AVP Dette & Souveraineté alimentaire

UPOV, main basse sur les semences en Argentine

29 novembre 2024 par CADTM Belgique , GRAIN , Huerquen


Photo : Huerquen

Chaque vendredi pendant plusieurs mois, nous publierons un article qui se trouve dans le nouvel AVP « Dette et souveraineté alimentaire ». Au programme ce vendredi, un entretien de GRAIN avec le collectif argentin Huerquen. Il fait la lumière sur un organisme international méconnu : l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales.

Pour commander l’AVP, c’est ici.


  1. La crise de l’alimentation, de la terre et de l’eau à la lumière de l’extermination sioniste du peuple palestinien à Gaza
  2. UPOV, main basse sur les semences en Argentine
  3. Pas de transition agroécologique sans abolition de la dette des agriculteurices
  4. La crise alimentaire internationale et les propositions pour en sortir
  5. Éradiquer la faim en 2030 : une chimère ?
  6. Dette extérieure et droit à l’alimentation
  7. Solange Koné : « Il faut lier les cultures agricoles aux besoins de la population »
  8. Agricultrices et souveraineté alimentaire en Côte d’Ivoire
  9. Haïti : Dette et souveraineté alimentaire, l’impossible cohabitation
  10. Madagascar : La lutte pour la souveraineté foncière continue
  11. La nuit tombe sur la souveraineté alimentaire mexicaine
  12. Argentine : le gouvernement d’extrême droite de Javier Milei s’attaque à la souveraineté alimentaire
  13. Les défis de la souveraineté alimentaire en Inde
  14. La Tunisie face à l’impérialisme économique : analyse des enjeux autour de l’eau, l’alimentation et l’agriculture
  15. Liban : Une crise alimentaire sur fond de guerre et d’exploitation capitaliste
  16. Maroc : crise alimentaire et stress hydrique dans le contexte de la crise économique, de la dette et des pressions des institutions financières mondiales
  17. Morgan Ody : « À la Via Campesina, nous voulons des politiques de régulation des marchés qui soutiennent et protègent les productions locales »
  18. Sortir du libre-échange : vers un commerce international axé sur la souveraineté alimentaire
  19. La politique d’exportation dans l’agriculture égyptienne : repenser le dilemme
  20. Roxane Mitralias : « Le secteur agroalimentaire fait partie du noyau dur du capitalisme mondial »
  21. L’accès à la terre : le champ de bataille ?
  22. Belgique : La transition du système alimentaire – Bilan de 10 années de luttes
  23. La Tunisie face à l’impérialisme économique : une analyse des enjeux autour de l’eau, l’alimentation et l’agriculture

GRAIN : Qu’est-ce que l’UPOV ?

L’UPOV œuvre exclusivement et explicitement pour la privatisation des semences dans le monde en imposant des droits de propriété intellectuelle sur les variétés végétales

Huerquen : L’UPOV est l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales. Officiellement organisme international, l’UPOV œuvre exclusivement et explicitement pour la privatisation des semences dans le monde en imposant des droits de propriété intellectuelle sur les variétés végétales. En adhérant à l’UPOV, les États s’engagent à transposer ses normes dans leur droit national. En conséquence, des propositions législatives qui criminalisent les semences paysannes et favorisent les entreprises semencières ont été discutées dans de nombreux pays.

La convention établissant l’UPOV a été rédigée pour la première fois en 1961 et a été modifiée à trois reprises (en 1972, 1978 et 1991), renforçant à chaque fois les droits des entreprises.
L’amendement de 1991 a été particulièrement controversé parce qu’il supprimait le droit des agriculteurs et agricultrices de conserver les semences privatisées.

GRAIN : À qui profite l’UPOV ?

L’amendement de 1991 a été particulièrement controversé parce qu’il supprimait le droit des agriculteurs et agricultrices de conserver les semences privatisées

Huerquen : En soutenant les droits de propriété intellectuelle sur les variétés végétales et le monopole des variétés végétales par les entreprises, les grandes entreprises semencières du monde sont les plus grands bénéficiaires de l’UPOV. Elles ont consolidé leur contrôle sur plusieurs cultures alimentaires mondiales essentielles et en ont tiré d’énormes profits.

Actuellement, quatre de ces entreprises - Bayer (19 %), Corteva (18 %), Syngenta (8 %) et BASF (4 %) - contrôlent la moitié (49 %) d’un marché des semences de 47 milliards de dollars. Certaines de ces entreprises contrôlent également 75 % du marché mondial des produits agrochimiques, ce qui n’est pas une coïncidence puisque les semences qu’elles commercialisent nécessitent une grande quantité de produits agrochimiques conçus pour fonctionner avec leurs semences.

GRAIN : Quel est le lien entre l’UPOV et les accords de libre-échange ?

Les États-Unis ont inclus dans tous les accords de libre-échange qu’ils ont signés, un paragraphe obligeant les autres pays à adhérer à l’UPOV-91. L’Union européenne applique la même politique, tout comme le Japon

Huerquen : À la fin du cycle d’Uruguay des accords du GATT GATT Le G77 est une émanation du Groupe des pays en voie de développement qui se sont réunis pour préparer la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à Genève en 1964. Le Groupe offre un forum aux PED pour discuter des problèmes économiques et monétaires internationaux. En 2021, le G77 regroupait plus de 130 pays. et à la création de l’Organisation mondiale du commerce OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
(OMC) en 1994, il a été décidé que tous les pays membres devraient avoir des droits de propriété intellectuelle sur les variétés végétales. Bien que l’UPOV ne soit pas citée comme modèle, le nombre de ses membres a augmenté très rapidement pour atteindre plus de 70 pays. Cela est dû à la pression exercée par les pays riches sur les pays non industrialisés, par le biais de leurs accords de libre-échange (ALE), afin d’imposer l’UPOV comme seule solution.

C’était, et c’est toujours, une arme tactique importante et puissante des pays où les entreprises de semences sont basées, de l’inclure dans les accords de libre-échange bilatéraux ou régionaux. Par exemple, les États-Unis ont inclus, dans tous les accords de libre-échange qu’ils ont signés, un paragraphe obligeant les autres pays à adhérer à l’UPOV-91. L’Union européenne applique la même politique, tout comme le Japon.

GRAIN : Pourquoi parle-t-on aujourd’hui de l’UPOV 91 en Argentine ?

Exergue : Celui qui contrôle les semences contrôle la chaîne agroalimentaire, et donc la disponibilité, la qualité et le prix de la nourriture pour la population

Huerquen : Récemment en Argentine, par le biais de l’article 241 de la proposition de « loi omnibus », le gouvernement Milei a tenté de faire accepter l’adhésion à l’UPOV 91. Cette initiative d’incorporation a été soutenue par les sociétés semencières Bayer, Syngenta, Corteva, BASF et d’autres, qui ont des intérêts dans le pays.

La tentative a consisté à modifier la loi actuelle sur les semences pour l’adapter à l’UPOV, comme cela s’est produit dans les pays qui ont signé des accords de libre-échange avec les États-Unis et l’Union européenne.

L’adoption de l’UPOV 91 en Argentine signifierait deux choses importantes : les droits exclusifs accordés aux entreprises semencières peuvent être étendus au matériel récolté et les agriculteurs perdent le droit d’utiliser les semences à titre personnel sans payer de redevances aux entreprises. Cela représenterait un approfondissement du pouvoir des grandes entreprises, menaçant la souveraineté alimentaire du pays. Celui qui contrôle les semences contrôle la chaîne agroalimentaire, et donc la disponibilité, la qualité et le prix de la nourriture pour la population.

Photo : Huerquen

GRAIN : Depuis quand les mouvements sociaux argentins dénoncent-ils les impacts de l’UPOV 91 sur la souveraineté alimentaire ?

Les mouvements sociaux et paysans dénoncent depuis plusieurs années les tentatives répétées des différents gouvernements d’adhérer à l’UPOV 91

Huerquen : Les mouvements sociaux et paysans dénoncent depuis plusieurs années les tentatives répétées des différents gouvernements d’adhérer à l’UPOV 91

À partir de 2012, la question a commencé à devenir plus publique, ce qui a conduit à la formation en 2016 d’une campagne de résistance à ce qui était alors appelé la « loi sur les semences Monsanto ». Cette campagne a donné lieu à diverses initiatives, à des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
, des manifestations, des débats au Congrès et dans d’autres espaces publics. Au cours de cette période, les organisations agricoles familiales, paysannes et indigènes se sont fortement impliquées, créant le forum agraire où elles ont dénoncé les dangers de la loi et d’autres réglementations liées à l’UPOV 91.

En 2018, les organisations sont redevenues actives suite à une nouvelle discussion de la loi. Elles ont mené des actions, lançant notamment des semences et des légumes sur le Congrès. Avec la proposition de la « loi omnibus » en 2023, les protestations se sont intensifiées.

GRAIN : Quelle est la situation actuelle de la lutte contre l’UPOV en Argentine ?

Huerquen : L’une des principales organisations à la tête de l’opposition est la Federación Agraria Argentina, une organisation qui regroupe les personnes impliquées dans la production de soja et de céréales à petite et moyenne échelle dans la région de la pampa en Argentine (Chacareros).

Cette opposition s’explique principalement par le fait que, depuis plusieurs années, les entreprises, par l’intermédiaire de leurs organisations de lobbying, cherchent en vain à modifier la loi actuelle sur les semences (n° 20.247 de 1973), qui reconnaît aux entreprises des droits de propriété intellectuelle (« droits d’obtenteur »), mais qui garantit également des droits sur les fruits des récoltes de ceux qui cultivent avec des semences certifiées.

D’autre part, des organisations paysannes et sociales se sont rassemblées pour promouvoir une campagne d’opposition à l’UPOV 91, rejoignant ainsi la mobilisation internationale contre l’UPOV sur les différents continents.

La prédation des semences par les entreprises éloigne de plus en plus la construction de la souveraineté alimentaire en Argentine et met la grande majorité de la population à la merci de la soif de profit d’une poignée d’entreprises. Cela se produit dans un contexte de crise où des milliers de familles productrices d’aliments sont affectées par le coût élevé des intrants Intrants Éléments entrant dans la production d’un bien. En agriculture, les engrais, pesticides, herbicides sont des intrants destinés à améliorer la production. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, les meilleurs intrants sont réservés aux cultures d’exportation, au détriment des cultures vivrières essentielles pour les populations. et des loyers, et où l’autoproduction de semences est absolument essentielle. L’adhésion de l’Argentine à l’UPOV 91 s’attaquerait directement à la production familiale et agroécologique.

Pour plus d’informations :

 https://huerquen.com.ar/rechazo-upov-91/
 https://www.facebook.com/groups/904253430508472
 https://grain.org/fr/article/6649-brochure-upov-hold-up-sur-les-semences
 https://grain.org/fr/article/6781-les-accords-commerciaux-qui-imposent-l-upov-une-carte-interactive
 https://grain.org/fr/article/7081-appel-a-la-desobeissance-civile-contre-la-privatisation-des-semences-paysannes
 https://grain.org/fr/article/6922-a-qui-profite-l-upov

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