version courte
8 janvier 2018 par CADTM Belgique , Jérémie Cravatte
En septembre dernier, L’Echo titrait « La facture provisoire du sauvetage des banques s’élève à un milliard d’euros » [1], sur base de calculs d’Eric Dor [2]. Il est nécessaire de compléter ce chiffre.
Une [bleu]version plus complète (et donc plus intéressante) de cet article est disponible.
Une version très condensée de cette analyse a été publiée par [bleu]le journal L’Echo.
Une interview a eu lieu dans l’émission « Le point de vue éco » de [bleu]la Première (RTBF).
Mise à jour (janvier 2018) : le bilan actuel s’élève non pas à 9 milliards d’euros, mais à 12 milliards d’euros. En effet, notre estimation basse du coût des intérêts doit être relevée de 3,5 à 7 milliards. Concernant la « divergence » avec Eric Dor, elle ne concerne pas les chiffres - que nous partageons - mais la manière de les présenter. Il inclut dans les « rentrées » (qu’il appelle d’ailleurs « gains ») le patrimoine correspondant aux actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
achetées par l’État (tandis que nous les incluons dans le bilan - régulièrement mis à jour - lorsqu’elles sont vendues). Le titre de l’article basé sur ses calculs (« La facture provisoire du sauvetage des banques s’élève à un milliard d’euros ») portait donc à confusion et peut donner l’impression que les caisses de la collectivité ont déjà reçu l’équivalent de ce qu’elles ont sorti (ce qui n’est pas le cas). Un des derniers exemples en date est celui d’un membre du MR qui - lors d’un débat avec une membre de la plateforme « Belfius est à nous » [3] sur La Première [4] - a déclaré : « Sur les opérations qui ont été faites avec les banques lors de la crise financière, l’État a gagné de l’argent. ». Ici ce n’est pas une manière différente de présenter les choses, c’est tout simplement faux. Mais pourquoi s’encombrer de la vérité lorsqu’on veut convaincre l’audimat ?
> Le solde est toujours négatif et il s’élève à plus de 5 milliards d’euros.
> Il augmente significativement si on prend en compte les coûts indirects.
> La collectivité risque de repasser à la caisse.
Fin 2008, il y a presque 10 ans, les plus grandes banques étaient au bord de la faillite et l’État a décidé d’intervenir de quatre manières différentes :
> Par l’achat d’actions (ou « injection de capital »). L’État est entré de ce fait dans l’actionnariat de banques privées (KBC) ou privatisées (Dexia et Fortis). Cela s’est majoritairement fait via la SFPI – la Société fédérale de participation et d’investissement – qui est un holding public, mais aussi par les Région wallonne, flamande et de Bruxelles-capitale.
SOLDE DES ACHATS D’ACTIONS = - 12 milliards d’euros |
> Par des prêts (ou « octrois de crédit »). Il s’agit d’apports de capital sous forme de prêts que l’État fait aux banques en difficulté, en attente d’être en principe remboursé, avec intérêts. C’est à ce niveau-là que le public a récupéré un peu plus que ce qu’il avait dépensé (surtout avec KBC).
SOLDE DES PRÊTS = 3 milliards d’euros |
> Par des garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). d’État. Il s’agit pour l’État de garantir aux créanciers d’une institution en difficulté (ses prêteurs) de les rembourser si celle-ci n’y arrive pas. Les institutions concernées versent des rétributions à l’État pour ce service rendu. Ces garanties ont été accordées à tous les mastodontes qui ont joui des autres méthodes de sauvetage, à savoir Dexia, Fortis et KBC. Depuis 2015, il n’y a plus que Dexia qui en bénéficie (garantie de 36,3 milliards toujours en cours).
SOLDE = 4 milliards d’euros |
> Par l’octroi de facilités de liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
. Il s’agit de prêts consentis par la Banque nationale de Belgique (BNB) aux banques privées. Ces liquidités sont qualifiées de lignes de crédit « d’urgence » car la Banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
ne peut en principe les octroyer à une banque que si celle-ci a déjà épuisé toutes les possibilités d’emprunt auprès de la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
– qui fournit déjà énormément de « facilités ». La BNB a ainsi prêté 54 milliards d’euros à Fortis le 3 octobre 2008 (Cour des comptes, 166e Cahier, 2009, Volume I, page 287). L’État garantit gratuitement, et de manière illimitée, ces liquidités. La BNB n’est pas obligée d’informer l’État des prêts qu’elle fait...
La collectivité n’avait pas d’argent dans les caisses pour financer ces sauvetages bancaires
La collectivité n’avait pas d’argent dans les caisses pour financer ces interventions (achats d’action et prêts). L’État a donc emprunté plusieurs dizaines de milliards d’euros aux... institutions financières.
L’article de l’Echo cité en introduction ne prend en compte que les interventions du niveau fédéral et n’inclut pas toutes les sorties et rentrées. Les voici :
Sources : Cahiers annuels de la Cour des comptes 2009-2017 ; articles de L’Echo (pour les rentrées concernant les Régions)
Le solde n’est donc pas de -1 milliard d’euros, mais bien de -5,5 milliards d’euros.
Le solde n’est donc pas de -1 milliard d’euros, mais bien de -5,5 milliards d’euros
Bien sûr, si Belfius est vendue en tout ou en partie, ainsi qu’Ethias ou les dernières parts que l’État détient dans BNP Paribas (7,44 %), le solde se rapprochera plus que certainement de zéro voire deviendra positif. Il ne faut cependant pas oublier le poids de la bad bank Bad bank Une bad bank est une structure créée pour isoler et recueillir les actifs à haut risque d’une banque en difficulté. Dexia, qui va rester là encore très longtemps, avec une garantie courant jusque 2031. Elle pourrait très bien avoir besoin d’être à nouveau recapitalisée.
Il ne faut pas non plus faire l’impasse sur les intérêts payés sur les emprunts effectués pour financer ces sauvetages. On ne peut en connaître le coût exact puisque les taux d’intérêts sont influencés par d’autres mécanismes (et que ceux portant sur ces emprunts spécifiques n’ont pas été isolés dans la comptabilité), mais voici les estimations de la Cour des comptes : 355 millions d’euros par an de moyenne entre 2008 et aujourd’hui (174e Cahier, 2017, page 237). En sachant que ce chiffre ne prend en compte que les emprunts pour achats d’actions (et pas pour les prêts), on peut avancer le chiffre de 3,5 milliards d’euros sur dix ans comme estimation basse. D’autant plus basse qu’on ne prend en compte que les interventions fédérales et qu’on n’inclut pas les intérêts payés par les Régions et Communes qui ont également mis la main à la poche. Si l’on ajoute ces 3,5 milliards d’euros, le solde actuel s’élève alors à au moins -9 milliards d’euros.
Si l’on ajoute l’estimation des intérêts payés, le solde actuel s’élève alors à au moins -9 milliards d’euros
De plus, et c’est de loin le plus important, cela n’a pas de sens de parler en montants absolus sans prendre en compte les conséquences concrètes de la crise provoquée par les banques. Les recettes fiscales ont diminué, les faillites se sont multipliées, la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
a explosé (de 87 % du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
avant la crise à 105 % aujourd’hui, soit de 300 à 450 milliards d’euros), le surendettement des ménages a augmenté, etc. Tout cela ne pourra jamais être remboursé et le coût réel dépasse largement tous les chiffres avancés. Au niveau du secteur lui-même, les banques sauvées par l’argent public ont détruit énormément d’emplois (ceux-ci sont passés de plus de 65.000 avant la crise à moins de 55.000 aujourd’hui) et ont fermé énormément d’agences (celles-ci sont passées de 8.000 avant la crise à 6.000 aujourd’hui) [5].
Tout cela ne pourra jamais être remboursé et le coût réel dépasse largement tous les chiffres avancés
Malgré l’importance de toutes ses interventions, l’État n’en a pas profité pour conditionner ces aides à un usage particulier. Au contraire, les entreprises et les ménages ont vu leurs conditions d’accès au crédit se resserrer et ont subi une baisse des taux garantis sur leur épargne ou assurances, etc. L’État n’en a pas profité non plus pour réformer sérieusement le secteur financier, ce qui augure de nouvelles crises...
L’État n’en a pas profité pour réformer sérieusement le secteur financier, ce qui augure de nouvelles crises
Plus ou moins 4/5e de la population est toujours cliente dans une des quatre plus grandes banques : BNP Paribas, ING [6], KBC et Belfius. Or, leurs activités n’ont pas été séparées (la loi belge de séparation bancaire est symbolique et le projet européen a été définitivement abandonné il y a deux mois) ; leurs fonds propres
Fonds propres
Capitaux apportés ou laissés par les associés à la disposition d’une entreprise. Une distinction doit être faite entre les fonds propres au sens strict appelés aussi capitaux propres (ou capital dur) et les fonds propres au sens élargi qui comprennent aussi des dettes subordonnées à durée illimitée.
n’ont pas été relevés suffisamment ; leur taille n’a pas assez diminué (leur bilan total est passé de 1.400 milliards d’euros avant la crise à 1.200 milliards d’euros aujourd’hui [7]) ; la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
a repris de plus belle (une nouvelle dérégulation est même en cours depuis plusieurs années) ; les fonds de garantie et de résolution impulsés par l’Europe pour intervenir en cas de problème sont totalement insuffisants ; etc.
L’épargne des citoyennes et citoyens est donc toujours en danger, ainsi que l’économie en général.
Le discours politique tente désormais d’utiliser le niveau élevé de la dette publique comme argument pour nous justifier la vente des dernières participations de l’État dans BNP Paribas et Belfius... alors que cela ne diminuerait que de quelques points cette dette qui a - précisément - explosé à cause du secteur financier privé.
Concernant Belfius, c’est se priver d’un outil qui a un portefeuille de 90 milliards d’euros de crédits répartis en trois tiers entre les administrations publiques, les entreprises et les ménages. Outil qui nous serait bien utile au moment où une nouvelle crise va éclater... La mission de la SFPI est d’ailleurs d’investir dans des entreprises pour « leur valeur sociétale intéressante » ou « présentant un intérêt stratégique ». On a plutôt l’impression qu’elle est utilisée pour boucher les trous et puis revendre quand la banque va beaucoup mieux...
Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour tirer les leçons de la crise
Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour tirer les leçons de la crise. C’est ce genre de dynamique que tente d’impulser la plateforme « Belfius est à nous » [8] : rassembler des personnes clientes ou employées de la banque, ainsi que des élu.e.s de villes et communes et des militant.e.s afin de commencer à prendre notre avenir en main.
Assemblée générale alternative de Belfius est à nous - 26 avril 2017
Merci à Christine Pagnoulle, Chiara Filoni et Alines Fares pour leurs relectures avisées
[1] Voir : https://www.lecho.be/dossier/10ansdecrise/La-facture-provisoire-du-sauvetage-des-banques-s-eleve-a-un-milliard-d-euros/9932755?ckc=1&ts=1513340374
[2] Eric Dor est directeur de recherches à l’IESEG School of Management (Lille et Paris) et professeur d’économie à l’UCL.
[3] Voir : www.belfiusestanous.be/
[4] Voir : https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_belfius-en-bourse-bonne-ou-mauvaise-nouvelle?id=9812822&utm
[5] Source : Febelfin.
[6] Ce sont les Pays-Bas qui se sont occupés du sauvetage public d’ING
[7] Source : Banque nationale de Belgique.
[8] Voir : http://belfiusestanous.be/
14 septembre, par CADTM Belgique
Sur la route des rencontres d’automne, demandez le programme !
[Rencontres d’automne | Samedi 30 septembre] Pour une lecture écoféministe des politiques de la Banque mondiale, avec Jules Falquet, Reine Fadonougbo Baimey et Virginie de Romanet13 septembre, par CADTM Belgique
2 août, par CADTM Belgique
23 juin, par CADTM Belgique
9 juin, par CADTM Belgique
6 mars, par CADTM Belgique , Thérèse Di Campo
2 décembre 2022, par CADTM Belgique
22 novembre 2022, par CADTM Belgique , Collectif
13 septembre 2022, par CADTM Belgique , Christine Vanden Daelen , Camille Bruneau
25 août 2022, par CADTM Belgique
30 septembre 2020, par Jérémie Cravatte , Chiara Filoni , Anouk Renaud , Noëmie Cravatte , Camille Bruneau , Mats Lucia Bayer
2 mai 2020, par Jérémie Cravatte
17 avril 2020, par Jérémie Cravatte
23 mars 2020, par Jérémie Cravatte
6 janvier 2020, par Jérémie Cravatte
26 juillet 2019, par Jérémie Cravatte
4 juin 2019, par Jérémie Cravatte , Gilles Grégoire , Louis Luxen
14 juin 2018, par Jérémie Cravatte
2 mars 2018, par Olivier Bonfond , Jérémie Cravatte
27 janvier 2018, par Jérémie Cravatte , Maxime Paquay