AVP Dette & Souveraineté alimentaire
10 janvier par Solange Koné , Maxime Perriot
Chaque vendredi pendant plusieurs mois, nous publierons un article qui se trouve dans le nouvel AVP « Dette et souveraineté alimentaire ». Au programme ce vendredi, une interview de Solange Koné par Maxime Perriot sur la situation de l’agriculture en Côte d’Ivoire, et son évolution au cours des dernières décennies.
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Solange Koné est une militante ivoirienne infatigable qui lutte sur une multitude de fronts. Elle fait partie d’« alerte foncier », un réseau qui se bat pour l’accès à la terre des petites agriculteurices. Solange Koné nous livre son analyse sur la situation de l’agriculture en Côte d’Ivoire.
Maxime Perriot : Quelle est la situation de la Côte d’Ivoire sur le plan alimentaire ? Sur le plan de la production agricole ?
La Côte d’Ivoire exporte la fève de cacao et importe ensuite le chocolat
Solangé Koné : Depuis le mandat du premier chef d’État, Félix Houphouët-Boigny (président de 1960 à 1993), le développement de la Côte d’Ivoire repose sur l’agriculture. Mais au fil du temps, les filières qui permettaient de nourrir la population, comme celle du riz (qui avait déjà été amené par les colons), ont été cassées. Le riz, qui était produit de façon excédentaire, a été abandonné depuis 1993. Cela a été fait pour positionner la Côte d’Ivoire comme première productrice mondiale sur des cultures d’exportation comme le cacao, le café ou le coton. Le gouvernement s’est fortement endetté pour construire de grosses infrastructures permettant d’exporter ces cultures. La Côte d’Ivoire est même devenue importatrice de riz asiatique.
Non seulement la Côte d’Ivoire exporte du cacao, mais elle ne se dote pas d’industries locales de transformation. C’est-à-dire qu’elle exporte la fève de cacao et qu’elle importe ensuite le chocoflat. Bien entendu, la matière brute rapporte bien moins en termes de ressources pour l’État que si elle était transformée dans le pays. Si c’était le cas, cela changerait les choses sur le plan de la souveraineté de la Côte d’Ivoire sur ses ressources.
On est passé d’une vision où la Côte d’Ivoire produisait pour nourrir sa population, à une vision exportatrice de cacao, de café, de coton, etc. On en a vu les conséquences lorsque l’agression de l’Ukraine par la Russie a commencé. À ce moment-là, on s’est bien rendu compte de la dépendance de l’Afrique aux céréales produites en Ukraine.
MP : Quelles étaient les cultures locales, familiales à la base ?
Si nous prenons les populations du nord de la Côte d’Ivoire, leur consommation est basée sur les céréales, comme le mil ou le maïs. Au lieu de promouvoir cette agriculture paysanne, on a promu la culture du coton, de l’anacarde, et d’autres cultures qui n’avaient rien à voir avec l’agriculture familiale.
MP : Quel impact ce changement de culture a-t-il eu sur les terres ?
Les filières qui permettaient de nourrir la population, comme celle du riz ont été cassées
Qui dit promotion des exportations, dit cultures intensives, avec des pesticides etc. Ce changement dans les cultures ivoiriennes a dégradé la terre aux endroits où les grandes productions d’exportation se trouvaient. Aujourd’hui, suite à la COP15 qui s’est tenue en Côte d’Ivoire en 2022 – et qui a recommandé de réhabiliter les sols abîmés par les pesticides – l’Union européenne a développé tout un discours sur la question. L’UE veut retracer le cacao pour s’assurer qu’il est produit dans des bonnes conditions. Nous, ici, les bonnes conditions, on ne les connaît pas…
Il faut aussi aborder la question de l’exploitation minière. De grande fosses sont creusées pour trouver les minerais. Cela détruit le sol, mais c’est également un danger pour l’environnement et l’accès à l’eau potable pour les communautés, avec tous les produits nocifs qui sont utilisés. Et ce, sans compter l’exploitation des personnes qui travaillent dans ces mines.
MP : Face à cette situation, y-a-t-il eu des mobilisations de la part de la population ?
Nos revendications sont simples : on a besoin de plus de terres
Oui ! Avec plusieurs personnes issues de la société civile, on a créé « Alerte foncier ». C’est un réseau qui travaille sur la question de l’accès à la terre, et sur celle de la production agricole. Ce réseau est né à la suite de la crise politique de 2002, où la question de l’accès à la terre était centrale. Nos revendications sont simples : on a besoin de plus de terres. Aujourd’hui, ces terres sont concentrées dans les mains de gros producteurs privilégiés, et notamment de producteurs extérieurs. Ces derniers viennent acquérir les terres pour pouvoir produire des grandes quantités de café, de cacao, qui leur permettent d’être compétitifs sur les marchés internationaux. Et ce aux dépends de la population locale et de la grande majorité des agriculteurs et des agricultrices, qui ont besoin de seulement 3, 4 ou 5 hectares.
MP : Quelles sont les actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
du réseau Alerte foncier ? Quelles sont les alternatives au modèle extractiviste d’aujourd’hui ?
Il faut qu’on lie les besoins aux cultures qu’on met en place. Le premier besoin, c’est se nourrir
Alerte Foncier réalise, chaque année, des analyses pour voir si la situation évolue, quels sont les défis pour le futur etc. Ces analyses – qui présentent des constats et des alternatives – sont réalisées sur la base de ce que nous disent les producteurs et les productrices. Le but est évidemment de mettre les petites agriculteurs et agricultrices au centre des décisions politiques. Nous voulons une politique agricole claire et populaire en Côte d’Ivoire.
Il faut revenir à une utilisation rationnelle de la terre. Cela signifie qu’il faut qu’on lie les besoins aux cultures qu’on met en place. Le premier besoin, c’est se nourrir. Il faut mettre en avant les producteurs et productrices qui nourrissent directement la population. Il faut stopper l’accaparement des terres des petites paysannes qui produisent pour manger et nourrir les gens autour d’eux/elles. Il faut aussi que la terre ne soit pas utilisée sans la respecter. Il faut des règles qui définissent qui a le droit et qui n’a pas le droit de s’installer et de s’accaparer les terres. Il y a une loi qui a été adoptée en ce sens en 1996 mais qui n’a jamais été appliquée. Nous militons donc pour qu’elle soit respectée.
Pour nous, il faut montrer aux communautés qu’elles ont leur mot à dire. Si quelqu’un veut s’installer autour de leurs terres, et qu’elles ne sont pas d’accord, elles ont le droit de le dire. On travaille ensemble dans ce sens-là.
MP : Y-a-t-il un espoir de changement avec le gouvernement actuel ?
À l’échelle de la sous-région, les pays se font concurrence et appliquent le modèle néolibéral, plutôt que de s’unir pour y faire face
Non. Le gouvernement actuel est un gouvernement libéral, qui vend les terres ivoiriennes au plus offrant. Ce gouvernement n’investit que 6 % du budget de l’État dans la santé…
C’est la même chose à l’échelle de la sous-région, où les pays se font concurrence et appliquent le modèle néolibéral, plutôt que de s’unir pour y faire face. Par exemple, la Côte d’Ivoire et le Ghana exportent à peu près les mêmes matières premières. Ils se font concurrence et continuent d’exporter des produits non transformés au lieu de s’unir pour construire ensemble des moyens de transformer les produits extraits. Cela leur permettrait d’acquérir une souveraineté et des ressources plus importantes.
Forum sur les stratégies économiques et sociales de Côte d’Ivoire, membre du CADTM et membre de la Marche mondiale des femmes et d’autres mouvements sociaux. Solange Koné est également fondatrice de la Fédération nationale des organisations de santé de Côte d’Ivoire.
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