2 mars 2020 par Nathan Legrand
Manifestation contre la microfinance le 27 février 2020 à Colombo (Sri Lanka)
Au Sri Lanka, la question de l’endettement privé, notamment via le microcrédit, constitue un problème majeur affectant négativement les emprunteuses, emprunteurs et leurs familles, mais aussi la société dans son ensemble [1]. L’emprise de la microfinance y est telle qu’il fait peu de doute qu’un fort mouvement de résistance à ce modèle pourrait contribuer à l’émergence d’une majorité sociale favorable à un type de société anticapitaliste, aux côtés des mouvements de lutte sur les questions de l’emploi précaire, des bas salaires, et des questions rurales. En effet, les communautés paysannes et pêcheuses sont confrontées à d’immenses difficultés du fait d’un mode de production qui vise la compétitivité sur le marché international et, en exploitant sans limite la nature, détruit leurs moyens d’existence.
L’échec du modèle économique néolibéral pousse le Sri Lanka dans une spirale d’endettement public auprès des créanciers multilatéraux et bilatéraux, et pousse les ménages eux-mêmes à s’endetter pour chercher à compenser leurs faibles revenus. Comme dans de nombreuses autres économies dites dépendantes, la microfinance a trouvé au Sri Lanka un terrain propice pour se développer et accumuler d’importants profits sur le dos de populations pauvres, les poussant dans un piège de la dette et aggravant plus encore leurs conditions d’existence.
Au Sri Lanka, la libéralisation de l’économie a commencé dès 1978. Celle-ci s’est caractérisée, entre autres, par la suppression de la garantie des prix minimums pour les produits agricoles, ainsi que par la suppression des subventions sur les engrais nécessaires à la production agricole. Alors que les politiques de développement par substitution aux importations avaient permis un essor de la production agricole dans les années 1960 et 1970, la conséquence directe des politiques néolibérales a été un appauvrissement des populations rurales. Celles-ci ont ainsi été poussées à se tourner vers des mécanismes de crédit, et notamment ceux du secteur privé qui, eux, disposaient alors d’un terrain fertile pour se développer. À partir de la fin des années 1990, ces transformations ont favorisé l’émergence de la microfinance telle qu’on la connaît aujourd’hui au Sri Lanka.
La guerre civile qui s’est ouverte entre les factions armées tamoules luttant pour le droit à l’autodétermination et le gouvernement dominé par la communauté majoritaire cinghalaise bouddhiste ralentit l’économie à partir de 1983, a affecté durement le pays jusqu’à l’écrasement sanglant des dernières poches de résistance des Tigres Tamouls en 2009. Le Nord et l’Est du pays, dont les populations sont majoritairement tamoules, ont été les plus touchées. Le bilan est estimé à 100 000 morts, 800 000 personnes déplacées de force au plus fort du conflit, et des régions entièrement détruites. Les sommes allouées par le gouvernement aux populations civiles pour reconstruire leurs logements et leurs moyens d’existence après la guerre ont été trop faibles. Les institutions privées de microfinance, dont l’activité a été très limitée dans les provinces Nord et Est durant le conflit armé, n’ont pas laissé passer l’occasion : à partir de 2009, elles ont profité de la détresse des populations, et en particulier de la multitude de femmes veuves cheffes de foyer, pour s’installer et multiplier les prêts dans ces zones dévastées. Les conséquences ne se sont pas faites attendre : le Nord et l’Est du Sri Lanka sont aujourd’hui en proie à des phénomènes massifs de surendettement et à une crise de l’économie rurale [2].
De même, les entreprises de microfinance ont profité de la catastrophe qu’a constitué le tsunami de 2004 (le Sri Lanka a été le deuxième pays le plus touché après l’Indonésie, avec plus de 35 000 morts et plus de 500 000 personnes déplacées) pour se développer dans le pays en se présentant comme des acteurs indispensables à la reconstruction. C’est de cette manière que BRAC, la principale agence privée de microcrédit au Bangladesh (qui se présente comme une ONG d’aide au développement), est entrée sur le marché sri lankais. En 2016, après son acquisition par LOLC (la principale entreprise de microfinance au Sri Lanka) en 2014, BRAC Lanka se vantait d’avoir touché en moins de dix ans une clientèle de pas moins de 200 000 débitrices (toutes les emprunteuses étant des femmes) [3], tandis qu’en 2012 elle estimait avoir eu un impact (présumé positif) sur la vie de 527 000 Sri Lankais·es, emprunteuses ou non [4].
Loin de constituer une issue à la pauvreté, le microcrédit se transforme dans l’écrasante majorité des cas en piège de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
pour les débitrices et les débiteurs. Alors qu’ils sont présentés comme des crédits permettant de lancer de petites activités entrepreneuriales « génératrices de revenus », les prêts, qui visent les populations les plus vulnérables (et très majoritairement des femmes), sont en réalité souvent contractés par des personnes en détresse qui les utilisent comme de maigres prêts à la consommation dans le simple but de survivre. Même s’ils étaient utilisés dans le but de créer des activités rémunératrices, les conditions attachées aux prêts condamnent dès le départ celles et ceux qui les contractent : les taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
sont exorbitants (les taux annoncés par les agences peuvent commencer autour de 20 %, mais les taux réels annualisés peuvent être de l’ordre de 60 % et plus encore – un reportage d’avril 2018 révélait un taux existant de 220 % [5]), les échéances sont à court terme (le remboursement commence dès le premier mois, voire dès la première semaine) et les pénalités de retard sont lourdes. En conséquence, les victimes de ces pratiques sont souvent poussées dans une spirale de surendettement puisqu’elles contractent de nouveaux prêts afin de rembourser les anciens, soit auprès d’autres agences de microcrédit, soit auprès d’usuriers informels locaux.
Ce surendettement maintient – ou aggrave – la situation de vulnérabilité des emprunteuses et emprunteurs. Il entrave le droit à une vie décente et est lourd de conséquences sur le plan des liens sociaux, disloquant des familles et des solidarités locales, poussant des emprunteuses et emprunteurs au suicide ou à la fuite afin de tenter d’échapper aux créanciers et à la honte ressentie devant leurs proches. Les créanciers sont implacables et harcèlent leurs victimes, en particulier les femmes : intimidations, violences verbales et physiques, y compris sexuelles, sont courantes. Afin d’obtenir les moyens nécessaires au remboursement, des ménages peuvent se priver de nourriture ou retirer leurs enfants de l’école afin qu’ils travaillent et contribuent aux rentrées d’argent. Des femmes sont contraintes à se prostituer. Des cas de ventes d’organes ont été rapportés.
Enfin, le surendettement contribue au phénomène des migrations forcées massives de travailleuses et travailleurs (dont les envois de fonds constituent la principale source de revenus en devises étrangères pour le Sri Lanka), en particulier vers les pays du Golfe, vers la Corée du Sud et vers la Malaisie. Cette force de travail migrante est souvent surexploitée. C’est notamment le cas dans la péninsule arabique, où les passeports des travailleuses et travailleurs sont généralement confisqués à l’arrivée et durant l’entièreté de la période de travail, les salaires peuvent rester plusieurs mois impayés ou diminués illégalement, et où de nombreuses femmes travaillant comme domestiques sont agressées sexuellement et violées par leurs employeurs. Le cas de Rizana Nafeek a tragiquement illustré l’arbitraire auquel peuvent être soumis·es les travailleuses et travailleurs étrangers dans le régime ultraréactionnaire saoudien. Cette jeune femme sri lankaise arrivée en Arabie saoudite en 2005 a été condamnée à mort et exécutée après le décès du nourrisson de ses employeurs qui était alors sous sa garde. Elle était mineure d’âge et sa date de naissance avait été falsifiée afin d’être légalement autorisée à travailler à l’étranger afin d’aider sa famille à survivre alors que la guerre civile faisait rage au Sri Lanka.
Les victimes de la microfinance sont ainsi soumises à une terrible surexploitation, caractérisée non seulement par les conditions de travail de celles et ceux qui sont contraint·e·s de migrer pour travailler, mais aussi par les privations (de repos, de nourriture, de soins de santé, etc.), par le travail des enfants, par le travail sexuel forcé, par l’hypothèque des quelques biens possédés, ou encore par l’état de détresse psychologique lié à l’incertitude permanente sur l’avenir à court terme.
S’il y a une surexploitation, c’est qu’il y a une accumulation « primitive » de capital, criminelle et sans limite, de l’autre côté de la chaîne de ce champ relativement récent qu’est la microfinance. En effet, le travail fourni par les victimes du microcrédit pour rembourser leurs créanciers est à l’origine de profits indécents pour les entreprises de microfinance, leurs dirigeants et leurs actionnaires. Au Sri Lanka, un criminel notable semble avoir plus de sang sur les mains que tous les autres : le groupe LOLC Holdings PLC, fondé en 1980 et dont les opérations de microfinance pour le Sri Lanka sont regroupées aujourd’hui dans la filiale LOLC Finance (qui pratique aussi le leasing et d’autres prêts aux petites et moyennes entreprises, tout en se déclarant institution financière non-bancaire afin d’échapper à la régulation concernant les établissements bancaires).
En 2019, LOLC Finance a récupéré 43 milliards de roupies sri lankaises (environ 220 millions d’euros) en intérêts, et déclare fièrement avoir réalisé un profit net de 5,9 milliards de roupies sri lankaises après imposition (environ 30 millions d’euros) [6]. Depuis 2007, le groupe LOLC Holdings PLC a pu étendre ses activités à l’étranger grâce aux profits accumulés au Sri Lanka (et avec l’aide active d’agences « d’aide au développement » comme nous le verrons plus loin). Il dispose désormais de filiales spécialisées dans le microcrédit au Cambodge, au Myanmar, au Pakistan, en Indonésie, aux Philippines, au Nigeria et en Zambie, et annonce vouloir s’étendre plus encore en Asie, en Afrique et en Amérique latine durant l’année 2020 [7]. Enfin, LOLC commence à étendre ses activités à de nombreux secteurs : agriculture et plantations, tourisme, industries manufacturières, énergies renouvelables, technologies de l’information, etc. La multinationale revendique ainsi 1,6 million de client·e·s (la quasi-totalité étant encore des clients des services financiers en 2019) dans les différents pays où elle est active, et un profit net après imposition de 19,6 milliards de roupies sri lankaises (environ 100 millions d’euros) [8]. Tant et si bien que les actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
du groupe ont dépassé la valeur de 1 milliard de dollars en 2019, et que son principal actionnaire et dirigeant, Ishara Nanayakkara, serait récemment devenu l’homme le plus riche du Sri Lanka.
Ce vol organisé des pauvres par la microfinance a finalement rencontré des résistances dans le pays, notamment à partir de 2017-2018. Les femmes victimes du microcrédit dans les provinces du Nord et de l’Est, où ces problèmes sont les plus aigus, ont été à l’avant-garde de cette nouvelle vague de luttes collectives. Mais le mouvement s’est étendu à de nombreuses autres régions du Sri Lanka. Plusieurs manifestations de milliers de femmes endettées à travers le pays (soutenues par leurs communautés ainsi que par des militant·e·s, des chercheurs et chercheuses documentant les abus du microcrédit pour y apporter des alternatives) ont dénoncé la situation dans laquelle elles se trouvaient, réclamant un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sur le paiement de leurs dettes, un plafonnement des taux d’intérêt à 25 % (ce qui reste élevé), d’autres mesures de régulation des agences de microcrédit (notamment l’arrêt du harcèlement par les collecteurs), et des moyens de financement alternatifs [9].
Sous la pression populaire, le gouvernement du Sri Lanka a dû concéder une première victoire partielle aux femmes en lutte : 45 139 créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). ont été effacées. Les conditions très particulières d’éligibilité à l’effacement de dette décidées par le gouvernement (avoir une dette de 100 000 roupies – soit environ 500 euros – et avoir fait défaut trois fois), et le fait que cet effacement ait été limité aux 12 districts de la province Nord les plus affectés par la sécheresse (qui a des impacts négatifs sur l’agriculture) ont laissé de côté de nombreuses personnes surendettées. En outre, les créanciers ont bénéficié d’un schéma de bail-out, c’est-à-dire que le gouvernement a pris en charge leurs pertes, au détriment des finances publiques [10]. L’effacement reste cependant un réel soulagement pour toutes les femmes qui en ont bénéficié, et il a été interprété à juste titre comme une victoire pour l’ensemble des victimes du microcrédit. Ainsi, des milliers de débitrices et débiteurs à travers le pays ont estimé que leurs dettes devaient également être annulées, et ont arrêté les remboursements depuis 2018.
La banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
a également été contrainte de fixer un taux d’intérêt maximum aux prêts de microcrédit. Alors que le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
Cliquez pour plus de détails.
, auprès duquel le Sri Lanka a actuellement un programme de financement, était opposé à l’adoption d’un plafond (ce qu’il a rappelé lors de sa visite du pays au début du mois de février 2020, invoquant des risques de perturbation du « bon fonctionnement du marché » [11]), et que les agences de microfinance, elles-mêmes mises au pied du mur, demandaient un taux le plus élevé possible (40 %), la limite a été fixée à 35 %. Cela reste trop élevé, et encore bien loin des 30 % initialement promis et des 25 % exigés par le mouvement de protestation. C’est néanmoins un signal supplémentaire envoyé aux femmes en lutte : celles-ci peuvent arracher des victoires partielles qui doivent les amener à continuer le combat.
Au Sri Lanka, le secteur des coopératives, né dans la première moitié du 20e siècle et dont l’essor a été activement encouragé par les stratégies gouvernementales de développement rural indépendant à la fin des années 1950, semble avoir mieux résisté à la vague néolibérale que dans d’autres pays du Sud (où les coopératives ont souvent été soit détournées de leurs objectifs initiaux – ce qui existe aussi en partie au Sri Lanka –, soit purement et simplement liquidées). La longue guerre civile, en revanche, a considérablement affaibli ce secteur, notamment au Nord et à l’Est du pays.
Depuis 2018, les coopératives connaissent un nouveau souffle au Nord, en conséquence là aussi de l’attention portée sur la crise que connaît la région grâce aux mobilisations des femmes endettées, aux chercheurs et chercheuses et aux coopératives qui alertent le public sur la dangereuse situation économique de ces zones rurales. Le gouvernement a en effet été poussé à allouer des fonds au secteur coopératif pour la distribution de crédits. De même, toujours dans la province du Nord, des fonds ont été alloués au développement de l’agriculture et de la petite industrie à travers le secteur coopératif.
Les coopératives à buts multiples (« multi-purpose cooperative societies ») ont donc pu relancer leurs activités de crédit rural grâce aux fonds attribués par le gouvernement et à la mobilisation de leurs ressources propres. Elles proposent des prêts de montants similaires aux plus petits prêts proposés par la microfinance (20 000 et 50 000 roupies sri lankaises, soit respectivement environ 100 et 250 €), et pratiquent un taux effectif annuel de 14 %, ce qui est largement inférieur aux pratiques des entreprises de microfinance. Ce chiffre peut encore sembler élevé dans l’absolu mais est à rapporter à l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. , qui s’est située à 7,6 % entre janvier 2019 et janvier 2020.
En outre, les pratiques de recouvrement des prêts sont radicalement différentes de celles d’autres établissements financiers : il n’y a pas de harcèlement en cas de non-remboursement, mais des prises de contact qui peuvent ne pas aboutir si l’emprunteuse ou l’emprunteur décide de ne pas y répondre. Si, après la fin de l’échéance (12 mois pour les prêts de 20 000 roupies), la dette n’a pas été remboursée, une médiation a lieu entre la personne débitrice et l’administration de la coopérative afin de trouver une solution dans le cadre de la coopérative plutôt qu’à travers l’action en justice.
Ce nouveau schéma de financement, lancé à la fin de l’été 2018, semble être un succès après dix-huit mois de mise en œuvre, si bien que le mouvement coopératif apparaît comme un point d’appui important pour la lutte contre la microfinance. En effet, les prêts distribués aux ménages par le biais des coopératives ont permis de faire reculer les entreprises de microfinance. Le principal défi réside dans les fonds limités dont disposent les coopératives en comparaison des importants capitaux accumulés par la microfinance. Pour l’ensemble de la province du Nord, le nouveau schéma de financement coopératif a bénéficié du versement d’un peu moins de 300 millions de roupies (soit environ 1,5 million d’euros) par le ministère des Finances, auxquelles le secteur coopératif a ajouté environ 150 millions de roupies de fonds propres Fonds propres Capitaux apportés ou laissés par les associés à la disposition d’une entreprise. Une distinction doit être faite entre les fonds propres au sens strict appelés aussi capitaux propres (ou capital dur) et les fonds propres au sens élargi qui comprennent aussi des dettes subordonnées à durée illimitée. . Ces 300 millions de roupies alloués sont loin du compte : le gouvernement avait annoncé le déblocage de 750 millions de roupies au total. Les montants non versés ne seront probablement jamais touchés par les coopératives. Si ces dernières encouragent leurs membres à épargner afin de renforcer les capacités du crédit coopératif, l’évolution est évidemment lente. Du fait de ce manque de financement, le nombre de prêts et les montants qui peuvent être versés aux emprunteuses et emprunteurs des coopératives sont forcément moins importants que ce dont est capable la microfinance (par exemple, des contrats de prêt de 100 000 roupies et plus).
Malgré ses reculs, le secteur de la microfinance est donc loin d’avoir disparu dans le Nord du Sri Lanka. Il maintient des taux d’intérêt abusifs, ne respectant le taux maximum de 35 % qu’en ce qui concerne les taux annoncés, et pratiquant en réalité des taux effectifs plus élevés et des méthodes de recouvrement agressives. Comme indiqué précédemment, le FMI soutient le secteur et s’oppose au plafonnement des taux d’intérêt. Les profits accumulés par le secteur et la diversification de ses activités lui confèrent un rôle de plus en plus important dans l’économie. Il ne fait pas de doute que la microfinance dispose de larges moyens pour continuer son offensive malgré ses revers depuis 2018.
C’est pourquoi la nécessité de s’organiser contre ce secteur reste plus que jamais d’actualité. D’autant que les milliers d’emprunteuses et d’emprunteurs qui ont cessé de payer à partir de l’annonce d’effacement partiel des dettes en 2018, vont rapidement faire face à la multiplication des actions en justice des entreprises de microfinance. La manifestation du 27 février 2020 à Colombo, qui a réuni un millier de victimes réclamant l’abolition du microcrédit et visant en particulier LOLC, est porteuse d’espoir pour la suite de la lutte. Il s’agit désormais de multiplier les initiatives, d’encourager l’organisation collective des centaines de milliers de victimes à tous les échelons (du local au national) afin d’empêcher les collecteurs de rentrer dans les villages pour menacer et agresser les emprunteuses, de réclamer le droit à une vie décente, de mettre au jour et de dénoncer les pratiques des autorités (policières, judiciaires, administratives) qui protègent les institutions de microfinance.
Au Sri Lanka, le microcrédit et le surendettement privé concernent l’ensemble des classes laborieuses : travailleurs et travailleuses précaires comme celles et ceux des secteurs formels, communautés paysannes et pêcheuses, micro et petits entrepreneurs. L’endettement privé est révélateur de l’absence de services publics de qualité, de la précarité du marché de l’emploi, des bas niveaux de salaires et de la crise économique et environnementale qui menace les communautés paysannes et pêcheuses. La mobilisation contre le microcrédit et le surendettement doit nécessairement concerner ces questions-là afin d’apporter des solutions structurelles à la crise. De larges campagnes unissant les syndicats des secteurs privé et public, les associations de femmes, les organisations défendant les intérêts des paysan·ne·s et des pêcheurs, et d’autres organisations représentatives des exploité·e·s et opprimé·e·s, sont à l’ordre du jour. En outre, cette authentique lutte de classes dépasse les clivages communautaires attisés par les classes dominantes et les organisations réactionnaires. Si elle parvient à s’exprimer en un mouvement massif et organisé, la résistance au surendettement privé sera porteuse d’alternatives radicales pour une société solidaire.
Si la couverture médiatique extrêmement positive du phénomène n’est plus aussi appuyée qu’il y a quelques années (Muhammad Yunus et sa Grameen Bank obtenaient en 2006 de façon éhontée le prix Nobel de la paix [12]), le microcrédit continue de bénéficier d’un soutien sans faille de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
Cliquez pour plus de détails.
(qui a fait de « l’inclusion financière » – c’est-à-dire la bancarisation des pauvres – son principal objectif) et des agences de développement des pays dits du Nord. Il est toujours présenté comme une solution à la pauvreté et un facteur de renforcement des droits humains. En ce sens, le financement des agences de microcrédit reste un important moyen d’action de « l’aide au développement ».
Nous refusons de nous satisfaire de prétendues politiques de solidarité internationale qui consistent à distribuer des fonds à des entreprises de millionnaires au prétexte qu’elles seraient les mieux à même de redistribuer ces financements dans l’ensemble de la société. Nous refusons de fermer les yeux sur le fait que cette « aide au développement » enrichit des entreprises toujours plus puissantes à travers des pratiques plongeant des populations précaires et pauvres dans le surendettement, les privant du droit à une vie décente.
Nous appelons résolument à une solidarité internationale basée sur le soutien aux luttes populaires contre l’exploitation et les oppressions. Ces luttes sont porteuses d’alternatives au capitalisme qu’il est de plus en plus urgent de faire avancer au Sud comme au Nord de la planète. Au Nord, une vraie campagne de solidarité internationale avec les victimes du microcrédit au Sri Lanka comme ailleurs doit commencer par la mise en accusation de ces prétendus bienfaiteurs qui participent en réalité à semer la misère, à détruire les liens sociaux et qui contribuent à la surexploitation de celles et ceux condamné·e·s à rembourser par tous les moyens possibles, y compris la vente d’organes, la prostitution contrainte ou encore le renoncement à une éducation pour les enfants.
Mettons en lumière l’origine des fonds des entreprises de microfinance. Prenons le cas de la principale entreprise de microfinance au Sri Lanka, LOLC. Celle-ci a pu s’étendre au Cambodge en 2007 parce que la FMO, agence d’aide au développement des Pays-Bas, a directement fait appel à elle. Outre la FMO, le groupe LOLC est aujourd’hui financé par des agences de développement de France (Proparco, filiale de l’Agence française de développement), de Belgique (Société belge d’Investissement pour les Pays en Développement – BIO), d’Allemagne (KfW Development Bank), d’Autriche (Oesterreichische Entwicklungsbank – OeEB), de Suède (Swedfund), de Finlande (Finnfund), de Norvège et du Danemark (Nordic Microfinance Initiative – NMI), du Canada (Exportation et Développement Canada – EDC), du Japon (Japan Bank for International Cooperation – JBIC), mais aussi par la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque mondiale [13]. Dans les prochains mois, nous tâcherons de documenter les abus dont sont victimes les débitrices et débiteurs de LOLC et d’autres entreprises de microfinance, et nous demanderons des comptes aux acteurs qui se rendent complices de violations des droits humains en soutenant ce type de financement.
[1] Cet article a été rédigé suite à plusieurs rencontres avec des militant·e·s d’organisations syndicales, politiques et associatives, des chercheurs et chercheuses, des emprunteuses et emprunteurs de microcrédit, à Colombo ainsi que dans les districts de Jaffna, de Kilinochchi et de Polonnaruwa, au Sri Lanka, en février 2020. Merci à toutes ces personnes. Le CADTM tenait son 8e atelier régional Asie du Sud à Colombo les 18 et 19 février 2020. Voir : https://www.cadtm.org/Asie-du-Sud-Uni-e-s-contre-la-dette-et-toutes-les-oppressions
[2] Voir Economic Development Framework For a Northern Master Plan, août 2018.
[3] Voir « BRAC Lanka Finance now serves from new corporate office », DailyFT, 9 février 2016. URL : http://www.ft.lk/article/523994/BRAC-Lanka-Finance-now-serves-from-new-corporate-office
[4] Voir BRAC Lanka (Guarantee) Limited, 2012 Annual Report. URL : http://www.brac.net/sites/default/files/ar2012/BRAC%20Sri%20Lanka.pdf
[5] Bernard Smith, « Sri Lankan communities struggling to pay debts », AlJazeera, 3 avril 2018. URL : https://www.aljazeera.com/news/2018/04/sri-lankan-communities-struggling-pay-debts-180403113424957.html
[6] LOLC Holdings PLC, Annual Report 2018/19. URL : https://www.lolc.com/report/Annual-Report-2018-2019_new.pdf
[7] « Unravelling LOLC’s mega success with Ishara and Kapila », DailyFT, 8 janvier 2020. URL : http://www.ft.lk/business/Unravelling-LOLC-s-mega-success-with-Ishara-and-Kapila/34-693259
[8] LOLC Holdings PLC, Annual Report 2018/19.
[9] Voir Ahilan Kadirgamar et Niyanthini Kadirgamar, « Microfinance has been a nightmare for the global south. Sri Lanka shows that there is an alternative », cadtm.org, 12 septembre 2019. URL : https://www.cadtm.org/Microfinance-has-been-a-nightmare-for-the-global-south-Sri-Lanka-shows-that
[10] Voir Amali Wadegadera, « No quick fixes to solve household debt crisis ! », cadtm.org, 22 décembre 2019. URL : https://www.cadtm.org/No-quick-fixes-to-solve-household-debt-crisis
[11] Voir Éric Toussaint, « FMI : Inhumain aux niveaux micro et macro », cadtm.org, 27 février 2020. URL : https://www.cadtm.org/FMI-Inhumain-aux-niveaux-micro-et-macro
[12] Voir Denise Comanne, « Yunus, le Nobel de l’ambiguïté ou du cynisme ? », Le Courrier, 2 avril 2009. URL : https://lecourrier.ch/2009/04/02/yunus-le-nobel-de-lambiguite-ou-du-cynisme/
[13] Voir la liste des partenaires financiers dans LOLC Holdings PLC, Annual Report 2018/19, pp.14-15.
23 décembre 2020, par Eric Toussaint , Christina Laskaridis , Nathan Legrand
28 octobre 2020, par Nathan Legrand
13 avril 2020, par Eric Toussaint , Collectif , Esther Vivas , Catherine Samary , Costas Lapavitsas , Stathis Kouvelakis , Tijana Okić , Nathan Legrand , Alexis Cukier , Jeanne Chevalier , Yayo Herrero
2 avril 2020, par Eric Toussaint , Esther Vivas , Catherine Samary , Costas Lapavitsas , Stathis Kouvelakis , Tijana Okić , Nathan Legrand , Alexis Cukier , Jeanne Chevalier , Yayo Herrero
9 septembre 2019, par Nathan Legrand , Régis Essono
11 juillet 2019, par Nathan Legrand
13 mai 2019, par Eric Toussaint , Esther Vivas , Catherine Samary , Costas Lapavitsas , Stathis Kouvelakis , Tijana Okić , Nathan Legrand , Alexis Cukier , Jeanne Chevalier , Yayo Herrero , ReCommons Europe
Série « Créances douteuses : la dette n’a pas d’odeur »
Égypte : La France a du sang sur les mains28 janvier 2019, par Nathan Legrand
2 août 2018, par Eric Toussaint , Christina Laskaridis , Nathan Legrand
25 avril 2018, par Nathan Legrand