Qui joue contre l’euro ?

13 décembre 2010 par Michel Husson




Qui se cache derrière cette expression passe-partout de « marchés financiers » ? Il serait intéressant de le savoir au moment où ceux-ci exercent une terrible pression sur les gouvernements européens à travers les conditions de financement de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique. C’est la question que deux économistes de banque ont cherché à éclairer à partir d’un travail de recoupement des sources, qu’ils qualifient eux-mêmes de « gageure » [1]. Cette note utilise leurs données qui proviennent d’Eurostat et du Joint External Debt Hub (JEDH) de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et qui témoignent soit dit en passant d’une grande opacité et d’une relative absence de cohérence.

Les données portent sur neuf pays européens pour l’année 2008. D’un côté, cinq pays non concernés (pour l’instant) par les attaques sur les dettes souveraines (Allemagne, France, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni) et, de l’autre, les fameux PIGS [2] (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne).

On ne sait rien des évolutions enregistrées depuis lors, mais on peut au moins compléter l’information par la progression des ratios dette publique/Pib PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
entre 2008 et 2009 (source : Commission européenne, base de données Ameco). Le premier constat (dernière ligne du tableau 1) est alors que la variation du ratio
dette/Pib a été particulièrement importante dans les PIGS (+51,1 pour l’Irlande) et moins marquée dans les cinq pays non-PIGS, à l’exception notable du Royaume-Uni (+41,4).

Les principaux enseignements des données du tableau 1 sont alors les suivantes. Rappelons que ces données portent sur 2008 et reflètent donc la situation prévalant avant la crise.

1) La part de la dette publique détenue par des non-résidents est très variable d’un pays à l’autre. Elle est quasi-totale au Portugal (98,7 %) et réduite au Royaume-Uni (34,7 %). Mais elle représente la majeure partie des dettes des cinq pays (61,6 %) et encore plus des PIGS (74,5 %). De ce point de vue, la France, avec 70,8 % de la dette détenue par des non-résidents, apparaît comme l’un des pays les plus dépendants.

2) Parmi les non-résidents, il faut distinguer les pays européens et les autres. Dans le premier cas, la gestion des dettes reste une question interne à l’Europe. La France et l’Allemagne se distinguent par une
proportion importante (42 %) de la dette détenue par des non-résidents hors Europe. Parmi ceux-ci les Etats-Unis et le Japon ne représentent que respectivement 7 % et 8 %, l’essentiel étant donc entre les mains
d’autres pays à excédent : probablement les pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». ou pétroliers. Dans tous les autres pays sous revue, la part des non-résidents hors Europe est nettement moins importante, puisqu’elle va de 13,7 % aux
Pays-Bas à 27,7 % au Portugal.

3) La particularité importante des PIGS est que leur dette est en grande partie détenue par des non-résidents européens. Cette proportion va de 47 % en Espagne à 73 % en Portugal. Mais cette dépendance à
l’égard de créanciers européens est encore plus forte si l’on ne considère que la seule dette détenue par les non-résidents. Prenons le cas de la Grèce : 78 % de sa dette était détenue par des non-résidents, dont 56 % par des non-résidents européens, ce qui donne une proportion de 71 % (56/78). Le tableau 2 suivant donne cette même proportion pour les PIGS : elle avoisine ou dépasse les trois quarts.

Ce constat confirme donc ce qu’écrit Jean Quatremer : « Les « marchés » qui déstabilisent l’Irlande, le Portugal ou la Grèce sont, la plupart du temps, des établissements financiers installés dans des Etats membres de l’union monétaire » [3]. Parmi ces pays, les cinq pour lesquels on dispose de données (Allemagne, France, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni) détiennent plus de la moitié des dettes non-résidentes des PIGS.

Compte tenu de ces informations, le sens politique de l’offensive des « marchés » est alors le suivant : la « patate chaude » des dettes privées a été dans un premier temps passée aux finances publiques ; il faut
maintenant qu’elle passe aux peuples européens, à travers des plans d’austérité drastiques [4].

Source : http://hussonet.free.fr/eurodebt.pdf


Notes

[1Sylvain Broyer et Costa Brunner, « Qui détient les dettes publiques européennes ? » Flash Economie n°124, Natixis, 24 mars 2010, http://gesd.free.fr/flas0124.pdf

[2Cet acronyme infâmant n’a été conservé que par commodité.

[3Jean Quatremer, « Dettes : la zone euro rongée de l’intérieur », Libération, 27 novembre 2010.

[4voir Michel Husson, « Un passif de trente ans », Regards, janvier 2010.

Michel Husson

statisticien et économiste français travaillant à l’Institut de recherches économiques et sociales, membre de la Commission d’audit pour la vérité sur la dette grecque depuis 2015.
http://hussonet.free.fr/fiscali.htm