Lire l’ouvrage « FÉMINISME pour les 99 % »
UN MANIFESTE
de Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya et Nancy Fraser,
traduit de l’anglais (États-Unis) par Valentine Dervaux,
édition La découverte, Paris, mars 2019, 125 pages.
Dans une précédente présentation d’ouvrage intitulée « Le capitalisme patriarcal » de Silvia Federici Reproduire pour produire, je mettais en évidence l’analyse de l’auteure concernant le rôle central, car primordial, du travail reproductif gratuit dans l’accumulation du capital et donc du profit engendré par l’exploitation de ce travail « domestique » attribué aux femmes dès la seconde moitié du XIXe siècle.
Le travail de reproduction à prendre dans un sens large comprend tous les actes liés au développement de la vie (nourrir, soigner, veiller, enseigner, entretenir les liens sociaux…) et sans lesquels la classe capitaliste n’aurait pas d’êtres humains à exploiter.
Dès le moment où le système capitaliste a organisé l’exploitation rentable du travail de reproduction dans les foyers en imposant une division genrée entre travail économique productif, attribué essentiellement aux hommes et rapportant un salaire, et le travail reproductif ne « nécessitant » pas une rémunération, les femmes se sont rebellées contre cette dépendance à l’homme, imposée.
Le système capitaliste néolibéral sans limites a adapté ses formes d’exploitation en marchandisant tout
Cent cinquante ans plus tard, le système capitaliste néolibéral sans limites a adapté ses formes d’exploitation en marchandisant tout, même une bonne part du travail de reproduction. Certains métiers comme ceux de femme d’ouvrage ou de garde d’enfant consistent à prendre en charge des travaux de reproduction pour le compte de professionnelles plus aisées et épuisent des travailleuses dans des tâches peu gratifiantes pour arriver à boucler les fins de mois et faire vivre leur propre famille.
Le remboursement des dettes souveraines soumet les États aux exigences anti-sociales des détenteurs de capitaux et l’emprise des dettes à la consommation « emprisonnent » les populations dans un cercle vicieux d’appauvrissement qui impacte toute activité de vie.
Depuis deux bonnes années, nous assistons à de nouveaux et imposants soulèvements de femmes à un niveau international (Espagne, Argentine, Pologne, États-Unis...) qui dénoncent ce système économique destructeur de leur vie. Dans la postface de ce livre, nous lisons « Alors que le capital aspire uniquement à accroître ses profits, à l’inverse, les personnes de la classe ouvrière se battent en tant qu’être sociaux afin de mener des vies décentes et riches de sens. Ces buts sont fondamentalement irréconciliables car l’accumulation du capital ne peut se faire qu’au détriment de nos vies. » (p.106-107)
C’est en analysant les revendications de ces nouveaux mouvements féministes que les auteures ont rédigé ce manifeste « Féminisme pour les 99 % ». Ces revendications ne se limitent pas à l’augmentation des salaires ou à la réduction du temps de travail, elles recouvrent l’ensemble des droits humains fondamentaux allant du droit au logement à la sécurité alimentaire en passant par le droit des migrant-e-s et le droit à la sécurité sociale dans son ensemble.
« L’ensemble de ces revendications nécessite une profonde réorganisation de la relation entre production et reproduction : pour des mesures qui favorisent la vie et les liens sociaux plutôt que le profit ; pour un monde dans lequel n’importe quelle personne – quels que soient son genre, sa nationalité, sa sexualité et sa race – puisse combiner les activités liées à la reproduction sociale avec un travail sûr, bien rémunéré et exempt d’abus »(p.118).
Un féminisme pour l’amélioration des conditions de vie de l’immense majorité des femmes mais aussi des hommes.
Le véritable enjeu des luttes pour la reproduction sociale est d’établir la primauté de la vie sur le profit
Un manifeste plein d’espoir, pour un anticapitalisme radical, programmant l’égalité, la justice et la liberté pour toutes et tous . « Le véritable enjeu des luttes pour la reproduction sociale est d’établir la primauté de la vie sur le profit » (p.108).
Pour relever ce défi, les auteures affirment la nécessité que les féministes s’allient aux autres mouvements anti- système capitaliste : les mouvements antiracistes, écologistes, pour les droits des migrants et de tou-te-s les travailleu-ses-rs. « En réalité, cette solidarité est plus forte lorsque nous reconnaissons nos différences – la diversité de nos modes de vie, de nos expériences et de nos souffrances, la spécificité de nos besoins, de nos désirs et de nos exigences, et la pluralité des formes d’organisation qui nous correspondent… Le féminisme pour les 99 % cherche à réunir les mouvements existants et futurs en une large insurrection mondiale » (p.90)
Ce manifeste affirme et expose 11 thèses étayées que je cite ci-dessous pour vous donner l’envie de les explorer par vous-même
Le féminisme pour les 99 % cherche à réunir les mouvements existants et futurs en une large insurrection mondiale
Au mieux, le capitalisme ne pourra que repousser l’état de crise actuel auquel l’humanité doit faire face et les auteures du manifeste affirment que pour résoudre cette forme aiguë de crise capitaliste, globale, financière, néolibérale, nous avons besoin d’une forme d’organisation sociale entièrement nouvelle.
Le CADTM soutient cette vision d’un avenir possible pour l’Humanité et y amène sa pierre à l’édifice en avançant des propositions concrètes et réalistes. Auditer les comptes pour savoir ce qu’un pouvoir public rembourse, à qui et pour quel type de dépenses, pour mener quelle politique et dans l’intérêt de qui, permet de déceler ce qu’il est légitime de rembourser ou non. Étudier avec l’aide des travailleurs de terrain comment utiliser l’argent ainsi récupéré dans des projets socialement utiles et écologiquement viables.
Concevoir de nouvelles formes d’organisation sociale, c’est avant tout une question de volonté et de mobilisation sociale, une question d’engagement et de choix politiques respectueux des êtres humains sans distinction de race, de sexe, de culture et, de la Terre, source de vie.
Que les habitants dans les quartiers, les communes, puissent réellement s’impliquer dans la gestion de leur communauté, qu’au niveau national, les pouvoirs publics investissent (emprunts légitimes auprès de services publics bancaires) dans des infrastructures médicales, scolaires, sociales utiles aux populations ; investissent dans les secteurs des énergies renouvelables, des transports en commun accessibles à tous, des logements salubres, des loisirs et de la culture pour tous ; investissent dans des politiques agricoles adaptées, en synergie avec l’environnement et de dimension humaine. Que tous ces investissements publics (dont la liste mentionnée plus haut n’est pas exhaustive) créent de l’emploi justement rémunéré, valorisant car utile et dont les conditions de travail permettent une qualité de vie digne de ce non.
Il n’y a évidemment pas de livre de recettes toutes faites de ces nouvelles formes d’organisations sociales. Des mobilisations des 99 % de par le monde pourraient émerger de nouveaux schémas sociétaux adaptés aux communautés de vie des quatre coins du monde.
À suivre
Les auteures :
9 août 2019, par Brigitte Ponet
5 octobre 2018, par Brigitte Ponet
13 mars 2018, par Eric Toussaint , Brigitte Ponet , Nathan Legrand
Compte-rendu des rencontres entre le CADTM et des organisations de base en Inde en décembre 2010
Inde : Le CADTM au Kerala et au Tamil Nadu8 janvier 2011, par Brigitte Ponet