Campagne internationale contre la dette illégitime
28 septembre 2008 par Myriam Bourgy
Du 9 au 15 septembre 2008, a eu lieu à Quito (Equateur) le Dialogue Sud/Nord des organisations qui travaillent la question de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. Après Dakar en 2000, La Havane en 2005, le Forum Social Mondial de Nairobi avait vu la concrétisation de ce Dialogue par la création de la « Campagne internationale contre la dette illégitime
Dette illégitime
C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.
Comment on détermine une dette illégitime ?
4 moyens d’analyse
* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
» [1]
. Au vu du contexte important sur la dette (audit de la dette en Equateur, documents sur la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
émanant de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et de la CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
, financement du développement, annulation d’une partie de la dette équatorienne par la Norvège...), il était nécessaire que les organisations du Nord et du Sud, membres de cette Campagne contre la dette illégitime, se rassemblent afin de construire une définition commune de la dette illégitime, d’élaborer des stratégies communes et de renforcer la campagne pour l’annulation de la dette illégitime.
Durant sept jours de travail intense, les principaux réseaux ‘dette’ s’attachèrent à renforcer leur collaboration [2]
. Un certain niveau de consensus a été atteint sans ignorer les divergences politiques entre les mouvements. C’est une étape importante dans la construction de la Campagne et d’actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
communes.
Vers des caractéristiques communes d’illégitimité
Les deux premiers jours furent consacrés à l’étude, d’une part, du concept d’illégitimité lui-même et d’autre part à son application. Le concept d’illégitimité est utilisé différemment selon les lieux, les organisations, les stratégies. Pour certaines organisations dont le CADTM, les cas spécifiques de dettes illégitimes mettent en valeur l’illégitimité de l’entièreté du système d’endettement comme moyen de domination des gouvernements du Nord sur les pays du Sud, pour d’autres non. Cependant tout le monde reconnaît qu’il est nécessaire d’intégrer les critiques du système dans notre travail contre la dette illégitime même s’il s’agit pour certains seulement des « failles » du système d’endettement. L’approche systémique de la dette reste bien différente selon les mouvements.
Concernant l’application du concept d’illégitimité, des positions communes se sont dégagées. Les impacts négatifs des prêts qui ont financé des projets (indirects ou directs) ont été déclarés comme fondements d’illégitimité sur base de la perspective des peuples ; les conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. contribuent à l’illégitimité des prêts. De plus, seuls les citoyens d’un pays peuvent décider si leur régime est ou non illégitime, les créanciers n’en ont en aucun cas le droit. L’illégitimité d’un régime est alors suffisante pour démontrer celle des prêts.
Financement responsable et/ou financement alternatif ?
Une dernière session d’étude a été menée sur la finance alternative et le financement responsable. Est-ce complémentaire ou incompatible ? L’ensemble des mouvements reconnaît qu’il est nécessaire de travailler pour une nouvelle architecture financière qui promeut des politiques de développement respectueuses des ressources naturelles et des hommes, mettant fin au transfert de ressources Sud/Nord, priorisant les besoins sociaux, les pratiques démocratiques et participatives... Mais certains l’expriment en termes de changement systémique des structures. C’est par exemple une priorité du CADTM tant pour la mise en place de la Banque du Sud, que pour d’autres banques régionales, la réforme des Nations unies, le remplacement de la Banque mondiale et du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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par des institutions démocratiques.
D’autres mouvements considèrent par contre la mise en place de prêts responsables comme une stratégie suffisante à moyen terme vers la construction d’une nouvelle architecture financière, pour lutter contre de nouvelles dettes illégitimes. Le système de prêts resterait le même mais les organismes créanciers amélioreraient les conditions du prêt selon certains standards ou principes plus éthiques. Le CADTM ne partage pas cette position qui, selon lui, ne fait que renforcer le système d’endettement et donc de domination, actuel. Une preuve en est que ce concept est utilisé par la majorité des institutions internationales dont la Banque mondiale qui cherche à s’humaniser pour cacher sa réelle inhumanité.
Pour des stratégies communes contre la dette illégitime
Les quatre grandes priorités décidées à Nairobi en janvier 2007 ont été réaffirmées par l’ensemble de la Campagne [3]
. A noter, en plus, la prise en compte de la dette interne dans les priorités. Un temps important de travail a été imparti à la mise en place de ces priorités notamment celle consistant à « contraindre les gouvernements du Nord et du Sud et les IFIs à reconnaître la dette illégitime et à prendre des actions ». En effet, le changement de nouveau rapporteur du Conseil des droits de l’Homme au sein de l’ONU, le processus de financement du développement, le document sur la dette odieuse de la Banque mondiale, les excuses officielles pour la colonisation de pays du Nord sont des moments clé pour impulser les thèmes de la dette illégitime, des réparations, restitutions au sein des agences de l’ONU, des gouvernements, des parlements tout en s’appuyant sur des cas spécifiques de dettes illégitimes.
Le renforcement des thèmes en lien avec la dette illégitime
Autre point important de la rencontre : la mise en place de stratégies sur les thèmes en lien avec la dette illégitime. Au vu du contexte actuel, les thèmes évoqués ont été la dette interne, les prêts Sud/Sud, la crise alimentaire, la crise financière, la dette écologique
Dette écologique
La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :
La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.
La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.
Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.
L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.
Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
et le changement climatique, la militarisation et la situation post-conflit, les migrations.
Certains mouvements développent déjà des analyses et des actions sur ces thèmes mais il est important au niveau international de pouvoir développer une stratégie commune. Malheureusement, le thème ‘migrations’ n’a pas suscité un grand enthousiasme malgré l’enjeu des politiques migratoires actuelles. Le CADTM continuera à travailler sur ce thème. Des groupes de travail ont été formés autour de ces sujets pour prolonger le travail à la suite de la réunion de Quito. Un des grands défis concernant ce travail est d’améliorer et d’intensifier notre collaboration avec les mouvements travaillant déjà spécifiquement sur ces thèmes afin d’insérer la dimension de la dette dans cette analyse et de réaliser des actions communes. Les groupes de travail devront privilégier les contacts avec les mouvements sociaux (la Marche mondiale des femmes, Via Campesina...), les organisations écologiques, les ONGs... travaillant sur ces thèmes.
La coordination de la Campagne internationale contre la dette illégitime
Le groupe de coordination (International Facilitation Team) [4] a été reconduit dans ses fonctions et aura pour tâche de mener à terme les priorités fixées lors de la rencontre de Quito. La question de la mise en place d’un permanent ou d’un secrétariat technique a été posée mais pas tranchée, le débat se poursuivra donc. Les moyens de communication et de coordination sont reconduits et seront améliorés [5]
. La semaine mondiale d’action contre la dette et les IFIs sera reconduite pour l’année 2009 tout en améliorant l’efficacité de cette action commune. Celle de 2008 se tient du 12 au 19 octobre.
Soutien à la commission d’audit équatorienne et au peuple haïtien
En organisant la réunion de la Campagne internationale contre la dette illégitime à Quito, les mouvements ‘dette’ voulaient rappeler leur soutien au processus d’audit de la dette qui se déroule en Equateur [6] et l’importance que des initiatives d’audit soient prises dans d’autres pays. Deux rencontres ont eu lieu avec certains membres de la Commission d’audit (CAIC) afin de mieux comprendre leur travail et d’échanger sur la mise en place du concept de dette illégitime. De plus, les participants ont voté une résolution de soutien aux populations d’Haïti, victimes du passage d’ouragans [7]. Les impacts actuels trouvent certes leurs fondements dans l’imprévisibilité d’une catastrophe naturelle mais aussi dans les politiques d’ajustement structurel imposées par les IFIs du fait de la dette. La lutte pour l’annulation de la dette continue...
Voir les photos de la Rencontre
[1] En campagne contre la dette, Le FSM de Nairobi (2007) : une étape importante dans la concrétisation des objectifs de La Havane, p 163, CADTM/Syllepse, 2008
[2] Jubilé USA, Jubilé Sud, CADTM, Eurodad, Afrodad, Latindadd...
[3] Voir www.illegitimatedebt.org
[4] Jubilé USA, Eurodad, CADTM (chacun une personne), Jubilé Sud (1 personne par région)
[5] Le bulletin bimestriel est reconduit du fait de son importante utilité. Le site internet www.illegitimatedebt.org sera amélioré afin de mieux coordonner le travail.
[6] Lire la Résolution de soutien à l’audit en Equateur sur http://www.cadtm.org/spip.php?article3723
[7] Lire la Résolution de soutien au peuple haitien (en anglais) sur http://www.cadtm.org/spip.php?article3699
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