inscrites à la cote officielle et 21 banques non inscrites. Il prévoyait également le transfert à l’État des actions de la Banque nationale de Paris, du Crédit lyonnais et de la Société générale détenues par des actionnaires autres que l’Etat ou des personnes morales du secteur public. La loi prévoyait également la nationalisation de deux compagnies financières : la Compagnie financière de Paris et des Pays-Bas, la Compagnie financière de Suez.

La nationalisation des banques en 1981-82 a été précédée de nombreux échanges et controverses. À défaut d’en proposer une présentation exhaustive, nous avons souhaité revenir sur un débat emblématique des points de vue du pouvoir et de son opposition qui s’affrontaient sur cette question. Il s’agit d’un conférence publique organisée entre André Fourçans et Dominique Strauss-Kahn, le premier professeur d’économie et de finance à l’ESSEC, le second professeur de sciences économiques à l’université de Paris X à l’époque [32].

Les objections de Fourçans à la nationalisation sont de diverses natures et jouent sur plusieurs registres. Tout d’abord, nationaliser reviendrait à adopter une vision archaïque, passéiste, pour se comporter « comme le font les pays en voie de développement » [33], qui considèrent que l’État doit contrôler tous les circuits monétaires et financiers afin d’amener les ressources vers certains pôles de développement. Ensuite, les tenants des nationalisations feraient montre de leur incompréhension du fonctionnement des mécanismes monétaires en commettant l’erreur de « vouloir confondre le statut juridique avec les processus techniques de création monétaire » [34]. Enfin, les effets sur l’économie seraient désastreux : dérapage monétaire avec une utilisation incontrôlée de la planche à billets, développement excessif des crédits du fait des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
bas pratiqués pour financer les secteurs prioritaires, « on débouchera sur du gaspillage et la gabegie » [35].

À l’archaïsme, à l’incompétence et au désastre économique annoncé consubstantiels à la visée nationalisatrice, Fourçans oppose modernité, savoir-faire et efficacité, apanage selon lui de la conception libérale. Il affirme la nécessité d’ « aller dans la direction d’un système plus ouvert et plus moderne » [36], préconise « un décloisonnement et une concurrence bancaire accrue » [37], et plaide pour une « une libéralisation de la rémunération de l’épargne et des crédits » [38].

À l’exposé de son contradicteur, Dominique Strauss-Kahn oppose que « la nationalisation des banques est la condition d’une politique monétaire plus efficace, plus cohérente » [39]. Il avance ensuite deux arguments : « Il y a d’abord une question de principe qui est que les nations se sont formées sur le pouvoir de battre monnaie et que l’on voit mal au nom de quoi la collectivité nationale pourrait accepter de céder (je ne veux pas dire à des puissances privées en mettant là-dedans un mot magique, mais à une autorité qui n’est pas la collectivité nationale) ce droit de battre monnaie. Mais au-delà de la question de principe, il y a quelque chose qui me paraît encore plus important : c’est que la nationalisation des banques est un moyen d’éviter leur internationalisation. Un moyen d’éviter que des banques qui sont aujourd’hui des banques privées soient demain des banques qui ne seraient plus françaises. » [40]

Pour celui qui deviendra directeur général du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, « la mise en œuvre d’une politique nouvelle suppose un changement de méthodes et un changement de structures de l’organisation du système bancaire. Un changement de méthodes qui renvoie à la satisfaction de l’intérêt général tel qu’il est défini par la collectivité. » [41] En clair, « il faut que le système bancaire (…) exerce son activité dans le sens de cette orientation définie en commun, et par conséquent il faut que le critère ne soit pas seulement celui de la rentabilité individuelle mais celui de la rentabilité collective. » [42] Dominique Strauss-Kahn ajoute ensuite : « Éviter que l’intérêt privé ne prime sur l’intérêt collectif me semble être en matière bancaire le fait de séparer le pouvoir de création monétaire du pouvoir économique privé. Je crois que le pouvoir de création monétaire est beaucoup trop important dans notre économie largement financière pour le laisser à l’initiative privée, sauf à laisser toute l’activité économique à l’initiative privée sans aucune planification. » [43]

Fourçans ne devra patienter que quelques mois pour assister à la mise en place du vaste mouvement de dérèglementation qu’il avait appelé de ses vœux en France [44]. La loi bancaire du 24 janvier 1984 inaugurera un nouveau système bancaire, bâti sur le modèle de la banque universelle Banque universelle La banque universelle (appelée également « banque à tout faire » ou « banque généraliste ») représente un grand ensemble financier regroupant et exerçant les différents métiers de la banque de détail, de la banque de financement et d’investissement, de la gestion d’actifs, tout en jouant également le rôle d’assureur (on parle ici de bancassurance). Cet ensemble intervient sur le territoire national mais également à l’étranger avec ses filiales. Le principal danger de ce modèle bancaire consiste à faire supporter les pertes des activités risquées de banque de financement et d’investissement par la banque de dépôt et mettre ainsi en péril les avoirs des petits épargnants. , avant que les banques soient à nouveau privatisées en 1986. Un aspect très important de ce tournant libéral concerne la dette publique. Ce passage du livre de Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette, décrit parfaitement cette évolution :

« Au sortir de la Seconde Guerre mondiale et pendant plus d’une vingtaine d’année, l’appareil d’État, via le circuit du Trésor, glanait des ressources financières en masse suffisante pour, la plupart du temps, échapper à la pression des créanciers. Il maîtrisait l’activité des banques et de la finance et arrimait ses propres instruments de trésorerie à ces réglementations. De même, son financement était coordonné avec des politiques nationales déterminant la quantité de monnaie et orientant les crédits affectés à l’économie. En brisant ces arrangements, des secteurs de la bureaucratie française ont entrepris de faire de la dette publique une marchandise et d’exposer le crédit de l’État au jugement des marchés de capitaux privés globalisés. Tout un ensemble d’opérations techniques et politiques a consisté à détricoter la structure qui faisait de l’État un banquier et un collecteur de fonds, ainsi qu’à démanteler les relations hiérarchiques et normatives qui liaient les banques et la finance à l’État. » [45]

La libéralisation de la sphère financière ne s’arrêtera plus et DSK lui-même l’accompagnera en œuvrant à la mise en place de l’euro alors qu’il était ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du gouvernement de Lionel Jospin. Il parachèvera sa statue de commandeur du libéralisme en prenant le poste de directeur général du FMI avec l’aval de Jean-Claude Juncker et le soutien de Nicolas Sarkozy, 25 ans après le débat de 1982.

Qu’en est-il aujourd’hui de la question des banques après les deux expériences que nous venons d’évoquer ? Si la mise sous contrôle des banques fait consensus au sein de la gauche non social-démocrate, les modalités de sa mise en œuvre s’articulent autour de deux grandes propositions. D’un côté la création d’un pôle public bancaire, de l’autre, la socialisation de l’intégralité du système bancaire.

 Le pôle bancaire public : une fallacieuse évidence

« Le loup habitera avec l’agneau, et la panthère se couchera avec le chevreau ; le veau, le lionceau, et le bétail qu’on engraisse, seront ensemble, et un petit enfant les conduira. La vache et l’ourse auront un même pâturage, leurs petits un même gîte ; et le lion, comme le bœuf, mangera de la paille. Le nourrisson s’ébattra sur l’antre de la vipère, et l’enfant sevré mettra sa main dans la caverne du basilic. Il ne se fera ni tort ni dommage sur toute ma montagne sainte… »
La Bible, Ésaïe 11.6 à 11.9

Le projet d’un pôle bancaire public s’inscrit dans un dispositif qui voit coexister des banques privées avec un secteur public bancaire, le loup et l’agneau pour reprendre la parabole biblique…


Le pôle public financier selon la CGT

Au niveau syndical, le projet de pôle public financier est porté principalement par la CGT et le Collectif « Pour un Pôle Public Financier au service des Droits ». Deux textes de la CGT, respectivement de janvier et de juin 2009 [46], donnent un bon éclairage de son positionnement. Celui-ci a toutefois connu une évolution significative avec une nouvelle contribution de la FSPBA CGT (Fédération CGT des Syndicats du Personnel de la Banque et de l’Assurance) d’avril 2015 revue en juin 2017. Dans le texte de janvier 2009, la CGT motive la création d’un pôle public financier par sa volonté de « soustraire une partie de la sphère financière à l’emprise des marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
 »
 [47] et elle assigne à cette structure des missions qui recouvrent trois grands domaines d’intervention :

  1. Le financement d’investissements, souvent à long terme, considérés comme relevant de l’intérêt général.
  2. La sécurisation et la centralisation de l’épargne populaire, volontaire et obligatoire.
  3. L’inclusion financière.

D’un point de vue structurel, la CGT préconise de « s’appuyer sur les établissements publics existants » [48]. Elle précise également que le pôle public devra « nouer des relations de coopération avec les établissements mutualistes et coopératifs (Caisses d’épargne, Crédit mutuel, Banques populaires, Crédit agricole) » [49]. En matière d’organisation, de contrôle et de gouvernance, la CGT préconise que les entités constituant le pôle demeurent juridiquement distinctes mais coordonnées dans leur action avec une déclinaison au niveau régional.

Dans le projet de la CGT, nous sommes en présence d’un système bancaire composé de trois pôles :
- un pôle privé réunissant les grandes banques privées actuelles telles que la BNP, la Société Générale, le Crédit Lyonnais,
- un pôle mutualiste avec le Crédit agricole, les Caisses d’épargne, les Banques populaires, le Crédit mutuel,
- le pôle public regroupant la Caisse des dépôts et consignations et l’ensemble de ses filiales, la Banque de France ainsi que l’Institut d’émission des départements d’Outre-mer (l’IEDOM) et l’Institut d’émission d’Outre-mer (l’IEOM), la Banque postale, le Crédit foncier, OSEO, Ubifrance, l’Agence française de développement (AFD), enfin la partie française de Dexia [50].

Les concepteurs de cette structure tripartite laissent deviner leurs doutes quant à la viabilité de leur projet lorsqu’ils énoncent ces recommandations : « Il faut en effet éviter un triple écueil : que le pôle public ne soit conçu que comme un supplétif budgétaire de l’État, qu’il ne soit utilisé que comme un pompier voué à éteindre les incendies du marché ou qu’il ne devienne une béquille du secteur privé. » [51] Le choix de ne pas procéder à la socialisation de l’intégralité du système bancaire expose à un autre danger dont sont conscients les auteurs de l’article lorsqu’ils écrivent : « … cela pose également la question du rôle des citoyens vis-à-vis des banques privées, lesquelles ne peuvent être considérées comme des entreprises comme les autres et nécessitent donc que l’on réfléchisse aux moyens d’une intervention publique sur leurs stratégies. » [52]

Une telle réflexion venant des tenants du pôle financier public montre combien leur projet est vulnérable, car nous savons par expérience que les banques privées défendent chèrement leur peau et leurs privilèges. Enfin, le souhait formulé en conclusion « d’élargir la problématique au niveau européen en organisant une coopération entre le pôle financier public et les établissements similaires existants dans les autres pays ainsi qu’avec la BEI (Banque européenne d’investissement), banque publique appartenant aux 27 États (27 en janvier 2009 et 28 en août 201) et bras financier de l’Union européenne » [53] représente un vœu pieux et témoigne d’une vision chimérique de la nature et du fonctionnement des institutions européennes. Le projet de la CGT est un projet qui, faute de se donner les moyens de procéder aux changements qui s’imposent dans la sphère financière, court le risque de ne rien changer du tout. Il n’est pas anodin qu’à aucun moment les mots « nationalisation » et « socialisation » n’apparaissent dans le texte de la CGT.

Les propositions de la CGT Finances, de la FAPT CGT et de la FSPA CGT de juin 2009 poursuivent dans cette voie et témoignent de cette même vision irénique des choses, en considérant que « les missions et les finalités de ce pôle, fondées sur une logique de service public et non sur celle de la maximisation des profits, devraient lui permettre de jouer un rôle exemplaire et dynamique dans l’ensemble du système financier » [54]. Ainsi, le pôle public montrerait l’exemple en suscitant un phénomène d’imitation vertueuse auprès des banques privées… Adopter une telle vision revient à prendre à la lettre la célèbre prophétie d’Ésaïe dans la Bible, mais nous doutons fort de voir le pôle public, à l’instar du petit enfant, conduire les établissements mutualistes et les banques privées dans un monde bancaire où règnerait une douce cohabitation.

Le projet de la CGT de juin 2009 reprend celui de janvier en y apportant quelques légers compléments. Quatre grandes missions sont dévolues au pôle financier public :

  1. Soutenir un plan de relance économique et social.
  2. Renforcer l’appareil productif.
  3. Diriger l’épargne populaire vers la satisfaction des besoins sociaux et économiques.
  4. Assurer l’inclusion financière et l’accès de tous aux services financiers.

Les interventions du pôle financier public pourraient revêtir trois formes principales : distribution des crédits ; aides et garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome).  ; participation au capital des entreprises en difficulté. À l’instar de leurs prédécesseurs de janvier 2009, les rédacteurs du texte de juin persistent dans leur conception d’un système financier tripartite (public et semi public, mutualiste et privé), tout en reconnaissant les limites de leur conception car « la création du pôle financier public constitue une réponse immédiate à l’urgence sociale créée par la crise, mais elle n’épuise pas la question de la prise en compte de l’intérêt général, voire de service public, dans la définition de la stratégie des banques. » [55] Ainsi, comme dans le projet de janvier 2009, si la CGT persiste dans sa conception en souscrivant à l’idée que, « dans l’ensemble, le système financier français demeurerait donc une structure à trois composantes majeures : un pôle financier public, un réseau mutualiste et un réseau d’établissements privés » [56], elle admet en conclusion que « la création d’un pôle financier public (…) contribue à un meilleur contrôle du système financier sans épuiser totalement la question » [57].

Un document élaboré par la FSPBA CGT en avril 2015 et revu en juin 2017, intitulé « L’avenir du système bancaire », est venu réactualiser le débat autour de « la question de la maîtrise publique des banques et des assurances sans exclure la question de la nationalisation » [58]. Cette réflexion est intéressante à plusieurs titres. Tout d’abord, on y relève une évolution significative par rapport aux deux textes de la CGT évoqués précédemment. Même si les auteurs du document continuent de revendiquer la création d’un « Pôle Public Bancaire et Financier », ils insistent sur le fait que « la Nationalisation/Socialisation des grandes banques doit rester un objectif, à terme, vers lequel il faut tendre » [59]. Ensuite, les auteurs avancent à partir des concepts « nationaliser » et « socialiser » tout un ensemble de questions fort pertinentes et auquel tout projet bancaire alternatif se doit d’apporter une réponse, notamment en ce qui concerne la composition des conseils d’administration et la place que doivent y occuper les usagers de la banque et les salariés, ou le fait de savoir s’il faut indemniser les actionnaires, et dans l’affirmative selon quelles modalités.


Le pôle public financier selon le mouvement social

Au-delà de la seule CGT, la revendication pour la mise en place d’un pôle public financier est également portée par une intersyndicale du secteur semi-public économique et financier, créée en octobre 1995 et rassemblant une trentaine d’organisations syndicales. En 2007-2008, le collectif « Pas touche au Livret A » [60] prendra la suite de cette intersyndicale en intégrant des forces issues du monde associatif pour combattre la banalisation du célèbre livret qui approchait de ses deux siècles d’existence. Le 1er janvier 2009, le collectif avait perdu son combat, le livret A pouvait être distribué par toutes les banques. Un autre collectif succéda à feu le « Pas touche au Livret A » avec sensiblement les mêmes participants. Baptisée Collectif « Pour un Pôle Public Financier au service des Droits », cette nouvelle structure rassemblait des syndicats issus de la sphère de la banque et de la finance (appartenant à la CGT, la CFDT, CFTC, la CFTC, la CGC, FO et à Solidaires) ainsi que des associations et des organisations représentant le mouvement social (comme Attac, le DAL, la fondation Copernic, l’AITEC, les Marches Européennes, Résistance sociale ou encore la Convergence pour les Services Publics).

Les membres de ce nouveau collectif assignent trois missions essentielles au pôle public financier :

  1. Le financement des investissements d’intérêt général socialement et écologiquement utiles : logement, services publics, politique industrielle et création d’emplois, transition écologique et énergétique, reconversion agricole, développement solidaire des territoires, relocalisation des activités productives, équipement des collectivités locales, infrastructures…
  2. La sécurisation et le développement de l’épargne populaire et son orientation vers la satisfaction des besoins sociaux et environnementaux.
  3. L’inclusion financière : accès de tous aux services bancaires, information et protection des usagers, prévention et traitement du surendettement.

Pour les membres de ce collectif, la satisfaction des droits fondamentaux constitutifs du modèle social français suppose « une profonde réorientation et un plus grand contrôle social de l’activité des banques ». Un pôle financier public serait, selon eux, le moyen « d’influer sur la sphère financière, (…) d’y faire prévaloir l’intérêt général et les choix collectifs et de disposer des moyens de garantir le financement de l’accès de tous aux droits fondamentaux ». Ce pôle regrouperait des institutions financières publiques (Banque de France, Caisse des Dépôts et ses filiales financières, OSEO, Société des participations de l’État, Banque Postale, Ubifrance, Agence française de développement, Institut d’émission des départements d’Outre-Mer, institut d’Émission d’Outre-Mer, CNP Assurance).

La Banque de France

Dans ce pôle public, en matière de gouvernance, chaque établissement conserverait son autonomie de fonctionnement et ses propres instances de direction. Toutefois, l’action de ces établissements devrait s’inscrire dans un cadre commun défini par une instance de pilotage national dont le rôle serait de fixer les orientations s’imposant à tous les établissements du pôle public financier, de déterminer les critères à prendre en compte dans leurs interventions, d’assurer le contrôle et le suivi de ces décisions et de veiller à la coordination et à la cohérence de l’ensemble. L’instance de pilotage national serait composée d’élus politiques nationaux et locaux, des responsables des établissements et de représentants de la société civile, tout particulièrement des organisations syndicales et associatives. Le pôle public fonctionnerait de façon décentralisée en s’appuyant sur les implantations territoriales de ses composantes. Une instance de pilotage analogue à celle existant au niveau national serait mise en place au sein de chaque région. Composée d’acteurs économiques, sociaux, politiques et associatifs, cette instance aurait pour objectif de définir les axes d’intervention du pôle public dans la Région en s’inscrivant dans le cadre des orientations nationales, et en s’assurant que tous les établissements interviennent de manière coordonnée. Les ressources du pôle financier public seraient essentiellement constituées par l’épargne réglementée défiscalisée qui serait développée au détriment de l’assurance-vie. Les promoteurs du pôle public financier prévoient également que celui-ci puisse utiliser la ressource quasi-illimitée que constitue la création monétaire, ses établissements pouvant utiliser une large part de leurs créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). pour se refinancer auprès de la BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
à un taux très bas voire quasi nul.


Le pôle public financier selon le Front de Gauche et la France Insoumise

Du côté des organisations politiques, le programme du Front de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon [61], son candidat à l’élection présidentielle de 2012, prévoyait l’« adoption d’une loi portant création d’un pôle public financier transformant notamment la politique et les critères du crédit ». Ce projet reprenait dans les grandes lignes celui de la CGT et du Collectif « Pour un Pôle Public Financier au service des Droits ». Nous relevions toutefois quelques formulations originales mais qui étaient insuffisamment explicitées. Ainsi, la promesse d’un « placement sous contrôle social des banques privées qui ne respecteraient pas la nouvelle réglementation en matière de lutte contre la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
et la financiarisation de notre économie »
restait évasive, car le programme était peu loquace sur cette nouvelle réglementation, les modalités de placements sous contrôle social des banques privées et particulièrement sur la nature de ce contrôle. De même, à côté de « la mise en réseau des institutions financières publiques existantes » au sein du pôle public avec « des banques et des assurances mutualistes », était mentionnée « la nationalisation de banques et de compagnies d’assurances » sans l’on sache de quelles banques et de quelles compagnies il s’agissait, ni que soient précisées les modalités de cette nationalisation.

En dehors du programme porté par le Front de Gauche, les deux principales composantes de celui-ci, à savoir le Parti de Gauche et le Parti Communiste, ont développé des réflexions spécifiques à leur organisation sur la question de la finance et des banques.

Les établissements prétendument labellisés mutualistes ou coopératifs fonctionnent de la même manière que leurs concurrents du privé
Ainsi, le Parti Communiste a déposé en 2009 une proposition de loi à l’Assemblée nationale « portant réforme des banques et relative à la création d’un service public bancaire et financier ainsi que d’un pôle public financier, afin de favoriser le développement humain » [62]. Ce texte proposait « la nationalisation des principales banques capitalistes officiant sur le territoire. » [63] Les banques concernées étaient BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, HSBC France, Rothschild. Étrangement, les auteurs de la proposition excluaient de cette nationalisation le Crédit Mutuel et le nouvel ensemble Banque Populaire Caisse d’Épargne, « en raison de leur caractère mutualiste », mais en précisant qu’« ils participeront pleinement par ailleurs au nouveau service public ». Les établissements prétendument labellisés mutualistes ou coopératifs fonctionnant de la même manière que leurs concurrents du privé, cette exclusion nous paraît infondée. La proposition précisait que « toutefois, en raison des évolutions qui secouent le secteur mutualiste français, il conviendra d’étudier les conditions d’une appropriation publique de ces établissements ».

Le financement adéquat et sécurisé de l’économie constitue un bien public

De son côté, lors d’un forum organisé le 12 juin 2010, le Parti de Gauche a entériné un certain nombre de propositions [64]. Voici quelques-uns des principes retenus : « Le financement de l’action et des biens publics a un caractère impératif. Qu’il procède de prélèvements fiscaux et sociaux ou d’emprunts, il ne peut dépendre du bon vouloir ou de conditions fixées par quiconque hormis les autorités mandatées à cet effet par le suffrage universel. Le financement adéquat et sécurisé de l’économie constitue un bien public dont la production relève d’institutions financières publiques et d’établissements privés soumis à une régulation publique adéquate. Le système financier a pour seule fonction d’assurer un financement adéquat et sécurisé de la production et des échanges de biens et des services non-financiers. Il ne doit pas constituer un centre de profits en soi, indépendant du financement de l’économie réelle. » En cas de défaillances des établissements financiers, le texte prévoyait « la nationalisation sans indemnisation des établissements défaillants, la faillite organisée et sécurisée ».

En avril 2012, répondant à ma demande d’éclaircissement sur le projet bancaire porté par le Front de Gauche, Guillaume Etievant avait apporté les précisions suivantes : « Concernant le pôle public bancaire, la manière dont il se construira précisément est en débat et les décisions doivent être prises en lien direct avec la population si nous arrivions au pouvoir, c’est pour cela qu’il n’y a pas de document très précis FG expliquant en long et en large comment il sera constitué. » (…) « Il ne s’agit pas de commettre les mêmes erreurs qu’en 1981 et les banques nationalisées (le périmètre exact de nationalisation est en débat) seront gérées dans l’intérêt général… » [65]

Cinq ans plus tard, le programme de la France Insoumise et de son candidat Jean-Luc Mélenchon pour l’élection présidentielle de 2017, L’avenir en commun, et le livret de la France Insoumise intitulé « Pour un service public bancaire » [66], reprennent des éléments du programme de 2012, notamment en prévoyant de « mettre au pas la finance » et de « séparer les banques d’affaires et de détail » [67]. Mais, entre les lignes, nous percevons dans ce livret un changement de ton. Là où le programme de 2012 écrivait « nous agirons pour changer les missions de la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. européenne », la formulation du programme de 2017 est plus catégorique en affirmant « les pouvoirs publics doivent reprendre le contrôle sur la banque centrale, qui est en charge de la politique monétaire » [68], ce qui signifie implicitement la sortie du carcan de l’Union européenne. L’expérience grecque était passée par-là.

La BCE

Deux autres dispositions sont à souligner. L’une précise que le Pôle public bancaire, issu de la socialisation de banques généralistes, constituera le socle du service public bancaire qui sera progressivement mis en en place [69], l’autre prévoit la nationalisation des organes centraux des banques coopératives et mutualistes (Crédit Agricole, Banque Populaire Caisse d’Épargne, Crédit Mutuel) [70]. Ces deux mesures ne sont pas explicitées mais constituent un pas de plus vers la reconnaissance de la nécessité impérative de la socialisation du secteur bancaire. Après l’élection présidentielle et les élections législatives de 2017, un groupe de travail ouvert a été constitué autour des artisans du Livret Banques en vue de poursuivre la réflexion dans le but de préparer des propositions de loi pour les élu-e-s de la France Insoumise mais aussi impulser et relayer les actions sur le terrain en relation avec les agissements des banques.

 La socialisation de l’intégralité du secteur bancaire : une nécessaire utopie

« L’utopie n’est pas le rêve, elle est ce qui nous manque dans le monde. »
Édouard Glissant, La Cohée du Lamentin. Poétique V [71]

Parmi les économistes dits « hétérodoxes », c’est Frédéric Lordon qui a développé la proposition la plus construite et la plus cohérente d’un système bancaire alternatif dans un article publié au tout début de l’année 2009 [72], repris quelques années plus tard dans un de ses livres [73], alors que le débat sur la question du renflouement des banques posée dans la foulée de la crise financière de 2007-2008 avait déjà fait couler beaucoup d’encre. Dès le début de son papier, renvoyant à leurs études les économistes mainstream fraîchement devenus les adeptes de la nationalisation, mais « partielle et temporaire », Lordon confie au lecteur quelques envies de nationalisation « punitive », voire « méchante », « c’est-à-dire permanente, peut-être même confiscatoire un peu sur les bords » [74]. Au-delà des justifications liées à la conjoncture, deux arguments essentiels légitiment à ses yeux la nationalisation du système bancaire.

Tout d’abord, il est indispensable d’assurer la sécurité des encaisses monétaires considérées comme un bien public vital. Selon l’auteur,« Si donc on prend au sérieux que les dépôts, les épargnes et des possibilités minimales de crédit doivent être considérés comme des biens publics vitaux pour la société marchande, il s’en déduit qu’on n’en remet pas la garde à des intérêts privés, à plus forte raison quand ils sont aussi mal éclairés que des banques profondément engagées dans les activités de marchés financiers et sans cesse exposées à leurs tendances déséquilibrantes. » [75]

Le second argument repose sur l’impératif de mettre à l’abri le système bancaire des conséquences d’événements exceptionnels, car « ce sont les événements extrêmes qui décident de la configuration de la structure vitale. » [76]

Lordon préconise « une nationalisation intégrale du crédit, du moins un secteur public très majoritaire » [77], car – l’exemple du Crédit Lyonnais le démontre – la tutelle publique n’est pas suffisamment puissante pour contenir les dérives qui résultent de la concurrence entre le public et le privé. Dans son approche, Lordon insiste sur la nécessité de lier la question des institutions bancaires à celle de la création monétaire et de rappeler en cette matière les risques inhérents aux deux grands modèles : « le pôle fractionné pur (…) menacé par l’instabilité et la déflation, le pôle centralisé pur (…) exposé au risque permanent de la sur-émission, du surendettement et de l’inflation ». [78] Aussi, au vu de ces risques, Lordon prend soin de souligner que « la nationalisation à grande échelle d’urgence ne devrait être qu’une étape de transition et à terme muter vers une réorganisation des structures monétaires et bancaires, restaurant le compromis centralisation-fractionnement, mais évidemment sous des formes qui ne reconstituent pas le système antérieur, c’est-à-dire sous des formes qui refractionnent le système bancaire mais en redéfinissant radicalement le statut des concessionnaires. » [79]

un contrôle public local par les parties prenantes, salariés, entreprises, associations, collectivités locales, représentant locaux de l’État

Cette dernière précision relative aux concessionnaires est capitale car, ainsi que le souligne Lordon, « le point important, appelé à faire véritablement rupture, réside dans la redéfinition de leur statut, et consiste notamment à placer explicitement la concession sous un principe de service public. » [80] Il en découle que « les concessionnaires de l’émission monétaire ne sauraient être des sociétés privées par actions. Ni entités actionnariales privées, ni entités publiques sous le contrôle direct de l’État, les concessionnaires devraient être des organisations sinon non-profitables, du moins à profitabilité encadrée, c’est-à-dire limitée. » [81] Pour ce qui est de la forme juridique à donner à ces entités, Lordon avance l’idée d’« un statut intermédiaire entre les sociétés de capitaux et les établissements publics, et qui ne soit ni de simple association, ni d’ONG, mais un statut sui generis » [82]. La question posée par la finalité de ce statut « tourne autour de l’idée d’un contrôle public mais qui ne serait pas directement étatique, un contrôle public d’une autre nature, (…) un contrôle public local par les parties prenantes : salariés, entreprises, associations, collectivités locales, représentant locaux de l’État, etc. » Cette proposition n’est pas sans rappeler la conception du parti socialiste des années 1940 lorsqu’il revendiquait pour les entreprises socialisées une gestion démocratique associant les travailleurs, les techniciens et les représentants des intérêts généraux dans des conseils tripartites jouissant d’une autonomie de gestion. Lordon préfère discerner dans sa proposition une parenté avec le modèle bancaire mutualiste, même s’il reconnaît de sensibles différences entre les deux.

Nationalisation et non-privatisation ne signifient pas la même chose

Lorsqu’il revendique une déprivatisation intégrale du secteur bancaire, Lordon veut attirer notre attention sur le fait que nationalisation et non-privatisation ne signifient pas la même chose. La nationalisation qui voit l’État détenir le contrôle direct de tous les moyens de crédit est porteuse de risques à ses yeux, ce qui lui fait préférer « un système socialisé du crédit ». En résumé, il s’agit dans un premier temps de soustraire le système bancaire des mains et des intérêts privés pour le remettre dans un deuxième temps, non entre les mains de l’État, mais de le confier à « l’ensemble des parties prenantes », dans le cadre de « ce que l’on pourrait appeler un « système socialisé du crédit » [83].

À côté de Frédéric Lordon, d’autres économistes préconisent la mise sous contrôle des banques. Le 15 septembre 2011, dans un article publié dans Politis, Michel Husson préconisait de « nationaliser les banques européennes » [84]. À l’occasion d’un entretien accordé à L’Humanité, le 30 décembre 2011, Jean-Marie Harribey avançait, parmi quatre propositions, « la socialisation de tout le secteur bancaire avec la mise sous contrôle démocratique de l’institution au sommet qu’est la BCE » [85]. De son côté, dans une contribution à l’atelier « démocratiser l’argent » de l’université d’été d’Attac de 2012, Thierry Brugvin se prononçait pour une socialisation autogestionnaire des banques. [86]

Sauver les banques à la condition qu’elles soient transformées en banques coopératives d’intérêt collectif

Des organisations portent également la proposition de socialisation de l’intégralité du système bancaire. C’est le cas de l’Union syndicale Solidaires [87] et surtout du syndicat Sud Solidaires BPCE qui en a fait un de ses axes forts depuis de nombreuses années [88]. Le CADTM est également favorable à la socialisation du secteur bancaire ainsi qu’Attac. Dans un texte du 14 septembre 2011 [89], Attac préconisait « la création d’un secteur bancaire socialisé et démocratisé » et proposait à l’époque « de sauver les banques à la condition qu’elles soient transformées en banques coopératives d’intérêt collectif, SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) en France, « entreprise sociale » dans d’autres pays ». [90] Des partis politiques, tels que le NPA et Lutte Ouvrière préconisent l’expropriation des banques et leur contrôle par la collectivité.


Deux questions dans la question : que faire des banques d’affaires et indemniser ou pas ?

« À l’évidence, la « globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
 » des marchés financiers n’a pas réellement mis un terme au pouvoir de noyaux durs se définissant encore prioritairement au sein de vieux États-nations. Non seulement ces acteurs-phares de la banque et de l’assurance entretiennent des relations suivies avec leurs concurrents locaux (participations croisées et conseillers communs) mais sont également, de surcroît, principalement liés à des géants industriels nationaux. »

Geoffrey Geuens, La finance imaginaire [91]

« Le Parti socialiste n’est pas le Parti des rachats, il est le Parti de l’expropriation. (Applaudissements) Il n’a pas à racheter, il a à reprendre, par et pour le prolétariat, ce qui a été volé au prolétariat. » [92]
Jules Guesde, 17 avril 1911.

Le 6 novembre 1945, les socialistes et leurs alliés précisent le détail des secteurs à nationaliser qu’ils avaient définis dans le « manifeste pour le peuple de France », lors de leur congrès national extraordinaire de 1944. Le texte mentionnait les grandes banques de dépôt Banques de dépôt
Banque de dépôt
Banque de dépôt ou banque commerciale : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.
et d’affaires [93]. Pourtant, les banques d’affaires sont exclues du champ de la loi de nationalisation, suite aux manœuvres d’obstruction de l’appareil d’État et du grand capital. C’est ainsi que le projet de loi de 1945 relatif à la nationalisation de la Banque de France et des grandes banques et à l’organisation du crédit maintient les banques d’affaires dans le secteur privé, tout en soulignant que celles-ci doivent être soumises à « un contrôle étroit » [94].

Aujourd’hui, l’ensemble des métiers bancaires (banque de détail, banque de financement et d’investissement, gestion d’actifs, assurances) est exercé au sein d’une même structure

La socialisation de l’intégralité du secteur bancaire, pour nécessaire qu’elle apparaisse, suscite encore des objections. On observe quelque réticence chez certains économistes à intégrer les banques d’affaires dans un service public de la banque. Pourtant, plusieurs arguments plaident en faveur de ce choix. Tout d’abord, aujourd’hui, l’ensemble des métiers bancaires (banque de détail, banque de financement et d’investissement, gestion d’actifs, assurances) sont exercés au sein d’une même structure. Par ailleurs, la vocation des banques dites d’affaires, du moins sur le papier, est le financement de grands projets à réaliser au moyen de montages complexes qui nécessitent une expertise et représentent des sommes très importantes. Une autre appellation de ces banques n’est-elle pas « banques de financement et d’investissement » (BFI) ?

Or, loin de financer l’économie et des projets utiles à la société, ces banques n’ont de cesse de spéculer sur les marchés contre les États (nous avons l’exemple de la spéculation de cette haute finance sur la dette grecque, notamment à travers les manipulations opérées sur le marché des credit default swaps Swap
Swaps
Vient d’un mot anglais qui signifie « échange ». Un swap est donc un échange entre deux parties. Dans le domaine financier, il s’agit d’un échange de flux financiers : par exemple, j’échange un taux d’intérêt à court terme contre un taux à long terme moyennant une rémunération. Les swaps permettent de transférer certains risques afin de les sortir du bilan de la banque ou des autres sociétés financières qui les utilisent. Ces produits dérivés sont très utilisés dans le montage de produits dits structurés.
ou CDS CDS
Credit Default Swap
Le CDS est un produit financier dérivé qui n’est soumis à aucun contrôle public. Il a été créé par la banque JPMorgan dans la première moitié des années 1990 en pleine période de déréglementation. Le Credit Default Swap signifie littéralement “permutation de l’impayé”. Normalement, il devrait permettre au détenteur d’une créance de se faire indemniser par le vendeur du CDS au cas où l’émetteur d’une obligation (l’emprunteur) fait défaut, que ce soit un pouvoir public ou une entreprise privée. Le conditionnel est de rigueur pour deux raisons principales. Premièrement, l’acheteur peut utiliser un CDS pour se protéger d’un risque de non remboursement d’une obligation qu’il n’a pas. Cela revient à prendre une assurance contre le risque d’incendie de la maison d’un voisin en espérant que celle-ci parte en flammes afin de pouvoir toucher la prime. Deuxièmement, les vendeurs de CDS n’ont pas réuni préalablement des moyens financiers suffisants pour indemniser les sociétés affectées par le non remboursement de dettes. En cas de faillite en chaîne d’entreprises privées ayant émis des obligations ou du non remboursement de la part d’un Etat débiteur important, il est très probable que les vendeurs de CDS seront dans l’incapacité de procéder aux indemnisations qu’ils ont promises. Le désastre de la compagnie nord-américaine d’assurance AIG en août 2008, la plus grosse société d’assurance internationale (nationalisée par le président George W. Bush afin d’éviter qu’elle ne s’effondre) et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 sont directement liés au marché des CDS. AIG et Lehman s’étaient fortement développées dans ce secteur.

Le CDS donne l’illusion à la banque qui en achète qu’elle est protégée contre des risques ce qui l’encourage à réaliser des actions de plus en plus aventureuses. De plus, le CDS est un outil de spéculation. Par exemple en 2010-2011, des banques et d’autres sociétés financières ont acheté des CDS pour se protéger du risque d’une suspension de paiement de la dette qui aurait pu être décrétée par la Grèce. Elles souhaitaient que la Grèce fasse effectivement défaut afin d’être indemnisées. Qu’elles soient ou non en possession de titres grecs, les banques et les sociétés financières détentrices de CDS sur la dette grecque avaient intérêt à ce que la crise s’aggrave. Des banques allemandes et françaises (les banques de ces pays étaient les principales détentrices de titres grecs en 2010-2011) revendaient des titres grecs (ce qui alimentait un climat de méfiance à l’égard de la Grèce) tout en achetant des CDS en espérant pouvoir être indemnisées au cas de défaut grec.1

Le 1er novembre 2012, les autorités de l’Union européenne ont fini par interdire la vente ou l’achat de CDS concernant des dettes des États de l’UE qui ne sont pas en possession du candidat acheteur du CDS.2 Mais cette interdiction ne concerne qu’une fraction minime du marché des CDS (le segment des CDS sur les dettes souveraines*) : environ 5 à 7 %. Il faut également noter que cette mesure limitée mais importante (c’est d’ailleurs à peu près la seule mesure sérieuse qui soit entrée en vigueur depuis l’éclatement de la crise) a entraîné une réduction très importante du volume des ventes des CDS concernés, preuve que ce marché est tout à fait spéculatif.

Enfin, rappelons que le marché des CDS est dominé par une quinzaine de grandes banques internationales. Les hedge funds et les autres acteurs des marchés financiers n’y jouent qu’un rôle marginal. D’ailleurs la Commission européenne a menacé en juillet 2013 de poursuivre 13 grandes banques internationales pour collusion afin de maintenir leur domination sur le marché de gré à gré* (OTC) des CDS.3
), contre les collectivités locales (en leur proposant des emprunts toxiques directement ou en jouant le rôle de banque de contrepartie dans ces montages financiers spéculatifs) et contre les populations en manipulant les cours des matières premières. Ces grandes banques ont été pour l’essentiel à l’origine de la crise financière de 2007-2008 dont elles ont fait supporter le coût faramineux aux populations en bénéficiant de la complicité et du soutien des gouvernements, des institutions et des autorités de contrôle. Ce sont ces mêmes banques que l’on retrouve à la une des faits divers pour leur soutien apporté aux États voyous, leurs relations avec les narcotrafiquants, leurs manipulations de marchés et bien d’autres malversations. Pendant qu’elles se livrent à ces pratiques condamnables, les grands projets utiles à la collectivité ne sont pas financés. La transition écologique, la politique sanitaire, l’éducation, la gestion de l’eau et de l’énergie, sont autant de missions qui doivent revenir dans la sphère des services publics sous contrôle citoyen et bénéficier des financements nécessaires.

Le rôle central des banques d’affaires dans la crise de 2007-2008 et le coût de celle-ci nous conduit au deuxième point que nous souhaitons évoquer, la question de l’indemnisation.

Appliquer en matière de nationalisation les principes de progressivité et de personnalité qui sont la règle en matière fiscale

Cette question de l’indemnisation est récurrente. En 1937, dans un article paru dans Le Populaire, Jules Moch préconise d’indemniser en cas de nationalisation, mais en modulant cette indemnité selon que l’on se trouve en présence d’un « modeste épargnant » ou d’une banque. Il préconise d’appliquer en matière de nationalisation les principes de progressivité et de personnalité qui sont la règle en matière fiscale [95]. À la fin de l’année 1944, après la collaboration pratiquée par de larges pans du patronat français, la CGT exige des réquisitions d’établissements au profit de la collectivité nationale et le Parti communiste avance le mot d’ordre : « confiscation des biens des traîtres » [96], sachant que, comme le souligne Annie Lacroix-Riz, « à partir du moment où un bien est confisqué, il est confié à la gestion ouvrière » [97]. En 1982, la nationalisation des banques donne lieu à une indemnisation. Les actionnaires reçoivent en échange de leurs titres des obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
d’une durée de quinze ans bénéficiant de la garantie totale de l’État.

Au vu du tableau que nous venons de brosser, l’expropriation pure et simple, sans indemnisation, sauf pour des petits porteurs ou certaines institutions ou organismes ayant une mission sociale utile à la collectivité (par exemple des fonds gérant des retraites), relève d’une évidence. En 1944, la collaboration des grands groupes avec l’occupant nazi justifiait l’expropriation, aujourd’hui, ce sont les malversations des banques et leurs pratiques nuisibles pour les populations qui légitiment amplement le refus d’une indemnisation.


Socialisation ou barbarie

« Les crises financières peuvent se comprendre à l’aune de trois catégories inventées par la criminologie nord-américaine au XXe siècle : « crime organisé » (organized crime), « crime en col blanc » (white collar crime), « crime d’entreprise » (corporate crime). »
Jean-François Gayraud, La grande fraude [98]

« Les banques ont le devoir de lutter contre le marxisme… Elles sont le rempart du régime capitaliste ; leur fonction est basée sur ce régime et toute disposition législative qui tend à la saper… doit être combattue par elle. En agissant autrement, elles se suicideraient. » [99]

Un banquier des années 30

La crise financière qui a éclaté en 2007-2008 et ses développements du moment posent très clairement des questions essentielles intrinsèquement liées : la maîtrise par la collectivité d’une politique monétaire et d’une politique de crédit au service de l’intérêt général, la mise en œuvre d’un plan pour une transition énergétique, une gestion démocratique et citoyenne des services publics, enfin la socialisation des banques. Ces questions sont au cœur de la lutte qui oppose d’un côté le capital financier et les institutions à son service et de l’autre les populations, un affrontement entre des choix de société inconciliables.

Une étude vient apporter de l’eau au moulin de notre préconisation de socialisation des banques. En novembre 2017, le mensuel 60 millions de consommateurs a publié les résultats d’une enquête sur les frais bancaires réalisée en partenariat avec l’Union nationale des associations familiales. [100] Le tableau ci-dessous établi par les investigateurs montre que « les agios et les frais d’incidents sont huit à neuf fois plus élevés pour une personne en difficulté (296 € par an en moyenne) que pour un client lambda (34 € en moyenne). » [101]

BanquesEnsemble des clientsClients en difficulté
BNP Paribas 44 € 663 €
Société Générale 11 € 422 €
Autres 88 € 371 €
Banque Populaire 11 € 652 €
Caisse d’Épargne 5 € 351 €
Crédit Agricole 36 € 256 €
Crédit Mutuel 38 € 343 €
La Banque Postale 10 € 160 €
Moyenne 34 € 296 €

Les banques privées sont de loin celle qui matraquent le plus leurs clients, mais les banques dites « mutualistes » ne sont pas en reste, ce qui démontre que leur statut coopératif ou mutualiste, loin d’être une garantie, n’est qu’un leurre. La Banque Postale, seul établissement appartenant à la sphère publique [102], est la moins rapace à l’égard de ses clients. Au vu de cette enquête, il ressort que la population, notamment la partie la plus vulnérable de celle-ci, a tout intérêt à la socialisation du système bancaire.

L’élément essentiel dans la mise en place d’un processus de nationalisation du système bancaire réside dans un soutien populaire permanent

Mais pour avoir quelque chance de se traduire concrètement la proposition de socialiser les banques doit constituer un projet partagé, cohérent et opérationnel. Cela signifie qu’il faut disposer tout à la fois d’un plan d’organisation du secteur bancaire et des assurances (structure, modes de répartition et d’exercice des pouvoirs de décision) élaboré collectivement et démocratiquement, mais aussi des modalités concrètes de sa mise en place, sans oublier les mesures pratiques prévues pour remédier aux inévitables tentatives de déstabilisation qu’une telle initiative ne manquerait pas de susciter [103]. Mais l’élément essentiel à nos yeux dans la mise en place d’un processus de nationalisation du système bancaire réside dans un soutien populaire permanent. Le pouvoir en place doit s’appuyer en permanence sur le mouvement populaire. Faute de l’avoir fait après la victoire de SYRIZA aux élections de janvier 2015, le gouvernement d’Alexis Tsipras est allé de reculades en reculades pour aboutir à la signature d’un 3e mémorandum calamiteux en août de la même année.


Notes

[1Journal Officiel de la République française, débats de l’Assemblée nationale constituante, N° 11, lundi 3 décembre 1945, p. 155.

[2Karl Marx, Le Capital, Livre III, cinquième section, Chapitre XVI, Folio essais, Paris, 2008, p. 1742.

[3Éric Toussaint, Bancocratie, Aden, Bruxelles, 2014, Attac et Basta, Le livre noir des banques, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2015, ouvrage traduit dans plusieurs langues. On peut également mentionner les titres suivants : Geoffrey Geuens, La finance imaginaire. Anatomie du capitalisme : des « marchés financiers » à l’oligarchie, Aden, Bruxelles, 2011 ; Pascal Canfin, Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire, Les Petits Matins, Paris, 2012 ; Louis Gill, La crise financière et monétaire mondiale. Endettement, spéculation, austérité, M éditeur, Ville Mont-Royal (Québec), 2012 ; Juan Hdez. Vigueras, El casino que nos govierna. Trampas y juegos financieros a lo claro, clave intelectual, Madrid, 2012 ; Gaël Giraud, Illusion financière, Les éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2013 ; Christian Chavagneux & Thierry Philipponnat, La capture. Où l’on verra comment les intérêts financiers ont pris le pas sur l’intérêt général et comment mettre fin à cette situation, La Découverte, Paris, 2014 ; Anat Admati & Martin Hellwig, The Bankers’New Clothes. What’s Wrong with Banking and What to Do about it, Princeton University Press, Princeton, 2014 ; Claude Simon & Collectif Roosevelt, Stop à la dérive des banques et de la finance, Les éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2014 ; François Morin, L’hydre mondiale. L’oligopole bancaire, Lux, Montréal, 2015, Jézabel Couppey-Soubeyran, Blablabanque. Le discours de l’inaction, Michalon, Paris, 2015 ; Aurore Lalucq & William K. Black, Les Banquiers contre les banques. Le rôle de la criminalité en col blanc dans les crises financières, Charles Léopold Mayer, Paris, 2015 ; Jean-François Gayraud, L’art de la guerre financière, Odile Jacob, Paris, 2016.

[6Patrick Saurin, Les prêts toxiques : une affaire d’État. Comment les banques financent les collectivités locales, Demopolis & CADTM, Paris, 2013. Commander le livre ici (NdE)

[7Platon, Sophiste, 218c, Œuvres complètes, Flammarion, Paris, 2008, pp. 1814-1815.

[8Jean-Louis Robert, in Claire Andrieu, Lucette Le Van et Antoine Prost, Les nationalisations de la Libération. De l’utopie au compromis, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1987, p. 19.

[9Ibid.

[10Jules Moch est un socialiste, membre de la SFIO depuis 1924. Il a exercé plusieurs mandats de député entre 1928 et 1967 et a été membre de différents gouvernements entre 1937 et 1958.

[11Serge Berstein, Les nationalisations de la Libération. De l’utopie au compromis, p. 181.

[12« Les nationalisations », JurisClasseur Civil, 2e cahier, 12, 1948, p. 1. Le 3e cahier est du même mois et de la même année.

[13Ibid., p. 2.

[14Ibid., pp. 2 et 3.

[15John Dewey, Le public et ses problèmes, Folio essais, Paris, 2010, p. 146.

[16Preuve de la manne financière représentée par la gestion des autoroutes, en octobre 2017, la société italienne Atlantia et la société espagnole ACS se disputaient le rachat de Abertis. La proposition d’achat d’ACS se chiffrait à 17,1 milliards d’euros.

[17François Morin, La banques et les groupes industriels à l’heure des nationalisations, Paris, Calmann-Lévy, 1977, p. 65.

[18Pour cette partie historique, nous renvoyons à l’article de Jean-Louis Robert, « Les « Programmes minimum » de la CGT de 1918 et 1921 », Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches marxistes, n° 16 Syndicats et syndicalisme, pp. 58-78, 1984, à l’excellent ouvrage de Claire Andrieu, Lucette Le Van et Antoine Prost, Les nationalisations de la Libération. De l’utopie au compromis, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1987, et au livre de Claire Andrieu, La banque sous l’occupation. Paradoxes de l’histoire d’une profession, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1991.

[19Jules Guesde est né en 1845. Il est en 1892 l’un des fondateurs du Parti ouvrier qui deviendra le Parti ouvrier français en 1893. En 1902, ce parti fusionne avec le Parti socialiste de France d’Édouard Vaillant pour former le Parti socialiste français. Les Guesdistes défendent l’interpénétration entre partis et syndicats en conférant aux premiers un rôle directeur.

[20Les syndicalistes révolutionnaires revendiquent une rupture avec le capitalisme, l’auto-organisation des travailleurs et préconisent la grève générale comme moyen de lutte. Entre 1895 et 1914, ce courant a joué un rôle de premier plan, notamment au sein de la CGT.

[21Le Front Populaire est une coalition de trois partis de gauche (le Parti radical-socialiste, la SFIO et le Parti communiste) qui gouverna la France entre 1936 et 1938. Il fut à l’initiative de réformes sociales importantes dont les plus connues sont les congés payés (15 jours), la réduction du temps de travail (la semaine de 40 heures) et les conventions collectives.

[22Antoine Prost, Les nationalisations de la Libération. De l’utopie au compromis, pp. 65-88.

[23Ibid., p. 89. Ce phénomène des « socialisations spontanées » se relève surtout dans le Sud de la France.

[24Ibid., p. 65.

[25Ibid., p. 237.

[26Ibid., pp. 237 et 242.

[27« La nationalisation du crédit », document non signé et non daté de huit pages dactylographiées, archives de la Banque de France, bordereau 1180200501, boîte 5.

[28Parti socialiste, Proposition de résolution tendant à inviter le Gouvernement à réaliser la socialisation du crédit, document dactylographié, archives de la Banque de France, bordereau 1180200501, boîte 5.

[29Le mot « renflouement » fait écho au Renflouistan évoqué par Yanis Varoufakis dans son livre Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2017, pp. 28-61.

[30Ibid., p. 7.

[31Ibid., p. 10.

[32Les textes des deux interventions ont été publiés dans la revue Communication & Débats, n° 4, « La nationalisation des banques : pour quoi faire ?, Paris, Sodefir, 1982, pp. 54-63.

[33Ibid., p. 54.

[34Ibid.

[35Ibid., p. 57.

[36Ibid., p. 54.

[37Ibid., p. 57.

[38 Ibid.

[39Ibid., p. 61.

[40Ibid.

[41 Ibid.

[42Ibid., pp. 61-62.

[43Ibid., p. 62. Trois catégories d’agent seulement disposent du pouvoir de création monétaire : la Banque centrale, le Trésor Public et les établissements de crédit. Lorsqu’il évoque le pouvoir de création monétaire des banques Dominique Strauss-Kahn fait référence à la monnaie scripturale créée par les banques et qui représente 85 % de la masse monétaire totale. Aujourd’hui, les banques ne prêtent pas des sommes préalablement déposées par leurs clients mais accordent des crédits en inscrivant à l’actif de leur bilan les créances qu’elles contractent avec leurs clients. Les banques créent également de la monnaie en achetant des actifs financiers et des devises.

[44En arrivant au pouvoir en France en 1981 après la rupture de l’Union de la Gauche en 1977 (pour mémoire le Programme commun avait été signé entre le Parti socialiste, le Parti communiste et le Mouvement radical de gauche en 1972), Mitterrand trouve une situation économique catastrophique. Le début de son mandat est marqué par des réformes favorables au monde du travail, mais très vite, au lieu d’affronter le capital et de mettre en œuvre une véritable politique de gauche, Mitterrand et son gouvernement font le choix de l’austérité.

[45Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché, La découverte, Paris, 2016, pp. 18-19.

[46“L’urgente nécessité d’un pôle financier public”, Ensemble plus forts, journal des syndiqués de la fédération des finances CGT, janvier 2009 – hors-série, pp. 8-11, et « Propositions de la CGT pour un pôle financier public », CGT Finances – CGT Fapt – CGT fédération banque assurance.

[47Ibid., p. 8.

[48Ibid., p. 10.

[49Ibid., pp. 10-11.

[50La publication de ce projet remonte à 2009, avant la faillite de Dexia survenue en 2011.

[51Ibid., p. 11

[52Ibid.

[53Ibid.

[54« Propositions de la CGT pour un pôle financier public », juin 2009, p. 2.

[55Ibid., p. 6.

[56Ibid., p. 7.

[57 Ibid.

[58« L’avenir du système bancaire », FSPBA CGT, avril 2015-juin 2017, p. 2.

[59Ibid., p. 19.

[60Le Livret A est un livret d’épargne défiscalisé dont la vocation est de protéger l’épargne des ménages et de contribuer au financement du logement social. Initialement proposé par les Caisses d’épargne, la Banque postale et le Crédit Mutuel, depuis le 1er janvier 2009 toutes les banques sont autorisées à le commercialiser. Mais, la philanthropie n’étant pas dans leur nature, les banques privées ont obtenu de ne consacrer au financement du logement social qu’une faible part de leur collecte.

[61Programme « L’humain d’abord », accessible par le lien : http://www.jean-luc-melenchon.fr/brochures/humain_dabord.pdf. Les citations qui suivent sont extraites de ce document.

[63Ibid., p. 5.

[64https://www.lepartidegauche.fr/system/documents/textes-pg-face-aux-banques.pdf. Les citations qui suivent sont extraites de ce document.

[65Mél de Guillaume Etievant du 12 avril 2012 en réponse à mon mél du 18 mars 2012.

[67L’avenir en commun, Paris, Seuil, 2016, p. 48.

[68Le Livret banques, p. 10. Yanis Varoufakis reconnaît également cette relation de cause à effet, qui implique qu’un État de l’Union européenne qui déciderait la nationalisation de ses banques doive s’émanciper de la BCE, lorsqu’il écrit à propos du cas grec : “Nationaliser les banques n’aurait eu de sens qu’en cas de Grexit”. (Yanis Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2017, p. 111)

[69 Ibid., p. 13.

[70Ibid., p. 15.

[71Édouard Glissant, La Cohée du Lamentin, Gallimard, Paris, 2006, p. 16.

[73Frédéric Lordon, La crise de trop. Reconstruction d’un monde failli, Paris, Fayard, 2012. Toutes les citations qui suivent sont tirées de l’article précité de l’auteur et du chapitre 3 de son livre, « Pour un système socialisé du crédit », pp. 121-151.

[74Ibid., p. 122.

[75 Ibid., p. 131

[76Ibid., p. 132.

[77Ibid., p. 134.

[78Ibid., p. 141.

[79Ibid., p. 143.

[80 Ibid., p. 143.

[81Ibid., pp. 143-144.

[82Ibid., p. 147.

[83 Ibid., p. 148.

[87Voir les textes du 5e congrès de Solidaires de juin 2011 (le point 4.1 de la Résolution 1) : https://www.solidaires.org/-Actes-

[88Le projet de Sud Solidaires BPCE est développé notamment dans le texte adopté lors de son congrès de 2012 : https://www.sudbpce.com/wp-content/uploads/2017/10/2012-projet-bancaire-alternatif-definitif.pdf et dans une plaquette de ce syndicat publiée en 2014 : https://www.sudbpce.com/wp
content/uploads/2014/12/PLAQUETTE-BANQUES-SUD-BPCE.pdf. Voir également mon article : Socialiser le système bancaire

[90On note une évolution du champ lexical par rapport à une précédente tribune publiée dans Libération du 3 octobre 2008, dans laquelle ses signataires (Dominique Plihon, Jacques Cossart et Jean-Marie Harribey, tous trois membres du Conseil scientifique d’Attac) préconisaient de « construire un pôle financier public » et des « nationalisations bancaires », et n’avaient pas utilisé le mot « socialisation ». (http://www.liberation.fr/futurs/2008/10/03/pour-un-pole-financier-public_111587.)

[91Geoffrey Geuens, La finance imaginaire. Anatomie du capitalisme : des « marchés financiers » à l’oligarchie, Aden, Bruxelles, 2011, pp. 136-137.

[92Jules Guesde, intervention au congrès de Saint-Quentin de la SFIO le 17 avril 1911, citation accessible par le lien : https://bataillesocialiste.wordpress.com/2012/04/12/la-nationalisation-par-rachat-des-chemins-de-fer-guesde-1911/.

[93Serge Berstein, in Les nationalisations de la Libération, pp. 180 et suivantes.

[94Projet de loi de 1945 relatif à la nationalisation de la Banque de France et des grandes banques et à l’organisation du crédit, p. 5 et 10, archives de la Banque de France, bordereau 1180200501, boîte 5.

[95Jules Moch, « Nationalisations avec indemnisations personnelles », Le Populaire, 1937, archives de la Banque de France (Bordereau 106 4199 101, boîte 1.

[96Antoine Prost, in Les nationalisations de la Libération, p. 90.

[97Annie Lacroix-Riz, in Les nationalisations de la Libération, p. 116.

[98Jean-François Gayraud, La grande fraude. Crime, subprime et crises financières, Odile Jacob, Paris, 2011, p. 21.

[99Cette citation est extraite d’un document d’archives conservé à la Banque de France (Bordereau 118 0200 501, boîte 5) intitulé « Proposition de résolution tendant à inviter le gouvernement à réaliser la socialisation du crédit ». Le texte ne comporte pas de date et porte en haut de la première page l’inscription manuscrite « Projet Socialiste ». Le texte signale que la citation est extraite d’un ouvrage d’un directeur d’une banque privée, mais ni le nom de ce dernier ni le titre du livre ne sont mentionnés.

[100Les résultats de cette enquête ainsi qu’une analyse ont été publiés dans la revue 60 millions de consommateurs (novembre 2017 – N° 531, pp. 14-19).

[101Ibid., pp. 14 et 17.

[102La Banque Postale est une société anonyme à conseil d’administration. La loi du 9 février 2010 dispose que le Groupe La Poste détient la totalité du capital et des droits de vote de la Banque Postale, à l’exception de 8 actions entre les mains des administrateurs (représentant moins de 0,01 % du capital). Le Groupe La Poste est de son côté détenu par l’État (73,68 %) et la Caisse des dépôts et consignations (26,32 %).

[103Le projet de loi de nationalisation des banques, qui a donné lieu à la première loi de nationalisation du 2 décembre 1945, a été préparé dans le plus grand secret. Claire Andrieu rappelle les conditions de son vote : « C’est en effet par peur d’un mouvement de panique « qui aurait même pu être organisé » (l’auteure cite le ministre des Finances, René Pleven) chez les déposants, que le gouvernement avait demandé à l’Assemblée d’adopter une « procédure exceptionnelle pour l’examen des projets de loi urgents, en remettant en vigueur un procédé qui avait été utilisé pendant la crise financière de 1926. Par crainte aussi de la spéculation boursière, le projet de loi fut déposé un vendredi soir après la fermeture de la Bourse et, avant même qu’il fut distribué et donc connu des députés, l’Assemblée vota la mise en application de la procédure exceptionnelle, de façon à terminer ses travaux avant la réouverture du marché le lundi suivant. Dans le même esprit, la loi votée fut transmise sur-le-champ au Journal officiel qui la publia dès le lendemain 3 décembre. » (Claire Andrieu, Les nationalisations de la Libération, p. 311).

Patrick Saurin

a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.

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