7 juin 2016 par Robin Delobel
Les nominations des candidats aux élections présidentielles approchent à grands pas et comme l’a écrit récemment Yiorgos Mitralias, la tension concernant le candidat Sanders est à son comble [1]. Malgré la volonté du parti démocrate qu’il se retire, le sénateur du Vermont, devenu membre du Parti pour pouvoir participer à ces primaires de 2016, poursuit sa campagne. Au delà des critiques et des failles que l’on peut trouver à sa candidature ou sa carrière politique, pointons plutôt les espoirs que représente ce moment politique fort dans un pays où dominent ultralibéralisme, bipartisme et influence de Wall Street.
Alors que la méfiance, voire le dégoût envers les partis politiques et leurs représentants augmente au rythme des attaques contre les droits sociaux des partis de droite comme de gauche, de nouvelles élections approchent en Espagne où une crise politique s’entremêle avec une crise sociale de grande ampleur. De même en France où les candidatures de droite (aussi impopulaires les unes que les autres) se multiplient. En Belgique et en France, la population rejette en masse des lois travail accueillies favorablement par le patronat. Aux États-Unis, la campagne de Bernie Sanders prend le chemin inverse en mettant notamment en avant la revendication d’un salaire minimum à 15 dollars l’heure, poussant même Hillary Clinton à prendre position en faveur de cette mesure. Autre signe que l’existence d’une gauche aux États-Unis est possible : les victoires électorales et populaires de la militante socialiste Kshama Sawant [2] au conseil municipal de Seattle.
Une campagne pour les 99%
Contrairement aux titres réguliers évoquant l’embellie économique des États-Unis, la pauvreté, et l’extrême pauvreté, sont en augmentation constante (47 millions de pauvres, 22% des enfants vivant sous le seuil de pauvreté) ; les travailleurs pauvres et ceux contraints de cumuler deux emplois se comptent par dizaines de millions. Les discours de Bernie Sanders visent à se faire entendre au-delà du parti démocrate, aux populations délaissées, aux personnes ayant abandonnées le vote et les revendications socio-économiques forment la base de sa campagne.
Annoncé comme battu par de nombreux médias bien plus enclins à parler des déclarations fumeuses de Donald Trump que de parler du contenu du programme de Sanders, les chances du sénateur du Vermont ne sont pourtant pas totalement nulles. Bien que la probabilité est faible de menacer réellement sa candidature, Hillary Clinton se trouve menacée par le scandale qui l’empoisonne depuis des mois, un audit gouvernemental a dévoilé l’usage d’une messagerie privée alors qu’elle dirigeait la diplomatie américaine, une pratique allant à l’encontre des règles en vigueur.
Suite à des propos du candidat annonçant il y a quelques mois son soutien envers Hillary Clinton si elle emportait l’investiture, de nombreuses voix à gauche ont accusé la candidature de Sanders de servir à ramener dans le giron démocrate des électeurs attirés par sa « révolution politique ».
La poursuite de sa campagne montre pourtant une autre tournure. Les médias présentent les superdélégués comme acquis à Hillary, « sur les 712 Superdélégués, 524 ont dit qu’ils voteraient pour Hillary en Juillet, 40 pour Sanders, 148 ne se sont pas prononcé. Or, le principe est que les Superdélégués sont censés voter lors de la Convention nationale en respectant les choix des électeurs de leur territoire » [3]. Utilisant le manque de popularité de Clinton, et ses nombreuses casseroles, « Bernie soutient que l’objectif de cette primaire consiste à présenter le candidat démocrate ayant le plus de chances de l’emporter face au candidat républicain. « Or, les sondages disent tous qu’il est ce candidat, le seul à garantir une victoire nette sur Trump. Bernie va plus loin en soulignant qu’Hillary le bat dans des États qui finalement voteront pour Trump (lors de l’élection générale, le candidat qui arrive en tête emporte la totalité des Grands électeurs) et qu’elle risque de ne pas arriver en tête dans des États où lui l’est car le parti démocrate à maltraité les indépendants dans la Primaire. Il va jusqu’à reprocher au Parti démocrate de créer les conditions d’une défaite face à Trump en voulant préserver les intérêts d’un clan. » [4]
Dernier Super Tuesday ce mardi
Ce mardi 7 juin a lieu la prochaine journée de primaires, elle se déroulera en Californie (État le plus peuplé du pays) et dans 5 autres États. Malgré les annonces régulières des médias dominants présentant un duel futur entre Trump et Clinton, l’issue n’est pas encore inéluctable pour la candidature Sanders. Qui l’aurait cru il y a à peine un an ?
À partir de la fin 2015, Bernie commençait à avoir des succès électoraux, mais surtout en termes de mouvements sociaux. Rassemblant d’abord des jeunes engagés, mais aussi une bonne partie des syndicats, des personnes impliquées auparavant dans Occupy Wall Street, des mouvements anti-guerre, au fur et à mesure des victoires aux primaires et des nombreux meetings, des pans bien plus larges de la population se retrouvent à présent derrière le candidat démocrate autoproclamé socialiste.
Comme l’écrivait le Monde Diplomatique en janvier 2016, « son combat porte sur la redistribution des richesses, non sur leur propriété ou leur contrôle. Dans un discours récent, il a ainsi rappelé qu’il ne croyait pas à la « propriété publique des moyens de production [5] ». Il n’en demeure pas moins que son engagement progressiste se démarque clairement de la position propatronale de son adversaire Hillary Clinton. » [6]
Sur ce que représente Bernie Sanders, Noam Chomsky le qualifie de « Democrate new deal
New Deal
Nom donné aux mesures prises aux États-Unis par Roosevelt à partir de son élection en 1933 à la présidence pour faire face à la crise économique déclenchée en 1929.
Rappelons que dans le cadre du New Deal aux États-Unis et des politiques keynésiennes qui ont été étendues à l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale sous la pression d’importantes mobilisations populaires, les droits sociaux ont été nettement améliorés, une protection sociale importante a été mise en place, les banques d’affaires ont été séparées des banques de dépôts, le taux d’imposition des revenus les plus élevés a atteint 80 % aux États-Unis. On pourrait ajouter que les inégalités dans la répartition des revenus et du patrimoine ont été réduites. À cette époque, le Grand Capital avait été contraint de faire des concessions aux classes populaires qui s’étaient fortement mobilisées. Le gouvernement du président Roosevelt, qui voulait réformer le capitalisme pour le sauver et le consolider, avait dû affronter la Cour suprême qui avait essayé de faire abroger plusieurs de ses décisions. Roosevelt, pressé par la radicalisation à gauche des classes populaires, avait réussi à contrecarrer les décisions de la Cour suprême et avait imposé des mesures fortes, y compris en permettant aux syndicats de se renforcer dans les usines et aux travailleurs de recourir aux grèves pour obtenir des concessions des patrons.
» et non pas de radical extrémiste (extrême gauche), comme beaucoup de médias américains le présentent. Eli Zaretsky, professeur d’histoire à la New School de New York et auteur de Left, essai sur l’autre gauche aux États-Unis (éditions du Seuil) : « de gauche en ce sens qu’il pose les choses en termes de droits : le droit à la santé avec un vrai système de protection universelle, le droit à l’éducation avec la gratuité des études supérieures, le droit à un salaire décent avec le Smic à 15 dollars. » [7]
ils ne se laisseront plus faire désormais
Au delà des appréciations sur le degré de socialisme de Sanders et des questions électorales, l’apport de Bernie tient surtout dans le fait d’avoir fait resurgir des mobilisations de jeunes et de travailleurs et travailleuses, ces derniers ayant repris confiance en leur force. Comme le dit Chomsky, ils ne se laisseront plus faire désormais
. Bernie veut plus qu’une élection. Il veut un mouvement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple (of the people, by the people, for the people).
Pour rappel, quelques positions du candidat démocrate qui vont dans le même sens que le travail du CADTM, rares pour un candidat à l’élection présidentielle américaine :
Alors que Porto Rico est plus que jamais dans une crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
dont il a été obligé de se déclarer en suspension de paiement depuis deux mois, que la Grèce est également menacée par la logique des créanciers qui jouent au chantage en omettant totalement que les politiques qu’ils imposent ont de graves conséquences sur la vie de la population, Bernie Sanders amène des propositions alternatives rarement mises en avant – voire jamais – aux États-Unis.
Concernant Porto Rico, Bernie a pris position contre les politiques d’austérité mises en place sur l’île pour rembourser la dette, « précisant qu’il est impossible d’extraire du sang de la pierre (it’s impossible to get blood out of a stone). Encore mieux, le candidat démocrate plaide pour un audit de la dette de Puerto Rico préalablement à toute restructuration, précisant simplement que tout prêt conclu en désaccord avec la constitution devrait être mis de côté... » [8]. Plus récemment, il appelait à une restructuration ordonnée de la dette de Porto Rico en vue d’atténuer la crise humanitaire qui frappe l’île. [9]
Sanders s’est aussi prononcé sur la dette grecque, condamnant le troisième mémorandum signé en septembre 2015, ses conséquences sociales désastreuses et l’austérité appliquée en Grèce depuis 6 ans par la Troika. [10]
Rappelons également ses prises de position sur l’évasion fiscale, médiatisées par les Panama Papers mais pourtant révélées depuis de longues années par Denis Robert [11]. En 2011, il prenait la parole au Sénat pour s’opposer à un accord de libre échange – défendu de son côté par Hillary Clinton – avec le Panama, « un leader mondial en matière d’évasion fiscale pour les grosses entreprises et les plus riches des Américains ». [12] Après la diffusion des Panama Papers, en avril 2015, Bernie insistait pour fustiger Hillary Clinton, qui, en soutenant cet accord, avait « rendu plus facile, pour les personnes fortunées et les sociétés partout dans le monde, d’éviter de payer des impôts dus à leur pays ». [13]
Sur la finance, Sanders préconise de relancer la législation du Glass-Steagall Act avec deux objectifs : casser les trop grandes banques (too big too fail) et séparer les activités de crédit et d’investissement.
Alors que la dette étudiante dépassait les 1200 milliards de dollars fin 2015, les jeunes américains commençant leur vie active avec un crédit de 30 000 dollars en moyenne, [14] Sanders propose un plan de gratuité des études supérieures financé en partie par une taxe sur les activités financières spéculatives.
Sur la thématique écologique, Sanders propose de taxer toutes les énergies fossiles et de sortir du nucléaire. [15] Il préconise une interdiction complète des gaz de schistes et de la fracturation hydraulique.
S’il est vain de chercher en Sanders l’homme providentiel idéal, capable faire vivre une gauche radicale, anticapitaliste et anti-impérialiste aux États-Unis, nul doute que sa campagne apporte un vent de fraîcheur sur la vie politique étasunienne et internationale et permet de mettre en avant de nombreuses revendications rarement prônées par un candidat aux présidentielles US.
[2] émigrée venue d’Inde aux États-Unis en 2006, est une militante de Socialist Alternative, la section étatsunienne du Comité pour une Internationale ouvrière
[5] Discours à l’université Georgetown, Washington, DC, 19 novembre 2015.
[9] http://www.salon.com/2016/05/24/bernie_says_bail_out_puerto_rico_sanders_details_how_the_feds_should_rescue_the_territory_as_they_did_big_banks/
[13] http://www.lapresse.ca/international/dossiers/maison-blanche-2016/201604/07/01-4968610-pour-bernie-sanders-hillary-clinton-a-une-part-de-responsabilite-dans-les-panama-papers.php
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