Six mois de politique de co-développement : la « rupture » appliquée au Tiers-Monde ?

30 janvier 2008 par Serge Vienne




« Je favoriserai le développement des pays pauvres, en cessant d’aider les gouvernements corrompus, en mettant en place une Union méditerranéenne avec les pays du Sud, en donnant la priorité à l’Afrique ». C’était au début de l’année 2007, une des « promesses » du candidat Sarkozy, apôtre de la rupture.

Une autre de ses promesses, vite réalisée, fut de créer un Ministère du Co-développement. Il l’a confié à Brice Hortefeux, également ministre de l’Immigration et de l’Identité Nationale. Tout est quasiment dit dans l’intitulé du ministère : les questions du développement des pays pauvres et de l’immigration sont désormais indissociables. Devant des ambassadeurs et des responsables de la coopération internationale, Brice Hortefeux déclare en juillet 2007 que « la politique d’aide au développement des pays sources d’immigration doit être pensée à la lumière de la question des flux migratoires ». « Je suis convaincu », précise-t-il « de la nécessité d’une approche très pragmatique de l’aide publique au développement. Parce que la maîtrise des flux migratoires doit être une priorité, je suis persuadé que nous devons privilégier les actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
sectorielles et géographiques qui permettent d’y répondre. Cela nécessite une réflexion sur la concentration des crédits de coopération ayant un impact direct sur les flux migratoires, comme c’est notamment le cas pour la coopération en matière de santé, d’état civil, d’aide au secteur productif et universitaire
 ».

Dans la discussion du budget 2008, le Ministre paraît fier d’annoncer devant le Sénat que son programme de co-développement va bénéficier d’une enveloppe de près de 90 millions d’euros et il précise les priorités qu’il s’est fixées- : première d’entre elles, « lancer des actions visant à améliorer l’accès au système bancaire et les transferts de fonds des migrants vers leurs pays d’origine » et juste ensuite, « poursuivre et donner un nouvel élan à la réinstallation économique des migrants dans leurs pays d’origine » : 700 « projets individuels » de retour vont être financés par l’Etat à hauteur de 7000 euros par projet.

Le Ministère du Co-développement ne semble pas considérer qu’il y ait un problème avec la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
 : son annulation n’apparaît jamais comme une priorité dans ses déclarations. Son message principal est qu’il faut subordonner désormais l’aide aux pays pauvres à leur adhésion à la « politique d’immigration choisie » voulue par le président. Les deux premiers pays d’Afrique à avoir signé des accords de co-développement et qui peuvent donc bénéficier des faveurs de la France sont, sans grande « rupture », le Gabon d’Omar Bongo et le Congo de Denis Sassou N’Guesso.

Dans son désormais célèbre discours du 26 juillet 2007 devant les étudiants de l’Université de Dakar, Nicolas Sarkozy n’a pas évoqué une seule fois la responsabilité actuelle des pays riches et des institutions internationales dans la situation dramatique de l’Afrique. Il a bien voulu admettre certains torts de la colonisation, tout en martelant qu’il était grand temps pour les Africains de tourner la page, mais les problèmes actuels de l‘Afrique c’est aux Africains qu’il les a imputés : « la réalité de l’Afrique, c’est celle d’un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit pas parce qu’il n’arrive pas à se libérer de ses mythes ». Et d’énumérer les entraves au développement- : « Jeunes d’Afrique, vous voulez le développement, vous voulez la croissance, vous voulez la hausse du niveau de vie. Mais le voulez-vous vraiment ? Voulez-vous que cesse l’arbitraire, la corruption, la violence ? Voulez-vous que la propriété soit respectée, que l’argent soit investi au lieu d’être détourné ? Voulez-vous que l’État se remette à faire son métier, qu’il soit allégé des bureaucraties qui l’étouffent, qu’il soit libéré du parasitisme, du clientélisme, que son autorité soit restaurée, qu’il domine les féodalités, qu’il domine les corporatismes ? Voulez-vous que partout règne l’État de droit qui permet à chacun de savoir raisonnablement ce qu’il peut attendre des autres ? » Semblant ignorer l’existence des PAS (Plans d’Ajustement Structurel) et les recommandations du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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privilégiant les cultures d’exportation nécessaires aux pays riches, il déclare tout de go : « Voulez-vous qu’il n’y ait plus de famine sur la terre africaine ? Voulez-vous que, sur la terre africaine, il n’y ait plus jamais un seul enfant qui meure de faim ? Alors cherchez l’autosuffisance alimentaire. Alors développez les cultures vivrières Vivrières Vivrières (cultures)

Cultures destinées à l’alimentation des populations locales (mil, manioc, sorgho, etc.), à l’opposé des cultures destinées à l’exportation (café, cacao, thé, arachide, sucre, bananes, etc.).
. L’Afrique a d’abord besoin de produire pour se nourrir
 ».

Le 12 décembre 2007, le MINEFE (Ministère de l’Economie et des Finances et de l’Emploi) faisait sur son site Internet le point sur la politique française d’aide au développement. On y trouve enfin une position claire de l’Etat français sur la dette du Tiers-Monde. Y est en effet déclaré un soutien inconditionnel au travail du Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, dont on rappelle en caractère gras, que la France en assure la Présidence et le Secrétariat Général. On y vante les mérites de l’initiative Pays Pauvres Très Endettés PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(PPTE), dont la France (toujours en caractères gras) est « le contributeur le plus important ». Cette politique aurait permis « de réduire de moitié en valeur actuelle nette » la dette de 22 pays pauvres à la fin de 2006- ; ces pays auraient pu réaliser « plus de 20 milliards de dépenses sociales en 2007 contre environ 5.8 milliards en 2000 ». La France procède en outre « à des annulations de dettes bilatérales additionnelles » notamment dans le cadre de « contrats de désendettement et de développement ou C2D ». Le principe en est que les PPTE continuent d’honorer leur dette, mais aussitôt le remboursement constaté, la France reverse au pays la somme correspondante pour l’affecter à des programmes de lutte contre la pauvreté sélectionnés d’un commun accord avec l’Etat partenaire (exemple- : appui au programme national de lutte contre le SIDA au Mozambique, l’un des 9 pays ayant conclu un C2D avec la France).

Or, depuis la mise en place de l’initative PPTE en 1996, la dette globale des pays du Sud a continué d’augmenter très régulièrement pour atteindre le record de 2850 milliards de dollars en 2006, les annulations de dettes des PPTE n’ayant porté que sur des « dettes en surplus ». Il s’agissait juste de rendre ces pays de nouveau solvables en abaissant leur dette à un niveau « soutenable » et ainsi, à l’instar du Libéria en novembre dernier, de leur permettre de recommencer à emprunter. Quant à l’augmentation des dépenses sociales, elle est très loin d’être suffisante pour couvrir les besoins vitaux des populations en matière d’alimentation, de santé ou d’éducation : 800 millions de personnes souffrent toujours de la faim dans les pays du Sud ; 115 millions d’enfants ne vont toujours pas à l’école et 1,1 milliard d’individus n’ont pas accès à un point d’eau aménagé.

Le texte du MINEFE ne manque pas, par ailleurs, d’égratigner d’autres pays, non membres du Club de Paris (les méchants sont donc hors de l’Europe !) qui ne font pas autant d’efforts que la France. C’est aussi ce qu’avait laissé entendre Nicolas Sarkozy au sommet du G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. , sur le thème « c’est pas moi, c’est les autres » quand on lui demandait pourquoi les engagements de Gleneagles n’avaient pas été tenus.
La lecture de ces déclarations officielles donne finalement l’impression d’une France très satisfaite d’elle-même, qui explique essentiellement les lenteurs du développement par le manque d’implication des peuples locaux, « le paysan africain... qui ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles » (discours de Sarkozy à Dakar) ou le migrant installé en France, qui n’investit pas suffisamment dans le développement de son pays d’origine. Et ce ne sont pas les contacts privilégiés maintenus avec des régimes comme ceux du Gabon ou du Congo qui peuvent entretenir l’espoir d’un véritable changement de cap…


Serge Vienne

CADTM France (Lille)