Retour sur l’atelier “Audits citoyens de la dette : quels défis, quelles perspectives ?”

9 janvier 2017 par Najla Mulhondi


Jérémie Cravatte (Belgique) et Iolanda Fresnillo (Espagne)

Les mouvements d’audits citoyens ne datent pas d’hier. Ces expériences ont principalement été réalisées dans les pays du Sud… qui connaissent la « crise de la dette » depuis bien longtemps. Sous nos latitudes, et plus particulièrement en Europe, la dynamique d’audit est beaucoup plus récente à l’instar des dates de création des différents collectifs présents à cet atelier (CAC-France en 2011, PACD-Espagne en 2012 et ACiDe-Belgique en 2013). Ces plateformes sont nées en réaction aux cures d’austérité affectant la population européenne au nom du remboursement de la dette. L’émergence de ces collectifs d’audit à fait naitre un besoin de réseautage, c’est à ce besoin qu’essaye de répondre l’initiative « ICAN ».
Avec toutes ces expériences au Sud, et maintenant au Nord, on arrive à un constat ; la difficulté d’inclure la population dans des thématiques dites « techniques » (comme la gestion des finances publiques) qui sont généralement exclusivement réservées à « l’élite du pouvoir ». Outre la politisation, on remarque que sans pression populaire, la dynamique d’audit citoyen s’essouffle.



Présentations

En Espagne, la plateforme d’audit citoyen a effectivement été créée en 2012 mais son origine date d’un an plus tôt,… avec l’émergence du mouvement des indignéEs. La campagne « Qui doit à qui ? » avait déjà fait émerger des questionnements autour de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
espagnole par le passé.

Trois grands principes régissent l’audit citoyen espagnol :

  1. C’est un mouvement citoyen, il n’y a pas d’affiliation politique (la participation se fait à titre individuel).
  2. Le concept de « dette illégitime » est central et à la base du slogan « nous ne devons rien, nous ne paierons rien ».
  3. L’audit ne s’arrête pas à l’échelle nationale… que du contraire, il concerne les régions et les municipalités espagnoles également.

Il faut savoir que si la dette espagnole dépasse largement les 100% du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
 ; la dette de l’état central représente +- 65% de cette dette, la dette des administrations régionales 22% et celle des municipalités 13%.

Malgré la faible proportion que représentent les dettes des municipalités, il est apparu évident de débuter la démarche de l’audit citoyen au niveau des municipalités. Celles-ci étant plus proches du citoyen.

Les citoyens y vivent directement les répercussions des coupes budgétaires successives au nom de la réduction du déficit. La municipalité qui est chargée du service public de base ne satisfait plus ses concitoyenNEs qui n’ont déjà plus confiance en cette entité à la lumière des différents scandales de corruption. Rapports d’audit, formations, publications, films d’animations, badges, slogans,… appuient un mouvement d’indignation plus large.

Nous voyons l’audit comme un outil et non comme un but en soi. Un outil de transparence, d’éducation populaire et c’est pour cela qu’il doit être citoyen et permanent. Il ne faudrait pas réserver cet outil uniquement aux expertEs et militantEs ; chaque habitantE doit pouvoir avoir accès à la compréhension de cette dette, de ses impacts et de son origine. Une population bien informée à ce sujet est plus ouvert à collaborer lors d’actions de désobéissance civile. Mieux, une municipalité qui voudrait aller à l’encontre de certaines normes établies par l’UE ou l’état central doit pouvoir compter sur le soutien de ses habitantEs.

Pour conclure, l’audit citoyen n’est pas seulement un audit de la dette elle-même, mais plus largement celui de la gestion générale d’une entité. En Espagne, les collectifs ont d’abord commencé par auditer des infrastructures, des entreprises publiques,… localement proche de leur quotidien. Et ce avant même de s’occuper de l’aspect « dette » et de ses origines. L’audit est vraiment un outil de dialogue et de communication entre les citoyenNEs et leur municipalité. Les témoins des impacts néfastes doivent pouvoir s’impliquer dans cette démarche. Evidemment, il y aura toujours la nécessité de pouvoir avoir unE « expertE » de référence qui puissent aiguiller la réflexion dans certains domaines plus pointus mais l’audit citoyen doit être ouvert à touTEs, bien au-delà des mouvements sociaux. Pour ce faire, de nombreux exemples nous montrent que les audits sectoriels (ex : dans le cadre d’une mobilisation contre la privatisation du secteur de la santé) augmentent considérablement le taux de participation.

Iolanda Fresnillo, Pascal Franchet et Madeleine Ploumhans

En Espagne, comme dit plus haut, la démarche est née d’un mouvement beaucoup plus large alors qu’en France ou en Belgique c’est quasi l’inverse : de petits collectifs locaux tentent de mobiliser la population à une thématique pas forcément sexy de prime abord. Cela se ressent lorsqu’on voit le nombre de personne impliquées. De plus le lien que la population et les municipalités ont tissés entre eux ces dernières années n’est pas le même que les rapports vécus entre les citoyenNEs et les administrations françaises et belges.

C’est ce que nous expliquent nos trois prochainEs intervenantEs.

En réfléchissant sur comment porter la contestation et l’argumentation politique de la dette dans les pays du Nord (et plus particulièrement la France) et après une participation à l’unif d’été du CADTM, des individus se sont rassemblés en groupements locaux d’audit citoyen.

À la suite de la création de ces collectifs locaux un appel a été lancé en vue de réunir un maximum d’organisation.

En l’espace d’un an, plus de 115 collectifs locaux d’audit citoyen ont été créés. Au contraire du collectif d’audit à l’échelle nationale qui regroupe des représentantEs de grosses organisations, les collectifs locaux sont généralement composés d’individus (qui viennent à titre personnel).

En 2014 un rapport a été publié sur les principales causes de l’endettement national. Malheureusement, suite à certains blocages internes, ce rapport n’a pas osé prolonger la réflexion en concluant par la question de la légitimité de la dette. Par manque de conclusions politiques, ce rapport n’a pas pu alimenter une mobilisation populaire, ce qui a freiné la dynamique du collectif d’audit citoyen au niveau national. Par contre, au niveau des collectifs d’audit citoyen locaux, la question de la légitimité a rapidement surgi comme étant nécessaire.
Prenons l’exemple des dettes des collectivités locales qui soulèvent des questions concrètes pour le citoyen au sujet de la dette publique.

Comment expliquer la suppression de 22 000 emplois dans les hôpitaux, pourquoi le service incendie doit-il assumer des remboursements supérieurs à sa capacité budgétaire, comment un service de logements sociaux se retrouve à s’attarder plus à récupérer les montants de loyer plutôt que d’assurer le service à un maximum de la population,… .

Ont été lancées également des procédures juridiques dont certaines furent victorieuses. Par exemple, le département de Seine Saint Denis a réussi à faire annuler 97% d’une de ses dettes au motif qu’il n’était pas assez informé sur les prêts toxiques (prêts structurés complexes).
Une répercussion intéressante à noter, c’est que la dynamique de certains collectifs s’est développée en collectifs de soutien au peuple grec.


Belgique

Pour essayer de toucher la population liégeoise une brochure qui tentera de mettre en lumière « 15 choses que les liégeois doivent savoir » va être publiée. En partant de données concrètes le groupe d’audit espère mieux sensibiliser la population sur des questions qui la concerne tout particulièrement.

Différents textes ont été rédigé et publié, fruits de la recherche et de l’analyse du groupe :

  • L’origine de la dette liégeoise ; qui explique comment, depuis la fin de la seconde guerre mondiale à nos jours, Liège (comme Bruxelles et Anvers) a vu sa dette inlassablement s’accroitre.
  • La problématique des pensions ; d’une part il faut expliquer les raisons pour lesquelles les pensions sont difficiles à financer et d’autre part il faut pouvoir argumenter sur le droit fondamental que représente le droit à la pension.
  • Le CRAC (centre régional d’aide aux communes) ; L’étude de cet organisme permet de déclarer que les conseillés/ères qui ont été nomméEs pour un mandat ne sont plus maitres des décisions budgétaire de la commune mais bien des technicienNEs non éluEs.

Finalement lors de ces recherches, le groupe s’est rendu compte que seule la banque créancière (Belfius) maitrise réellement les éléments autour de la dette liégeoise et non l’administration communale elle-même (hormis peut-être le Directeur financier).


Points forts et points faibles de ces dynamiques d’audit

De nombreux points faibles ont été décrits par les intervenantEs : le non respect de l’accès à l’information par les autorités ; les niveaux supérieures (européen, national, régional) qui cadenassent l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
locale ; l’absence de mobilisation actuelle ; le départ de personnes actives qui s’engagent dans le travail au niveau des institutions ; la frilosité de certaines organisations à aborder la question de l’illégitimité ; le manque de ressources techniques ; l’absence d’audit citoyen dans la partie flamande de la Belgique ; etc.

Mais de nombreux points forts ont également été décrits par les intervenantEs : de nombreuses formations politiques se sont approprié la question et considère les plateformes d’audit comme une référence ; les citoyenNEs qui se forment dans ces plateformes deviennent des militantEs particulièrement aiguiséEs sur le fonctionnement de leurs collectivités ; permet une visibilité à d’autres questions comme la fiscalité ou les banques ; pousse les gens à se questionner sur le financement dans l’absolu (de la sécurité sociale, par exemple) ; et bien sûr la bonne ambiance qui transpire dans ces plateformes ; etc.


Conclusion

Deux sous-groupes ont ensuite conclu l’atelier sur les faits que :

  1. ces plateformes d’audit citoyen de la dette ont un très fort potentiel de mobilisation si elles relient leur travail à des luttes concrètes en cours (exemple : la dette de la SNCB, les CPAS, les casernes de pompiers, l’enseignement etc.).
  2. ces plateformes peuvent aider les localités à désobéir au remboursement de la dette illégitime, entre autres en se mettant en réseau.

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