Quand Bernie Sanders et son mouvement de masse deviennent « le pire cauchemar » de ceux qui gouvernent le monde...

6 février 2020 par Yorgos Mitralias


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Maintenant que même les plus sceptiques et incrédules, semblent commencer à prendre – enfin – conscience que Bernie Sanders est un candidat très sérieux à la présidence des États-Unis, il est plus que temps que l’on se penche un peu sur ce qui fait que le contenu de sa candidature soit inédit, historique et révolutionnaire, au sens propre du terme. En somme, sur ce qui fait que ses adversaires de tout bord, de Trump à l’establishment Démocrate et aux grands capitalistes qui gouvernent le monde, aient si peur de ce Bernie qui monte en flèche et fassent tout leur possible pour le “neutraliser”...



Alors, de quoi tout ce beau monde a-t-il peur ? La réponse n’est pas trop difficile : Il a surtout peur non pas du programme de Bernie Sanders mais de l’énorme mouvement populaire que ce même Bernie a lancé en novembre 2018 et qui est toujours en train de se construire ! Un mouvement populaire qui n’a pas de précédent dans l’histoire des États-Unis ni par ses dimensions ni par sa radicalité et la détermination de ses jeunes militants et militantes d’en découdre avec ce système et ses représentants politiques ! Comme l’a récemment si bien dit Noam Chomsky : “Encore plus menaçant que les propositions de Sanders de mener à bien des politiques du genre New Deal New Deal Nom donné aux mesures prises aux États-Unis par Roosevelt à partir de son élection en 1933 à la présidence pour faire face à la crise économique déclenchée en 1929.

Rappelons que dans le cadre du New Deal aux États-Unis et des politiques keynésiennes qui ont été étendues à l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale sous la pression d’importantes mobilisations populaires, les droits sociaux ont été nettement améliorés, une protection sociale importante a été mise en place, les banques d’affaires ont été séparées des banques de dépôts, le taux d’imposition des revenus les plus élevés a atteint 80 % aux États-Unis. On pourrait ajouter que les inégalités dans la répartition des revenus et du patrimoine ont été réduites. À cette époque, le Grand Capital avait été contraint de faire des concessions aux classes populaires qui s’étaient fortement mobilisées. Le gouvernement du président Roosevelt, qui voulait réformer le capitalisme pour le sauver et le consolider, avait dû affronter la Cour suprême qui avait essayé de faire abroger plusieurs de ses décisions. Roosevelt, pressé par la radicalisation à gauche des classes populaires, avait réussi à contrecarrer les décisions de la Cour suprême et avait imposé des mesures fortes, y compris en permettant aux syndicats de se renforcer dans les usines et aux travailleurs de recourir aux grèves pour obtenir des concessions des patrons.
, je crois que c’est qu’il inspire un mouvement populaire engagé résolument dans l’action politique et l’activisme direct afin de changer l’ordre social – un mouvement du peuple, surtout des jeunes, qui n’ont pas encore intériorisé les normes de la démocratie libérale : Que les gens sont des “étrangers ignorants et importuns” qui doivent être des “spectateurs, pas des participants agissants”, autorisés à pousser un levier chaque quatre ans mais à retourner juste après devant leur écran de télévision et leurs jeux vidéo tandis que les “gens responsables” s’occupent des choses sérieuses”
 [1].

Et force est de constater que la raison profonde de la peur ou même de la terreur qu’inspirent à ceux d’en haut ces millions de jeunes activistes, est qu’ils et elles transforment en force bien matérielle les idées dites “dangereuses”, et ce faisant, imposent un nouveau rapport de forces au niveau tant social que politique ! Ce qui a plusieurs conséquences dont celle d’assurer la continuité du mouvement populaire de masse et de rendre moins efficaces sinon inopérantes les politiques de répression ainsi que la propagande du pouvoir. Pourquoi ? Mais, parce qu’il suffit d’une balle pour éliminer une personne – comme par exemple Bernie Sanders – quand elle devient trop dangereuse, mais il faut bien plus pour battre et éliminer un mouvement populaire radical et de masse qui veut “changer la vie et le monde”…

Évidemment, loin de nous l’idée de sous-estimer l’importance (capitale) du programme de Bernie Sanders, car c’est ce programme – ainsi que son exemple personnel – qui ont inspiré et mobilisé ces millions de jeunes et de moins jeunes. En effet, les propositions, les positionnements et les revendications qui sont contenus dans ce programme couvrent tous les domaines de l’activité humaine, proposent des réponses et des solutions aux graves problèmes existentiels qu’affrontent tant la société nord-américaine que l’humanité, tout en faisant le pont entre la satisfaction des besoins immédiats de la grande majorité de la population et la vision d’un monde radicalement différent.

Alors, s’agit-il d’un programme “révolutionnaire” ou d’un ensemble de revendications et de mesures “bourgeoises” qui feraient de Bernie Sanders un politicien pratiquement “comme les autres” ? À première vue, aucune des mesures et politiques phares du programme de Bernie Sanders, comme par exemple l’“assurance santé pour tous”, l’“enseignement gratuit pour tous” ou même l’abolition des prisons privées et l’annulation totale de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
étudiante, ne peuvent être qualifiée de “révolutionnaire”. D’ailleurs, plusieurs d’entre elles sont – à juste titre – présentées par Bernie lui-même comme inspirées du précédent historique du New Deal rooseveltien dont il se revendique ouvertement. Mais, qu’est-ce qu’il y avait de « révolutionnaire » au mot d’ordre “Pain, Paix et Terre” des Bolcheviks qui a enflammé la population russe et permis qu’elle soit suffisamment motivée pour faire une révolution comme celle d’Octobre 1917 ? En somme, ce qui fait qu’une revendication devienne révolutionnaire ce n’est pas tant ses qualités intrinsèques mais plutôt la dynamique sociale et politique qu’elle libère et développe dans un contexte et un moment historique donnés. Et force est de constater que le programme de revendications transitoires de Bernie Sanders est actuellement en train de développer une telle dynamique subversive… [2]

La preuve ? Mais, elle est offerte par les réactions des uns et des autres. C’est-à-dire de ceux d’en bas et de ceux d’en haut qui l’interprètent, chaque camp à sa façon et selon ses intérêts, comme une claire incitation à la révolte contre le système et ses principales forces économiques et politiques. Pour ceux d’en bas (salariéEs, minorités, femmes, indigènes, migrants et victimes de toute oppression), ce programme est déjà devenu une source d’inspiration, une arme de combat et aussi un drapeau que l’on brandit haut et fort. Et en tant que tel il a déjà fait ses preuves avec un succès sans précédent. Mais, pour les autres, c’est-à-dire ceux d’en haut (Trump, l’establishment Démocrate, les grands médias et surtout les grands intérêts capitalistes) c’est tout simplement la pire des menaces existentielles ou plutôt « le pire cauchemar » comme aime le répéter publiquement Bernie lui-même.

Alors, il arrive ce qui devait arriver : Ceux d’en haut déclarent une guerre sans merci à Bernie et au mouvement populaire qui le soutient. C’est logique et cela ne pouvait pas être autrement du moment que Bernie et ses amiEs, les jeunes députées et sénatrices Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar, Rashida Tlaib et Pramila Jayapal en tête, osent attaquer nommément et publiquement les ennemis (capitalistes) dont ils promettent la fin prochaine. Et cette guerre est – déjà – impitoyable : tous les coups sont permis jour après jour [3], jusqu’à ce que Bernie soit définitivement « neutralisé » et son mouvement battu en brèche. Tous les coups, même les plus extrêmes et les plus répugnants et barbares car l’enjeu de cet affrontement de classe à mort est d’une taille plus qu’énorme et de dimensions historiques...


Notes

[1Interview à C.J. Polychroniou : https://truthout.org/articles/noam-chomsky-sanders-threatens-the-establishment-by-inspiring-popular-movements/

Cette interview de Noam Chomsky ainsi que des milliers de textes, vidéos et images de première main venant des États-Unis et concernant tout ce qui se passe au sommet mais surtout à la base de la société nord-américaine, sont postés heure après heure sur le Facebook « Europeans for Bernie’s Mass Movement » que nous avons lancé il y a 3,5 ans et que nous conseillons vivement aux lecteurs de gauche : https://www.facebook.com/EuropeansForBerniesMassMovement/

[2Il est pour le moins regrettable que les gauches européennes n’arrivent pas à comprendre que ce qui se passe aux États-Unis depuis 4 ans est d’une importance historique pour la gauche et le mouvement ouvrier du monde entier, et donc pour elles-mêmes aussi. Pourtant, elles auraient tout à gagner en tissant des liens et en développant des mouvements de solidarité active avec le mouvement radical de masse nord-américain, maintenant qu’il est à l’épicentre d’un affrontement de classe gigantesque et à l’issue tout à fait incertaine. Et tout ça indépendamment de leur devoir internationaliste tant négligé par les temps qui courent...

[3Une des dernières manifestations de cette guerre quotidienne contre Bernie a été la publication des résultats de la primaire emblématique de Iowa avec un retard de plus de 72 heures ! Ce qui a permis au jeune poulain de l’establishment et du grand capital, Pete Buttigieg, de se poser en triomphateur et à Joe Biden d’éviter de payer le prix de son résultat humiliant tandis que Bernie a été empêché de tirer avantage de sa victoire, ayant remporté très nettement le vote populaire. Le fait que la société Shadow, responsable de ce scandale, ait travaillé en 2016 pour le compte de Hillary Clinton, et qu’elle soit actuellement employée et payée par les campagnes de J. Biden et de P. Buttigieg, est évidemment une pure coïncidence...

Yorgos Mitralias

Journaliste, Giorgos Mitralias est l’un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l’appel de soutien à cette Commission.