29 juin 2018 par Bernard Duterme , Wahoub Fayoumi
(CC - Flickr - Jorge Mejía Peralta)
Un sujet de Wahoub Fayoumi (RTBF) avec Bernard Duterme (CETRI), sur La Première (RTBF, Bruxelles).
Les affrontements entre les forces de l’ordre et des manifestants au Nicaragua ont fait 210 morts depuis le 18 avril. Les dernières violences se poursuivaient lundi. L’alliance de l’opposition nicaraguayenne a accusé le gouvernement de Daniel Ortega de ne pas faire preuve d’« ouverture ou de volonté politique », notamment au sujet de la proposition visant à faire avancer les élections de 2021 à mars 2019. C’est ce qu’a déclaré lors d’une conférence de presse Daisy George, de l’Alliance civique pour la Justice et la Démocratie, une coalition de groupes d’opposition de la société civile.
Le représentant des évêques au Nicaragua se rend mardi au Vatican pour rendre compte au pape de la crise dans le pays. Et malgré ces affrontements, les manifestants continuent à descendre dans les rues. Certaines municipalités sont entre les mains des la population en colère, une colère qui grandit au fur et à mesure de l’augmentation de la répression.
Que se passe-t-il dans ce pays, qui semble au bord de l’implosion ? Nous avons posé la question à Bernard Duterme, directeur du Centre Tricontinental (CETRI) à Louvain-la-Neuve.
D’où vient cette contestation populaire au Nicaragua ?
Bernard Duterme : Elle vient de la rue nicaraguayenne qui a accumulé, ces dernières années, un certain nombre de frustrations et d’insatisfactions. Un élément déclencheur, mi avril, était donc ce projet de réforme des retraites. Ce projet abrogé depuis lors, mais aussi d’autres épisodes, ont fait exploser cette frustration, cette insatisfaction, et ont sorti les gens dans la rue. Et cela a un moment où on ne s’y attendait pas vraiment.
Ce qui a donné immédiatement de l’ampleur au mouvement, c’est la forte répression des premières manifestations. Il y a eu tout de suite quelques dizaines de victimes, des étudiants qui tombaient sous les balles de la police à la mi avril.
Et cette répression, très forte, presque indiscriminée, largement disproportionnée dans tous les cas, a jeté une grande partie de la population nicaraguayenne dans la rue. Les enquêtes disent aujourd’hui que plus de 70% des Nicaraguayens souhaiteraient le départ du pouvoir actuel.
Vous parlez du projet de réforme des retraites comme déclencheur des manifestations. Ce n’est donc que la partie immergée du problème ?
Bernard Duterme : Ces frustrations naissent du bilan économique politique social culturel de ces 12 dernières années d’ortéguisme, le pouvoir du président Ortega au Nicaragua.
Daniel Ortega revient au pouvoir en 2006. En 10 ans, de 2006 à 2016, il est parvenu à doubler l’économie du pays : il hérite d’un PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
de 6 milliards de dollars, et en 2016, ce PIB est à plus de 13 milliards de dollars.
Ortega bénéficie d’un contexte économique favorable, le prix des matières premières exportées par le Nicaragua, comme la viande, le café, le sucre, l’or... sont très élevés sur le marché international.
A ce contexte favorable, s’ajoute la solidarité vénézuélienne de Hugo Chavez (président vénézuelien de 1998 à 2013, ndlr) qui offre une aide pétrolière au Nicaragua, à hauteur d’un quart du budget national nicaraguayen chaque année pendant dix ans. Cela équivaut à 500 millions de dollars annuellement.
Et, troisième facteur tout à fait favorable à ce « miracle économique », comme l’a qualifié le Fonds monétaire international lui-même, c’est le climat positif des affaires avec les Etats-Unis, qui profitent des accords de libre-échange. Les Etats-Unis constituent de loin le principal partenaire commercial du Nicaragua d’Ortega.
L’économie croit à un rythme soutenu : 5% de croissance annuelle en moyenne. Le Nicaragua est le deuxième pays latino américain qui enregistre la plus forte croissance ces dernières années. Les investisseurs étrangers se précipitent dans le pays, les exportations ont décuplé, et l’ensemble a enrichi le pays.
Même si les chiffres sont contestés, Ortega serait parvenu à faire stagner le taux de pauvreté, qui tourne autour des 40% de la population nationale.
Mais parallèlement, on a assisté au Nicaragua pendant les mêmes années à une concentration sans précédent, à une reconcentration même, des terres, des richesses, des médias, du secteur financier et du secteur énergétique.
Aujourd’hui au Nicaragua, 300 familles possèdent l’équivalent de 3 fois le PIB du pays. Il y a dons une concentration des richesses au sein de l’élite, et une hausse des inégalités
Selon les chiffres de la banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. du Nicaragua, le secteur informel a lui aussi explosé. 60% de la population active y travaillait en 2009. En 2016, ils sont 80%, c’est à dire une toute grande majorité de la population hors de toute forme de sécurité sociale.
A cela s’ajoute que plus de 60% de la population n’a pas les moyens de s’offrir le panier des produits vitaux, la canasta basica.
Cette mauvaise redistribution du « miracle économique » qu’Ortega a bâti ces dernières années a engendré énormément de frustrations sociales, du ressentiment à l’égard d’un pouvoir, qui parallèlement a suivi lui-même un processus de concentration de plus en plus important du pouvoir : c’est le volet autocratique du régime.
Que fait l’opposition de cette contestation massive ?
Bernard Duterme : Il n’y a plus vraiment d ‘opposition partisane au Nicaragua. De l’aveu même d’un proche conseiller d’Ortega, la majorité des hommes politiques de droite au Nicaragua sont assis aujourd’hui à l’Assemblée nationale en tant que députés sandinistes, ou en tant que membres de petits partis satellites, apparentés ou proches de l’ortéguisme.
La stratégie de concentration du pouvoir qu’a développée Ortega et son épouse la vice présidente Rosario Murillo ces dernières années au Nicaragua, a permis de coopter, de neutraliser, d’acheter l’opposition, de l’« empêcher » de différentes façons. Aux dernières élections municipales l’année dernière, le Front sandiniste a remporté 95% des municipalités ! Et les quelques municipalités qui lui ont échappé ont été prises par des formations proches.
Le gouvernement Ortega s’affiche socialiste, progressiste, démocratique, surtout sur le plan international. Mais l’examen des politiques menées en révèle le caractère essentiellement néolibéral, conservateur et autocratique. En rupture avec les idéaux du Front sandiniste révolutionnaire des années 80, mais en parfaite continuité par contre avec les trois gouvernements néolibéraux qui ont précédé le retour d’Ortega en 2006.
Le coût du travail le moins cher en Amérique centrale c’est au Nicaragua qu’on le trouve, le coût de la terre le moins cher d’Amérique centrale c’est au Nicaragua qu’on le trouve... Le fait que les investissement étrangers au Nicaragua ait augmenté de 16% chaque années depuis 10 ans c’est le résultat de conditions favorables que le régime Ortega a offertes a ces investisseurs étrangers, en tirant vers le bas tous les freins sociaux fiscaux environnementaux à leurs investissements au Nicaragua.
Source : CETRI
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