On comprend mieux aujourd’hui ce qu’il faudrait faire pour débloquer la situation : monétiser les déficits publics. Cela veut dire en pratique que la Banque Centrale Européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
, ou les banques centrales de chaque pays, doivent pouvoir acheter les titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
émis par les Etats pour financer le déficit budgétaire. C’est en effet le seul moyen pour les Etats de se passer des marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
qui leur demandent des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
extravagants.
L’objection est connue : ce n’est pas possible, parce que les traités en vigueur l’interdisent. Il faudrait plutôt « rassurer » les marchés en leur montrant la volonté d’appliquer une austérité forcenée. Mais c’est une
impasse, comme le montre l’exemple grec. Depuis au moins deux ans, les gouvernements successifs mettent en œuvre des politiques d’austérité destructrices et inefficaces. Au début de la crise, la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
grecque représentait 120 % du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
. Aujourd’hui, elle est montée à 160%. Si vraiment l’objectif était de faire baisser ce ratio, on voit qu’il ne pouvait être atteint par des mesures qui ont réduit les recettes budgétaires plus vite qu’elles n’ont coupé les dépenses.
La BCE refuse de financer les Etats mais, en décembre dernier, elle a fourni aux banques 489 milliards d’euros sous forme de prêts à trois ans à un taux d’intérêt de 1 % soit un taux réel négatif compte tenu de l’inflation
Inflation
Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison.
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Avec ces liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
, les banques pourront plus facilement financer les déficits publics, mais à des taux bien plus élevés, qui vont de 3 à 6 % pour la plupart des pays. Ce mécanisme fonctionne d’ailleurs depuis le début de la crise et illustre l’absurdité de la situation. Il est clair que toute dette acquise dans ces conditions est illégitime puisque la BCE pourrait prêter directement aux Etats, comme le fait la banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. La discussion technique sur le moyen de parvenir à ce résultat tout en feignant de respecter le Traité est au fond secondaire, et la vraie question est ailleurs : pourquoi une telle obstination à poursuivre une politique manifestement catastrophique ?
La réponse est complexe : il y a la soumission des gouvernements à la finance et le refus de la moindre rupture. Mais il y a aussi une volonté politique de plus en plus affichée de profiter de la crise pour administrer une thérapie de choc et réaliser les « réformes » que de sourdes résistances sociales avaient empêché de mener
jusqu’au bout. On voit mal, par exemple, en quoi une plus grande flexibilité du marché du travail en Espagne, ou la baisse du salaire minimum que la « troïka » vient d’exiger de la Grèce, pourraient contribuer à résorber les déficits budgétaires. La finance impose la défense de ses intérêts aux gouvernements, quand elle n’y place pas
directement ses chargés d’affaires. Les multinationales font quant à elles un calcul périlleux : ce qu’elles perdront avec la récession
Récession
Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs.
en Europe, elles le rattraperaient sur les autres marchés grâce à un surcroît de compétitivité.
Face à cette fuite en avant, l’idée que la sortie de l’euro pourrait permettre de récupérer la souveraineté perdue est une illusion. Revenir à son ancienne monnaie - le franc ou la drachme - ne permet en rien de desserrer l’emprise des marchés financiers. Au contraire, la dette auprès des non-résidents serait augmentée à proportion de la dévaluation
Dévaluation
Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres.
, et la « nouvelle » monnaie serait exposée sans protection à la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
. Encore une fois, la seule mesure immédiate, qu’il faut prendre unilatéralement tout en proposant son extension, est de financer le déficit autrement que par les émissions sur les marchés financiers. Elle ne résout pas tout. Deux mesures plus radicales sont nécessaires, d’abord la socialisation des banques, parce que c’est le seul moyen d’apurer une bonne fois pour toutes l’accumulation des dettes entremêlées que les citoyens n’ont aucune raison d’endosser. Un audit citoyen doit ensuite identifier la dette illégitime et définir les modalités de son annulation, combinée avec une réforme revenant sur les cadeaux fiscaux cumulés de puis de longues années.
La perspective générale doit être celle d’une refondation de la construction européenne. Cela suppose de renoncer à la « préférence pour la finance » pour donner à l’Europe les moyens de sa cohésion, à travers l’élargissement du budget européen, l’harmonisation (vers le haut) de la fiscalité sur le capital et la mise en œuvre d’investissements socialement utiles et écologiquement soutenables.
statisticien et économiste français travaillant à l’Institut de recherches économiques et sociales, membre de la Commission d’audit pour la vérité sur la dette grecque depuis 2015.
http://hussonet.free.fr/fiscali.htm
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