Recension du livre de Olivier Bonfond - IL FAUT TUER TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Editions du Cerisier - Belgique – 2017)
Avec IL FAUT TUER TINA, Olivier Bonfond nous offre un très important et très beau livre. Il contribue à proposer une stratégie pour répondre au modèle dominant, au néolibéralisme qui caractérise la phase actuelle de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
capitaliste. Il participe au renouvellement de l’altermondialisme.
Qui est donc cette TINA et pourquoi est-elle si nocive ? TINA résume « There Is No Alternative » qui avait été lancé et popularisé par Margaret Thatcher quand elle était première ministre en Grande Bretagne, en 1979. Elle a imposé, avec Ronald Reagan, président des États-Unis en 1981, le néolibéralisme. Margaret Thatcher répondait aux critiques et aux luttes sociales en affirmant « il n’y a pas d’alternative ». Elle a préfiguré le caractère « austéritaire » du néolibéralisme, combinant austérité et autoritarisme, en combattant ceux et celles qui le contestent et en les traitant de rêveurs, d’ennemis à éliminer par tous les moyens, y compris les répressions et les guerres.
TINA résume l’idéologie néolibérale. Cette idéologie est très bien exposée dans deux livres qui sont parus dans les années 1990. La Fin de l’Histoire et le dernier Homme, paru en 1992, de Francis Fukyama explique que si le capitalisme peut éventuellement être amélioré, il ne peut pas être dépassé ; le marché et la « démocratie de marché », c’est la fin de l’Histoire. Et Samuel Huttington, avec La crise des civilisations, paru en 1996, explique que les conflits sociaux ne sont pas prioritaires. Ce qui compte, ce sont les guerres de civilisations et de religions, avec l’islam constituant le danger principal.
En quoi consiste ce modèle néolibéral qu’il est interdit de contester ? Dès la fin des années 1970, le modèle social libéral est mis en cause. Il a été adopté par Roosevelt en 1933, mais n’a été appliqué qu’en 1945 après une guerre mondiale. Il repose sur une conception « fordiste » de l’industrie et une conception keynésienne de l’État social. Il répondait à la contestation du capitalisme portée par l’alliance stratégique entre les mouvements ouvriers qui se référaient à la révolution de 1917 et les mouvements de libération nationale pour la décolonisation. La contre-révolution néolibérale commence après les crises pétrolières de 1973 et 1977 ; elle est une réponse aux avancées de la décolonisation et prépare la chute du bloc soviétique achevée en 1989.
Le modèle néolibéral repose sur une idée simple, ce qui contribue à son succès : il suffit de laisser faire le marché et d’ajuster l’économie de chaque pays au marché mondial. Il faut laisser faire les acteurs de la « modernité » et du « progrès », à savoir les entreprises multinationales et le capital financier. La nouvelle forme du libre-échange, c’est d’interdire toute limitation des importations, de laisser les multinationales investir sans contrôle où elles veulent et de retirer leurs bénéfices comme elles veulent, de donner le contrôle aux actionnaires, de réorienter les politiques économiques au profit des actionnaires, de démanteler les États sociaux et les politiques sociales, de réduire les salaires et d’affaiblir les résistances ouvrières et sociales par la précarisation.
Ce nouveau cours de la mondialisation capitaliste se heurte tout de suite à la résistance des peuples. Le mouvement anti-systémique de la mondialisation néolibérale commence dès le début, c’est ce qui prendra le nom du mouvement altermondialiste. La première phase de l’altermondialisme s’oppose à la politique de l’ajustement structurel et à la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
menée, à l’initiative du G7
G7
Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing.
, par la Banque Mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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. Dès la fin des années 1970, les mouvements contre cette recolonisation, contre la dette et l’ajustement structurel sont très actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
dans les pays du Sud. Après 1989, le néolibéralisme cherche à mettre en place un système international qui corresponde à ses intérêts. Il met en avant l’Organisation Mondiale du Commerce
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
, pour compléter la Banque Mondiale et le FMI et va chercher à marginaliser les Nations Unies.
La deuxième phase de l’altermondialisme, de 1989 à 1999, conteste les institutions internationales, dont le G7, l’Union Européenne et les institutions de Bretton Woods. Elle met en avant un nouveau mot d’ordre qui culminera aux manifestations contre l’OMC, à Seattle en 1999 : « le droit international ne doit pas être subordonné au droit aux affaires ». A partir de 2000, le mouvement altermondialiste organise les Forums sociaux mondiaux, contre le Forum économique de Davos qui illustre la fusion des classes dominantes : les classes politiques et les classes financières. Il mettra en avant un nouveau mot d’ordre, contestant TINA : Un autre monde est possible.
La crise financière de 2008 montre les limites du néolibéralisme. Les insurrections de 2011 dans plusieurs dizaines de pays démontrent l’exaspération des peuples contre le système et dénoncent la corruption portée par la fusion des classes politiques et financières, l’explosion des inégalités et des discriminations, les injustices écologiques ainsi que l’illusion démocratique de nos sociétés. Dès 2013 et 2014, confirmant la stratégie du choc de Naomi Klein, commence une période de contre-révolutions caractérisées par une accélération des politiques d’austérité et la montée en puissance des idéologies racistes, xénophobes, sécuritaires et anti-migrants. Un renouvellement du mouvement altermondialiste, qui ne se résume pas aux forums sociaux mondiaux, est nécessaire.
Le livre d’Olivier Bonfond, IL FAUT TUER TINA, s’inscrit dans le renouvellement de l’altermondialisme. Il propose une réponse idéologique et pratique à TINA. La meilleure manière de contester TINA, c’est de démontrer qu’il y a des alternatives à la fois concrètes et crédibles au capitalisme néolibéral. C’est ce que fait Olivier Bonfond dans son livre. Il identifie et présente plus de 200 propositions qui témoignent qu’un autre monde possible est déjà en route.
La première partie s’attache à une réflexion fondamentale, celle de la définition de l’alternative. Elle affirme dès le début qu’il s’agit de la recherche des autres mondes possibles et non pas d’un monde mythique. Elle s’intéresse à une alternative radicale en ne se laissant pas enfermer dans les propositions gradualistes comme notamment les OMD et les ODD. L’objectif doit être l’émancipation des peuples, à partir des droits humains fondamentaux, de l’écologie et de la démocratie. Les axes stratégiques impliquent de renforcer les mobilisations populaires, de s’attaquer à la racine des problèmes, mais aussi de ne pas envisager les alternatives de manière isolée. La proposition est celle d’une alternative radicale et d’une voie non-capitaliste, impliquant nécessairement des ruptures et des dynamiques révolutionnaires.
Les trois autres parties esquissent un programme, celui d’une transition sociale, écologique et démocratique. La deuxième partie cherche à mettre l’économie au service des peuples. Elle propose quatre démarches : la maîtrise du financement du développement ; la rupture du cercle infernal de la dette (Olivier Bonfond travaille depuis 15 ans au sein du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes) ; la triple rupture économique, celle du dogme de la croissance illimitée, celle du dogme de l’initiative privée et de l’austérité, celle du dogme du libre-échange ; enfin, la maîtrise des banques.
La troisième partie s’attache à prendre soin des êtres humains et de la planète. Elle part de la lutte contre les inégalités en commençant par l’égalité par rapport à la santé ; du féminisme et des droits des femmes ; des droits sociaux, de la sécurité sociale et des services publics renforcés ; de l’agriculture, de l’alimentation et de la souveraineté alimentaire ; des migrations et du choix de construire des ponts, pas des murs ; de l’écologie, du climat et des biens communs qui sont entendus comme le patrimoine commun de l’humanité.
La quatrième partie s’attache à la construction d’une démocratie réelle. Elle part de la démocratie à partir d’une citoyenneté active et critique, articulant démocratie représentative, participative et démocratie directe ; de la nécessité de refonder les institutions internationales ; de la culture, de l’éducation, de l’éducation populaire ; de la communication et de la nécessaire libération des médias ; de l’intime liaison entre les initiatives locales et les actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
globales, entre les actions individuelles et les actions collectives.
Un autre élément doit être souligné. Les 200 propositions concrètes qu’Olivier Bonfond développe dans son livre s’appuient sur de nombreux encarts mettant en évidence des exemples de changements concrets et de mobilisations victorieuses. Par exemple, dans le cas de l’action contre des lois injustes, il illustre la désobéissance civile en rappelant le Larzac, en 1971 à 1981, la place Taksim à Istanbul, en 2013, les Zones à défendre, les ZAD, et celle de Notre Dame des Landes, à partir de 2014. Il montre que des gouvernements peuvent reprendre le contrôle de leurs richesses au profit des peuples, que d’autres sauvetages financiers sont possibles, comme par exemple en Suède en 1991, qu’il est possible de refuser de payer la dette et de faire plier les détenteurs de capitaux, etc.
C’est l’histoire souterraine qui affleure et qui porte les transformations profondes qui sont à l’œuvre. Il s’agit de rendre visibles les alternatives, de les renforcer, et de passer de la floraison d’initiatives à la définition d’un projet cohérent et d’une stratégie efficace. Par son livre, Olivier Bonfond y contribue.
Le site (www.bonnes-nouvelles.be) est le prolongement et le complément du livre IL FAUT TUER TINA. Le site poursuit l’objectif de rendre visibles les petites et grandes victoires qui, bien que partielles et insuffisantes, nous aident à rompre avec le fatalisme et peuvent constituer des sources d’inspiration pour nos actions individuelles et collectives. Récemment, la newsletter a présenté les 40 plus belles victoires sociales, écologiques, démocratiques et culturelles de 2018 ; choisies parmi les 150 victoires recensées sur le site en 2018.
est une des personnalités centrales du mouvement altermondialiste. Ingénieur et économiste, né en 1938 au Caire, a présidé le CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement), galaxie d’associations d’aide au développement et de soutien aux luttes des pays du Sud, et a été vice-président d’Attac-France de 2003 à 2006.
17 janvier 2022, par Gustave Massiah
10 janvier 2022, par Gustave Massiah
18 janvier 2021, par Gustave Massiah
22 décembre 2020, par Gustave Massiah
26 juin 2020, par Gustave Massiah
25 mars 2020, par Gustave Massiah
9 août 2019, par Gustave Massiah
3 avril 2018, par Gustave Massiah
12 novembre 2017, par Gustave Massiah
24 août 2017, par Gustave Massiah