Pourquoi nous avons quitté nos fermes pour venir à Copenhague

13 décembre 2009 par Henry Saragih




Discours d’Henry Saragih, Coordinateur Général de la Via Campesina

Ouverture du Klimaforum, Copenhague, le 7 Décembre 2009

Ce soir est une soirée très spéciale pour nous qui nous sommes
réunis pour l’ouverture de l’assemblée des mouvements sociaux et
de la société civile, ici au Klimaforum. Nous, le mouvement
international de paysans La Via Campesina, venons à Copenhague
depuis les cinq coins du monde, après avoir quitté nos fermes, nos
animaux, nos forêts, et même nos familles dans les hameaux et les
villages pour nous joindre à vous tous.

Pourquoi est-ce si important pour nous de venir de si loin ? Il y
a un certain nombre de raisons à cela. D’abord, nous voulons vous
dire que ce changement climatique a déjà de sérieux impacts sur
nous. Cela cause des inondations, des sécheresses, et l’éruption
de maladies qui toutes causent des gros problèmes à nos récoltes.
Je tiens à souligner que les paysans ne sont pas à l’origine de
ces problèmes. Au contraire, ce sont les pollueurs à l’origine des
émissions qui détruisent les cycles naturels. C’est pourquoi nous,
les petits producteurs, nous sommes venus ici pour dire que nous
ne payerons pas pour leurs erreurs. Et nous demandons à ceux qui
sont à l’origine des émissions de faire face à leurs responsabilités.

Ensuite, je voudrais partager avec vous quelques données sur qui
sont vraiment les émetteurs de gaz à effet de serre dans
l’agriculture : une nouvelle donnée montre clairement que
l’agriculture industrialisée et le système alimentaire globalisé
sont responsables de 44 à 57% du total des émissions de gaz à
effet de serre. Ce chiffre peut être décomposé comme suit : les
activités agricoles sont responsables pour entre 11 et 15% ; le
nettoyage des terres et la déforestation pour 15 à 18%
supplémentaires ; l’industrie agroalimentaire, l’emballage etle
transport causent entre 15 et 20%, la décomposition de déchets
organiques causent 3 à 4%. Cela signifie que le système
alimentaire actuel est un gros pollueur.

La question à laquelle nous devons répondre maintenant est :
comment résolvons-nous le chaos climatique et la faim, et comment
garantissons-nous de meilleures conditions de vie aux paysans,
quand le secteur agricole lui-même est responsable pour plus de la
moitié des émissions ? Nous croyons que c’est le modèle
industrialisé d’agriculture et l’agri business qui sont à la base
du problème, car ces pourcentages que je viens de mentionner
proviennent de la déforestation et de la conversion de forêts
naturelles en plantations de monocultures, activités menées par
des corporations de l’agri business. Non par les paysans. De si
importantes émissions de méthane par l’agriculture sont aussile
fait de l’utilisation d’urée comme fertilisant pétrochimique par
le biais de la révolution verte, très promue par la Banque
mondiale. Parallèlement, la libéralisation commerciale de
l’agriculture promue par les accords de libre-échange (ALE), et
par l’Organisation Mondiale du Commerce OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
(OMC), contribue aux
émissions de gaz à effet de serre, en raison de l’industrie et du
transport agroalimentaires partout dans le monde.

Si nous voulons vraiment nous attaquer à la crise du changement
climatique, la seule solution est de stopper l’agriculture
industrielle. L’agribusiness n’a pas seulement contribué largement
à la crise du climat, elle a aussi massacré les paysans du monde.
Des millions de paysans et paysannes partout dans le monde, ont
été expulsés de leurs terres. Des millions d’autres subissent des
violences chaque année à causes de conflits fonciers en Afrique,
en Asie, en Amérique latine. Ce sont des paysans et paysannes et
des gens sans terre qui composent la majorité des plus d’1
milliard de personnes affamées dans le monde. Et à cause de la
libéralisation du commerce, de nombreux petits producteurs se
suicident en Asie du Sud. Par conséquent, en finir avec
l’agriculture commerciale est notre seule issue.

Les négociations actuelles autour du climat, qui se basent sur des
mécanismes de commerce du carbone, apporteront-elles des solutions
au changement climatique ? A cela nous répondons que les
mécanismes de commerce de carbone ne serviront que les entreprises
et pays pollueurs, et apporteront des désastres aux paysans et aux
peuples indigènes dans les pays en développement. Le mécanisme
REDD (Réduction des émissions liées à la déforestation età la
dégradation des forêts) a déjà expulsé de leurs terres de
nombreuses communautés indigènes et de petits producteurs dans les
pays en voie de développement. Et de plus en plus de terres
arables sont transformée en plantations d’arbres pour attirer les
crédits carbone.

Lors de la COP13 à Bali en 2007, Via Campesina a proposé la
solution des paysans sans terre et des petits producteurs au
changement climatique, qui est : « les paysans et paysannes
refroidissent la planète ». Ici à la COP15, nous venons une fois
encore avec cette proposition, en l’appuyant sur les chiffres qui
prouvent que cela pourrait réduire pour plus de moitié les
émissions mondiales des gaz à effet de serre. Ce chiffre provient
de : 1) la récupération des matières organiques dans le sol
réduirait les émissions de 20à 35%. 2) renverser la concentration
de la production de viande dans les élevages industriels et
réintégrer la production conjointe d’animaux et de récoltesles
réduirait de 5 à 9%. 3) Remettre les marchés locaux et les
aliments frais au centre du système alimentaire les réduirait
d’encore de 10 à 12%. 4) Mettre un terme au nettoyage de la terre
et la déforestation enlèverait encore 15 à 18% des émissions.
Rapidement, en retirant l’agriculture des mains des grosses
corporations de l’agribusiness et en la remettant entre celles des
petits producteurs, nous pouvons réduire de moitié les émissions
mondiales de gaz à effets de serre. C’est ce que nous proposons,
et nous appelons cela la « Souveraineté Alimentaire ».

Et pour parvenir à cela, nous avons besoin que les mouvements
sociaux travaillent ensemble et luttent ensemble pour mettre un
terme aux actuelles fausses solutions aujourd’hui sur la table des
négociations du climat. Ceci est indispensable, car sinon nous
devrons faire face à une tragédie encore plus grande au niveau
mondial. En tant que mouvements sociaux, nous devons mettre notre
propre agenda sur la table, car nous sommes les premières victimes
climatiques et les premiers réfugiés climatiques, par conséquent
la justice climatique est entre nos mains.

Au sommet de l’alimentation de la FAO en 1996, les gouvernements
se sont engagés à réduire la faim de moitié d’ici 2015. La réalité
est que le nombre de personnes souffrant de la faim a récemment
augmenté de manière dramatique. Nous ne voulons pas que la même
chose arrive avec les discussions sur le climat, et voir les
émissions augmenter encore d’avantage en dépit de ce que les
gouvernements négocient au sein de l’UNFCCC.

Nous invitons tous les mouvements présents à Copenhague à se rassembler pour mettre la justice climatique sur la table. La justice climatique ne sera atteinte que par le biais de la solidarité et de la justice sociale.

Copenhague, le 7 décembre 2009