Les chemins altermondialistes se croisent à Montréal

Un Forum social mondial pour rêver de l’autre monde nécessaire et réactualiser les défis

12 août 2016 par Sergio Ferrari


Marche d’ouverture du FSM - Photo de Andrea Tognina

Une manifestation festive a ouvert le mardi 9 août à Montréal (Canada) la 12e session du Forum social mondial (FSM). Pour la première fois, depuis la première édition de 2001 à Porto Alegre, cette rencontre se tient dans le « nord développé ». Plusieurs milliers de participant-e-s ont ainsi lancé cet événement international où le mouvement altermondialiste se confronte non seulement à la réflexion sur ses utopies stratégiques, mais aussi au partage de ses défis locaux quotidiens et aux interpellations de fonds. Et s’interroge sur son propre avenir.



Les organisateurs sont positifs

Bien que paraissent lointaines et non-renouvelables les grandes mobilisations d’ouverture des sessions antérieures, que ce soit au Brésil, en Inde, au Sénégal, au Kenya ou en Tunisie, le jeune collectif d’organisation à Montréal réitère son regard optimiste. « Il est erroné de dire que le FSM stagne. Nous voyons une vitalité croissante », estime Carminda Mac Lorin.

«  Il faut dépasser la fracture entre le Nord et le Sud… les inégalités humaines augmentent partout », souligne pour sa part Raphaël Canet, un autre des artisans obstinés de cette rencontre.

« Les problèmes que nous vivons au Sud se vivent de la même manière dans les pays industrialisés », affirme Chico Whitaker, l’un des co-fondateurs du FSM et l’un des intellectuels et militants sociaux les plus identifiés à cet espace en construction.

De la rhétorique à la réalité, une hypothèse préoccupante qui se profilait déjà depuis le FSM antérieur à Tunis (2015) paraît néanmoins se confirmer. La politique migratoire restrictive du Canada a restreint la participation de représentant-e-s du Sud. Les faits l’attestent : 70 % des demandes de visa pour participer furent rejetées par les autorités migratoires malgré les efforts gigantesques des organisateurs pour contrer ces restrictions.


Avec les yeux du Sud

Peut-être les organisateurs ont-ils pêché par une certaine ingénuité, en pensant qu’en raison des valeurs proposées par l’appel du FSM les exigences migratoires seraient flexibilisées, souligne Filomena Siqueira, l’une des responsables de Ação Educativa, importante ONG brésilienne impliquée dans la dynamique du FSM dès ses débuts.

Dans les premiers jours du mois d’août, constatant les difficultés pour l’obtention des permis d’entrée, des dizaines d’organisations canadiennes et internationales envoyèrent une lettre au gouvernement canadien de Justin Trudeau en demandant des solutions rapides. Elles signalaient que les personnes les plus touchées par ces refus étaient des dirigeants sociaux de la République démocratique du Congo, du Maroc, d’Iran, d’Haïti, du Nigéria et du Népal. Les refus de visa avaient également frappé des citoyens du Bénin, du Brésil, du Burkina Faso, du Ghana, du Mali, de Palestine et du Togo.

Cette déception explique l’indignation et les critiques envers les autorités faites par de nombreux participants à la marche d’ouverture qui « fut très colorée et participative, avec des thèmes variés et une belle participation citoyenne », souligne Filomena Siqueira, positivement surprise par le déroulement du 9 août.

Les premières activités se développent avec succès, explique la dirigeante brésilienne, qui avait participé auparavant à une demi-douzaine de forums dans plusieurs pays du monde. « Tout est très bien organisé malgré l’ampleur de la surface de l’université, qui compte plusieurs campus, ce qui ne facilite pas l’orientation dans un premier temps ». Plus de 1000 activités autogérées se tiendront durant les cinq jours du Forum, dans un marathon participatif qui, selon les organisateurs, pourrait réunir plus de 50.000 participant-e-s venu-e-s d’une centaine de pays.


Des défis ouverts

Le FSM – et Montréal le démontre – continue d’être un espace important pour partager les idées et les pratiques dans la perspective de construire des sociétés plus juste et un monde meilleur, possible et nécessaire, explique Filomena Siqueira.

En ce sens, bien que saluant l’organisation de diverses conférences centrales thématiques lors de cette session – reprenant une pratique vécue dans les premières sessions du FSM au Brésil -, Filomena Siqueira prévient « que l’on ne doit pas créer l’attente que de ces conférences surgira la vérité absolue et qu’une prise de position comme Forum sera effectuée ».

Et d’insister sur ce point : les réflexions et les échanges que nous réussirons à promouvoir au Canada doivent « nous aider, en retournant à chacun de nos espaces locaux et nationaux, pour continuer à promouvoir la participation et le changement ».

La session de Montréal pourra-t-il répondre à la question sur l’état réel du FSM et sur son potentiel futur ? C’est une interrogation essentielle, répond la dirigeante brésilienne d’ Ação Educativa. « Mais je ne suis pas d’accord avec ceux qui prédisent la fin du Forum ou prévoient qu’à Montréal il faudra en faire le deuil ».

Le FSM est « un miroir, un reflet direct des mouvements et des organisations sociales, de la société civile mondiale. Ceux qui prédisent la mort du FSM devraient alors décréter la mort de ces mouvements et de ces organisations… Il ne faut pas oublier que le FSM n’est pas en soi une institution. C’est un espace qui rassemble les luttes, les pensées et les rêves faits au niveau local ».


Un monde globalisé

Participer au mouvement mondialiste et préconiser un autre monde possible et nécessaire, cela implique de reconnaître que nous sommes tous dans le même bateau et que nous ressentons tous les effets de la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
sur « notre patrie, la Terre ». Mais il est aussi certains que les conséquences sociales et environnementales de cette globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
sont différents dans chaque lieu, pense le sociologue suisse Jean Rossiaud, co-responsable du Forum démocratique mondial.

« Et la société civile qui s’organise pour défendre ou élargir ses droits est différente dans chaque lieu, tout comme les mouvements sociaux qui transforment leurs luttes selon les rapports de force culturels, sociaux et politiques », poursuit-il.

En ce sens, aujourd’hui, ici à Montréal, « nous percevons la différence avec d’autres forums antérieurs », explique Rossiaud. Dans des forums, comme Porto Alegre, on sentait la forte dynamique du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) ; ou à Mumbai, celle des Dalits ; ou à Belem de Pará, celle des peuples autochtones. « Ici, on voit particulièrement le mouvement étudiant qui le promeut pour relancer la dynamique de mobilisation créée il y a trois, pour l’élargir à d’autres secteurs et pour l’internationaliser ».

Concernant la réflexion sur l’avenir du FSM, qu’il faut promouvoir à Montréal, Jean Rossiaud apporte des clés d’interprétation et de proposition. « Les FSM ne doivent pas disparaître, mais ils ne peuvent se limiter à eux-mêmes et ils doivent être dépassés par d’autres formes de mobilisation sociale. Celles-ci doivent être plus décentralisées et plus continues dans le temps. En démontrant qu’il existe déjà des solutions immédiates et concrètes pour vivre dans un monde solidaire ». Il faut voir par exemple l’impact du film Demain. « Ces mobilisations doivent convoquer plus d’intelligence collective, de construction idéologique partagée et plus politique, c’est-à-dire s’intéressant davantage à la gouvernance mondiale, en passant du local au global », conclut-il.


Traduction : Hans-Peter Renk

Le site du FSM : https://fsm2016.org/


Sergio Ferrari

Journaliste RP/periodista RP

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