30 août 2018 par Colette Braeckman , Bienvenu Matumo
(Crédit photo : Page facebook "LUCHA RDC")
Diplômé de la première promotion de l’ENA (Ecole nationale d’administration) à Kinshasa, Bienvenu Matumo, originaire de Goma est surtout un militant de la première heure du mouvement citoyen La Lucha, ce qui lui a valu d’être arrêté lors des premières manifestations contre l’éventualité d’un maintien au pouvoir du président Kabila. Invité au festival de cinéma de Douarnenez consacré aux deux Congo, en compagnie d’une autre militante Rebecca Kavugho, il a longuement décrit les combats menés par la jeunesse congolaise.
Bienvenu Matumo : Je suis originaire de Goma où le mouvement citoyen La Lucha existe depuis 2014. Lorsque je suis arrivé à Kinshasa j’ai constaté que la répression y était beaucoup plus forte, chacune des actions de la Lucha est surveillée de près par les services qui nous prennent très au sérieux. Cette vigilance freine un peu l’engagement des jeunes mais j’ai constaté depuis un an qu’inspirés par l’exemple de la Lucha, d’autres mouvements de jeunes citoyens apparaissaient dans la capitale. Notre objectif commun est d’imposer la bonne gouvernance.
Cela nous réjouit, et nous leur expliquons qu’eux aussi peuvent contribuer à un combat commun pour améliorer notre société. On met en place des passerelles entre tous ces mouvements, afin que nous puissions nous concerter.
Colette Braeckman : Dans quels milieux recrutez vous ?
BM
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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: Nous recrutons parmi de jeunes intellectuels, des étudiants ou des universitaires qui ont déjà un emploi, mais aussi parmi des jeunes qui ont un emploi précaire, ou pas de travail du tout. Certains jeunes préfèrent rester en dehors du mouvement car ils craignent d’être arrêtés ou de perdre leur emploi mais ils encouragent les autres et sont solidaires. Actuellement nous ne recrutons pas encore parmi les jeunes qui gagnent leur vie en étant motocyclistes ou creuseurs, mais nous avons l’intention de le faire, progressivement, car nous ne voulons pas que l’on nous reproche d’être élitistes. Actuellement ceux qui n’ont pas un niveau d’éducation élémentaire peuvent se sentir dépaysés dans nos réunions, ne pas comprendre nos motivations, c’est pourquoi nous avons demandé à chacune de nos sections que l’on s’efforce de parler aussi dans la langue locale, comme le lingala à Kinshasa.
A Kinshasa, on avait réprimé l’une de nos marches dans le quartier de Barumbu et toute la population a barré la route à la police pour nous protéger. Notre combat est accepté
On pourrait nous croire élitistes mais nous avons des réseaux d’alerte, des sympathisants dans les milieux populaires : c’est ainsi que lors des manifestations, les motocyclistes nous préviennent de l’arrivée de la police, ils nous encadrent et nous transportent gratuitement en signe de solidarité, pour nous éloigner de la répression. Les mamans commerçantes elles aussi sont solidaires. A Kinshasa, on avait réprimé l’une de nos marches dans le quartier de Barumbu et toute la population a barré la route à la police pour nous protéger. Notre combat est accepté.
CB : A Goma vous visez des objectifs concrets, comme l’accès à l’eau potable ou la construction de routes. Qu’en est-il à Kinshasa ?
BM : Dans la capitale nous avons lancé campagne « Kin propre » et elle a donné des résultats. Le gouverneur de la ville, pendant deux mois, a accepté d’assainir et il a envoyé des bennes pour ramasser les immondices. Chaque samedi à Kinshasa nous lançons le « salongo » (travail volontaire) avec l’autorité locale dans les communes. Nous voulons aussi influencer les politiques d’assainissement de la ville et rédigeons des memos en ce sens. Alors que j’étais en prison j’avais contribué à rédiger un tel memo et le gouverneur avait promis d’en tenir compte…Nous travaillons aussi sur la question de l’électricité dans la ville et nous avons été jusqu’à rencontrer le patron de l’électricité dans la ville, mais il a dit que c’est l’État qui ne payait pas ses factures. A propos de l’eau nous avons eu les mêmes réponses…
CB : A Kinshasa, vos actions semblent surtout politiques…
BM : Il est vrai que nos militants, à Kinshasa, veulent d’abord s’engager pour le départ de Kabila car le mouvement s’est implanté dans un contexte très politisé. Mais pour l’avenir nous voulons aller au-delà : le départ de Kabila représente un déblocage majeur et pour le moment, notre priorité c’est de mener des actions à caractère politique, pour obtenir l’alternance. Les membres de Lucha ont participé à toutes les grandes manifestations : le meeting de Felix Tshisekedi, les manifestations en faveur des prisonniers politiques.. Nous avons eu des réunions avec d’autres forces, nous avons marché depuis l’échangeur de Limete, au début tout le monde avait peur de la répression et nous, puisque nous étions déjà identifiés, nous avons décidé d’y aller, ce qui a donné une dynamique. Les autres ont suivi et les autres membres de l’opposition ont avancé…
Au début tout le monde avait peur de la répression et nous, puisque nous étions déjà identifiés, nous avons décidé d’y aller, ce qui a donné une dynamique. Les autres ont suivi et les autres membres de l’opposition ont avancé…
En novembre 2016, c’est nous qui avons lancé la campagne « bye bye Kabila », devenue tout simplement le mouvement « bye bye » qui rappelait à l’opinion que Kabila avait terminé son mandat. Nous voulions faire pression sur Kabila et cela alors même que les partis politiques discutaient avec lui. Nous, la nuit, on distribuait des tracts, on affrontait la police…Après l’accord de la Saint Sylvestre, (ndlr. Conclu entre le pouvoir et l’opposition et prévoyant des élections dans un délai de deux ans maximum…) on s’est dit qu’on avait fait ce qu’on pouvait, qu’on allait se retirer, souffler un peu pour définir d’autres stratégies. Par la suite nous avons rappelé la question du calendrier électoral, nous exigions qu’il soit publié mais devant la CENI, (Commission électorale) nous avons trouvé des milliers de policiers qui nous attendaient. Nous avons alors formé une délégation de 5 personnes et sommes allés discuter avec Corneille Nangaa, le président de la CENI. Il nous a même promis des élections en 2017. Nous voulions obtenir le calendrier électoral, pour savoir où on allait…
En avril mai, nos collègues de Goma réclamaient le calendrier, en juin nous l’exigions encore et nous avons été dispersés par l’ANR (les services de renseignement), certains manifestants ont été arrêtés. A Kinshasa, alors que le débat politique affectait les militants de toutes les organisations nous avons décidé d’activer le plan pour obtenir le départ de Kabila. Des réunions ont eu lieu à Bruxelles, des actions à Kinshasa, comme les marches des chrétiens ; ce sont les militants de Lucha qui distribuaient des tracts la nuit pour mobiliser et démontrer la gravité de la situation.
Le pouvoir avait adopté une stratégie de répression forte contre Lucha pour tenter de décourager les jeunes et les accuser d’être manipulés par les étrangers. Ils veulent réprimer sauvagement, plus fort que sur n’importe qui, pour décourager les jeunes de Kin de rejoindre Lucha.
CB : Pourquoi Lucha dérange-t-elle tellement ?
Ce type de résistance, alors même que nous sommes pauvres et venons de famille modeste, cela gène énormément
BM : Il faut savoir que les politiques congolais ne sont pas habitués à rendre des comptes. Ils veulent pouvoir piller, voler impunément, sont habitués à fonctionner dans une démarche autoritaire. Les hommes politiques de tout bord sont dérangés par Lucha qui exige la transparence, qui demande des comptes, qui refuse les propositions d’argent. Lucha n’a pas de leader avec qui on pourrait négocier, pas de bureau, tout cela déconcerte, dérange…Le discours des services de renseignements, c’est que Lucha est un mouvement créé par les néocolonialistes pour pouvoir chasser Kabila, ils croient cela, ce qui m’étonne tout de même…Moi je pense surtout que la classe politique congolaise, dans son ensemble, n’est pas habituée à des mouvements qui réclament surtout la bonne gouvernance, c’est quelque chose de nouveau surtout à Kin où on donne l’argent facilement. Si vous proposez de l’argent à un jeune de Lucha, il doit refuser. Il n’acceptera pas. Lorsqu’il était venu nous voir en prison, Kimbuta, le gouverneur de la ville voulait qu’on nous torture car nous avions refusé de prendre son argent.
Nous ayant trouvés assis par terre dans un cachot, il a tout de suite demandé si on avait mangé, si on avait bu. Sortant de sa poche 100 dollars il a ordonné qu’on aille chercher du coca pour ces enfants. Mais nous, nous avons répondu que nous préférions boire de l’eau pure et qu’il ferait mieux, avec cet argent, de mettre du carburant dans les camions chargés du ramassage des immondices. Il était fâché, étonné et, en guise de punition, voulait que, si nous étions libérés, nous abandonnions nos T-shirts portant les logos de Lucha. Ce que nous ne pouvions accepter car nous redoutions que plus tard on donne ces T-shirts à des shegues (enfants de la rue) qui auraient cassée ou pillé en nous faisant accuser. On nous a battus, nos polos ont été déchirés, mais c’était mieux ainsi : nous préférions être torturés, mais nous ne voulions pas céder ces polos…
Ce type de résistance, alors même que nous sommes pauvres et venons de famille modeste, cela gène énormément.
CB : Le fait que Kabila ne se représente pas est-il considéré comme une victoire par Lucha ?
BM : Certes, mais nous restons prudents. Nous prenons acte du renoncement du président à ne pas se représenter car la pression du peuple a eu raison, il n’a jamais voulu quitter mais c’est le peuple qui l’a obligé…Cela dit, son renoncement n’est pas nécessairement la garantie d’élections crédibles.
Désormais nous devons concentrer la mobilisation sur les préalables à de bonnes élections et dès le 3 septembre nous allons manifester contre la machine à voter. Il y a des préalables : le retrait de cette machine, la libération des prisonniers politiques, l’ouverture de l’espace politique, le retour d’hommes comme Katumbi…
Nous prenons acte du renoncement du président Kabila à ne pas se représenter car la pression du peuple a eu raison, [...] mais son renoncement n’est pas nécessairement la garantie d’élections crédibles
Nous restons inquiets : il n’est pas sûr que le gouvernement aura les moyens de financer à lui tout seul tout le processus électoral…Il faut qu’on nous donne un plan de décaissement des fonds et il importe aussi de rétablir la confiance envers la Cour constitutionnelle et la Commission électorale. Nous voulons aussi qu’il y ait une sécurité électorale dans tout le pays. Si ces exigences ne sont pas rencontrées d’ici novembre nous allons réactiver notre exigence d’une transition citoyenne. Ce que nous voulons, ce sont de bonnes élections et si nous avions exigé des élections sans Kabila c’est parce que nous doutions de sa bonne foi, de sa réelle volonté d’organiser ce scrutin.
Pour nous, l’idéal reste une transition citoyenne qui organiserait de bonnes élections en apaisant la situation, qui empêcherait que l’on utilise les moyens de l’État pour faire campagne…
Pour cela, il faudrait que s’efface tout le système Kabila mais jusque là on n’a pas réussi à l’imposer…La collaboration avec le Comité des laïcs chrétiens a été plus facile qu’avec les partis politiques comme l’UDPS, ce sont les militants de la Lucha qui ont organisé le mobilisation…Si on nous frappe, si on nous réprime si fort, c’est parce que le pouvoir tente d’enrayer la contagion…
Avec l’aimable autorisation de l’auteure
Source : Blog de Colette Braeckman
est une journaliste belge et auteure de plusieurs livres sur l’Afrique centrale.
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