Quels sont les enjeux du Forum Social Mondial 2021 par rapport à la situation internationale ?

18 janvier 2021 par Gustave Massiah


Introduction de la séance du 7 janvier 2021 organisée par le CRID et ATTAC pour la préparation du FSM de janvier 2021.



Les enjeux du Forum Social Mondial 2021 sont considérables. Dans une situation mondiale profondément contradictoire, il doit permettre de : redéfinir une proposition altermondialiste correspondant à la nouvelle situation ; comprendre les contradictions nouvelles du système mondial ; partir des mouvements pour résister, définir les alternatives, construire un nouveau projet d’émancipation.

  Prendre en compte une situation mondiale contradictoire

Le choc de la pandémie et du climat a accentué les ébranlements de la crise financière et politique de 2008 qui s’était traduite par une évolution austéritaire, combinant austérité et autoritarisme, du néolibéralisme. Les contradictions économiques et financières, sociales, écologiques, démocratiques, idéologiques et géopolitiques atteignent un niveau inconnu historiquement.

La situation est profondément contradictoire au niveau mondial et dans de nombreux pays, comme l’a encore illustré la situation chaotique des États-Unis. L’austéritarisme risque d’évoluer vers néolibéralisme dictatorial, avec des idéologies identitaires et sécuritaires, porté par des couches sociales que la peur du déclassement et l’insécurité font basculer vers les droites extrêmes en laissant des marges de manœuvre à des milices fascistes. Les nationalismes virulents sont à l’offensive, les régimes dictatoriaux se multiplient et plus d’un milliard de personnes vivent dans des régions en guerre. A l’inverse, des mouvements profonds démontrent des volontés de changement radical : le mouvement des femmes remet en question des rapports millénaires ; le mouvement de l’urgence climatique fait exploser les certitudes sur la conception du développement fondé sur la croissance productiviste ; le mouvement contre le racisme et les discriminations, à l’exemple de mouvements comme Black Lives Matters, les afro-féministes brésiliennes, les peuples autochtones, met en avant la décolonisation inachevée.

 Redéfinir une proposition altermondialiste

Nous sommes dans une période de rupture marquée par la perte de résilience, par la perte des capacités de résistance et d’adaptation, du système mondial. A des questions éminemment mondiales, le climat, la pandémie, les migrations, les guerres, la production, les réponses ont été nationales et étatiques, et du point de vue idéologique, les nationalismes sont à l’offensive. Le FSM 2021 prendra sa part dans ces recompositions et dans le renforcement des mobilisations internationales altermondialistes.

Les réseaux internationaux et continentaux de mouvements ont cherché à répondre à cette situation et à se renouveler. Des forums sociaux thématiques (économie sociale et solidaire, migrations, éducation, communs, …), régionaux (Amazonie, Maghreb, Afrique de l’Ouest, …)
et nationaux (Irak, Népal, Palestine, …) se recomposent.

Le premier objectif du FSM 2021 est de partir des réseaux internationaux de mouvements qui se recomposent pour réinventer une dimension internationale et mondiale, pour participer à la définition de la prochaine phase de l’altermondialisme par rapport à la crise de la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
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  Comprendre les contradictions nouvelles de la situation

Il s’agit de prendre en compte le nouveau système de contradictions qui définit les solutions possibles, les dangers et les opportunités.

Les contradictions économiques et sociales, et notamment les contradictions au sein du capital entre les GAFAM et les extractivistes, le précariat et la peur du déclassement accentuée par la pandémie, l’explosion des inégalités et des discriminations, la prise de conscience des nouveaux droits, la légitimité de l’action publique et des services publics, …

Les contradictions écologiques, et notamment le climat et la biodiversité, la prise de conscience de l’urgence climatique, la signification des délais et du temps fini, le sens de l’effondrement dans les crises de civilisation, …

Les contradictions politiques et notamment la défiance par rapport au politique, le refus de la corruption et de la fusion entre classe politique et classe financière, la défiance par rapport à la délégation et la démocratie représentative dans les formes démocratiques, la place spécifique et stratégique du genre, le racisme et les discriminations, le refus de l’insécurité et des violences policières, …

Les contradictions idéologiques et notamment la bataille contre l’hégémonie culturelle du néolibéralisme et du capitalisme, les libertés individuelles et collectives, les identités multiples, l’insécurité et l’instrumentalisation du terrorisme, les nationalismes, la redéfinition de l’universalisme, …

Les contradictions géopolitiques et notamment la multipolarité, la montée de l’Asie, les institutions internationales, la deuxième phase de la décolonisation après l’indépendance des États, les guerres, le nucléaire, …

La fin du néolibéralisme et notamment les possibles dépassements du capitalisme, les possibles modes de production inégalitaires, les nouvelles classes sociales, l’évolution des États, les transitions et les alternatives au capitalisme dans les transitions, …

 Partir des mouvements pour résister, définir les alternatives, construire un nouveau projet d’émancipation

La stratégie altermondialiste sera définie par les mouvements sociaux et citoyens à partir de la définition de leur stratégie. Une stratégie internationale commune se dégagera quand chacun des mouvements définira sa stratégie et la dimension internationale de cette stratégie.

Donnons un exemple de ce que signifie une stratégie pour un mouvement, prenons l’exemple du mouvement paysan. La Via Campesina, qui est le mouvement le plus nombreux aujourd’hui, s’est construit à partir de sa stratégie : l’agriculture paysanne contre l’agro-industrie, la sécurité alimentaire, l’agriculture biologique et le refus des OGM OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.


- Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.


- Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.


- Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
. Il a aussi défini ses alliances avec le mouvement syndical, avec les mouvements de femmes, avec les écologistes, avec les peuples autochtones.

Les principaux mouvements sociaux qui composent aujourd’hui le mouvement altermondialiste sont : le mouvement syndical des ouvriers et salariés ; le mouvement paysan ; le mouvement des femmes ; le mouvement écologiste et notamment le mouvement pour l’urgence climatique ; le mouvement des peuples autochtones ; le mouvement contre le racisme et les discriminations ; le mouvement des habitants.

Il faut y joindre les mouvements qui luttent pour les droits sur une base thématique : les mouvements pour la santé ; les mouvements pour l’éducation ; les mouvements pour l’économie sociale et solidaire ; les mouvements pour les communs ; le mouvement des médias libres ; les mouvements pour le municipalisme et le droit à la ville ; le mouvement science et démocratie ; le mouvement contre le nucléaire ; le mouvement contre les guerres ; …

Des Forums avaient aussi été organisés qui définissaient des alliances stratégiques : les forums des élus locaux, des parlementaires, des scientifiques, des magistrats, des avocats,

Signalons aussi les marches continentales et mondiales : la marche Jai Jagat qui était partie de New Delhi vers Genève et qui a été interrompue momentanément par la COVID en Arménie ; les marches des migrants ; les caravanes terre et eau en Afrique de l’Ouest, la marche des zapatistes vers les cinq continents.

Gustave Massiah
IPAM, 7 janvier 2021


Source : ESSF

Gustave Massiah

est une des personnalités centrales du mouvement altermondialiste. Ingénieur et économiste, né en 1938 au Caire, a présidé le CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement), galaxie d’associations d’aide au développement et de soutien aux luttes des pays du Sud, et a été vice-président d’Attac-France de 2003 à 2006.