Débat sur le Tribunal international d’arbitrage de la dette(TIAD)

TIAD : faire ou ne pas faire ?

2 octobre 2003 par Alain Saumon


La tentative d’Anne Krueger, numéro 2 du FMI, de mettre en place un mécanisme de restructuration de la dette souveraine (SDRM) pour les pays à revenus intermédiaires, a échoué au printemps à Washington. Il s’agissait, pour le FMI qui en serait resté le maître d’œuvre de créer quelques petites règles pour limiter les dégâts des créditeurs « indélicats ». D’aucune manière la problématique de la dette n’aurait été remise en question et les mêmes « fauteurs de dettes » auraient campé sur leurs positions de globalisation financière et de commerce international inégal.



Certaines associations ou campagnes anti-dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
pensent qu’il faut profiter de la minuscule ouverture faite dans le système par le SDRM pour demander qu’un arbitrage soit effectivement étudié : à condition qu’il soit équitable et transparent (fair and transparent). La première idée contenue dans le Fair and Transparent Arbitration Process est la suivante : puisque la question d’un arbitrage a été mise sur la table par nos adversaires, prenons-les au mot en poursuivant la logique jusqu’au bout. Pour que le processus soit véritablement équitable et transparent, demandons la participation des citoyens et le contrôle de l’ONU, notamment au travers du Programme des Nations Unies pour le Développement PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
Site :
(PNUD) et du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH), organismes liés au Conseil économique et social. Au cours du séminaire international « La dette et les institutions financières internationales face au droit international » organisé par le CADTM les 10 et 11 décembre 2001, le magistrat Jean de Maillard, conscient que les rapports de force ne sont pas favorables aux Etats, préconisait de prendre le système au pied de la lettre pour le retourner contre lui-même . La question de l’arbitrage prendrait alors tout son sens et se résumerait, en premier lieu, au choix de l’arbitre. Le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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n’aurait plus la prérogative d’être juge et partie et les Etats valets devraient donner des explications.

Pris dans l’engrenage, débiteurs et créditeurs se verraient obligés d’étaler, pays par pays, la dette sur la place publique, de désigner des arbitres indépendants et d’impliquer la participation de la société civile, laquelle en profiterait pour réclamer un audit au cas par cas avant d’accepter l’avis d’une cour d’arbitrage. La satisfaction des besoins fondamentaux des populations (ici seraient introduites les responsabilités pénales individuelles et morales énoncées dans les Droits Humains) et un changement radical des relations entre créditeurs et débiteurs est explicitement mentionné dans la proposition du FTAP par Erlassjahr (Jubilé Allemagne), une des associations porteuses du projet. Il s’agit d’ouvrir une brèche supplémentaire dans la carapace des libéraux. Dette illégitime, corruption, dette écologique Dette écologique La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.

La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :


- La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.

- La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.

- Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.

- L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.

Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
, etc. y seraient exposées au grand jour. Il y a fort à parier, dans ces conditions, que le processus de choix d’un arbitre n’aboutirait que rarement car le FMI n’accepterait pas d’être subordonné au Conseil économique et social de l’ONU, bien qu’il en soit l’une des institutions spécialisées. Mais la vertu pédagogique de l’exercice permettrait aux mouvements sociaux internationaux de renforcer leur position et d’accélérer le calendrier des changements fondamentaux qu’ils réclament.

La seconde idée sous-jacente dans la recherche d’un arbitrage est plus tactique. Toutes les associations luttant contre la dette sont maintenant convaincues que son annulation totale est un préalable indispensable au développement des pays du Tiers Monde. Nous constatons tous également que bien peu de choses ont été obtenues par la société civile en matière d’annulation de la dette ces vingt dernières années (1982, première crise de la dette au Mexique). Les premières mesures d’allègement, à Toronto en 1988, n’ont été prises que pour sauver des banques et des entreprises du Nord de la faillite. Notre plus grand succès, finalement, c’est d’avoir réussi à conscientiser les populations du monde sur le cruel problème de la dette ; il reste, certes, beaucoup de travail à faire dans ce domaine, mais comparé au niveau de conscience d’il y a trois ans, où nombre d’associations tergiversaient encore sur la nécessité d’une annulation totale, les progrès sont énormes.

Tactique aussi parce que nous nous sommes rendu compte que nos adversaires étaient passés maîtres dans l’art de contrer les attaques mono-directionnelles. Nous devons donc apprendre à contourner l’adversaire, à le prendre quelquefois à ses propres pièges (prendre le système au pied de la lettre), à le provoquer sur plusieurs fronts à la fois, etc. C’est l’esprit du FTAP, qui ne demande pas que toutes les forces soient misées sur son plan d’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
 : bataille contre la dette illégitime et odieuse, bataille contre l’inégalité et l’asservissement, bataille contre la domination du capital et la marchandisation du monde… sont autant de chantiers sur lesquels il nous faut persévérer et nous renforcer.

Mais toutes les associations anti-dette ne l’entendent pas de cette oreille. Pour celles qui sont opposées à ce processus, l’arbitrage reflèterait beaucoup trop l’actuelle répartition inégale des pouvoirs et un tel mécanisme ne ferait que perpétuer la conjoncture actuelle. Les lois sur lesquelles l’arbitrage s’appuierait seraient les mêmes que celles qui ont permis le système existant. Il serait impossible de trouver un arbitre indépendant. Les créditeurs refuseraient de s’asseoir autour de la table et les populations ne pourraient pas avancer leurs réclamations si leurs gouvernements (acteurs dans le choix de l’arbitre) refusaient. De plus, deux goulets d’étranglement, voire des culs-de-sac, font craindre le pire. Le premier, c’est que cet arbitrage étant optionnel, si l’une des parties n’en veut pas, quid de la dette du pays en question ? Le second est que si l’arbitrage a lieu mais est inéquitable à cause de rapports de force déséquilibrés (l’autorité des créanciers a presque toujours surdéterminé les négociations sur la dette), cet arbitrage devient une référence incontournable pour les acteurs en jeu, prend valeur de jurisprudence pour d’autres arbitrages et devient quasi impossible à renégocier. Enfin, et ce n’est pas la moindre des difficultés, il serait aberrant et criminel de faire s’asseoir à une table de négociation, sur un pied d’égalité, des victimes (les populations dramatiquement flouées dans leur chair et leur esprit) et des bourreaux (des individus, des organismes et des institutions violant ouvertement les bases pluriséculaires des droits internes et du droit international).

La réflexion sur une instance d’arbitrage n’est pas terminée. Les pour et les contre réfléchissent ou affinent leurs arguments. Le débat traverse aussi le CADTM, qui reste ouvert à la discussion. En ce qui me concerne, on l’aura compris dans les paragraphes ci-dessus, je suis favorable à la poursuite des recherches de modalités pour un FTAP. Non pas que je souhaite donner voix au chapitre aux mafieux, mais il me semble que les mouvements sociaux commencent à être suffisamment forts pour ne plus craindre une éventuelle jurisprudence négative qui ne ferait que déclencher un gigantesque tollé international que nos adversaires ne pourraient pas contrôler. Ce qui nous donnerait en quelque sorte un avantage. On ne serait pas du tout dans la situation de l’Argentine actuellement, ni dans celle d’un pays pauvre très endetté. Le tribunal serait longuement préparé, l’arbitre soigneusement choisi et le jugement mûrement délibéré, sous l’œil des médias et sous les feux de la controverse internationale. Des pistes juridiques comme l’Alien Tort Claims Act (ATCA), cet instrument juridique américain permettant de poursuivre les violations des droits humains, pourraient servir de repères. Un arbitre indépendant aurait alors le loisir de poser les droits économiques sociaux et culturels et le bien-être économique des uns, ainsi que la soutenabilité écologique globale et locale dans l’un des plateaux, les théories économiques et leur validation si les progrès répondent aux attentes de tous dans l’autre plateau.

On se doute qu’à ce régime les Objectifs du millénaire (ODM : réduire de moitié la pauvreté dans le monde avant 2015) auraient des chances d’être atteints dans les temps déclarés, à moins que nous n’ayons rien compris au film qu’on nous passe et que « millénaire » signifie « dans les mille ans à venir ». Trop optimiste, cette histoire de tollé insurmontable, et trop utopiste cette histoire d’arbitre réellement indépendant, rétorquent certains. Peut-être. Je vois cependant que nous réussissons à construire des consensus, même fragiles, ainsi que des alternatives crédibles, stables et partagées. Les autres voix de la planète, expression incarnant il y a peu une position politique à la marge, ont maintenant conquis le seuil de la gouvernance : nous sommes aujourd’hui incontournables dans les affaires du monde, l’échec de la tentative de nous criminaliser après les horribles attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis en est une preuve. Nous ne pouvons pas attendre qu’un « nouvel ordre économique et social international » soit en place pour concrétiser notre souci de transparence et d’équité. Il nous faut dès à présent affûter nos armes et nous mesurer in situ, dans les tribunaux, aux vampires de la finance. Le droit international fait partie de ces armes.

Il n’existe pas en droit international un corps juridique unique, codifié, concernant la dette publique des Etats, en général, et la dette extérieure, en particulier. Je ne crois pas que le travail à faire pour constituer un tel corps repose entièrement sur la base de cas reconnus dans la pratique des Etats et de la jurisprudence nationale et internationale. La philosophie du droit ne s’écrit pas seulement dans le normatif et le programmatif, elle se façonne de même dans le conceptuel. C’est-à-dire dans un champ temporel bien plus vaste que celui de la philosophie politique qui, lui, est toujours dépendant d’un discours politique historiquement et socialement déterminé. Vouloir faire entrer les crimes économiques dans un corpus pénal international est à la fois la résultante des abus de notre époque, des lignes directrices du capitalisme depuis la fin du XVe siècle (le désenclavement planétaire selon Chaunu) et de l’idée globale que l’humain se fait - quelle que soit l’époque et quel que soit le lieu - de la complétude sociale. L’idée d’une Cour pénale internationale (CPI) était une idée folle il y a 10 ans. Son existence même, malgré ses compétences très restreintes et récusées par les Etats Unis et en partie par la France entre autres, est un pas de géant, une avancée remarquable, un jalon très important qui témoigne de la pérennité de la soif de justice et d’équilibre. Dès lors, dans notre quête d’équité pour un monde respectueux des aspirations matérielles, culturelles et environnementales de tous, un certain nombre de questions centrales se posent, bien entendu avec le souci immédiat et permanent de la démocratie. Comment concilier court et long termes ? Quelle tactique adopter pour atteindre ce nouvel ordre économique et social que nous appelons tous de nos vœux : accepter ou refuser la diversité et la complémentarité des angles d’attaque pour amplifier le rapport de force global ? Quelles applications volontaristes et contraignantes du droit international opposons-nous au « laisser faire-laisser aller » dominant ? Quelle gouvernance mondiale préconisons-nous ? Et comment, dans les contraintes de cette nouvelle gouvernance, composer avec les reculs concomitants de la souveraineté et de l’autodétermination des peuples qui en découleraient ?

L’espérance de la satisfaction des besoins fondamentaux nous enseigne beaucoup de choses, comme l’histoire sanglante des conquêtes de pouvoir et des dominations, toutes éphémères au regard de l’Histoire.


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